V. LA REPUBLIQUE GISCARDIENNE

“Gouverner c’est réformer”

V.a. Une petite alternance.

            Au lendemain de la mort de G. Pompidou, une nouvelle période de l’histoire de la Ve République commence. Au moment des élections présidentielles, la gauche, cette fois, apparaît unie par un Programme commun et propose un unique candidat: François Mitterrand. La majorité est divisée entre gaullistes traditionnels et gaullistes pompidoliens. Un phénomène nouveau se présente: les candidatures marginales, avec un candidat écologiste, un de l’extrême droite, des Fédéralistes européens et même un royaliste! Le vainqueur des élections est Valéry Giscard d’Estaing (que l’on désignera VGE), chef des Républicains indépendants, mais avec un très faible écart par rapport à Mitterrand. Si les institutions de la Ve République ont fait preuve de leur bon fonctionnement en ce qui concerne le changement de président, le pays apparaît plus que jamais coupé en deux. La France fait ses premiers pas vers une république non-gaullienne puisque le nouveau président est d’une famille politique différente, plus modérée, réformatrice et européenne.

            VGE adopte d’entrée une démarche gaullienne : il est convaincu que la Ve République doit procéder du chef de l’Etat et entend lui aussi dépasser les formations politiques pour constituer sa propre majorité présidentielle. Il déclare quand même lors de son installation à l’Elysée: “[...] de ce jour date une ère nouvelle de la politique française [...] C’est moi qui conduirai le changement, mais je ne le conduirai pas seul.” Il doit affronter immédiatement deux choses: la “victoire” de l’opposition (aux élections présidentielles, l’écart des voix entre V. Giscard d’Estaing et F. Mitterrand est très faible : 400 000 voix) et l’éclatement de la majorité. Il choisit comme Premier ministre Jacques Chirac, pour répondre à l’usage républicain qui fait que le premier collaborateur du Président appartienne à la formation la mieux représentée de la coalition parlementaire. Dès le début, la forte personnalité de Chirac semble conduire à une dyarchie de l’exécutif : pendant tout le gouvernement Chirac (de mai 1974 à août 1976) le conflit personnel entre le chef de l’Etat et son Premier ministre ne fera que s’amplifier, surtout parce que VGE participera très étroitement à la gestion des affaires et ne permettra jamais à son premier collaborateur de contester ou de s’opposer à la primauté présidentielle. Pour répondre à l’évolution de la société et surtout au changement de mentalité, le chef de l’Etat pratique une politique de séduction se caractérisant par un style direct et décontracté, il s’efforce de “décrisper” la fonction présidentielle, de la rendre plus proche des Français, moins solennelle, allant jusqu’à prendre ses repas du dimanche chez le Français moyen.

 

V.b. Les réformes sociales.

            Pendant les deux premières années de son septennat, de nombreuses réformes sont adoptées.

C’est la jeunesse qui est la première bénéficiaire de cette volonté présidentielle de vouloir changer la société. La majorité légale et donc électorale est abaissée à 18 ans, l’électorat se rajeunit et devrait être plus réceptif (selon le gouvernement) à la modernité politique du Président.

Le gouvernement s’adresse ensuite à une autre catégorie “minorisée” de la société française, un secrétariat d’Etat à la condition féminine est créé et confié à la journaliste Françoise Giroud. Le 22 décembre 1974, la loi Veil (du nom de la première ministre femme de la Ve) est votée, elle concerne la liberté de contraception et le remboursement par la sécurité sociale, des produits contraceptifs, ainsi que la libéralisation  de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Une autre loi facilitera les procédures de divorce, jusqu’ici fort compliquées et fort lentes, mais surtout le divorce pourra être demandé par consentement mutuel, désormais l’égalité homme-femme est inscrite dans la loi.

L’amélioration des conditions des travailleurs et des personnes âgées, est un autre point de la politique sociale du nouveau gouvernement. Aux premiers, elle garantit en cas de chômage 90% du revenu pendant une année et l’augmentation du SMIC; des dispositions sont prises aussi sur la règlementation des licenciements collectifs; aux seconds, on accorde l’augmentation du minimum vieillesse. Le gouvernement s’intéresse également aux handicapés, une loi sur leur orientation et leur insertion est approuvée.

Quant à l’Education nationale, le ministre Haby fait voter une réforme qui institue un collège unique visant à donner à tous les mêmes chances.

Le libéralisme du président et du gouvernement s’étend aussi à l’audiovisuel, l’ORTF est constituée désormais en sociétés indépendantes (Radio France, TF1, Antenne 2, FR3) auxquelles on accorde un statut d’autonomie. Le statut de la ville de Paris est modifié, Paris aura son maire élu et une autonomie de gestion.

Enfin le 21 0ctobre 1974, on adopte une révision de la Constitution donnant le droit à 60 députés ou sénateurs de “saisir” le Conseil constitutionnel. Désormais, cette loi de “saisine” permettra à un petit groupe d’exercer un contrôle législatif (la saisine est le droit de demander au Conseil constitutionnel de contrôler la constitutionnalité d’un traité ou d’une loi). Ce droit appartenait exclusivement jusqu’à présent au président de la République. Cette réforme témoigne de la volonté du chef de l’Etat de “décrisper” aussi les rapports avec le Parlement. Mais la crise économique due à la hausse du prix du pétrole met un terme aux réformes.

 

V.c. La “prise de conscience” de la crise.

            Les plans économiques et financiers du gouvernement pour tenter de sortir le pays de la crise économique donnent des résultats mitigés. Chirac avait tenté la politique du “stop and go”, c’est-à-dire dans un premier moment, la maîtrise de l’économie par des mesures d’encadrement (prix, crédit, salaires) et fiscales (le stop), puis dans un deuxième temps, la relance de la consommation (le go), mais rien ne peut empêcher l’effondrement de la production et la progression du chômage. Bientôt les dissensions entre VGE et son Premier ministre, amène ce dernier à remettre sa démission le 25 août 1976. Cette rupture dans l’exécutif résulte très certainement d’un conflit de personnalité entre le Président et son Premier collaborateur, mais surtout de l’attitude “interventionniste” de VGE qui tend le plus possible à réduire le rôle de son Premier ministre, n’hésitant pas à le “laisser de côté”, s’adressant directement aux ministres. Chirac est remplacé par Raymond Barre, défini comme le “meilleur économiste de France”. C’est le moment où les Français prennent conscience de leur entrée dans la crise. Barre entreprend une politique d’austérité draconnienne, avec tout le programme classique: blocage des prix, des tarifs publics, des loyers, augmentation des impôts et encadrement du crédit. Etant privés désormais du soutien de l’Etat, des secteurs industriels connaissent de très grosses difficultés, des régions entières sont touchées par la crise, le chômage augmente sérieusement, surtout dans les catégories les plus fragiles comme les jeunes et les femmes. Cette situation provoque des manifestations, des grèves de la part des travailleurs qui se sentent menacés dans leurs revendications et dans leur pouvoir d’achat. De plus, l’adoption de lois sur la sécurité, justifiée par la montée de la violence et surtout la loi sur la réforme universitaire renforçant la sélection des étudiants et diminuant l’autonomie des universités augmentent l’impopularité du gouvernement.

            Les dernières années du septennat sont semées de difficultés de toute sorte, du second choc pétrolier en 1979 qui annule les premiers résultats du plan Barre aux attaques continues de la gauche qui devient de plus en plus puissante. De plus, une série de  scandales (décès inexpliqué du ministre du Travail Robert Boulin, assassinat du prince de Broglie, affaire des diamants donnés au Président par Bokassa, dictateur du Centre Afrique) aggravent la situation. La presse et l’opposition sauront bien exploiter ces facteurs de crise qui discréditent le régime. En mai 1981, c’est un Président contesté qui se présente aux nouvelles élections présidentielles.