VIII. LA POLITIQUE ETRANGERE
VIII.a. Introduction
Toute ma vie, écrivait De Gaulle dans ses Mémoires
de guerre, je me suis fait une certaine idée de la
France. [...] Le côté positif de mon esprit me convainc que la
France nest réellement elle-même quau
premier rang.
Ancienne puissance coloniale qui possédait le deuxième Empire
après lAngleterre, la France nest plus, depuis 1945,
quune puissance moyenne. Comment peut-elle être au premier
rang comme le souhaite le président de la Ve République?
Daprès la Constitution, la politique étrangère de la Ve
République est rattachée à laction du président
de la République. En effet, si celui-ci est par larticle
5, le garant de lindépendance nationale et de lintégrité
du territoire, larticle 15, lui donne les moyens de les
garantir, en faisant de lui le chef des armées et de la défense,
(à partir de 1964, cest lui seul qui détient la clé du
nucléaire); enfin, larticle 52 lui permet de négocier et
de ratifier les traités.
VIII.b. Les
principes gaulliens de la politique étrangère.
Dès larmistice de juin 1940, De Gaulle refuse et soppose
au pouvoir de Vichy, mais il se heurte aussi aux alliés. A la
Libération, pour préserver la souveraineté de la France, il
rejette lAMGOT (Allied Military Administration for Occuped
Territories), prévue par les Américains en 1944 et qui aurait
fait de la France, un territoire administré comme les pays
vaincus. Son souci de garantir lindépendance à la France
se manifestera aussi contre la politique de Yalta en 1945 et
contre la pétrification des blocs qui donnent la
suprématie aux deux Grands. Pour De Gaulle, la permanence des
nations dépend du poids de leur histoire. Ce sont les
nations, chacune avec son âme et son corps bien à elle,
qui constituent en fin de compte les éléments irréductibles
et les ressorts indispensables de la vie universelle.
(Discours de Bucarest, 15 mai 1968). Donc, toute la politique étrangère
sera fondée sur le principe de lindépendance nationale;
elle sera aussi le domaine réservé du chef
de lEtat.
René Rémond, dans son livre, Notre siècle, introduit
par ces lignes, la présentation de la politique étrangère de
De Gaulle : Si le général De Gaulle était si
impatient de régler le problème de lAlgérie, quil
en passa par des concessions qui lui coûtèrent, cétait
assurément pour extirper un germe de dissension qui minait lunité
de la nation, mais tout autant pour recouvrer une liberté daction
en Europe et dans le monde quhypothéquait la poursuite de
la guerre sur lautre rive de la Méditerranée. De Gaulle navait
jamais varié dans la hiérarchie de ses objectifs : la
politique extérieure primait lintérieure Aussi
faisait-elle partie des compétences propres du chef de lEtat
: efficacement secondé par un ministre des affaires
étrangères inamovible de juin 1958 à
juillet 1968, Maurice Couve de Murville, en qui il trouva un
exécutant loyal en même temps quune
personnalité capable dinitiative. Le général
De Gaulle dirigea personnellement la
conduite de la politique étrangère de la France
pendant toute la durée de son principat et lui imprima des
orientations irréversibles.
Ces orientations irréversibles peuvent se diviser en
cinq grands points :
1) Laffirmation de lindépendance nationale.
2) Les rapports avec lEurope.
3) Les relations avec les USA.
4) Louverture vers le bloc soviétique.
5) Les rapports avec le Tiers Monde
b.1. Laffirmation
de lindépendance nationale
Elle se fait daprès De Gaulle par la détermination
dune politique moderne de la défense. Malgré lalliance
atlantique, il est convaincu que la France doit posséder son armée
à elle, pourvue dun armement atomique pour être prête à
agir à tout moment. Lépisode de Suez en 1956 a eu un
impact important sur les partisans du nucléaire en France. En
effet, à la suite de lintervention franco-britannique à
Suez, lURSS menace les deux pays demployer ses armes
atomiques; Paris et Londres sollicitent lappui diplomatique
des USA qui rejettent la demande. La garantie daide américaine
à légard des pays membres de lOTAN nétait
donc pas sûre et la politique extérieure de ces pays était
complètement soumise à celle des Etats-Unis. Dès son retour au
pouvoir, De Gaulle appuie et soutient lentreprise nucléaire,
refusant le parapluie atomique américain.
Pour lui, larme atomique est un instrument prioritaire de
la politique française, elle est lexpression de sa
politique dindépendance nationale. Dans un de ses discours,
De Gaulle rétorque aux journalistes qui lui font remarquer que larmement
français est dérisoire et coûteux: [...] sans doute
les mégatomes que nous pourrions lancer négaleraient
pas en nombre celles quAméricains et Russes sont en mesure
de déchaîner, mais à partir dune certaine capacité nucléaire
[...] la proportion des moyens respectifs na plus de
valeur. (Conférence de presse du 23 juillet 1964).
Cette politique est loin dêtre approuvée par les partis
et lopinion publique, qui en critiquent le coût. La presse
ironise volontiers sur ce quelle appelle la bombinette
trop chère pour le budget de lEtat.
A son arrivée au pouvoir en 1969, Georges Pompidou
maintient lessentiel de lhéritage gaulliste aussi
bien pour les institutions que pour la politique étrangère. Il
ny a en effet aucun changement remarquable des orientations
définies par De Gaulle. La politique de défense est toujours
inspirée par la stratégie de dissuasion nucléaire (mise au
point de la bombe à hydrogène et construction des premiers sous-marins
nucléaires).
Malgré le changement de style du président Giscard dEstaing,
sa politique étrangère sinscrit aussi dans la continuité
de ses prédécesseurs; surtout en matière de défense, la
politique de VGE ne varie pas. Il est plus que jamais persuadé
de se maintenir en dehors de tout système qui priverait la
France de la maîtrise de sa sécurité.
Parvenant au pouvoir après de longues années dopposition,
François Mitterrand hérite dinstitutions où la
fonction présidentielle sincarne précisément dans la
politique étrangère et de défense. Dans ce domaine, à linverse
de la politique intérieure, la continuité va prévaloir.
Mitterrand déclare le 14 juillet 1983: Tout ce qui
touche à lindépendance nationale et à lintégrité
du territoire ne se décide ni à Moscou, ni à Washington, ni à
Genève. Cela se décide à Paris et par moi-même.
Limportance accordée à la diplomatie et à la défense nest
pas simplement la conséquence de prérogatives institutionnelles,
François Mitterrand considère que son action sera dabord
jugée à partir de sa politique étrangère sans laquelle un
pays ne serait pas un grand pays. Il
maintient rigoureusement la stratégie de la dissuasion nucléaire
indépendante, mais soutient aussi de façon spectaculaire et
un peu déconcertante, le déploiement des euromissiles américains
en Europe occidentale, rompant avec la réserve de ses prédécesseurs.
En effet, la France continue à refuser limplantation de
bases américaines sur son sol tout en intervenant positivement
en faveur de leur déploiement dans les autres pays. Cette
position semble inscrire la France à lintérieur de
léquilibre des forces nucléaires de lOTAN, alors
que toute sa politique vise à conserver lautonomie de sa
propre force de frappe.
En 1995, le président Jacques Chirac se veut le
continuateur privilégié de la politique dindépendance
commencée par De Gaulle. Aussitôt élu, il décide de
reprendre les essais nucléaires, interrompus par
Mitterrand en 1992, pour une brève campagne avant la
signature du Traité dinterdiction en 1996.
b.2. Les
rapports avec lEurope.
Pendant la guerre, De Gaulle pense quune paix
durable ne peut senvisager que par le rapprochement des
Etats européens. Malheureusement lexpérience montre quune
centralisation arbitraire provoque toujours par choc en
retour, la virulence des nationalités (De Gaulle, Mémoires
despoir). Pour lui, la construction européenne doit se
faire dans le respect des faits nationaux. Jentends,
affirme-t-il dans un discours, en juin 1947, une Europe formée
dhommes libres et dÉtats indépendants,
organisée en un tout susceptible de contenir toute prétention
éventuelle à lhégémonie et détablir entre les
deux masses rivales lélément déquilibre dont la
paix ne se passera pas. De Gaulle entend concilier lindépendance
des États et la construction dune Europe européenne. Dans
une conférence de presse le 15 mai 1962, il définit sa
politique européenne; ses idées sont claires: il rejette
fondamentalement le principe de la supranationalité,
affirmant encore une fois que la seule Europe possible
est celle des États, mais il accepte lidée dune
intégration économique. Le plan Fouchet substitue à lidée
des États-Unis dEurope, le concept dune
Union des Etats, dans le respect de la
souveraineté de chacun. La France pose également le principe de
lunanimité daccord pour les institutions de la CEE: le
droit de véto est fondé.
De Gaulle signe avec le chancelier allemand Adenauer, le 22
janvier 1963, le traité franco-allemand pour créer
de belles et bonnes alliances. En fait, son
ambition est de constituer une Europe autour de la France pour sopposer
à la puissance américaine. Autrement dit, il naccepte ni
lintégration politique de lEurope, ni la dépendance
de lEurope dans lorganisation militaire de lAlliance
Atlantique.
La France avait accepté le 25 mars 1957, le Traité de Rome
qui donnait naissance à la Communauté Economique Européenne,
De Gaulle accepte de respecter lengagement pris par la IVe
République: A peine revenu au pouvoir,
remarque un peu ironiquement R. Rémond dans son ouvrage,
Notre siècle, il presse lentrée en
vigueur des dispositions du Traité de Rome et anticipe sur les
échéances prévues pour labaissement des barrières
douanières. Il pèse de tout son poids en faveur dune
politique agricole commune qui a lavantage dassurer
aux agriculteurs français des débouchés rémunérateurs et de
les protéger contre la concurrence des producteurs extérieurs
au Marché Commun, il ira jusquà agiter la menace dun
retrait pour renforcer sur ce terrain la Communauté.
Mais il nhésite pas à sopposer énergiquement à lentrée
de la Grande Bretagne dans la CEE, car il la voit comme le
cheval de Troie des intérêts américains,
toujours prête à privilégier ses relations avec les USA. Cette
orientation de la politique étrangère divise lopinion et
seuls les gaullistes lapprouvent inconditionnellement ainsi
que le PC qui se félicite de louverture vers lEst et
du refroidissement vers lOuest. Toutes les autres forces
politiques marquent des réserves ou sopposent ouvertement.
On a le sentiment de voir pratiquer une politique anachronique et
surtout nationaliste.
En 1969, lors de la conférence de La Haye, le nouveau président
de la République Georges Pompidou précise laxe de
sa politique étrangère fondée sur lachèvement de la PAC,
(Politique Agricole Commune), lapprofondissement des liens
politiques et économiques et lélargissement de lEurope
à dautres Etats. Il ne recule pas devant lidée dune
confédération à long terme, avec un gouvernement supranational.
[...] LEurope, précise-t-il dans une conférence
de presse de 1971, est possible et nécessaire. [...] Mais
quelle Europe? [...] Il ne peut sagir que de
construire à partir de ce qui existe une confédération dEtats
décidés à harmoniser leur politique et à intégrer leur économie,
et si on le prend ainsi, on saperçoit que la
question de la supranationalité est une fausse querelle. Si un
jour, la confédération européenne est une réalité, il faudra
bien quil y ait un gouvernement dont les décisions simposent
à tous les Etats qui en sont membres. Cest
toujours à La Haye, que les chefs dEtat ou de gouvernement
de lEurope des six prennent la décision délargir le
Marché Commun, la France levant son véto à lentrée
de la Grande Bretagne. Ce changement de la politique française répond
sans doute au désir de rééquilibrer par le rapprochement
franco-britannique, lentente exclusive avec lAllemagne
dont louverture vers lEst commence à inquiéter la
France. Pompidou maintient toutefois la règle de lunanimité
de laccord quant aux décisions prises ou à prendre. En
janvier 1970, un règlement agricole définitif achève la
construction de lEurope verte. Désormais le président
Pompidou va en priorité sefforcer de réaliser lunion
monétaire européenne, pour rendre plus solidaires entre elles
les économies des Etats membres. En 1973, lEurope sest
agrandie, outre la Grande Gretagne, de lIrlande, du
Danemark et de la Norvège. Dans la continuité de son prédécesseur,
Pompidou tient à ce que lEurope garde une identité propre
face aux deux grandes puissances: Je ne dis pas : se
coupe, je dis : se distingue de lAmérique
(Conférence de presse de mai 1971).
Valéry Giscard dEstaing veut donner de la France une
image moins arrogante. Il souhaite faire partager aux Français
sa conception mondialiste et veut dépassionner
les relations internationales. Pour lui la concertation doit
remplacer la confrontation. Sous son septennat, la construction
européenne franchit trois pas importants: la création et les
réunions trisannuelles du Conseil européen (1974)
devant harmoniser les politiques des différents Etats; lélection
du Parlement européen au suffrage universel et linstitution
dun système monétaire européen (SME). Ce système
représente une étape essentielle dans la voie de létablissement
dune union monétaire entre les Etats membres de la
Communauté car il stabilise les relations de change entre les
monnaies. Il renforce aussi lindépendance de ces monnaies
par rapport au dollar, désormais, lunité de référence
devient lECU (european currency unit). La CEE sélargit
vers lEurope méditerranéenne avec lentrée de la Grèce
et entame des négociations avec lEspagne et le Portugal.
François Mitterrand accorde une grande importance à la
construction européenne, mais on ne constatera pas de rupture
manifeste avec la politique de Pompidou et de Giscard dEstaing.
De plus, daprès Arnaud Teyssier dans son ouvrage La Ve
République, il est un point sur lequel il est même en
parfaite harmonie avec le général De Gaulle: la politique
étrangère, quil considère comme étant directement liée
à la politique intérieure, est en effet pour lui un
instrument de politique intérieure; cest pour cela que la
construction européenne deviendra le thème fort de sa politique,
surtout quand ses choix économiques ne seront plus incompatibles
avec ceux de lEurope ou bien quand elle devra colmater les
désillusions idéologiques de son parti et de son électorat.
LEurope est alors une des priorités du président de la République.
Il tient à relancer la construction européenne
par plusieurs initiatives qui contribuent à ladoption
par les 12 pays membres dun Acte unique (17 février
1986) prévoyant la constitution dun marché unifié
où circuleraient et séchangeraient sans
entraves, les marchandises, les capitaux et les services. En
même temps, lActe unique européen institutionnalise la
coopération politique entre les Etats membres de la Communauté
et le Conseil européen comprenant leurs chefs dEtat
et de gouvernement. Cet acte est ratifié par le Parlement français
en novembre 1986. Mais lEurope sera la grande affaire du
second septennat. En 1990, la convention de Schengen
établit la libre circulation des personnes à lintérieur
de la CEE. En 1991, les Douze réunis à Maastricht
approuvent un traité sur lunion politique et sur lunion
économique et monétaire. Le 20 septembre 1992, le référendum
de ratification donne la victoire aux oui avec une faible majorité:
51%. La construction européenne sest appuyée sur laxe
franco-allemand; le couple Mitterrand-Kohl développe la coopération
entre les deux pays. La création en 1988 dune brigade
franco-allemande et le défilé sur les Champs Elysées, le 14
juillet 1994, de lEurocorps sont les signes les plus
marquants de cette entente.
Le Président Chirac, dès le début de son mandat en
1995, insiste sur la volonté de respecter les critères de
convergence pour la monnaie unique et le gouvernement Juppé mène
une politique économique pour réduire les déficits publics en
vue de léchéance de 1999. Il est favorable à lélargissement
de la CE aux pays de lEst. On assiste donc à un changement
important de la politique européenne des gaullistes: la
tentation nationaliste na pas entravé la marche vers lUnion
Européenne si éloignée des idées de De Gaulle.
A partir de 1997, la cohabitation de Jospin avec Chirac
impose un consensus entre le Président et son gouvernement. Elle
interdit donc de sécarter des grandes options, des choix
fondamentaux. Le gouvernement peut cependant apporter sa marque.
Lionel Jospin estime en effet, que les fameux critères de
convergence imposés pour le passage à la monnaie unique
doivent être appréciés en tendance et non dune
manière dogmatique, pour permettre à des pays plus faibles de
pouvoir faire partie du premier peloton. Du Traité
de Rome à celui de Maastricht, lEurope a fait du chemin et
a transformé de plus en plus la vie économique, politique mais
aussi et surtout constitutionnelle de la Ve République.
Pour pouvoir sadapter à la Constitution, le Traité de
Maastricht en 1992 impose une révision de certains articles
concernant les rapports avec lEurope. En 1997,
le Traité dAmsterdam signé par Chirac et Jospin
impose lui aussi un autre ajustement du texte constitutionnel car
ce Traité contient des dispositions jugées contraires à
certains articles de la Constitution, surtout pour tout ce qui
concerne la libre circulation des personnes (immigration, droit dasile,
franchissement des frontières).
b.3. Les
Relations avec les USA.
La longue controverse franco-américaine commence aussitôt après
le retour de De Gaulle au pouvoir. Le général entendait être
associé aux décisions prises par ses deux alliés anglo-saxons.
Il sagissait détablir une espèce de directoire
entre les Etats-Unis et ses alliés pour partager les décisions
et les responsabilités mondiales qui étaient restées jusquà
présent de la compétence américaine. De Gaulle voulait placer
les Américains devant un dilemme : ou bien ils acceptaient de
bouleverser le système de défense atlantique, ou bien la France
se retirerait, mais en 1962, les USA proposent une réforme de lAlliance
complètement opposée à celle de la politique française. LOTAN
devenait une force multinationale liée encore plus étroitement
aux USA, vu que tout son armement dépendrait des fournitures américaines.
En janvier 1963, De Gaulle rejette les offres américaines,
marquant ainsi sa volonté dassurer lindépendance de
linstrument militaire français. La signification de ce
refus ne fait aucun doute, si De Gaulle aspire à avoir une
politique militaire indépendante, cest quil
entend poursuivre une politique étrangère indépendante.
Ce refus met en cause tout le système qui prévaut depuis la
naissance de lOrganisation atlantique, il traduit aussi la
direction de la nouvelle politique étrangère de la France.
Celle-ci, désormais, dès quelle le jurera nécessaire à
ses intérêts ou à une politique déquilibre garantissant
la paix mondiale, sopposera catégoriquement à la
politique américaine. En mars 1966, cest le retrait de
lOTAN. Les Accords Ailleret-Lemnitzer en 1967,
définissent les relations entre la France et lOTAN: la
participation de la France aux opérations OTAN nest plus
automatique et le volume des forces engagées sera sous
commandement national.
La contestation française de lhégémonie américaine sera
virulente. Nombreuses sont les occasions pour De Gaulle de
critiquer les interventions américaines, surtout au Viet-nam.
Dans son discours de Phnom Penh, lors dun voyage au
Cambodge, il dénonce violemment les responsabilités américaines
et réclame le retrait de leurs forces comme condition nécessaire
à la paix. Le premier mai 1968, Paris est choisi
comme lieu de conférence de paix sur le Viet-nam.
De Gaulle conteste aussi le système monétaire international
construit autour de létalon-dollar de change. Grâce à ce
système, le déficit de la balance américaine des paiements est
en effet financé par les créanciers des Etats-Unis, puisque de
nombreux pays acceptaient de conserver lexédent de leur
balance des paiements en dollars placés directement aux USA ou
sur le marché de leuro-dollar.
La politique des successeurs de De Gaulle marque aussi dans ce
domaine une certaine continuité, même si la nécessité de lAlliance
Atlantique est réaffirmée. De 1969 à 1996, toute modification
des relations de la France avec lOTAN est liée au principe
des mains libres. Avec la fin de la guerre froide, le
but initial de lOrganisation nest plus aussi net. François
Mitterrand améliorera les rapports avec les USA. Malgré
cela, la politique française continuera à sopposer aux
interventions américaines directes ou indirectes.
Devenu Président, Jacques Chirac entend lui aussi éviter
lisolement de la France, il désire donc la rendre plus présente
et active au sein de lAlliance et consolider son rôle de
grande puissance aux côtés des Etats-Unis, de la
Grande Bretagne, de lAllemagne, pour faire apparaître un pôle
européen de défense. Ainsi Chirac est prêt à rompre avec la
politique antérieure en proposant un retour de la France dans le
commandement intégré à la condition quun commandement en
Europe soit confié aux Européens, ce que les Américains
refusent jusquà présent.
b.4. Louverture
vers le bloc communiste.
Dans une conférence de presse en mars 1959, De Gaulle,
parlant de lavenir du bloc communiste, en prévoit
léclatement. Cette idée repose sur sa conviction du
caractère passager des idéologies et de la réalité permanente
des nations. Il pense que louverture vers les pays de lEst
doit se faire à partir de relations directes avec chaque
pays communiste. Il commence par une politique de
rapprochement avec lUnion Soviétique, qui se transformera
à partir de 1964 en une politique de détente, dentente et
de coopération. En 1968, pour la première fois, le commerce
franco-soviétique se fixe, la France devient le premier
fournisseur occidental déquipement à lURSS. En
rétablissant des relations directes avec lEst, De Gaulle
amorce le rapprochement limité mais systématique des deux moitiés
de lEurope qui pour lui va de lAtlantique
à lOural. Beaucoup de ces mesures pourraient
signifier un certain anti-américanisme, mais le propos de De
Gaulle, est surtout daffirmer par tous les moyens lindépendance
politique de la France. Ainsi la reconnaissance de la Chine
populaire par la France, arrive peu de temps après sa
rupture idéologique avec lURSS et au moment où Paris et
Moscou entretiennent de bons rapports. Cette politique diversifiée
avec les pays communistes se traduira encore par des liens
directs avec les pays satellites de lURSS: il se
rend en Pologne en 1967 et en Roumanie en 1968. Les contacts avec
les autres pays du bloc seront plus lents.
Avec les successeurs de De Gaulle, les relations avec lURSS
continuent à se renforcer, mais les présidents Pompidou et
Giscard dEstaing déclarent nettement que la France
appartient à lOuest. Cela nempêche pas Pompidou,
lors de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en
Europe (CSCE) de faire valoir le principe de la coopération
entre Etats en matière de sécurité. Les Accords dHelsinski
en 1974 affirment lintangibilité des frontières héritées
de la guerre et la libre circulation des hommes et des idées.
Avec Mitterrand, les contacts politiques et économiques
entre les pays de lEst et en particulier avec lURSS saffaiblissent
pour divers motifs. Le Président annonce quil ne reprendra
pas de relations avec lUnion Soviétique tant que celle-ci
persistera dans son intervention en Afghanistan, de plus, il
reproche aux Russes davoir une grosse responsabilité dans
la crise intérieure polonaise des années 80. Par contre, il soppose
ouvertement aux Américains qui voulaient empêcher la conclusion
dun contrat dachat de gaz soviétique et la
construction dun gazoduc entre la Sibérie et lEurope.
b.5. Les
rapports avec le Tiers Monde.
La logique de la politique étrangère française, favorable aux
indépendances et hostile à lhégémonie, la conduit à établir
des relations dun type nouveau avec lensemble
des pays en voie de développement : le monde arabe, les
anciennes colonies africaines et le reste du Tiers Monde.
Il est difficile pour la France dentretenir une politique
étrangère avec les pays arabes tant que la guerre dAlgérie
nest pas finie. Par la suite, elle réussira à
trouver dans ces pays des terrains daction privilégiés. La
France transforme ses rapports économiques, à la fin du
conflit algérien, par un système de coopération sous la forme
dune association qui sétend à chaque étape de lactivité
pétrolière, depuis la prospection jusquà la distribution,
ce qui instaure un nouveau rapport avec les pays producteurs de pétrole.
De Gaulle établit aussi des relations avec lEtat dIsraël,
convaincu que celui-ci est une réalité dont il faut désormais
tenir compte. En 1967, quand la guerre éclate entre Arabes et
Israéliens, il soppose fermement aux menaces proférées
contre lÉtat dIsraël mais condamne ce
dernier pour avoir déclenché les hostilités. Cette
attitude donne au chef de lÉtat français une immense
popularité dans beaucoup de pays arabes, mais elle va contre un
courant dopinions, notamment en France, où une grande
partie de la population soutient la cause dIsraël. Cest
un des moments les plus difficiles que doive affronter la
politique étrangère française, mais désormais la France
devient le principal interlocuteur européen des pays arabes et
le principal fournisseur du monde arabe!
La politique de coopération est un terrain privilégié de la
diplomatie gaullienne. Cest ainsi que le président bâtit
une grande politique africaine fondée sur des accords
essentiellement bilatéraux qui lui permettent de
prolonger la présence française dans les anciens territoires
coloniaux. Dès le début des années 60, il y a la création
dune structure communautaire francophone, non
seulement dans le domaine culturel mais aussi économique et
politique. Cette politique de coopération ne concerne pas que
les pays dAfrique mais sétend aussi dans dautres
pays du Tiers Monde. En 1964, De Gaulle entreprend un long périple
dans dix pays dAmérique du sud (zone réservée de
linfluence américaine). Ce voyage naura pas de
grandes retombées économiques mais il nen constitue pas
moins pour le Président, une nouvelle étape dans laffirmation
du prestige français. Dans leur livre, La France face au Sud,
J.Adda et MC. Smouts écrivent que : Débarrassé de lhypothèque
algérienne, fort dune décolonisation pacifique [...] il
pouvait espérer prolonger vers de plus vastes horizons une
politique dindépendance et de rééquilibrage des forces,
menée avec grande difficulté dans lespace occidental (échec
du projet du directoire atlantique, échec du plan Fouchet).
Avant dêtre considéré en lui-même, le Sud est
dabord le lieu où
lon exprime les deux axiomes au cur de limaginaire
national : la France est une puissance
mondiale parce que son message est universel, la France est une
puissance politique parce quelle est présente partout dans
le monde.
La politique étrangère de De Gaulle a pour objectifs de développer
le prestige et la puissance du pays, mais aussi de créer autour
du sentiment de grandeur, un nouveau sentiment
national qui doit permettre de dépasser les clivages habituels
de la politique française. Pour cela, il faut renforcer le
consensus autour dun État fort et actif, incarnant lintérêt
national dans un système stable.
G. Pompidou poursuit la politique de son prédécesseur en
marquant la position pro-arabe de la France dans le conflit du
Proche-Orient, (Pompidou, en 1970, réclamera la
reconnaissance des droits politiques pour les réfugiés
palestiniens), mais en conservant aussi des relations avec Israël.
Ce souci de défenseur du Tiers Monde se traduit aussi par la condamnation
de lintervention américaine dans le sud-est
asiatique, où les États-Unis viennent détendre le
conflit au Cambodge. Poursuite donc de la politique gaullienne de
prestige et dindépendance nationale à cette différence
que le pragmatisme et le sens de la mesure de Pompidou lui éviteront
les proclamations tumultueuses de De Gaulle et lui feront
conduire des actions plus en accord avec les moyens réels de la
France. Si les relations avec le Proche-Orient et les anciennes
colonies sont au beau fixe (la France renonce au remboursement dune
partie des dettes africaines), celles avec lAlgérie se
compliquent à cause du pétrole saharien, exploité
conjointement par le gouvernement algérien et les compagnies
françaises (rappelons que ces années sont celles du choc pétrolier).
Les deux pays rompent unilatéralement les négociations engagées
dès lindépendance. Alger nationalise le pétrole,
le dialogue entre dans une phase de gel.
.
Giscard dEstaing veut poursuivre à sa manière les
actions engagées par la diplomatie française. Il donne la priorité
aux problèmes Nord-Sud. Le Nord désignant les pays
industrialisés, le Sud les nations du Tiers-Monde, productrices
de matières premières. La nouveauté est la place faite et
reconnue désormais aux pays pauvres dans lorganisation
mondiale. Il souhaite un rééquilibrage du partenariat
Nord-Sud, qui permettrait la régulation du marché international,
livré trop souvent à lanarchie des prix des matières
premières, et fournirait par la relance, le moyen de sortir de
la crise. Les conférences internationales se multiplient, mais
la coopération Nord-Sud nira pas plus loin que des accords
ponctuels et ne résistera pas à la concurrence des grandes économies,
en particulier celles des USA, du Japon mais aussi de la CEE.
En revanche Giscard dEstaing poursuit avec dynamisme la
politique envers les pays arabes. Il réclame pour les
Palestiniens le droit à une patrie et à lautodétermination.
Il entreprend une série de voyages dont le premier est en Algérie,
il est le premier chef dEtat français à se rendre dans ce
pays depuis son indépendance. Le succès quil obtient est
fort compromis par la suite à cause du pétrole (la France réduit
lachat de pétrole algérien) et de la position du
gouvernement français dans laffaire du Sahara occidental (en
concurrence entre Algérie et Maroc).
La coopération avec les pays dAfrique se maintient et est
même renforcée par une série dinterventions militaires (au
Zaïre, au Tchad, au Centre Afrique) visant surtout à garantir
la protection les intérêts français.
F. Mitterrand continue la politique de coopération avec tous
les pays dAfrique noire francophone et avec les pays
du Maghreb. Il resserre les liens avec Israël et en
reconnaît lÉtat, mais il insiste aussi sur le droit
des Palestiniens à lautodétermination et à la formation
dun État. A la conférence Nord-Sud de Cancun,
la France met laccent sur ses préoccupations concernant le
Tiers Monde. En décembre 1981, Mitterrand se rend à Alger pour
renouer les liens avec lAlgérie et négocier un contrat de
gaz naturel à un prix supérieur au cours mondial, pour
favoriser les exportations françaises.
Quant au nouveau gouvernement Jospin, il propose une
coopération citoyenne et la définition dun
contrat nouveau de parténariat. Le ministère
de la Coopération disparaît au profit dune commission qui
présente un vaste programme: redéploiement de laide française,
encouragement à la démocratie, renégociation des accords de défense.
Le Premier ministre pense sappuyer sur une nouvelle génération
de cadres compétents afin de rompre avec les pratiques dantan,
la seule difficulté de ce programme, est quil risque de se
heurter aux réalités tangibles du continent africain. Le
gouvernement Jospin a cinq ans devant lui pour faire ses preuves.
Lavenir dira si la politique étrangère subira de grands
changements ou si elle continuera à suivre les tracés choisis
et imposés par De Gaulle. Remarquons que cette troisième
cohabitation est bien différente des deux premières, car elle
donne pour la première fois au Premier ministre plus de pouvoirs
dans la mesure où elle a été provoquée non pas par les élections
mais par la volonté du chef de lÉtat.