Introduction

 

Dispensa ?

Pour traduire l’italien “ dispensa ” on doit choisir en français l’une des fonctions que ce mot recouvre, car ce mot italien signifie, selon le contexte, une distribution (d’eau par exemple), une pièce où l’on emmagasine de la nourriture, un meuble ayant le même usage, un fascicule contenant une partie d’une oeuvre ou les informations d’un cours ou bien enfin un acte  d’une administration dispensant de respecter une prescription ou une formalité. Et bien ce fascicule se propose de fournir ce que la traduction française de l’italien “ dispensa ” n’autorise malheureusement plus à percevoir. C’est-à-dire qu’il devrait permettre au lecteur de ne pas recourir à d’autres publications pour disposer d’une “ réserve ” d’informations ; réserve qui, dans notre cas, devrait l’aider à mieux connaître la société française.

 

Connaître la société française ?

Il est banal de voir qualifier les hommes et les femmes, vivant d’un côté ou de l’autre des Alpes, de cousins et à l’heure de l’Europe et de la mondialisation, il est utile de souligner les ressemblances et suspect de montrer les différences. Pourtant à l’époque des grands brassages et de l’abolition des frontières, nier les différences est un appauvrissement, mieux vaut-il les connaître, peut-être même se les expliquer, afin de se respecter et de s’enrichir mutuellement. Dans ce cadre interculturel,  l’apprentissage des langues étrangères joue un rôle irremplaçable. C’est ainsi que nous voulons apporter quelques clés pour mieux comprendre nos voisins hexagonaux : les Français, pour les lire et les écouter en sachant aller plus loin que ce qu’une traduction superficielle ne permet pas de comprendre et même parfois rend confus sinon inintelligible.

 

On dit que connaître une langue, ce n’est pas seulement posséder sa grammaire mais aussi la civilisation du pays qui la parle. L’étude de la civilisation, ensemble des phénomènes sociaux, concerne tout particulièrement des étudiants en sciences politiques et permet, dans notre cas, de conjuguer les aspects culturel, interculturel et l’enrichissement linguistique.

 

Notre terrain de découverte est la société française depuis 1945, le but, mis à part l’enrichissement que toute découverte apporte, est de tenter d’offrir un “ décodeur ” condensant un réseau d’informations nécessaires à une compréhension un peu approfondie de ce qu’on lit ou voit de la France, une tentative d’expliquer la France et les Français, d’apprendre à entrevoir tout l’énorme bagage culturel que certains mots transportent.

 

Nous avons choisi d’essayer de “ tisser ” une trame sur laquelle accrocher une information de base. Notre parcours s’organise en trois étapes. Dans la première, nous évoquons quelques mots fréquents, illustrant bien à nos yeux tout ce que le choix d’un simple mot implique culturellement ; nous essayons ensuite rapidement de voir un aspect de la perception largement répandue du Français et évoquons des commémorations significatives des débats français récents.

Une deuxième partie peut être intitulée platement géographie et histoire. Il s’agit de connaître la répartition des habitants sur le territoire et de reparcourir les grandes étapes de l’histoire récente. L’argument est vaste aussi avons-nous choisi, après avoir évoqué le débat contemporain suscité par le mot République, de ne parler que de certains moments de crise où l’on voit s’affronter des conceptions divergentes sur la direction à prendre, les valeurs à soutenir.

Une troisième partie est thématique et offre différents éclairages de la France d’aujourd’hui à travers des thèmes porteurs tels que: l’immigration, l’exclusion, la famille et l’école.

 

A la source de ces étapes, se trouvent différentes lectures. Pour ce qui est des journaux on admettra  sans peine que le journal le plus fréquemment cité est le quotidien Le Monde. Tout lire est une entreprise impossible et le choix du Monde ne nous paraît pas sujet à controverses, il s’agit en effet d’un quotidien à propos duquel B.Rémond dans Le dictionnaire historique de la vie politique française au XXe siècle établi sous la direction de Jean-François Sirinelli écrit que “ les raisons de son succès depuis sa création, le 19 décembre 1944, sont à rechercher dans son intégrité, qui en fait, entre autres, un journal fort estimé en France et lu dans le monde entier. ”

 

A propos de quelques mots…

 

Aux détours d’une phrase, il n’est pas rare de se heurter à des mots que la consultation d’un bon dictionnaire bilingue ne suffit pas à éclaircir ou que cette consultation expose même au risque d’ interprétations erronées. Le recours au dictionnaire monolingue montre alors toute son importance. Mais il est des mots pour lesquels ni l’un ni l’autre ne pourront nous aider ou, de toutes façons, épuiser toutes les sources auxquelles un locuteur s’alimente lorsqu’il choisit de les utiliser.

Or s’il est bien évident qu’il serait vain de vouloir expliquer ou raconter le magma  qui nourrit l’expérience d’un individu grandissant dans un pays donné, la France pour ce qui nous concerne, nous voulons indiquer quelques domaines, signaler quelques pistes où les mots d’un Français recoupent une expérience “ sociale ” (historique, géographique, littéraire) prégnante, pour savoir les décoder et donc aller au-delà des traductions.

Nous choisissons de citer quelques exemples illustrant notre propos.

Il existe des mots, dans le domaine alimentaire par exemple, pour lesquels l’écho culturel est facilement détectable. Le pain en priorité, avant que ne se banalisent nos habitudes alimentaires, correspondait sans doute davantage à la pasta de l’alimentation italienne. Au début du siècle chaque Français en consommait près d’un kilo par jour ! On utilise encore l’expression “ long comme un jour sans pain ”.

En continuant notre enquête nous rencontrons des mots pour lesquels une consultation attentive, “ croisée ” des différents dictionnaires, permet d’éviter des erreurs d’interprétation.

On  trouve par exemple dans un dictionnaire bilingue, français – italien, les équivalences suivantes : province = provincia, jacobin = giacobino, campagne = campagna mais la consultations des dictionnaires monolingues respectifs amènent des précisions révélatrices, ainsi on aura :

 

 

mot Français

Cf.  Le Nouveau Petit Robert

Italien

Cf. Il nuovo Zingarelli

Jacobin / Giacobino Membre d’une société politique révolutionnaire établie à Paris dans un ancien couvent de Jacobins.

Républicain intransigeant partisan d’un Etat centralisé.

Appartenente al Club politico dei Giacobini che ebbe vita a Parigi …

Persona radicale in politica

Province / Provincia En France l’ensemble du pays (notamment les villes, les bourgs) à l'exclusion de la capitale Ente autarchico territoriale di amministrazione statale indiretta. Per estensione, paese, piccolo centro rispetto al capoluogo e alle grandi città.
Campagne/ Campagna Paysage rural où les champs ne sont pas clôturés, où il y a peu d’arbres, où les habitations sont groupées. Ampia distesa di territorio aperto e pianeggiante, coltivato o coltivabile

 

Notre consultation nous permet une autre constatation à notre avis révélatrice : un même mot en italien peut correspondre à plusieurs entrées en français, cela nous paraît être le fruit d’une expérience historique et donc féconde d’enseignements.

Citons les deux traductions du mot cittadino : citadin renvoyant à la ville et à ses habitants; citoyen à la personne ayant la nationalité d’un pays qui vit en république.

Ou même encore uguale : égal pour les personnes signifiant qui a les mêmes droits tandis que semblable, pareil, évoquent les mêmes caractéristiques.

 

Mais en d’autres cas la lecture des dictionnaires n’éclaircira qu’en partie sinon en rien de fréquentes expressions.

Prenons en exemple cette phrase, tirée d’un article de Philippe Bernard intitulé La République et ses immigrés publié dans “ Le Monde ” du 28 juin 97 “  … l’immigré devrait passer du statut peu enviable de punching ball du débat politique à celui de figure emblématique du renouveau républicain… ”,  nous constatons que la simple traduction “ rinnovamento repubblicano ” reste énigmatique et même ambiguÁ et que pour ne pas se méprendre sur les raisons qui ont poussé l’auteur à choisir cet adjectif, il importe de savoir ce que la construction de la République a signifié en France, les traces qu’elle a laissées dans la culture et l’imaginaire collectif et donc de quoi se nourrit ce mot dans la langue française.

 

D’autres, malaisés à localiser, se nourrissent du bagage scolaire que tout citoyen apprend et fixe dans sa mémoire tout au long de son enfance. L’Italien moyen ne saurait ignorer que la selva oscura n’est pas une simple forêt obscure  ni que la Perpetua n’est une simple servante de curé, de même la Cigale réveille-t-elle chez les Français non l’idée d’un simple insecte mais immédiatement ce “ personnage ” du fabuliste La Fontaine qui, insouciant de l’avenir, se trouva fort dépourvu lorsque la bise fut venue !

Parmi toutes les références littéraires propres au bagage des citoyens français, nous choisissons d’évoquer un seul exemple qui, récemment (et nous nous garderons bien d’en chercher l’explication !) apparaît fréquemment sous la plume de différents analystes lorsqu’ils rendent compte des questions contemporaines : la peau de chagrin !

Ainsi Henri Tincq dans un article intitulé La divine surprise de l’édit de Nantes publié dans “ Le Monde ” des 15/16 février 98 écrit-il : “ …Dès l’édit de Grâce d’Alès (1629) les protestants perdent leurs privilèges militaires, politiques et quand Louis XI arrive au pouvoir en 1661, l’édit est déjà réduit comme une peau de chagrin… ”.

Ou bien encore Pierre Nora à la page 4690 de son monumental Lieux de Mémoire “ …dans son déroulement le Bicentenaire a eu toutes les malchances … l’hostilité du maire de Paris devenu premier ministre … a obligé au renoncement à l’exposition universelle et à un programme en peau de chagrin ”

La traduction italienne est La pelle di Zigrino mais si chagrin renvoie à un cuir utilisé fréquemment par les relieurs, c’est aussi un état d’affliction, le caractère d’une humeur triste, morose, le contraire de la gaîté et de la satisfaction. La peau de chagrin c’est aussi et principalement le titre  d’un court roman d’Honoré de Balzac publié en 1831 occupant une place à part dans les Etudes philosophiques.

Résumons-le rapidement :

  Le jeune marquis Raphaël de Valentin, pauvre orphelin,  vit hanté par la réalisation d’une grande oeuvre, une théorie de la volonté. Découragé, il est prêt à se suicider quand il rencontre un homme étrange mi-antiquaire, mi-sorcier. Celui-ci lui offre une peau de chagrin qui a le pouvoir de satisfaire tous les désirs de celui qui la possède. Seulement à la suite de chaque réalisation  la surface de la peau diminue et abrège d’autant la vie de son propriétaire dont elle est le symbole. Raphaël meurt un an plus tard, immensément riche, après une suite d’aventures tumultueuses.

 

Ce conte mi-philosophique, mi-fantastique fait partie des oeuvres les plus connues de Balzac. Il nourrit aussi sûrement l’imaginaire français que Don Quichotte et ses moulins nourrissent l’imaginaire mondial, occidental tout au moins.

 

Donc dans ce fascicule, en suivant le fil de l’histoire récente et en ricochant entre les thèmes porteurs de l’actualité française, nous  proposons de pénétrer cet imaginaire car savoir une langue, c’est bien avoir conscience que les mots sont des véhicules denses de significations.

 

 

II. LES FRANÇAIS

 

A ce sujet, nous désirons parler de quelques traits “ caricaturaux ”, la mauvaise humeur des Français et ce que l’on trouve fréquemment cité comme “ l’exception française ”

Dans le journal “ La Repubblica ” du mardi 30/09/97,  Bernardo Valli commentait une enquête intitulée Verso l’Europa / Il caso francese, de la façon suivante :

“ (Jospin) Fa in sostanza  quel che faceva il predecessore, l’impopolare Alain Juppé : eppure lui, Lionel Jospin, è popolare….in quattro mesi … il malumore nazionale si è placato. Non che Jospin sia riuscito a far sorridere i francesi. C’è mai riuscito qualcuno ?… ”.

 

Une formule devenue banale définit les Français comme  “ des Italiens de mauvaise humeur ! ” ; de nombreux termes qualifient leur attitude : ils sont moroses, mélancoliques, grincheux, frileux, nostalgiques. Ils semblent, enfin, pleurer leur “ grandeur ” perdue et si souvent reprochée à l’étranger, en Italie sûrement !

 

Les Français seraient donc les représentants renfrognés, d’humeur taciturne et revendicative, d’un peuple contraint de se replier sur son pré hexagonal.

 

Le dessin publié par l’hebdomadaire “ Marianne ” de la première semaine de juillet 97, tout en évoquant un épisode précis : le refus du président Chirac et du chancelier Kohl de porter la tenue de cow-boy prévue par les hôtes du sommet de Denver pour la soirée western, illustre efficacement le refus de la France de baisser la tête devant la puissance des États-Unis et de leur langue.

 

 

 

Les Français francisent les sigles, on ne dit pas NATO mais OTAN, AIDS mais SIDA, revendiquent une langue capable de dire la modernité en français, ainsi un computer est un ordinateur, un walk-man un baladeur ; lors des accords internationaux du GATT et de l’AMI les réactions furent nombreuses et dissonantes par rapport aux autres pays européens.

A propos de l’édit de Nantes, Jean Delumeau professeur au Collège de France, parle d’exception française. L’exception consiste à rompre la règle qui veut que la religion du roi soit celle de ses sujets, comme c’est le cas dans le reste de l’Europe où le catholicisme d’état règne en Espagne, au Portugal ou en Italie comme l’anglicanisme d’état a été imposé en Angleterre. L’exception française consisterait alors également, aujourd’hui, à refuser de s’aligner derrière les États-Unis, monarque actuel de notre planète !

 

Lorsque l’historien François Furet  parle de ce qu’il appelle l’énigme française, il cite ceux qui sont à son avis les trois grands problèmes qui déterminent l’avenir de la France : la construction européenne, le chômage, l’immigration. Il constate qu’en France plus qu’ailleurs les acteurs politiques continuent à fonder leur identité sur leur histoire, l’idée républicaine servant à rafistoler les idéologies politiques nationales en perdition. Furet fustige cette évocation rituelle des origines de la République bourgeoise de 1880 car tout a trop changé parmi ses points forts : la France n’est plus rurale, l’école de Jules Ferry est entrée dans sa crise terminale, le patriotisme français est orphelin de lieux de conquête, la gauche n’a plus d’adversaire cléricale à vaincre. Face à la fascination qu’exerce le passé, Furet craint que la passion que les Français mettent à le célébrer, leur évite surtout d’en faire l’inventaire. L’historien estime que la force de L. Jospin tient au mélange d’un style neuf et d’un fond archaïque : la nouveauté résidant aussi dans la composition du gouvernement largement ouvert aux femmes, l’archaïsme dans la permanence des corporatismes dont il doit tenir compte, les acquis étant menacés non seulement par l’économie mais aussi par la démographie. Les Français enfermés dans une ignorance narcissique de l’économie sont, dit-il, la proie facile des démagogues et le rôle à chaque élection joué par le parti d’extrême droite (le Front National) qui, d’adversaire radical devient un allié objectif, pollue les échéances électorales. La France, un pays autiste, obsédé par sa particularité, est devenu une énigme pour le monde  à force d’en ignorer les lois (d’où le titre de l’article), voilà l’ornière dont elle doit se tirer si elle veut enrayer le déclin.

L’éditorial du Monde du même jour, constatant la popularité rencontrée chez les Français par les journées du Patrimoine, analyse lui aussi cette passion des Français pour leur passé. A refuser le monde et la modernité, la France risque de n’être plus qu’un musée. Mais si cette nostalgie révèle un état dépressif, laissant craindre la momification d’un pays, l’éditorial préfère miser sur une interprétation plus positive. Les Français s’approprient leur passé pour construire l’avenir. Lors des journées du Patrimoine, ils se sont précipités en masse vers l’Élysée ou Matignon, lieux du pouvoir habituellement fermés au public. L’Éditorial y voit un attachement dynamique à la démocratie. Ils étaient aussi nombreux à fouler les lieux liés au patrimoine industriel et surtout, parmi les visiteurs, beaucoup d’étrangers étaient présents. Ceci est un signal d’ouverture au monde et à la modernité alors, conclut-il, le passé devient bien ainsi un moteur de développement.

 

Pierre Georges raconte la liesse qui a accompagné la victoire de l’équipe de football aux derniers championnats du monde dans Le Monde du 14 juillet (date elle aussi emblématique puisque le 14 juillet, date anniversaire de la prise de la Bastille en 1789, est jour de fête nationale en France). Il salue avec un enthousiasme attendri cette équipe qui a su provoquer une telle adhésion nationale, réveiller tout un pays, donner autant de joie et de spectacle à autant de gens.

Cette fête serait un grand coup donné à la morosité et au doute ambiant ! On verra …

 

III. LES COMMÉMORATIONS

 

III.a. Présentation

Commémorer ce n’est pas seulement se souvenir, c’est faire mémoire ensemble, se rassembler dans la mémoire commune d’un événement que l’on croit fondateur. Et donc lui donner un sens pour aujourd’hui.

Nous empruntons ce rappel étymologique à l’historien Thierry Wanegffelen. Les commémorations successives que les Français célèbrent sont significatives de leur façon d’être, de se proposer et de se vivre.

Les événements, les personnages tour à tour célébrés échappent, ne serait-ce que par le choix dont ils font l’objet, au déterminisme du calendrier. Il n’est ni anodin, ni obligatoire que, de concert, institutions, associations, médias … multiplient analyses, rappels, approfondissements, publications ayant trait à certains événements, la commémoration d’un événement devenant plus importante que l’événement lui-même. L’historien commémorateur du bicentenaire de la Révolution française affirma en effet “ On ne peut douter que la façon dont s’est préparé et déroulé le Bicentenaire informera précieusement  à l’avenir, au-delà de lui-même, sur l’état de la société, de la politique et de la culture française à la fin du XXe siècle. ”

Les usages que la société fait de la mémoire sont multiples mais ils consistent certainement, tout en ouvrant une confrontation, à réactiver les valeurs qu’elle lie, au moment de sa célébration, à l’événement choisi.

Comme point d’observation nous avons choisi 3 commémorations :

 

 

·        le baptême de Clovis

·        la publication de l’Édit de Nantes

·        le J’accuse d’Emile Zola

 

         

 

 

Pourquoi ces trois-là ?

Une première justification peut-être leur proximité temporelle, toutes trois, elles  ont habité ces deux dernières années 1997 et 1998 ;  une autre sera sans doute les valeurs fondatrices que la société française y attache et les débats qu’elles ont occasionnés ; les unes et les autres nous semblent éclairer et nourrir de façon “ transversale ” le “ matériel ”  présenté ailleurs.

 

Ainsi verrons-nous apparaître, au long de ces pages, des faits liés à l’histoire et à la chronique récente tels que la querelle scolaire, l’affaire du foulard, le fait que la deuxième religion de France soit désormais la religion musulmane, la montée d’un parti raciste et xénophobe comme le Front National, les lois successives sur l’immigration etc…  Essayer de les comprendre c’est aussi savoir qu’ils s’inscrivent dans un réseau de thèmes.

 

Un outil préalable à la compréhension de ces thèmes est sans doute la connaissance de ce qui a nourri la naissance et la consolidation de la France, à travers quels traumatismes elle est passée et comment elle a tenté de les affronter. La coexistence des individus et de leurs convictions dans un même état a nécessité des ajustements, des solutions, provoqué des fractures et des réconciliations. Les commémorations représentent alors un outil pratique et confortable, elles permettent de rappeler les faits du passé et d’évoquer les échos contemporains qu’ils suscitent.

 

III.b. 1996, L’année Clovis

Cette commémoration, qualifiée souvent de très politique, a reproposé la fracture des deux France ; caricaturalement la France progressiste et laïque opposée à la France traditionaliste et catholique.

Le 12 mars 1996 est créé par décret le Comité pour “  la commémoration des origines : de la Gaule à la France ”. Il est chargé de parrainer et de coordonner les manifestations culturelles dont le point d’orgue sera la venue du pape à Reims le 22 septembre.

Le paradoxe apparent de cette commémoration consiste bien dans le fait que la France en a plus appris sur elle-même que sur le personnage.

 

b.1. Qui est Clovis ?

466 Naissance de Clovis

476 Fin de l’Empire romain d’Occident

481 Clovis succède à son père comme roi des Francs Saliens

492 Second mariage avec Clotilde princesse burgonde et catholique.

496 Victoire sur les Alamans

499 L’évêque de Reims baptise Clovis

507 Clovis fait reconnaître son autorité par tous les Francs

508 Paris devient capitale du royaume

511 mort de Clovis

573-594 Grégoire de Tours rédige “ Dix livres d’histoire ” ou histoire des Francs

 

 

b.2. Clovis à l’école

Dans la vie scolaire ce roi que l’on choisit de célébrer en grande pompe représente traditionnellement ¼ d’heure ! Toutefois l’histoire des manuels scolaires confirme que ce ¼ h n’a pas toujours laissé indifférents. Jusqu’à la première guerre mondiale deux personnages emblématiques représentaient  la France coupée en deux : Clovis et Vercingétorix, le premier, longtemps présenté en ouverture des manuels scolaires, illustrait la conception qui veut que la France n’ait commencé à exister que quand elle s’est, à travers son roi, convertie au catholicisme ; le second  était le champion  de la conception laïque et républicaine attachée au contraire à la notion de peuple.

 

Les éditions scolaires de 1996 reflètent un habile compromis des deux répertoires d’images traditionnelles. Les manuels semblent vouloir protéger les enfants face aux récupérations politiques et donnent par exemple la date de 496, comme une date bien incertaine.

 

La commémoration très politique du mille cinq centième anniversaire de la conversion de Clovis pousse donc la grande majorité des enseignants à réaffirmer leur neutralité. Personne ne niera que c’est un personnage incontournable, qui a réussi à unifier la France et qui en précurseur a utilisé l’Église pour servir sa carrière politique comme le feront ensuite tous les rois de France. Toutefois, l’enseignement portera surtout sur l’importance du traitement que l’on peut faire des sources historiques, sur le difficile apprentissage de l’objectivité en histoire.

 

 

b.3. Clovis et le débat sur la laïcité

La célébration suscite l’inquiétude car elle favorise le réveil des passions extrémistes. On constate d’ailleurs que l’apaisement de ces passions a correspondu, dans les manuels d’histoire, à un souci strictement documentaire.

La visite du pape à Reims, en vue de cette commémoration, rallume la querelle entre traditionalistes et modernistes. Le pape avait à plusieurs occasions froissé la sensibilité laïque.

Les évêques français eux-mêmes craignent que sa visite ne réveille la guerre des deux France et donc l’anticléricalisme et voire même l’anticatholicisme. Un collectif s’est créé rassemblant SOS-Racisme, le réseau Voltaire, le planning familial etc… pour dénoncer l’atteinte faite aux lois de la République en particulier à sa laïcité. L’épiscopat français  se voit tiraillé entre tous les courants réveillés et contradictoires de l’église française et contrôle difficilement les âmes des différents courants, des intégristes proches du parti raciste et nationaliste (le FN) aux courants conciliaires qui appuient les initiatives laïques, et appellent l’église à s’ouvrir plus franchement vers la modernité.

Le voyage de Jean-Paul II relance donc la grande question de la place de la religion dans une société laïque.

L’historien Michel Rouche rappelle qu’au-delà du baptême (la christianisation avait déjà commencé en Gaule à partir du IIe siècle), Clovis peut aussi évoquer des valeurs fondamentales aujourd’hui. L’acceptation de l’autre surtout : Clovis encourage les mariages mixtes, interdit le pillage et l’exécution des prisonniers de guerre, promulgue les lois mais ne les élabore pas, n’hésite pas à exterminer sa propre parentèle dont les structures archaïques sont un danger pour l’État…

Le pape saura d’ailleurs déjouer les pièges tendus sur son passage en reprenant les idéaux de la devise républicaine “ Liberté, Égalité, Fraternité ” et invitera la France à demeurer accueillante.

 

b.4. Gestion laïque de la France d’aujourd’hui ?

La défense de la laïcité fait réfléchir sur la “ gestion ” laïque de la France. En effet si les dépenses officiellement affectées par l’état aux religions sont modestes,  l’essentiel des crédits publics consacrés aux religions et en pratique essentiellement au culte catholique emprunte d’autres canaux : l’entretien des monuments historiques par exemple. De même l’état français, depuis la loi Debré-Guermeur de 1959 sur l’école, consacre des montants importants à l’enseignement privé : rémunération des enseignants, frais de fonctionnement des établissements, subvention à l’enseignement agricole et à l’enseignement supérieur privés. Au total le montant équivaut à près de 12% de l’impôt sur le revenu. Certes la plupart de ces dépenses revêtent un caractère inéluctable lié à la scolarisation, à la sauvegarde du patrimoine, il n’en reste pas moins que l’État subventionne indirectement le culte catholique.

Ce recul de la laïcité se produit dans une société multiculturelle et pluriconfessionnelle où chaque religion,  voire chaque secte, entend bien profiter des mêmes libéralités. La communauté juive a créé un réseau d’écoles bénéficiant des lois Debré-Germeur. Un même réseau n’existe pas dans la confession musulmane en raison d’une disposition réglementaire qui exige un fonctionnement des écoles durant trois ans avant tout versement de subventions, or la population musulmane n’a pas les moyens de préfinancer l’ouverture d’écoles.

Le conseil d’État a lui aussi opéré de fréquents compromis en tolérant par deux arrêts les dérogations individuelles à la fréquentation obligatoire le jour du shabbat pour les élèves de confessions israélite, estimant par de nombreux arrêts et avis que le port du foulard islamique ne justifiait pas à lui seul l’exclusion, pas plus qu’en son temps le port d’insignes scouts.

La loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, semble alors ne plus correspondre à la société actuelle, mais quel gouvernement oserait courir les risques que sa remise en chantier comporterait ? Les particularités nationales tendent d’ailleurs à s’estomper au profit d’une voie européenne intermédiaire.

 

III.c. 1998,  L’année de l’Édit de Nantes

Les célébrations de 1998  s’inscrivent dans la ligne suscitée par le tricentenaire de sa révocation en 1985. On décida alors de célébrer les valeurs que cette révocation avait niées : la tolérance, la liberté de conscience, l’acceptation de l’autre. Sa promulgation est présentée comme un moment-phare dans l’histoire de la France vers la tolérance et la laïcité. L’histoire fut longue et lente pour que le mot tolérance devienne enfin une vertu, et cette vertu apparaît longtemps associée à la laïcité. L’association tolérance/laïcité explique des réactions autrement difficiles à cerner de la société française d’aujourd’hui.

 

c.1. Qu’est-ce que l’Édit de Nantes ?

Il y a quatre siècles, le 13 avril 1598, Henri IV signait à Nantes un édit qui mettait un terme à 36 ans de guerres ruineuses entre Catholiques et Protestants en instituant les modalités de coexistence pacifique entre les confessions chrétiennes rivales.

Henri IV, grand-père du Roi-soleil, continue de fasciner les Français, sans doute parce qu’il résume plusieurs figures qui hantent la mémoire : le général victorieux qui apporte la paix en se présentant comme le père de la Nation, l’homme providentiel venu sauver la France, l’homme au-dessus des partis confessionnels, le refondateur d’un état doté d’une administration toujours plus efficace et centralisée…

L’Édit de Nantes est un ensemble de quatre textes.

Il n’a pas été d’emblée un événement national. Henri IV s’y exprime en roi catholique ayant pris conscience dans la tourmente des guerres civiles de l’impossibilité d’extirper le protestantisme, il prend des mesures qui sont, au sens strict de l’époque, de tolérance : faute de pouvoir éliminer l’autre, il s’agit de le supporter. Il fait des Protestants un corps privilégié dont l’existence est désormais compatible avec la culture juridique française.

Il n’a pas suscité l’approbation générale. Il est contesté par les catholiques et peu apprécié des protestants qui le trouvent trop tiède.

Malgré ses limites, il leur accorde la liberté de conscience, ce qui suppose, entre autres, le libre choix par les parents des éducateurs de leurs enfants. Il interdit tout prosélytisme et réprouve symétriquement toute manifestation publique de dissension. L’Édit de Nantes choisit d’instaurer une coexistence confessionnelle pacifique.

 

La confrontation confessionnelle avait contribué à modifier le rapport à l’altérité et à la différence en le rendant encore plus angoissant. Pour exister les unes face aux autres, les Églises rivales avaient dû faire passer à l’arrière plan leurs points communs et accentuer, à longueur de controverses, leurs différences, alimentant les peurs et les hostilités.

Entre deux maux : la coexistence avec les hérétiques et la guerre civile, les plus raisonnables se retrouvent pour indiquer le moindre.

 

c.2. L’Édit comme révélateur de l’évolution des mentalités 

Considéré comme un texte fondateur de la tolérance, il ne faut pas oublier qu’au départ et encore souvent, tolérer ne signifie que supporter un mal que l’on ne sait pas extirper. Le débat va provoquer la naissance de concepts fondamentaux pour l’avenir.

·        L’adjectif “ politique ”.

On considère que c’est alors que l’adjectif “ politique ” devient un nom commun désignant celui qui sait bien observer la chose publique puis, dans un sens alors péjoratif, celui qui adapte les lois et l’action politique aux nécessités du moment, même s’il doit mettre entre parenthèses ses engagements religieux. Ce terme de politique désigne une famille d’esprits qui se distingue par une manière commune d’envisager la division religieuse et de proposer une approche politique du problème confessionnel. C’est dans ce cadre que s’inscrit le recours à la tolérance. L’ordre politique s’affranchit de l’ordre religieux, État et Église ne sont plus superposés.

 

·        La laïcité.

Des noms  illuminent notre culture qui avant, pendant, après le schisme religieux s’attachent à penser une convivialité nouvelle. L’expérience de voisins de la France, tels que les Pays-Bas, où les Protestants dominent, indique une méthode pour atteindre la coexistence d’où il ressort que la clef de voûte du système de relations quotidiennes est le cantonnement strict de l’expression de convictions religieuses différentes et divergentes dans l’espace privé.

 

Une “ anecdote ” confirme que la laïcité  reste un objet de débat :
Adrien Favreau dans Le Monde du 22.01.1998 dans un article intitulé La France laïque interdit de subventionner les visites papales  rapporte le fait que le tribunal administratif de Nantes a annulé une délibération du conseil régional des Pays de Loire qui avait attribué 100.000 francs à l’évêché d’une ville vendéenne pour accueillir le pape. Pour censurer cette subvention la juridiction administrative s’est fondée sur l’article 2 de la loi du 9.12.1905. “ La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ”.

 

Chemin faisant les confessions rivales ayant prouvé leur propension à poursuivre ceux qui pensent autrement, elles vont apparaître, à Voltaire par exemple, comme irrémédiablement intolérantes. L’équation rapide d’un dogmatisme ne pouvant qu’être fanatique aboutira à la nécessité, si l’on veut  atteindre la concorde, de se débarrasser de ce qui, étant incapable de compréhension, ne peut qu’être détruit. On a chez Voltaire un appel à écraser l’Infâme, celui-ci étant la religion intolérante, qui se muera chez les militants laïques de la troisième république en “ Bouffons du curé ! ”. La République, face aux religions, opte pour l’État laïque, absolument neutre. Jules Ferry proclame à la chambre des députés en 1881 : “ la laïcité n’est pas antireligieuse elle n’est qu’anticléricale dans la mesure où le cléricalisme est un fanatisme ”. La loi du 28 mars 1882 décrètera la neutralité religieuse ce qui débouche, selon la logique des laïques, à la loi du 30 octobre 1886 qui confie l’enseignement à un personnel exclusivement laïque – mesure étendue au secondaire en mai 1912. L’œuvre laïque des républicains aboutit en 1905 à la loi de séparation des Églises et de l’État.

La laïcité veut faire de la religion une affaire étroitement privée, une conviction comme une autre, ce dont auront à souffrir les sociologues car dans les recensements la question de l’appartenance confessionnelle ne sera plus posée à partir de 1872 !

 

·        La citoyenneté.

A travers le débat sur la liberté de conscience, l’individu acquiert des droits face aux autorités en général, qu’il s’agisse de l’Église ou de l’État : se dessine alors ce que l’on nommera la citoyenneté.

Depuis 1539, l’état civil ne mentionnait pas les naissances mais les baptêmes catholiques, avec cet édit, pour les sujets non catholiques, les déclarations de naissance, mariage et décès pourront être faits auprès d’un officier de justice. Ceci ouvre la voie à la laïcisation totale de l’état civil.

Autre point fort de l’évolution est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen publiée le 26 août 1789. A la logique absolutiste qui interdit tout ce que la loi ne permet pas, on substitue la logique de la citoyenneté qui, autorisant tout ce qui n’est pas interdit, favorise la pluralité. Napoléon innove en reconnaissant également aux Juifs le droit de pratiquer leur religion en leur donnant des structures centralisées et une organisation locale. Pour Bonaparte la tolérance envers les juifs a pour but leur intégration et même leur assimilation (cela sans oublier de vérifier au préalable leur attachement à la patrie française !). L’autre n’est ainsi accepté que dans la mesure où il peut devenir un semblable. Malgré ces difficultés, il faut noter que la France a émancipé sa population juive bien avant les autres pays d’Europe : l’Angleterre ne s’y résolut qu’en 1866, l’Italie en 1859, l’Allemagne en 1870, la Russie en 1917.

 

c.3. République et religion(s)

Les fêtes officielles chômées qui, pour une large part sont d’origine chrétienne, demeurent. Tout se passe comme si la République estimait que la grande majorité des Français étaient chrétiens, en particulier catholiques, et qu’il importait d’en tenir compte. L’Église elle-même amorce un tournant décisif  lorsqu’en novembre 1890 le primat d’Afrique accueillant l’État major de l’escadre de la Méditerranée invite les officiers, des catholiques monarchistes, à accepter la République. Cette invitation importe car, après la chute du second Empire en 1870, l’adhésion de l’épiscopat français à la cause monarchiste avait fait rebondir la querelle Eglise-Etat.

L’affaire du foulard islamique, suscité par les jeunes filles de religion musulmane allant à l’école publique en portant le foulard islamique considéré comme un signe religieux distinctif, réveille la peur du fanatisme et le retranchement derrière des convictions laïques au sens voltairien du terme. On assiste toutefois à son sujet à un assouplissement des positions et à une résolution en douceur du problème.

L’état semble sortir de l’ère du soupçon et de la surveillance. On oeuvre au service de l’intégration des musulmans français appelant le remplacement de l’Islam en France par l’Islam de France.

L’Édit de Nantes a ouvert la voie à la reconnaissance d’une confession minoritaire. La question d’aujourd’hui est la reconnaissance d’une autre religion minoritaire, l’islam. Les tensions existant entre la France et sa minorité musulmane n’ont pas à leur actif près de quatre décennies de guerres et de massacres sanglants,  mais elles sont nourries par les souvenirs amers de la colonisation et de la guerre d’Algérie. On pourra accuser la comparaison d’être fallacieuse parce que catholiques et protestants appartenaient au même pays, avaient des références chrétiennes communes alors que les musulmans sont étrangers à ce patrimoine symbolique commun. Mais c’est oublier que le protestantisme d’alors était aussi la religion d’un royaume étranger et que d’autre part les musulmans français sont nés en France et ont combattu à ses côtés, contre l’Allemagne nazie par exemple. Les règles de la laïcité rendent souvent l’état impuissant car il lui appartient de ne pas s’immiscer. Les musulmans de France souffrent d’un manque de garanties collectives (lieux de culte, marché de la viande autorisée ou viande halal…). Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’intérieur du gouvernement Jospin, examine des propositions qui visent à une plus grande égalité de traitement. Le temps presse car la communauté islamique est ébranlée par des tensions toujours plus grandes et des infiltrations intégristes. Des intellectuels de cette communauté manifestent leur intérêt pour l’Édit de Nantes dont ils font une étape du processus d’intégration d’une minorité, un compromis qui établit les règles du “ vivre ensemble ”.

 

c.4. Le problème des sectes

En revanche l’utilisation de la religion à des fins mercantiles ou économiques suscite réprobation et répression. Il s’agit désormais de l’attitude à adopter à l’égard des sectes qualifiées de pseudo-religieuses. Mais quels critères peuvent valablement définir ce terme “ pseudo ” ? En 1996, la commission d’enquête parlementaire sur les sectes renvoie à la catégorie de l’intolérable, au sommet de cette catégorie se place la “ déstabilisation mentale ”. Il est bien délicat de déterminer objectivement ce qu’est un viol de conscience. Dans ce domaine, aux enjeux dramatiques, la réponse est encore à venir.

Au point actuel de l’évolution des mentalités, la présence de l’Autre est généralement perçue comme une richesse et non plus comme une menace. Par précaution nous ajoutons l’adverbe généralement parce que la tolérance semble ne jamais être une conquête définitive

 

III.d. 1998, Centenaire de l’affaire Dreyfus

Cette commémoration ouvre plusieurs thèmes : la connaissance de l’affaire en elle-même et, à travers elle, l’antisémitisme et le rôle des intellectuels.

On peut en effet lire dans nos dictionnaires :

à la lettre I dans le Petit Robert :

Intellectuel :

qui a un goût prononcé (ou excessif) pour les choses de l’intelligence, de l’esprit ; chez qui prédomine la vie intellectuelle.

Les intellectuels, la classe des intellectuels Þ intelligentsia ; clerc ; mandarin, les intellos.

à la lettre J dans Il nuovo Zingarelli

J’accuse :

denuncia fatta pubblicamente di un sopruso, di un ingiustizia e sollecito invito a porvi rimedio.

 

On  signale souvent le rôle des intellectuels comme un élément de l’exception française. Leur histoire est désormais un secteur à part entière de l’histoire politique et socioculturelle française.

Avant la IIIe République, il est arrivé que des hommes de culture investissent  la politique : les philosophes du XVIIIe, Victor Hugo contraint à l’exil pour ses positions hostiles à Napoléon III. Pourtant c’est la fin du XIXe qui marque l’entrée des intellectuels comme figures marquantes du débat civique.

Au commencement était l’Affaire Dreyfus écrit Jean-François Sirinelli dans Le magazine littéraire du mois de décembre 1987 et aussi, plus récemment, dans Intellectuels et passions françaises. Cette affaire, précise-t-il, est fondatrice, non parce que le substantif intellectuel n’existait pas déjà ou parce que les clercs n’avaient pas joué un rôle politique, mais parce qu’avec la défense du capitaine Dreyfus se sont dégagées trois des caractéristiques de leur intervention en politique : elle est collective, leur signature devient la reine de batailles sur des grandes causes telles que la Justice ou la Vérité, valeurs qu’ils défendent en qualité d’experts.

 

d.1. Qui est Dreyfus ?

L’injuste condamnation dont il fut la victime est le point de départ de l’une des plus graves crises de la IIIe République.

 

Dreyfus (1859-1935) est un officier français d’origine juive alsacienne. Accusé à partir d’une simple ressemblance d’écriture d’avoir livré à l’ennemi des renseignements militaires, il est arrêté en 1894, jugé de façon sommaire, condamné à la déportation en Guyane. L’affaire est oubliée après une première flambée d’antisémitisme jusqu’en 1896, année où le nouveau chef des renseignements, le commandant Picquart, découvre que la trahison a été commise par l’officier Esterhazy. Un petit groupe (famille, défenseurs, premiers fidèles) mène l’enquête et lance la campagne de presse pour la révision du procès. Esterhazy est acquitté en 1898. Le gouvernement affirme qu’il n’y a pas d’affaire Dreyfus alors que l’opinion est divisée en deux camps : dreyfusards (intellectuels, socialistes, radicaux, républicains modérés antimilitaristes réunis dans la Ligue des Droits de l’Homme) et antidreyfusards (la droite nationaliste, antisémite et cléricale, regroupée dans la Ligue de la Patrie française). Après l’acquittement d’Esterhazy et le déplacement de Picquart en Tunisie, E.Zola publie dans le journal de Clémenceau “ L ‘Aurore ” une lettre ouverte J’accuse prenant la défense de Dreyfus. Il est condamné à un an de prison et à 3000 francs d’amende. En 1899, la découverte de faux et le suicide de l’auteur de ses faux,  imposent la révision du procès alors qu’une coalition de gauche gouverne le pays. Un conseil de guerre condamne à nouveau Dreyfus à 10 ans de prison, en lui octroyant les circonstances atténuantes. Quelques jours plus tard il est gracié par le président Loubet. Le jugement n’est cassé qu’en 1906 et Dreyfus réintégré dans ses grades et sa fonction.

 

d.2 Et Zola ?

 

 

Émile Zola, écrivain français (1840-1902) publia dans le journal L’Aurore l’article intitulé J’accuse qui a fait basculer l’affaire Dreyfus mais la marche vers la réhabilitation totale a été un parcours de souffrance pour l’auteur enterré au Panthéon, devenu le symbole de l’engagement intellectuel. Condamné pour son article au maximum de la peine, il fut insulté, menacé, agressé, jusqu’à sa mort qui reste, elle aussi, quelque peu mystérieuse. Il est mort asphyxié parce qu’un énorme bloc obstruait le conduit de sa cheminée, cheminée qu’il avait pourtant fait ramoner peu auparavant !

 

Il fut contraint à l’exil, des biographies  mensongères allèrent jusqu’à salir la mémoire de son père. Détails peut-être, mais pas des moindres, accusé de vouloir s’enrichir, l’affaire a coûté à Zola la moitié de ce qu’il avait épargné dans une vie de travail forcené. Ironie du sort, il ne verra jamais triompher la justice pour laquelle il s’était battu.

 

d.3. La société française révélée par  l’ “ affaire Dreyfus ” 

L’affaire est un conflit aigu, un conflit de valeurs où vérité, justice et droits de l’homme sont défendus face à la raison d’état et au culte étroit de la patrie. Les fondements de la démocratie sont en cause. Cette affaire dévoile le conflit profond qui divise la société française. Elle est d’abord le symptôme d’un corps social atteint de racisme. Le racisme à travers le recours au bouc émissaire satisfait une partie de l’opinion désireuse de trouver les responsables d’une situation de souffrance qui lui échappe (la France ne digère pas la défaite de 1870, les scandales financiers, les crises ministérielles). L’armée portait en elle les vertus nationales, aussi choisit-on d’imputer ses défaites à la trahison. Un autre combat se joue : la grande bourgeoisie a vu son influence décliner, la république seule issue acceptable aux désastres de la guerre et de la Commune ne la satisfait pas, les classes moyennes y ayant trop de pouvoir. L’affaire Dreyfus vient à point nommé pour coaguler tous les électeurs fidèles aux valeurs de l’ordre, de l’autorité, de l’honneur. La cause antidreyfusarde rassemble tous ceux que les nouvelles évolutions politiques, économiques et sociales remettent en question.

L’affaire sanctionne également le rôle de la presse face à l’opinion. A travers elle, et les débats passionnés qu’elle suscite, l’opinion retrouve un rôle. Sa participation est toutefois plus apparente que réelle, plus passive qu’active, mais il en résulte que  le débat sort du huis-clos où les autorités auraient préféré le confiner. Si l’ordre a toutefois prévalu, la grande victoire des dreyfusards a été dans la marque que leur courage, pour défendre à travers un innocent, une idée et un droit, a imprimée à jamais dans l’esprit des Français.

 

 

 

d.4. L’affaire Dreyfus, matrice des affrontements futurs

Nous trouvons une illustration récente de cet affrontement lors de “ l’accident ” provoqué au sein de l’Assemblée nationale par un discours du Premier ministre socialiste Lionel Jospin. Répondant à une question au sujet de la commémoration de l'Abolition de l'esclavage, il  choisit de procéder à un rappel historique des positions des forces politiques de l'époque ainsi que de celles qu’elles avaient adoptées cinquante ans plus tard au moment de l’affaire Dreyfus. Il attribue à la gauche le mérite d’avoir combattu l’esclavage et soutenu Dreyfus tandis que la droite aurait été esclavagiste et antidreyfusarde. Les historiens ont contredit cette simplification abusive même si l’un d’eux reconnaît qu’il y a des tendances permanentes comme l’esprit républicain aux origines de la gauche et un réflexe conservateur dans la généalogie de la droite, tout en invitant L. Jospin à ne pas oublier que la droite d’aujourd’hui descend d’authentiques républicains et non des liberticides royalistes ou bonapartistes.

D’où l’on voit que les passions ne sont pas enterrées.

 

d.5. Les Intellectuels

La date de naissance de cet “ appellatif ” est considérée la date de publication du “ J’accuse ” zolien. Maurice Barrès lâcha le mot définitif en s’en prenant à la Protestation des intellectuels. La France, à la charnière des deux siècles, entre dans l’ère des masses comme la plupart des pays occidentaux. Les intellectuels y jouent un rôle, car ils sont au cœur de la circulation des idées, ils sont dotés d’un pouvoir d’influence et contribuent à mettre en forme les débats civiques. L’autre versant du débat fut pendant longtemps occupé par l’Action française : le mouvement de Charles Maurras, qui proposait aux jeunes clercs une idéologie très structurée, fut durant trois ou quatre décennies l’envers de la République. Cette dernière présente la Révolution comme un événement fondateur, l’Action française au contraire comme un drame cosmique.

Durant les années 30, on observe une évolution des thèmes de mobilisation des intellectuels : à gauche le thème de l’antifascisme, à droite l’anticommunisme. Les intellectuels interprètent alors ce que l’on a pu appeler la guerre froide franco-française. Les années 30 anticipent les “ trente glorieuses ” de l’engagement. Associée  à la collaboration avec les régimes responsables des crimes atroces de la seconde guerre mondiale, la droite idéologique est cantonnée à une position de défense, la gauche et l’extrême gauche règnent au contraire jusqu’à la fin des années 70. Des noms retentissent encore par les débats contrastés qu’ils suscitèrent, citons-en quelques-uns dans le désordre: R. Aron, Sartre, Malraux, Barthes… Leurs noms évoquent les crises politiques majeures, telle que la guerre d’Algérie par exemple.

 

Les différents combats des intellectuels renvoient aussi aux canaux qu’ils empruntent, aux tremplins de leur autorité.  La montée en puissance de l’audiovisuel a ravi le devant de la scène aux intellectuels traditionnels. Une enquête a fait apparaître que les nouvelles générations qui protestent en 86 se réfèrent davantage aux chanteurs  qu’aux écrivains. Si les nouvelles idoles semblent sonner le glas du pouvoir des clercs, le discours de ces derniers a passablement pâli dans les années 80. Edgar Morin parle d’une “ période de basses eaux mythologiques ”. La victoire électorale de la gauche, en 1981, survient à une époque charnière de l’histoire des clercs apparemment réduits au silence.

 

La question concernant l’impact véritable des prises de position des intellectuels n’est pas vaine. L’intellectuel colore son environnement. L’histoire des pétitions constitue un observatoire précieux pour localiser les champs de force qui structurent la société française. Manifestes et pétitions reflètent l’histoire des crises françaises, bien que les intellectuels en amplifient certaines et en minimisent d’autres. Les femmes à leur tour,  plus de 70 ans après la guerre masculine de l’affaire Dreyfus, montent collectivement sur la scène lorsqu’elles publient un manifeste annonciateur des changements plus privés qui travaillent la société. Le manifeste publié le 5 avril 1971 en faveur de l’avortement suivi de 343 noms de femmes est le premier de sexe féminin à obtenir un réel écho national.

 

d.6. Qui sont les Intellectuels aujourd’hui ?

Une autre question évoquée concerne les qualités requises pour “ mériter ” le statut d’intellectuel et dans ce domaine l’irruption en force de la télévision et le retentissement qu’elle offre aux paroles de chanteurs, d’acteurs etc, brouillent les schémas traditionnels. A ce sujet, le soutien accordé par le milieu intellectuel à la candidature de l’acteur comique Coluche à l’élection présidentielle de 1981 est emblématique. La remise en cause des idéologies traditionnelles qui nourrissaient le clivage droite-gauche et la chute du mur, ont un pouvoir déstabilisateur peu propice aux prises de position.

La mort des clercs, l’automne des intellectuels, souvent annoncés semblent contredits par des événements récents tels que les débats suscités par l’impuissance européenne au moment de la crise yougoslave ou plus récemment encore par les pétitions partant du monde du spectacle et en particulier des cinéastes engageant leur nom pour la défense des sans-papiers (le 11 février 1995, 66 réalisateurs lancent un appel à la désobéissance civile en réaction contre la loi Debré sur l’immigration)a Il paraît licite de les interpréter comme le signe d’un rebondissement de l’engagement de celles que l’on appelle désormais volontiers les élites culturelles. Le nouveau combat exprime, plus qu’un débat d’idées, l’affirmation d’une solidarité au côté des plus démunis, des milieux en voie de paupérisation. En quête de cadre idéologique la référence choisie paraît être le respect plus vaste de la devise républicaine “ Liberté, Égalité, Fraternité ”.

 

IV. L’HEXAGONE

 

L’Hexagone français est l’équivalent de la botte italienne ; l’image permet une exploitation plus commode, ainsi la trouve-t-on fréquemment déclinée  dans des expressions telles que : une politique hexagonale, des problèmes hexagonaux etc. Si on assiste en Italie à une opposition renouvelée entre Nord et Sud, la diatribe française concerne davantage Paris et le reste du territoire ; Paris et la province.

 

IV.a. L’espace français (un peu plus de 550.000 km2; environ 58,3 millions d’habitants)

Il est en situation de carrefour maritime et continental.

 

 

 

Il présente une grande variété de paysages. Le relief est modéré dans son ensemble, près de 2/3 du pays est situé au-dessous de 250m. Les montagnes occupent à peine 7% de la surface. Elles se dressent principalement aux frontières, les Pyrénées au sud, les Alpes à l’est, seul et moindre obstacle au milieu du pays : le Massif central.

 

 

a.1.  Quelques chiffres clés en pourcentage planétaire et en rang mondial

  population 1% 20ème rang
  PNB (Produit national brut)   4ème
  PNB par habitant   10ème
  Exportation mondiale de produits agricoles et alimentaires   2ème
  Commerce 5,4% 4ème
  Capacité nucléaire 16,8% 2ème
  Automobiles 8,3% 4ème
  Production de blé 5,7% 4ème
  Production de vin 22% 2ème
  Arrivées internationales de touristes 11,2% 1er

 

a.2. Le territoire français

Il a été très tôt, fortement centralisé. Centralisation que tous les régimes politiques ont renforcée et perfectionnée jusqu’au vote des lois de décentralisation administratives de 1982-83. L’Ile de France qui est la région où se situe Paris abrite, en 1994, sur 2,2% du territoire métropolitain, 19% de sa population.

Si la densité moyenne du territoire  est en 1994 de 105,6 h au km2,  les inégalités de répartition de la population sont fortes ; ainsi est-elle, dans l’Ile de France de 913 h au km2, dans le Limousin de 42,4, dans le Nord-Pas-de-Calais de 321, en Provence-Alpes-Côte d’Azur (région généralement désignée par le sigle région PACA) de 140,3 pour ne citer que quelques-unes des 22 régions qui composent l’Hexagone.

Globalement plus de 90% de l’espace français métropolitain est occupé par des modes d’usage ruraux : terres agricoles, sols boisés et sols naturels.

La transformation de la production agricole s’est traduite par une diminution accélérée du nombre d’exploitations : seulement un agriculteur sur trois partant à la retraite est remplacé par un jeune agriculteur. La superficie moyenne des exploitations a beaucoup augmenté.

Quatre zones structurent le paysage rural français :

  a) l’Ouest pays de bocage et d’élevage intensif :

Le caractère agricole des 3 régions de l’Ouest est très marqué ; elles fournissent 24% de la production agricole nationale sur 19% de la superficie agricole utilisée et 14% du territoire national. Les ménages agricoles restent nombreux et les revenus sont légèrement inférieurs à la moyenne. Sur la façade maritime la demande non agricole et de loisirs entraîne une régression des usages agricoles au profit des usages urbains.

 

b) le Nord et le Bassin parisien aux champs ouverts où dominent les grandes cultures :

Les régions du Nord et du bassin parisien fournissent 29% de la production agricole sur 28% du territoire. Ce sont des régions de grandes exploitations très mécanisées où les revenus sont élevés.

 

c) les plateaux de l’Est et les régions de montagne des Alpes et du Massif central où la seule activité possible est souvent l’élevage, contribuent plus faiblement à la production agricole : 16% de la production pour 25% du territoire. C’est dans ces régions que l’on trouve les plus faibles revenus agricoles. Les superficies agricoles diminuent au profit des bois et des friches.

 

d) les régions méditerranéennes et du Sud-Ouest où dominent les cultures permanentes et les systèmes mixtes de polyculture-élevage, fournissent 28% de la production agricole sur 33% du territoire. Excepté les départements ayant une forte production viticole, les revenus agricoles sont en dessous de la moyenne. Le potentiel touristique est inégalement exploité pour les compléter. La pression touristique et urbaine est forte dans les départements littoraux.

 

Les sols boisés  progressent à partir des sols naturels. Le passage de l’agriculture à la forêt semble se faire par une étape plus ou moins longue de non-usage, plus par envahissement spontané. Un déboisement notable des bosquets et des arbres épars a eu lieu au cours d’opérations de remembrement agricole.

 

 

a.3. La commune

C’est l’unité institutionnelle et de peuplement de base.

Mises en place à la Révolution, les communes sont les plus anciennes des collectivités territoriales. Leur nombre a peu varié, en 1990 la France métropolitaine compte 36.551 communes. Elles ont un statut rural et urbain lié à la continuité de l’habitat.

85,5% des communes sont rurales et regroupent 26% de la population sur 83,5% du territoire. Les autres sont urbaines et regroupent 74% de la population sur 16,5% du territoire.

Au-delà de 5000 habitants toutes les communes font partie d’une agglomération urbaine. Généralement les communes rurales sont de petite taille : 69% d’entre elles ont moins de 500 habitants et 88% moins de 1000h.

La majorité des départements ruraux, c’est-à-dire dans lesquels plus de 50% de la population vit dans une commune rurale sont, à l’ouest de la ligne Le Havre-Marseille. Les grandes agglomérations se situent dans les départements dont le taux d’urbanisation dépasse 75%. Elles sont très nombreuses dans les quarts Nord-est et Sud-est du pays, outre les agglomérations parisienne, lyonnaise, marseillaise et lilloise, la majorité des unités urbaines de plus de 250 000 h. y sont localisées. En revanche, dans l’Ouest et le Sud-ouest seules les trois régions abritant les villes de Nantes, Bordeaux et Toulouse ont des taux d’urbanisation élevés

 

a.4. L’espace économique

Il est en mutation. Depuis le XIXe siècle les régions prospères, situées au nord de la ligne Le Havre-Marseille, s’opposaient aux régions pauvres, situées à l’ouest et au sud de cette ligne.

Depuis la fin des années 70, ces régions de l’ouest et du sud connaissent de grandes transformations. La crise des activités traditionnelles, l’utilisation de technologies nouvelles, la volonté d’aménager le territoire ont rendu cette distinction désuète et l’ont même dans certains cas renversée.

 

IV.b. La campagne

Il ne s’agit plus d’un monde homogène et son activité principale n’est plus l’agriculture. On distingue désormais plusieurs types de campagnes en fonction de leur isolement plus ou moins grand.

Deux chiffres-clés illustrent l’importance du renversement de perspective lorsqu’on envisage les relations entre rural et urbain :

·        90% des ménages habitant l’espace rural ne comptent aucun travailleur agricole 

·        moins de 20% des emplois ruraux sont des emplois agricoles

Si l’agriculture garde un poids économique et social important dans les espaces ruraux, le rural est toutefois plus ouvrier et industriel qu’on le croit.

Il y a aujourd’hui dans ces espaces près de trois fois plus d’ouvriers que d’actifs agricoles. Les données mettent en évidence un quasi-maintien des emplois industriels alors qu’ils reculent dans les grandes villes. On peut interpréter ce phénomène comme un avantage de l’espace rural pour certaines activités  ou comme un signe de fragilité dépeignant cet espace comme une vaste région-atelier faisant appel à une main-d’œuvre peu qualifiée.

Le rural se partage entre espace producteur et espace consommé, ce dernier étant lié aux fonctions résidentielles, récréatives, environnementales… Le développement de la fréquentation des urbains, lié au développement de la mobilité, apporte une nouvelle façon de vivre et d'habiter qui va vers une homogénéisation des modes de vie.

 

b.1. Un peu d’histoire de la répartition de la population entre ville et  campagne

Après la Seconde Guerre mondiale, l’INSEE (Institut National de la Statistique et des Études Économiques) s’est intéressé à la structuration du territoire. Après le recensement de 1954, on a distingué l’urbain, fait d’un tissu serré d’habitations, et le rural. Cette vision dichotomique s’est vite avérée trop simpliste. Une partie de la population quittait la ville pour habiter la campagne tout en travaillant en ville. L’espace périurbain naissait. Dans les années soixante, on a alors distingué les communes rurales étant sous l’influence des villes et le rural profond. Mais depuis le développement rapide des déplacements et la chute du nombre d’actifs vivant de l’agriculture, le premier regroupe 76% de la population totale, en 1990, et pour le second les chercheurs proposent une analyse plus fine aboutissant à un découpage ultérieur en quatre catégories ; la quatrième représente le rural isolé, catégorie résiduelle représentant plus d’un tiers du territoire et 10% de la population française.

 

De 1851 à 1975, le développement de la population urbaine a été rapide et régulier. La croissance des villes s’est nourrie du déclin des campagnes touchées par un exode rural important. Depuis, les campagnes ont cessé de se dépeupler sauf les zones rurales isolées qui continuent de perdre des habitants, leur bilan naturel étant aussi fortement déficitaire (population de plus en plus âgée et naissances peu nombreuses).

 

A partir du XIXe siècle l’extension des villes a fait naître les banlieues, mais depuis 30 ans la croissance se diffuse au-delà et touche les communes rurales. Près du ¼ de la population résidant dans les communes périurbaines en 1990, vivait dans les pôles urbains en 1982. Beaucoup continuent à y travailler, voilà ce que l’on appelle rurbanisation et  rurbains.

 

Le reste du territoire, c’est-à-dire l’espace à dominante rurale, représente 70% de la superficie totale et les deux tiers des communes. Il regroupe ¼  de la population totale. Cet espace n’est pas en déshérence, à l’abandon,  si ce n’est le rural isolé qui connaît une situation démographique nettement défavorable.

b.2. Un macro-déséquilibre 

Dans ce macro-déséquilibre de la répartition de la population dans l’Hexagone, certaines populations sont encore plus inégalement réparties.

·        Distribution de la population féminine.

Il naît plus de garçons que de filles et, jusqu’à 15 ans,  elles sont un peu moins nombreuses partout, puis à l’entrée dans la vie adulte, la proportion de femmes augmente dans l’espace à dominante urbaine et diminue nettement dans l’espace à dominante rurale, en particulier s’il est isolé : les femmes quittent  davantage les campagnes.

 

·        Distribution de la population étrangère.

En 1990, 3.600.000 étrangers ont été recensés en France soit 6,3% de la population. L’implantation des étrangers est très inégale. Ils sont nombreux à l’est dans les régions d’ancienne vocation industrielle et en Ile de France, moins présents dans les régions occidentales traditionnellement agricoles. On a alors 8.6% d’étrangers dans les pôles urbains, 4,9% dans les pôles ruraux et moins de 3% ailleurs. En outre la proportion augmente lorsqu’il s’agit de grands pôles, 6% dans les pôles urbains de 100 000 emplois par rapport à 11% de celle des pôles de 100 000 et plus. Les Marocains et les Turcs sont les plus implantés en milieu rural tandis qu’Algériens et Tunisiens y sont les nationalités les plus faiblement représentées. Les étrangers non européens sont restés à l’écart du phénomène de péri urbanisation. 82% vivent dans les  pôles urbains et seulement 7% vivent dans les communes périurbaines alors que c’est le cas de 59% et 16% des français. Si on retranche aux populations étrangères les populations appartenant à la communauté européenne on constate que cette population, dans les communes périurbaines, atteint à peine 5%.

 

·        Distribution des ouvriers

Les ouvriers représentent 36% des actifs occupés dans l’espace à dominante rurale, 32% dans les communes périurbaines, 27,5% dans les pôles urbains. Plus l’espace est rural plus la population ouvrière est féminine et jeune et moins les hommes sont qualifiés ; les femmes occupant de toute façon généralement des emplois non qualifiés. On distingue également les ouvriers localisés et les navetteurs qui se déplacent chaque jour pour aller travailler en dehors de leur espace de résidence. Les navetteurs sont plus souvent qualifiés et des hommes de moins de 50 ans. Bien que la population ouvrière rurale renferme les catégories de population traditionnellement les plus exposées au chômage (jeunes, non qualifiés, femmes)  elle est moins touchée tant par le chômage que par les statuts d’emploi précaires. Cet écart est en partie dû à la mobilité des jeunes qui, partant habiter en ville, y déplacent leurs difficultés d’insertion professionnelle.

 

·        Les personnes âgées

Par rapport à la proportion de personnes âgées grandissante dans tous les secteurs, on constate que les petites villes situées en milieu rural jouent un rôle important dans l’accueil de personnes très âgées (plus de 80 ans) souvent dépendantes.

 

b.3. Les modes de vie

Malgré une tendance à l’homogénéisation, les modes de vie conservent des particularités. Plus on va vers le rural isolé et plus les revenus diminuent. Les ménages pauvres étant plus nombreux dans l’espace à dominante rurale. Toutefois, dans ce dernier, le patrimoine médian est plus important à cause du nombre supérieur de ménages propriétaires de leur logement et détenteurs de patrimoine professionnel. Les différences concernent l’approvisionnement alimentaire, les habitants des villes se rendent plus souvent dans les grandes et moyennes surfaces (nom donné aux centres commerciaux) mais regroupent moins leurs achats car ils fréquentent davantage les marchés et les petits commerces que les habitants des communes périurbaines, ces derniers, en revanche, fréquentent davantage les fermes, ce qui montre leur attachement à un mode de vie rural. Les citadins dépensent davantage pour leur logement, la cherté de ces derniers les a d’ailleurs incités à se péri urbaniser.

Un autre domaine où les différences sont marquées est celui des déplacements. Les périurbains  sont ceux qui se déplacent le plus, mais s’ils se déplacent davantage que les urbains, ils se déplacent plus vite et passent donc moins de temps dans les transports. Cela pendant la semaine, pendant le week-end ce sont les citadins qui se déplacent. La fonction d’accueil de la campagne s’accentue ; après le boom terminé des résidences secondaires (de la fin des années 60 au début des années 80), d’autres formes d’accueil se sont développées mais leur capacité reste toutefois moindre. La pratique du tourisme vert s’effectue encore largement dans la famille.

Les déplacements domicile-travail ont beaucoup augmenté. Le nombre des actifs changeant de commune pour travailler s’est accru 6 fois plus que la population des actifs ayant un emploi. Cette mobilité a contribué au développement de bassins d’emplois ruraux. Les communes périurbaines sont caractérisées par définition, par une proportion élevée de navetteurs (71% des actifs occupés). Autre caractéristique, les pôles urbains attirent des actifs de plus en plus éloignés. Le flux, de plus, n’est pas unilatéral, les navetteurs vont aussi des pôles urbains vers les communes périurbaines ou rurales.

Au cours des années 80, le nombre de gares s’est raréfié. Dans le rural isolé 11% des communes qui étaient desservies par le train  en 1980 ne le sont plus en 88. Les habitants du rural isolé doivent en moyenne parcourir 25 km pour accéder à une gare. Les lignes d’autocar complètent le réseau SNCF. 46% des communes sont desservies par une ligne quotidienne. Cette desserte s’est, elle aussi, raréfiée dans les années 80, le nombre de communes desservies du rural isolé a diminué de 22%, leurs habitants sont en moyenne à 9 km d’un arrêt de bus. Aux services collectifs de transport se substituent des services individuels, notamment les taxis. Mais là encore, les habitants des communes isolées doivent la plupart du temps faire appel à des taxis localisés en moyenne à 9 km de leur domicile. La solution à la raréfaction des transports passe alors par l’utilisation d’un véhicule personnel. Les distances données sont à vol d’oiseau.

 

b.4. Équipements et bassins de vie

Les différents types de commerce et services ont suivi le mouvement historique d’exode rural. On a assisté à la raréfaction et même à la disparition des commerces et des services dans les zones touchées par le dépeuplement. Les équipements très répandus au départ tels que les boulangeries ou les écoles primaires continuent de se raréfier. Le repeuplement de certains espaces devrait permettre un nouveau dynamisme ou tout au moins un arrêt de la chute. Toutefois une trop grande proximité des pôles urbains où tous les biens et services sont disponibles peut freiner le développement. Ces tendances peuvent être à leur tour enrayées par des politiques publiques appropriées, on pense à la poste, à l’école, aux équipements sanitaires et sociaux mais la rationalisation des dépenses dans le domaine public peut entraîner une moins bonne desserte des populations dispersées et donc un nouvel abandon de ces zones.

 

Le paysage économique s’organise donc aussi autour d’un réseau de centres de services hiérarchisés approvisionnant une aire de marché dont l’étendue dépend de la rareté des biens et services qu’ils fournissent.

Rares sont les communes possédant des équipements de centres urbains (hôpital, laboratoire d’analyses médicales, grande surface de bricolage, magasin de vêtements homme, cinéma): 10% en possèdent un, 2% en détiennent plus de trois. Ces équipements sont l’apanage des grandes villes : 83% des villes-centres des pôles urbains et 48% des villes-centres des pôles ruraux disposent de plus de trois équipements lourds. Ceci leur confère un rôle important en termes de fournitures de services au milieu rural environnant. La densité en équipements intermédiaires ne suit pas la densité de population. La proximité des pôles urbains et la fréquence des migrations entre les centres et leur couronne  contribuent probablement au sous-équipement relatif des communes péri-urbaines. Dans les espaces plus éloignés, des communes peuvent relayer les pôles dans la distribution de ces biens.

 

b.5. Situation de quelques services 

·        Les écoles primaires et les collèges :

Les écoles primaires sont très répandues sur le territoire et restent un symbole de la vie communale. En 1994, un peu plus de deux tiers des communes ont au moins une école élémentaire publique ou privée. Si la présence de ces établissements se raréfie au fur et à mesure que l’on s’éloigne des pôles, les habitants ne sont jamais très éloignés de ces services : la distance moyenne à l’équipement le plus proche atteint un maximum de 3,4 km dans le rural isolé. Le nombre total d’élèves ayant baissé, les fermetures ont donné lieu à des regroupements pédagogiques.

En 1995, seulement 10% des communes ont un collège mais le nombre de communes équipées augmente en particulier dans les communes péri-urbaines. A l’opposé, des établissements ont été fermés dans le rural isolé et, depuis 88, à la périphérie des pôles ruraux. Le nombre d’élèves a globalement augmenté mais la part d’internes (élèves vivant à l’école toute la semaine) a diminué. Ils sont plus nombreux dans l’espace à dominante rurale.

 

·        Les équipements sportifs et culturels :

Certains équipements sportifs sont largement répandus : les terrains de football, plus récemment les terrains de tennis. Les équipements plus lourds comme la piscine restent rares et se développent peu.

1/4 des communes ont une bibliothèque, les deux tiers offrent ce service ou à travers la structure ou par l’organisation de bibliobus.

Les structures d’accueil socioculturelles  sont présentes dans  ¼ des communes, celles du rural isolé étant là encore les moins bien loties.

La présence du cinéma est peu fréquente. Les communes du rural isolé ou sous faible influence urbaine sont encore les plus touchées par les fermetures. Les distances parcourues pour aller au cinéma sont devenues très importantes :  22 km en moyenne pour l’habitant du rural isolé, 20 km pour l’habitant du rural sous faible influence urbaine. Pour voir un film la règle reste de se déplacer dans les pôles urbains.

 

b.6. Le chômage

En 1996, le taux de chômage s’élève en moyenne à 12,1% mais il varie de 9% pour les personnes âgées de 40 à 50 ans à 26% pour les moins de 25 ans, de 10% pour les hommes à 14% pour les femmes, de 7% pour les bacheliers à 17% pour les non-diplômés.

Dans les pôles urbains où résident près de 2/3 des actifs, le chômage est plus élevé. La proportion d’actifs non-diplômés est nettement plus élevée dans l’espace à dominante rurale. Au sein de l’espace à dominante rurale, c’est le rural isolé qui en souffre le moins. Ces variations résident davantage dans la structure de l’emploi que dans les caractéristiques des travailleurs : la part des indépendants est plus élevée dans le rural isolé.

 

IV.c. La ville

Les dix plus grandes villes de France

Recensement de la population de 1990

Paris 2 152 423
Marseille     800550
Lyon      415487
Toulouse      358688
Nice      342439
Strasbourg      252338
Nantes      244995
Bordeaux      210336
Montpellier      207996
Rennes      199396

 

c.1. Les villes se transforment: un peu d’histoire…

Plus que jamais au cours des années 60, les villes grandissent. Elles doivent absorber les habitants qui quittent les campagnes, les rapatriés qui quittent les colonies et les populations immigrées auxquelles la France fait largement appel car la main d’œuvre autochtone ne suffit pas au développement industriel.

L’État intervient massivement dans la construction des nombreux logements nécessaires. Ainsi, en 1963, est créée la DATAR (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale). Chargée de promouvoir un développement harmonieux de l’ensemble français, elle adopte plusieurs types de politique ; d’abord celle des “ métropoles d’équilibre ” création de communautés urbaines regroupant plusieurs communes ; puis en 1965 les villes nouvelles enfin au début des années 70 l’effort porte sur les villes moyennes.

Dans le domaine des logements l’état finance directement les HLM (habitations à loyer modéré), on facilite l’accès à la propriété, on organise l’épargne-logement. Dès 58, on crée les ZUP (zones à urbaniser en priorité) et on rénove les centres. Entre 1945 et 1975 plus de huit millions de logements sont construits, près de la moitié du parc total d’habitations !

Toutes les villes ne grandissent pas au même rythme. Dès le milieu des années 60, les villes des vieilles régions industrielles déclinent alors que la croissance des villes du Midi est rapide. Dans les grandes agglomérations, les centres tendent à perdre une partie de leur population et les banlieues connaissent une croissance accélérée. Les grands travaux assainissant et modernisant les centres font que l’on rase les vieux quartiers insalubres et refoule leur population dans les périphéries.

La construction nécessite aussi des mots nouveaux : à part les sigles, on trouvera “ les grands ensembles ” faits de tours et de barres, les cités que le dictionnaire définit comme des  groupes isolés d’immeubles ayant même destination (cité dortoir, cité étudiante, cité ouvrière).

Les grands ensembles sont la réponse à l’urgence du besoin de logements. Ils ont une morphologie standardisée conditionnée par les procédés de construction et la rationalité économique. Les appartements sont de taille moyenne et abritent des types de population homogène, familles d’ouvriers et d’employés surtout, les structures de sociabilité sont généralement absentes ; on se rencontre au supermarché. Vite construits, ils se sont vite dégradés et la crise mettra brutalement à nu les erreurs de leur conception. A leur actif, il faut reconnaître qu’ils offraient un confort généralement inconnu aux habitants qui venaient s’y installer (les logements étaient clairs et bénéficiaient d’une salle de bains).

En 1982, la mise en oeuvre de la politique DSQ (Développement social des quartiers) souligne la nécessité de chercher à traiter les causes profondes de la dégradation de certains quartiers en mobilisant tous  ceux qui y vivent.

En 1990, la LOV (Loi d’orientation pour la ville) se donne pour objectif la lutte contre la ségrégation.

Les politiques visant à améliorer la qualité de la vie en ville  ne se limitent pas aux aspects “ purement habitatifs ” ; elles vont de la réhabilitation, à l’alphabétisation, aux activités sportives et culturelles etc…

 

On constate que les villes, après avoir fonctionné comme des sortes de “pompe à habitants”, semblent provoquer le phénomène inverse. Exode urbain ? Retour à la terre ? Pas vraiment. Certaines campagnes, à proximité des villes se repeuplent et acquièrent les modes de vie urbains, phénomène appelé “rurbanisation”, à l’opposé le rural profond vieillit et s’appauvrit et court le risque de la “désertification”.

 

IV.d. La forêt

Pour mieux connaître l’hexagone et l’imaginaire collectif des Français, il est aussi, nous semble-t-il, important de dire quelques mots de la forêt car en France, peut-être plus qu’ailleurs, la forêt a façonné le paysage et les hommes, tissé les légendes et les croyances, catalysé les angoisses et les peurs.

A la fin de ce second millénaire frustré dans sa jungle d’asphalte, le citadin lui rend un nouveau culte. Les Français devenus eux aussi des citoyens-citadins associent forêt avec nature, verdure et air pur. 9 d’entre eux sur 10 trouvent naturel de savoir reconnaître un chêne, très nombreux ils fréquentent les chemins de grandes randonnées des forêts qui couvrent près du ¼ du territoire et dont la surface a doublé depuis le début du siècle dernier.

La forêt abrite, dès les temps anciens, les êtres de légende (ogres, enchanteurs, druides) et les proscrits (lépreux, brigands,  justiciers et leur version moderne : les maquisards). L’église, après avoir vainement tenté de déraciner les cultes païens, choisira d’y loger ses saints et ses ermites. Avec le XXe siècle, la France rurale quitte ses champs, mais la forêt est toujours là et constitue un fonds symbolique puissant.

 

 

 

 

 

 

 

On citera Brocéliande (7000 hectares), dans l’Ouest, où le mythe arthurien a installé des lieux symboles, tels que la tombe de Merlin l’enchanteur. La Sainte-Baume, dans le midi, où l’on se rend en pèlerinage depuis la nuit des temps, constitue une forêt-relique, le plus vieux hêtre y aurait entre 300 et 500 ans. Protégée depuis 1319, elle n’a cessé de grandir. La forêt landaise, le plus grand massif forestier d’Europe de l’Ouest, que nulle clôture n’interrompt, date, elle, du siècle dernier. Elle est née du besoin d’assainir une contrée malsaine, faite de dunes mouvantes et de marais, on l’ensemença des pins qui en firent la fortune.

 

V. LA RÉPUBLIQUE

 

V.a. Introduction

La République a, en France, plus de 200 ans. On vit aujourd’hui sous la Vème puisque tel est le nombre des républiques qui se sont succédées.

A Paris, capitale qui résume trop souvent et trop rapidement la France à l’étranger et qui, avant la loi sur la décentralisation et la prise de conscience qui l’a rendue nécessaire, a même permis à un sociologue de parler de Paris et du désert français, il existe une perspective jalonnée de monuments qui, tels les différents éléments d’une matrioska, illustrent l’histoire de France. Notre-Dame, située au cœur médiéval de la capitale, pourrait ainsi, en emportant dans l’enfilade l’Arc de triomphe et  la tour Eiffel, s’emboîter dans la grande Arche de la Fraternité qui domine le très moderne quartier des affaires de la Défense. Fraternité qui est l’un des éléments de la devise républicaine.

 

Nous choisissons, parmi les nombreux épisodes de notre siècle, ceux où l’on voit s’affronter “ deux France ”. En simplifiant abusivement, ces deux France et leurs combats illustrent les réactions opposées suscitées par les évolutions sociales, économiques et politiques. Nous constaterons d’ailleurs que la fracture n’est pas forcément sociale mais peut être aussi générationnelle.

·        Le front populaire

·        Le régime de Vichy

·        Poujade et Mendès France

·        Mai 68

 

Le choc pétrolier de 1973 met fin aux années de croissance, “ Les trente glorieuses ”, et inaugure la crise. Nous choisissons d’illustrer la France de la crise, de 73 à nos jours à travers les thèmes qui dominent les pages-société des quotidiens, en particulier :

·        L’exclusion

·        L’immigration

·        La famille

·        L’école

 

 

 

 

 

a.1. Un mot et ses dérivés: république

L’adjectif républicain qualifie les substantifs les plus divers : valeurs, droite, vigilance, mariage, parrainage… Née avec la Révolution, la République est un régime radicalement nouveau donc sans racines. L’idée républicaine n’est en France raccordable à aucune autre expérience : la révolution découvrait en effet une idée neuve en Europe, celle du bonheur et s’attelait à sa réalisation !

Les deux premières républiques sont éphémères, ce n’est qu’avec la troisième qu’elle s’installe durablement. De cette République “ pionnière ”, on oublie volontiers les erreurs (la colonisation par exemple) pour revendiquer fréquemment, une fidélité, un retour à ses valeurs.

 

La France qui sera celle de la IIIe République vient de connaître une évolution sociale, l’humiliation d’une défaite, l’idée républicaine a encore beaucoup d’ennemis et ses amis ne veulent pas répéter les erreurs fatales à la IIe République qui dura peu et aboutit à un nouveau césarisme.

Les Républicains de 1880 découvrent donc l’importance de la durée. Si elle survit, elle assiéra sa légitimité;  Jules Ferry sera l’homme de cette conviction. Il veut surmonter la vision de deux France inconciliables, entretenue par les enseignements donnés à la jeunesse. Il veut réunir  Révolution et Ancien régime, réunir une seule nation derrière un seul grand patrimoine. Aujourd’hui  que l’église a accepté la république, que droite et gauche ne la contestent plus, on plaide souvent un retour à une république rendue mythique par l’ampleur des transformations sociales survenues depuis son installation : la France n’est plus un pays rural, on ne croit plus  que l’état détient la clé du changement social ni que le progrès viendra à bout du malheur humain. Ce qui nous sépare peut-être le plus de la IIIe République, c’est l’immense pouvoir qu’elle attribuait à l’école, à son pouvoir d’intégration et de correction des inégalités. Aujourd’hui l’école est contestée. Autre certitude mise à mal : la République d’alors se vivait comme une communauté universelle et  neutralisait sans états d’âme les différences culturelles, notre culture favorise aujourd’hui la particularité.

L’idée française de république n’est pas pour autant irrémédiablement perdue. L’horizon républicain endigue les dérives ultra-libérales mais, tout en refusant de placer le bien commun au-dessus des droits de l’individu, il renferme la conviction que la société républicaine est faite pour les citoyens, et doit permettre à chacun d’entre eux d’atteindre sa totale réalisation.

 

 

a.2. Quelques caractéristiques de la IIIe République 

Fondée en réaction contre le IId empire, elle est portée par le progrès scientifique et l’avènement d’une civilisation industrielle. L’esprit du rentier prédomine toutefois sur l’esprit d’entreprise. La diffusion de l’instruction y est un facteur de promotion sociale et cimente l’unité. La France au début du XXe maintient bien des archaïsmes ; sa faiblesse réside dans sa démographie insuffisante, dans le fait que, si elle la nourrit, sa paysannerie compte trop d’hommes  compte tenu de sa production, l’industrie change la condition ouvrière mais la législation sociale est en retard.

 

En 1921, la République française compte 39 millions d’habitants soit 1 million de plus seulement que 50 ans plus tôt. En 1938, sa population atteint 42 millions, ce faible gain étant davantage lié  à l’immigration qu’au recul de la mortalité. Si la grande crise de 1929, arrivée en France en 1930, fait moins de ravages que chez ses voisins, cela est dû à la moindre industrialisation. Les Français, attachés dans leur majorité au régime républicain, voient avec inquiétude leurs voisins opter pour le nazisme et le fascisme. Ils ont perdu la prospérité, craignent la guerre et la Troisième république leur paraît impuissante.

 

 

 

 

V.b. Le Front populaire

Il est un moment de cristallisation des débats  de la France d’alors et reste un épisode mythique pour l’avenir. Lorsque la gauche retournera au pouvoir, 54 ans plus tard, elle agira aussi en fonction de cet “ ancêtre historique ”.

 

b.1. Vers le Front populaire

Dans les années 30 fleurissent les ligues : la ligue se distingue du parti en ce qu’elle ne s’engage pas dans la conquête du pouvoir par les candidatures électorales. On peut citer la Ligue des droits de l’homme constituée en pleine affaire Dreyfus, la Ligue des auberges de jeunesse etc… mais les ligues qui attirent les activistes d’alors forment des sortes de milices et ont des apparences d’organisation paramilitaire. L’organisation qui va connaître l’essor le plus régulier, à partir de 1934, s’appelle les Croix-de-Feu. A l’origine, cette petite association groupe les combattants qui ont obtenu la croix de guerre.  Ce mouvement nationaliste aspire à un gouvernement républicain fort. Les ligues cristallisent l’exaspération provoquée par la crise qui  ne passe pas, la montée des nationalismes étrangers, l’instabilité ministérielle. L’antiparlementarisme est renforcé par un scandale politico-financier (l’affaire Stavisky) qui sera le détonateur d’une grave crise politique et alimentera la xénophobie. Entre autres épisodes, le mardi 6 février 1934, le gouvernement doit se présenter devant les Chambres pour solliciter leur confiance. Toutes les organisations de droite invitent à manifester contre “ les voleurs ”, l’association des anciens combattants invite, elle aussi, à manifester. La collision est terrible, le bilan tragique : 15 morts et plus de 1500 blessés. C’est la stupeur, la démission du président fait tomber la fièvre. C’est de ce jour que date le rassemblement des forces de gauche. Le parti communiste sort de son isolement et se fait le moteur de l’antifascisme, thème mobilisateur et unificateur. Il se tourne vers les classes moyennes et retrouve les valeurs patriotiques. La grande manifestation du 14 juillet 1935 scelle la constitution du Front populaire. C’est une coalition des forces de gauche et d’extrême gauche, ayant pour objectif de défendre la démocratie contre les menaces fascistes. Il existe en Europe deux expériences similaires : en Espagne et en France. Ce n’est pas un groupement de partis, car y participent confédérations syndicales, mouvements à dominante intellectuelle et un mouvement d’anciens combattants. Leur programme est publié le 12 janvier 1936 et groupe les revendications sous plusieurs titres tels que Défense de la liberté, de la paix, restauration de la capacité d’achat. Le mot d’ordre des communistes lors de la campagne électorale est l’inhabituel “ pour une France libre, forte et heureuse ”.

 

b.2. Brève expérience du Front populaire

La victoire du rassemblement fut nette. Léon Blum, dont l’engagement politique a été suscité par l’affaire Dreyfus, devient le premier chef d’un gouvernement socialiste, gouvernement auquel les communistes refusent de participer. Trois femmes, qui n’ont pas alors le droit de vote, en font partie ! La nouvelle chambre ne pouvant se réunir avant un mois, le gouvernement en place ne peut expédier que les affaires courantes. S’ouvre alors un temps d’attente, les électeurs sont au contraire pressés de voir leur vote se concrétiser. L’impatience va provoquer un formidable mouvement de grèves. Grèves qui par leur ampleur, leur nouveauté, vont entrer dans la légende. Elles gagnent toute la France et la paralysent. Les travailleurs occupent les usines c’est “ la grève sur le tas ”, l’occupation est vécue dans une atmosphère de fête, la grève prend une allure de vacances. On danse tout en entretenant les machines, l’ambiance est bien loin de la tension et de la violence des conflits antérieurs. Dans l’opposition, en revanche, cette situation est vécue comme une violation inadmissible de la propriété et des valeurs d’ordre. En réponse au drapeau rouge flottant sur les usines dans les banlieues ouvrières, les arrondissements bourgeois tapissent les immeubles du tricolore. Deux France s’affrontent. Le mouvement n’est pas révolutionnaire et ne vise pas à prendre possession des outils de production mais réclame des améliorations de la condition ouvrière. Les syndicats grandissent, y compris les syndicats chrétiens qui reçoivent leur brevet d’appartenance à la classe ouvrière, une génération de jeunes chefs d’entreprise comprend la nécessité d’une politique sociale.

Quand Léon Blum peut enfin agir - désormais la grève dure depuis trois semaines -  il provoque une rencontre entre patronat et forces ouvrières qui aboutit aux accords de Matignon (première apparition de ce mot pour désigner le siège du gouvernement). Le gouvernement est le garant des accords qui comportent une hausse des salaires, la liberté syndicale (élection de délégués d’atelier). Leur signature est une étape capitale du mouvement social.

Contrairement aux mots d’ordre donnés pour la reprise du travail, les travailleurs renâclent ce qui affaiblit le gouvernement face au patronat. Une vague de projets de loi vient compléter les accords, en particulier une loi institue le droit à deux semaines de congés payés. C’est là l’initiative la plus populaire qui restera le symbole du Front populaire. C’est la première fois que le droit au loisir est généralisé. En 1956, un autre gouvernement dirigé par un socialiste les portera à trois semaines, une quatrième semaine sera ajoutée après 1968 et une cinquième après la victoire de la gauche en 1981. Cette loi a ouvert une fenêtre, des hommes et des femmes qui n’avaient jamais quitté leur logement partent en vacances, découvrent la mer, reviennent au berceau familial, inaugurant le tourisme social, le sport populaire, le goût du voyage. Une autre loi abaisse la durée du travail de 48 heures à 40 heures. Le gouvernement espère ainsi lutter contre le chômage,  cet espoir sera déçu et le gouvernement sera contraint de dévaluer. La dévaluation est interprétée comme l’aveu d’un échec.

Le Front populaire oeuvre aussi beaucoup dans le domaine de l’enseignement. Il généralise la gratuité, prolonge la scolarité obligatoire de 13 à 14 ans et inaugure des méthodes pédagogiques basées sur les loisirs dirigés. Il est le premier gouvernement à concevoir une politique culturelle, la défense de la culture étant l’un des enjeux de la lutte contre le fascisme. Ce foisonnement d’initiatives, parfois brouillon, a suscité un enthousiasme dont le souvenir résiste à l’usure du temps.

Après les grèves, Blum fut confronté à la grande épreuve de la guerre d’Espagne. Face à l’agressivité des pays nazi-fascistes, la France adopte une stratégie purement défensive tout en lançant un programme de réarmement.

Le drame espagnol devient un drame intérieur, Blum est contraint de se rallier à une politique de non-intervention. C’est le premier acte de la dissociation du Rassemblement. En juillet 37, Léon Blum démissionne après une série d’incidents dont une manifestation qui fait 5 morts,

 

L’expérience est terminée. Sa chute ne provoque pas de mouvement populaire, le gouvernement a épuisé son crédit de confiance mais il laisse un souvenir très fort  qui en fait un moment majeur de l’histoire contemporaine et une période de référence encore actuelle.

 

b.3. De la fin du Front populaire au gouvernement de Vichy

Les deux ans qui suivent voient les gouvernements essayer d’affronter la crise économique et l’aggravation de la situation internationale.

Au moment où la paix semble perdue, Mussolini propose une conférence à quatre : lui, Hitler, le Premier britannique et le président du conseil français. Les accords conclus dits de Munich provoquent en France une fracture profonde entre Munichois et Antimunichois. La fracture est encore vivante, munichois reste un appellatif infamant. Ce précédent de 1938 a par exemple été invoqué au moment de la crise du Golfe en 1990. Les deux camps n’étaient pas unanimes et les Français sont divisés à l’intérieur même des familles. Il reste à la France le seul allié britannique. La droite revient au pouvoir, s’active pour une reprise économique et s’attache à la lutte contre une démographie faible en instituant le Code de la famille. Les gouvernements successifs suivront cette voie. En 1939 la France entre en guerre.

 

 

 

 

 

V.c. Le régime de Vichy

Issu de la défaite, le régime de Vichy est un autre moment clé de l’histoire contemporaine.

Il constitue un moment spécifique de l’histoire politique de ce siècle par les conditions dramatiques de son avènement, il se distingue par son idéologie mais ne constitue pas non plus une parenthèse s’expliquant par les circonstances de la guerre. Il s’inscrit dans une tradition ancienne et laisse un héritage et des séquelles profondes dans la conscience nationale. Il tire son nom du lieu de l’installation du dernier gouvernement de la IIIe République formé le 17 juin 1940 par le maréchal Pétain. Vichy fut choisi aussi pour sa position centrale dans la zone non occupée par l’armée allemande victorieuse. Le 10 juillet 1940 l’Assemblée nationale a donné tous pouvoirs au gouvernement de la République sous l’autorité du maréchal Pétain de promulguer une nouvelle constitution de l’État français qui devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie. Il s’agit donc d’un régime antirépublicain et antidémocratique.

A  la faveur du vide, créé par l’effondrement, un clan politique s’empare du pouvoir et dénonce la République et le Front populaire comme premiers responsables de cet état. Il oeuvre en faveur de l’armistice ; la capitulation serait militaire, l’armistice est politique.

Ce choix est dicté par la situation militaire et pour des raisons idéologiques. Pétain estime que l’armistice est la condition nécessaire à la pérennité de la France éternelle, acte de foi qu’il profère alors que s’affrontent partisans et adversaires de la poursuite de la guerre. L’armistice est signé dans des conditions moins humiliantes que prévues car Hitler est décidé à ménager ce nouveau gouvernement disposé à coopérer. L’armistice, entré en application le 25 juin, admet en effet le principe d’une collaboration avec le Reich vainqueur. Les motivations annoncent la “ Révolution nationale ”. L’armistice est le point de non-retour qui va alimenter l’alternative résistance/collaboration et motiver les premières dissidences, celle du général de Gaulle en premier.

Le nouveau régime contesté par les gaullistes est considéré régulier à l’extérieur et par une bonne partie de l’opinion. La représentation nationale a largement entériné le choix crucial de l’armistice et accepté la fin de la IIIe République. 569 députés et sénateurs ont voté le texte sur les pleins pouvoirs, 20 se sont abstenus, 80 ont voté contre (en grande majorité socialistes et radicaux-socialistes) mais 176 parlementaires manquaient à l’appel (morts au combat ou embarqués pour lutter en Afrique du nord), manquaient également les élus communistes déchus de leur mandat pour avoir refusé de condamner le pacte germano-soviétique.

Vichy est un régime autoritaire, fondé sur le pouvoir charismatique d’un chef promoteur d’un nationalisme exclusif et défensif. Entre 40 et 42, les actes constitutionnels ont pour effets de suspendre les chambres et de créer la fonction de chef de l’état français qui combine pouvoir exécutif et législatif. Pétain a eu au début une grande popularité bien orchestrée par la propagande. Face au désastre, beaucoup de Français ont cru qu’il serait, comme il l’avait été pendant la première guerre mondiale, “ le sauveur ” ; ils ont vu en lui le père protecteur de la nation. Les historiens distinguent le “ maréchalisme ” adhésion sentimentale à la personne de Pétain et le “ pétainisme ” adhésion lucide aux valeurs véhiculées par Vichy. On retrouve à des postes clés  des représentants de la vieille idéologie antirépublicaine et contre-révolutionnaire, des éléments des ligues antiparlementaires, des membres du Parti social français auquel Pétain emprunte la nouvelle devise  “ travail, famille, patrie ” qui remplace “ Liberté, égalité, fraternité ”. La politique de Vichy a été marquée par les contraintes de l’occupation nazie et par des choix. Ce mélange a entretenu une formidable ambiguïté. Convaincu que le Reich triompherait, Vichy a tenté de se ménager une place dans la future Europe allemande. Cette politique visait à faire admettre des nazis la souveraineté française sur tout le territoire. Pour prouver à l’occupant sa capacité de faire régner l’ordre, Vichy a “ cogéré ” la solution finale et le régime s’est lié au sort du Reich, alimentant la guerre civile latente qui éclate en 44. La nouvelle devise n’est pas un simple habillage mais montre  la profondeur de la rupture souhaitée. La nation ne repose plus sur le principe de la citoyenneté républicaine où la nation est formée d’individus libres et égaux mais sur le principe  anti-individualiste des corps organiques hiérarchisés : la Nation valeur suprême, la Profession, la Famille, cellules de base. La Révolution nationale est donc un mélange d’archaïsmes - retour à la terre, remise à l’honneur des corporations - et de modernité, en particulier sur le plan de l’organisation administrative et économique. Elle renforce l’État moderne : nouveau ministère de l’industrie par exemple. La Révolution nationale passe aussi par l’anéantissement de toute contestation, la persécution de catégories entières comme les Juifs. De sa propre initiative, elle promulgue des lois antisémites et poursuit les “ terroristes ” aidant ainsi la police allemande. Entre 40 et 44 le régime se durcit. Avec l’invasion, totale en novembre 42, Vichy apparaît comme totalement inféodé au Reich. La création de la milice caractérise le Vichy totalitaire qui s’engage dans une lutte armée contre la Résistance. Pétain a jusqu’au bout revendiqué l’alliance objective avec le nazisme et cette alliance continue de peser très lourd dans la mémoire nationale.

 

c.1. De nos jours le régime de Vichy est jugé sur la condition qu’il a réservée aux Juifs.

Pétain déclarait “ J’ai toujours défendu les Juifs. Les persécutions se sont faites en dehors de moi ”. On sait qu’il n’en est rien. Vichy a pris des initiatives, on compte de nombreux décrets, arrêtés, circulaires, qui aboutissent à la dénaturalisation de 7000 Juifs, leur interdisent l’accès à de nombreuses fonctions,  et  prévoient leur internement dans des camps spéciaux. Sous contrôle administratif, privés de leurs droits les plus élémentaires les Juifs sont exclus de la nation. Une France des barbelés surgit en zone libre.

Les citoyens ennemis y sont enfermés : républicains espagnols, antifascistes italiens, résistants français y côtoient les Juifs. De même l’aryanisation  dépossède  les Juifs de leurs biens ; le concours de Vichy est indispensable aux autorités allemandes pour mener à bien leur politique antisémite. L’exemple le plus tragiquement célèbre est la rafle dit du Vél d’Hiv (vélodrome d’hiver du nom du lieu où les Juifs furent entassés) : Vichy emplit et organise les convois et prend même la décision que les enfants de tous les âges “ accompagnent ” leurs parents. L’antisémitisme de Vichy ne va pas jusqu’à imposer le port de l’étoile jaune en zone libre. Vichy distingue “ les bons vieux Juifs français ” qui perdent leur citoyenneté mais seront épargnés et les étrangers, dont il convient de se débarrasser. Il collabore d’abord puis il laisse faire ensuite.

Si moins de Juifs français ont été exterminés (23% d’entre eux contre 66% en Allemagne, 98% en Pologne), ce n’est pas grâce au gouvernement de Vichy mais grâce à la “ désobéissance ” de Français ordinaires et grâce aussi aux Italiens qui, dans leur zone d’occupation élargie de novembre 42 à septembre 43, ont offert un accueil extraordinaire aux victimes des nazis. Ce sont surtout les Juifs eux-mêmes qui ont organisé leur propre sauvetage au sein des mouvements de résistance juifs et non-juifs.

 

Le dessin satirique qui suit, se réfère au procès Papon célébré en 1997/98: Papon, fonctionnaire de Vichy fut reconnu coupable, 50 ans plus tard, de crime contre l’humanité pour avoir fait déporter des Juifs. Les deux personnages ne sont pas d’accord sur les dates car Papon, resté haut fonctionnaire de l’état français, a tragiquement réprimé des manifestations  ayant eu lieu au moment de la crise de la guerre d’Algérie

 

 

 

V.d. Poujade et Mendès France

Ces deux noms et l’affrontement qu’ils évoquent, illustrent le passage d’une France d’autrefois à une France moderne et les résistances que ce changement provoque.

Le mot poujadisme est depuis lors présent dans le dictionnaire et définit l’attitude fondée sur des revendications corporatistes et sur le refus d’une évolution socioéconomique.

 

d.1. Quelques dates 

1953 Naissance de l’UCDA (Union de défense des commerçants et artisans) créée par Pierre Poujade pour s’opposer aux contrôles fiscaux.
1954 Fin de la guerre d’Indochine, début des “ événements ” d’Algérie. Ministère Pierre Mendès-France (PMF) soutenu par l’hebdomadaire L’express fondé l’année précédente.
1956 Élections législatives. Succès du Front républicain regroupant la gauche non communiste et la “ nouvelle gauche ” rassemblée autour de PMF. Les poujadistes obtiennent 10% des suffrages.

 

Le mouvement poujadiste incarne la défense de la petite entreprise indépendante menacée par la croissance, l’arrivée de la grande distribution et l’industrialisation. Les petits entrepreneurs se sentent les victimes de la “ traque ” fiscale, le gouvernement ayant besoin de fonds pour la reconstruction s’avère effectivement plus sévère. Le gouvernement PMF suscite une vive colère en acceptant un amendement qui autorise l’emprisonnement de tout citoyen s’opposant à un contrôle. Les anciennes classes moyennes, provinciales en particulier, voient leur pouvoir s’amoindrir et, nostalgiques, se tournent vers le passé. Leur programme est de restaurer la “ vraie ” France, celle d’autrefois, colonialiste et rentière. Leurs valeurs sont celles des ligues antiparlementaristes et xénophobes.

 

Les mendésistes appartiennent au contraire aux nouvelles classes moyennes des salariés. Pour PMF les Français doivent savoir transférer leurs ambitions de l’empire colonial à l’industrie moderne.

 

Ainsi le conflit n’oppose-t-il pas le prolétariat à la bourgeoisie mais les classes moyennes.

 

V.e. Mai 68

 

 

 

e.1. L’avant 68

De la guerre au premier choc pétrolier se déroule une période désormais couramment évoquée par le nom que lui donna l’économiste Jean Fourastié “ les Trente glorieuses ”.  Symboliquement, elle coïncide avec la décolonisation et le choix européen. De Gaulle sait parler aux classes que l’irruption de la modernité inquiète, il est le garant des “ valeurs éternelles ”. Entre la fin de la guerre d’Algérie et la crise, les événements de 68 marquent à nouveau une césure emblématique.

 

e.2. Une crise inattendue ?

L’explosion était imprévue, Pierre Vianson-Ponté écrivait, au mois de mars dans un éditorial du “ Monde ” : la France s’ennuie. Était-elle prévisible ?

 

Les vieilles solidarités rurales et ouvrières disparaissent, la croissance ne propose qu’un modèle uniformisant de consommation, les résistances aux changements restent fortes. Famille, état, église imposent leurs valeurs morales à la génération née du baby-boom. Les jeunes sont nombreux, ils ont grandi dans une société où le bien-être se confond avec la possession du réfrigérateur, de la télévision, de la voiture et de la machine à laver pour tous. Les solidarités ont changé, elles ne sont plus verticales mais horizontales, les jeunes s’imposent comme un groupe séparé, numériquement 1/3 de la population a moins de 21 ans. Ils ne désirent plus reproduire le modèle de leur pères mais recherchent une nouvelle convivialité avec leurs pairs. Les associations encadrées par les adultes sont largement contestées (le scoutisme par ex.).

 

Parmi les signes avant-coureurs, on peut identifier quelques dates, même si certaines appartiennent plus spécifiquement à la culture :

1965, Georges Pérec publie Les choses.

1967, Michel Tournier publie Vendredi ou Les limbes du Pacifique.

L’un campe un jeune couple dans la société de consommation et son insatisfaction, ses tentatives d’y échapper. L’autre renverse le mythe de Robinson Crusoë. Seul sur son île, ce dernier ne sait que reproduire le modèle qui consiste à accumuler et à devenir l’esclave de ses biens jusqu’au moment où le “ sauvage ” Vendredi lui apprend une nouvelle façon d’être dans le respect ludique de la nature.

Les cinéastes de la nouvelle vague proposent des films moins conventionnels et plus sensibles au quotidien.

En 1967, la loi Neuwirth autorise la pilule, ce qui va révolutionner, tout d’abord la vie sexuelle, puis toute la société.

 

Plus directement, les effectifs estudiantins ont plus que doublé en sept ans. Le milieu est transformé car il n’est plus uniquement fréquenté par les enfants de la bourgeoisie ayant grandi dans un certain respect du rituel. C’est “ une foule solitaire ” mal administrée qui “ subit ” les cours magistraux de mandarins (nom donné aux professeurs de l’université) qui lui semblent bien lointains. L’UNEF (Union Nationale des associations générales d’Étudiants de France, née en 1907) ne groupe plus qu’un étudiant sur dix, les mouvements spontanés foisonnent, mais leur seul point commun de mobilisation est la solidarité avec le Viêt Nam.

 

e.3. Chronique des événements

Depuis peu, les projecteurs sont braqués sur Nanterre (université nouvelle construite aux abords d’un bidonville) où les étudiants, dont le leader charismatique s’appelle Daniel Cohn-Bendit, ont occupé le bâtiment administratif le 22 mars et forment un mouvement qui a pour cible les autorités universitaires, gouvernementales mais aussi le Parti communiste.

Le gouvernement répond par la fermeté et le ton monte rapidement :

·        Fermeture de l’université.

·        Annonce d’un conseil de discipline contre “ 8 meneurs ”.

·        Meeting de protestation organisé à la Sorbonne.

·        Irruption de la police et arrestation en bloc des participants.

·        Semaine de manifestations au quartier Latin.

·        Les brutalités policières gagnent au mouvement la sympathie de l’opinion. Lycéens et jeunes ouvriers rejoignent le mouvement.

·        Le Parti communiste revoit sa position.

·        Nuit de barricades, du 10 au 11 mai.

·        Syndicats enseignants et confédérations ouvrières appellent à une grève générale le 13 mai qui remporte un vaste succès en province comme à Paris.

·        Parties de la province, les grèves avec occupation font tache d’huile. En moins d’une semaine le pays compte 7 millions de grévistes qui paralysent le pays. Usines et universités deviennent les lieux de débats passionnés qui restent toutefois séparés. Des milieux généralement absents des conflits sociaux (gens de lettres et du spectacle, cadres) participent.

·        Georges Pompidou choisit de temporiser. Pour dissocier ouvriers et étudiants, il suscite la rencontre des organisations patronales et syndicales le 25 mai au ministère du Travail, rue de Grenelle.

·        La crise politique explose avec le rejet des accords de Grenelle. La relève du pouvoir semble ouverte par la gauche classique qui laisserait de côté le PCF. Celui-ci réagit par une grande manifestation le 29 mai, jour où l’opinion stupéfaite découvre que De Gaulle est introuvable. Il serait parti en Allemagne vérifier la fidélité de l’armée ou aurait cédé au découragement. Lorsqu’il revient, il abandonne la possibilité d’un référendum pour les élections législatives.

·        Une immense manifestation de soutien marque le retournement de la situation. Les négociations salariales reprennent. On assiste à une dernière flambée de violence dans le secteur automobile qui fait trois morts.

·        Mi-juin, onze mouvements gauchistes sont dissous, la Sorbonne est évacuée. Les élections de fin juin voient le recul de la gauche et le triomphe des gaullistes.

 

Mai 68 ne fut pas une résurgence des révolutions parisiennes du XIXe siècle, le mouvement fut national. Il commença par les manifestations mais resta légaliste, la rue s’inclina devant les urnes.

 

Un aspect français de la crise est dans la personnalisation de l’autorité, l’aspect le plus neuf réside dans l’apparition de nouveaux acteurs : étudiants et couches moyennes. Aux forces traditionnelles s’adjoignirent des courants et des thèmes politiques nouveaux : féminisme, écologie…On a parlé au sujet de Mai 68 de révolution inachevée, de psychodrame national.

 

 

 

e.4.  68 et après

Durant les années suivantes, le mouvement demeure dans les universités. Les réponses, comme la loi anticasseurs, sont répressives . La contestation revêt des aspects violents ou ludiques mais évite la dérive terroriste.

Deux luttes sont emblématiques : les “ Lip ”, ouvriers de l’usine portant ce nom décidant d’assurer eux-mêmes la production et la commercialisation des montres, les paysans du Larzac s’opposant à l’extension d’un camp militaire. Ils obtiennent un large soutien et regroupent des milliers de manifestants. La résistance du Larzac se prolongera jusqu’en 81, François Mitterrand devenu président de la république leur donnera satisfaction.

Parmi les différentes revendications se distinguent aussi celles des langues et des cultures minoritaires.

Le mouvement de mai est avant tout la recherche de formes nouvelles de convivialité, l’utopie prend parfois les couleurs  de la nostalgie, c’est ainsi que l’on a également lu la lutte du Larzac, les retours communautaires à la terre fréquents chez les “ orphelins ” du mouvement (cf. phénomène des “ babas cool ” nom donné aux personnes plus ou moins marginales, non violentes, écologistes, vivant parfois en communauté).

Les années 70 et leurs manifestations multiformes mettent en évidence les blocages de la société française.

L’état accepte toutefois de faire quelques concessions. Il reconnaît les formes modernes de la famille, du couple, de la sexualité, la place croissante des femmes et des jeunes dans la société. L’égalité des sexes est devenue un enjeu majeur.

·        1970 l’autorité paternelle est remplacée par l’autorité parentale.

·        1974 majorité à 18 ans

·        1974 loi sur l’Interruption Volontaire de Grossesse

·        1975 loi autorisant l’utilisation des contraceptifs oraux par les mineures et le remboursement de la pilule par la Sécurité sociale

·        1975 loi autorisant le divorce par consentement mutuel

·        1981 abolition de la peine de mort

·        1981 loi autorisant les radios locales

·        1982 loi Auroux reconnaissant l’expression des salariés dans l’entreprise.

 

La France de la première partie de ce siècle, faite de ruptures et de  continuités, mue donc radicalement. Les Trente glorieuses marquent son entrée dans la modernité avant que la crise inaugurée en 1973, avec le premier choc pétrolier, ne la fasse basculer dans cette fin de siècle, tourmentée et postmoderne, avec son cortège de problèmes. Problèmes que nous abordons à la faveur des thèmes annoncés plus haut.

 

VI. L’IMMIGRATION

L'immigration est un phénomène ancien en France, il cristallise les positions, réveille de vieux démons, interroge la France et  ses traditions républicaines ; ce qui semble le plus significatif, c'est la dimension française de la question immigrée, révélatrice des faiblesses de notre société.

 

VI.a Histoire des différents flux d’immigration

 

a.1. Avant 1850.

La population française est le résultat des différentes vagues de peuplement qui  tout au long des siècles se sont succédées ou côtoyées sur l’hexagone : de conquêtes en invasions les ancêtres “ gaulois ” aux origines celtes ont pour caractéristique commune d’être hétérogènes ! La société du moyen-âge est progressivement unifiée par le christianisme. A partir du XIIe siècle les migrations, non plus belliqueuses, mais à dominante économique, religieuse et politique sont rendues plus “ visibles ” par la constitution d’un Etat-nation aux frontières de plus en plus imperméables. Cette immigration ne correspond pas à un besoin démographique, car la France est alors le pays le plus peuplé d’Europe, mais à un besoin de spécialistes. Colporteurs, artisans, saisonniers, musiciens, marchands, montreurs d’ours empruntent des itinéraires connus et la condition d’étrangers n’empêche pas de jouer un rôle au sommet de l’état (Mazarin par exemple). Les juifs considérés comme étrangers seront reconnus Français à travers un processus qui, entre la Révolution et le premier Empire, tendra à faire d’eux des “ Français israélites ”. La France accueille également des réfugiés politiques comme elle contraint les siens à l’exil, les protestants après la révocation de l’édit de Nantes ou les aristocrates fuyant la révolution.

 

a.2. Après 1850.

La situation change totalement car la France connaît la dénatalité au moment où l’industrialisation requiert justement de la main d’œuvre. Les premiers mouvements d’immigration moderne proviennent des pays limitrophes.

Le recensement de 1851 est le premier à prendre en compte la catégorie d’étrangers ; ils sont alors 1% de la population, la catégorie la plus représentée sont les Belges. En un demi-siècle la population étrangère triple alors que la population autochtone ne progresse que de 20%. Aux Belges succèdent les Italiens puis les Allemands, les Espagnols et les Suisses. Les non-européens sont en quantité négligeable.

L’arrivée massive d’étrangers a lieu au moment où s’impose le régime républicain qui entraîne le pays dans une phase nouvelle de son unification. Contre les particularismes régionaux et religieux, caractéristiques de l’ancien régime, la IIIe République impose une langue, une histoire commune. Dans son creuset, la République amalgame Bretons, Auvergnats, Italiens, Belges, Basques, protestants, juifs… tous sont considérés des individus égaux “ sommés ” de se fondre en un seul grand peuple. Entre l’état et le citoyen, il n’existe pas de corps intermédiaires. Le conseil constitutionnel, garant de la conception républicaine de la nation, a ainsi annulé l’article parlant du “ peuple corse, composante du peuple français ”. Les artisans de cette “ unification ” communément appelée “ l’intégration à la française ” sont principalement l’école laïque, l’armée, les partis de gauche, les syndicats.

 

a.3. Après la première guerre mondiale.

Le phénomène s’accentue. Le déficit démographique résultant de la grande guerre est impressionnant: 10,5% de la population active, sans compter les mutilés et les naissances perdues. La reconstruction de ce pays en deuil rend donc indispensable l’appel de main d’œuvre étrangère. L’immigration italienne est renforcée par l’exode politique conséquence de l’arrivée de Mussolini au pouvoir. Au total 3,5 millions d’Italiens viennent en France entre 1879 et 1940, sur l’ensemble 1,2 million fera souche dans l’hexagone.

L’après-1918 consacre l’arrivée massive des immigrés non-frontaliers : Polonais, Russes blancs, Ukrainiens, Arméniens, Algériens et Chinois participent plus modestement à cette vague d’immigration  La France devient le premier pays d’immigration relativement à sa population. Aux courants de l’immigration de travailleurs se mêlent les réfugiés politiques : rescapés du génocide arménien de 1905, socialistes et anarchistes russes et italiens avant 1914, antifascistes italiens après 1922, ressortissants des pays d’Europe centrale fuyant l’avancée du fascisme, Républicains espagnols chassés par la victoire de Franco. Contrairement à des clichés répandus, leur intégration se fait dans la douleur. Les thèmes de l’invasion, de l’inassimilabilité se répandent.

L’étendue des vagues de xénophobie est toujours liée à une crise économique ou politique et non au dépassement d’un quelconque seuil de tolérance. Les immigrés de cette première vague deviennent des acteurs du mouvement ouvrier, ce qui ne leur attire pas que des sympathies mais contribue à leur intégration.

 

a.4. Pendant les Trente glorieuses.

On assiste à la troisième vague d’arrivées dans le climat de la décolonisation. Quatre millions de personnes proviennent alors du Maghreb, d’Espagne, du Portugal, leur venue est encouragée par l’État et le patronat.

 

a.5. Depuis 1974.

Date de la suspension officielle de l’immigration de travailleurs non qualifiés, les Africains noirs et les Asiatiques progressent au sein de la population étrangère principalement à travers le regroupement familial même si leur poids relatif reste faible.

Les Portugais restent la première communauté étrangère par le nombre en 1990, la part des pays européens est devenue minoritaire

 

 

 

 

VI.b. Les lois sur la nationalité

 

L’ordonnance de base date du 19.10.1945, elle a été modifiée en 1973, 1984, 1993, 1998, le tout formant un monument complexe. Les évolutions de cette législation reflètent des situations économiques, politiques et démographiques. Les règles de base combinent jus soli (droit du sol) et jus sanguinis (droit du sang). A partir de 1986, la pression du Front national va faire du code de la nationalité un enjeu politique. Les projets vont se succéder, se contredire, être appliqués ou pas, suivant les majorités sortant des urnes et les scores atteints par le FN.

Ainsi lorsque la droite revient au pouvoir, on assiste au retour des textes limitatifs portant le nom de Pasqua. Parmi les dispositions, on citera le fait que

·        les jeunes nés de parents étrangers n’acquièrent plus sans formalité la nationalité mais doivent manifester leur volonté de devenir Français entre 16 et 21 ans ;

·        les parents étrangers d’enfants nés en France perdent le droit d’obtenir la nationalité pour leurs enfants mineurs, possibilité qui les protégeait des dangers d’expulsion ;

·        l’époux étranger d’un Français devra attendre deux ans pour l’acquérir ;

·        les enfants nés en France après le 31 décembre 1993 de parents nés en Algérie avant l’indépendance ne seront français à leur naissance que si l’un des parents réside en France depuis cinq ans au-moins. Ce dernier bémol est symptomatique de la pression de l’extrême droite. Il s’agit là d’une bombe à retardement : bien des jeunes vers 2012 risquent de ne pas réussir à prouver que leurs parents résidaient en France depuis 5 ans au moment de leur naissance.

Contrairement aux prévisions pessimistes de la gauche, les jeunes concernés par la manifestation de volonté vont massivement effectuer cette démarche nouvelle (33.000 en 94, 30.000 en 95). Le système montre des faiblesses dans deux domaines : il risque d’aggraver l’exclusion des jeunes (20% du public  concerné) ; souvent déscolarisés, ils vivent à l’écart des institutions chargées par la loi de diffuser l’information. Des enquêtes montrent aussi les disparités dans l’application de la loi selon les communes, les tribunaux.

 

La nouvelle majorité de 97 provoque un nouveau changement de cap.

Il ne s’agit pas d’un retour à la loi antérieure. Une partie de la gauche continue de demander un retour à la législation d’avant 94, un amendement prévoit la possibilité d’obtenir la nationalité dès 13 ans avec le consentement des parents. Les autres innovations de la loi Guigou concernent la réduction, de deux ans à un an, du délai pour demander l’acquisition de la nationalité après mariage et la simplification des formalités d’obtention des certificats de nationalité.

 

VI.c. Le nombre d’étrangers en France

 

Sont recensées comme étrangères les personnes qui ont leur résidence permanente en France et qui déclarent ne pas avoir la nationalité française. Le recensement de 1990 a comptabilisé 3,6 millions d’étrangers soit 6,4% de la population, taux égal à celui de 1931.

L’usage de la notion d’étranger reflète le poids de l’idéologie française selon laquelle il serait contraire à la tradition républicaine de distinguer les Français en fonction de leur origine en raison du risque discriminatoire de cette distinction.

Les polémiques autour du nombre d'étrangers résidant en France et les flottements des chiffres avancés sont  souvent la conséquence des incertitudes liées aux statistiques.

 

La stabilité du nombre ne correspond pas à une stabilité des personnes, certains rentrent au pays, d’autres deviennent français. L’augmentation de la proportion de Français par acquisition est continue et reflète les vagues successives d’immigration.

Le choix des mots : étranger ou immigré, recouvre des situations différentes mais souvent mal perçues. Certains étrangers sont nés en France et n’ont jamais immigré ; l’usage courant donne à ce mot un sens ambigu, le terme faisant référence à l’apparence physique, au mode de vie supposé… ; des enfants nés en France, de nationalité française sont couramment qualifiés d’immigrés alors qu’ils ne sont nullement venus de l’étranger.

 

Un suivi minutieux des processus d’acquisition de la nationalité sur trois générations permet d’évaluer l’apport démographique de l’immigration par rapport à la population actuelle. Ainsi près d’un Français sur 5 a un parent ou l’un des grands-parents étranger, près d’une naissance sur cinq est attribuable à un immigré arrivé en France depuis un siècle. Sans cet apport, la croissance démographique aurait été diminuée de 40% depuis 45. Il tend à diminuer en raison de la suspension de l’immigration et de la baisse progressive de la fécondité des femmes étrangères.

Les étrangers sont inégalement répartis sur l’hexagone. La carte de France de l’immigration correspond à celle des grands centres urbains et industriels alors que les régions de l’ouest et du centre comptent très peu d’étrangers. Les trois régions les plus peuplées – Ile de France, Rhônes-Alpes et Provence-Alpes-Côtes d’Azur – rassemblent 60% des étrangers de l’hexagone.

 

 

VI.d. Chronique d’un siècle de politique d’immigration.

 

De la période précédant la seconde guerre mondiale, on retiendra  que l’état républicain entend dépasser les particularismes en insufflant le patriotisme et la langue française pour tous. Le patronat organise l’arrivée des travailleurs immigrés et des accords bilatéraux sont passés. Les choix favorisent une main d’œuvre européenne. Une société privée la SGI (société générale d’immigration) organise le recrutement en fonction des demandes des entreprises. L’égalité des salaires prévue par les conventions satisfait les pays d’origine et les syndicats ouvriers.

La dépression des années 30 amène des mesures restrictives et une forte vague de xénophobie qui fait le lit de la politique de discrimination ethnique mise en oeuvre par Vichy.

 

Pour faire face aux besoins en main d’œuvre de la France des Trente glorieuses naît un établissement public : l’ONI (office national d’immigration devenu OMI office des migrations internationales en 1984). Les immigrés les plus nombreux dans l’immédiat après-guerre sont les Italiens du Sud et les Algériens. Ces derniers arrivent dans un pays qui engage une guerre contre leurs compatriotes. Dans ce contexte de déchirure historique où les droits de l’homme sont bafoués et le racisme exacerbé va émerger la figure de l’Algérien comme figure emblématique du travailleur immigré en France. Pour équilibrer la main d’œuvre algérienne, des “ recruteurs ” des grandes entreprises françaises vont dans les villages marocains, turcs ou portugais. Les jeunes portugais fuient le service militaire dans une armée engagée dans les guerres coloniales, la police de l’air française reçoit l’ordre de fermer les yeux sur leur entrée illégale, les Portugais vont devenir la première communauté étrangère au recensement de 1975.

Les “ immigrés ” sont alors censés ne pas s’arrêter en France, on construit pour eux des foyers de célibataires alors que de plus en plus souvent, ils arrivent accompagnés de leur famille, ils sont alors réduits à loger dans des conditions insalubres, à s’entasser dans des cités de transit prétendument provisoires.

L’après 68 marque l’irruption de l’immigration dans le débat social. Syndicats, extrême gauche, organisations anti-racistes engagent les immigrés dans des luttes et tentent d’organiser la solidarité.

En juillet 74, le gouvernement français décide de suspendre l’immigration. On autorise toutefois le regroupement familial et crée un financement spécifique du logement destiné aux immigrés. L’organisation des cours de langue et culture d’origine dans les écoles et la création d’une aide au rapatriement marquent la persistance d’une conception provisoire de l’immigration. Le contrôle du séjour est renforcé, l’expulsion pour simple entrée illégale et le placement en rétention  sont autorisés.

En 81, la gauche accède au pouvoir avec l’ambition de mettre fin à la politique répressive. 10 jours après la victoire de Mitterrand, les étrangers nés en France ou arrivés avant l’âge de 10 ans, deviennent inexpulsables. Le droit des immigrés est symboliquement placé sous l’autorité du ministre de la solidarité nationale. L’aide au retour est supprimée. Les sanctions contre les employeurs de main d’œuvre clandestine sont renforcées.

En 1983, la “ Marche pour l’égalité ” conduite par les jeunes des banlieues lyonnaises fait émerger la nouvelle génération issue de l’immigration. Ceux que l’on appelle désormais les “ beurs ” (ce mot issu du langage verlan désigne les jeunes nés en France de parents maghrébins) revendiquent à la fois leurs racines et leur droit à une place dans la société française. Ils dénoncent le racisme, notamment policier.

En juillet 84, l’Assemblée nationale adopte “ la carte de dix ans ” qui rompt avec la précarité et fait cesser l’humiliation des renouvellements incessants.

Avec la montée du Front national, le gouvernement raidit ses positions et se concentre sur la fermeture des frontières et la chasse aux clandestins. Le regroupement familial est soumis à des conditions strictes de ressources et de logement. L’aide au retour est pudiquement rebaptisée “ aide à la réinsertion ”.

La deuxième marche des beurs, intitulée “ Convergence 84 ” abandonne le thème de la différence, trop facilement récupérable en sens contraire par l’extrême droite, pour promouvoir l’idée d’une France qui “ a besoin de mélange pour avancer ”. Le demi échec de ce mouvement marque le déclin et la division des beurs entre ceux qui prônent l’intégration et ceux qui veulent construire un mouvement maghrébin autonome.

Fin 84, la jeunesse française adopte, dans une large majorité, le message antiraciste constitué d’une petite main portant l’inscription : “ Touche pas à mon pote ” (le pote étant l’ami, le copain fidèle ; le message signifie : ne cherche pas à nuire à mon ami) porté par des célébrités lors du grand concert organisé par l’association SOS-racisme. L’association France-Plus développe les thèmes de la citoyenneté et incite les jeunes à se présenter aux élections. La majorité des beurs se sentent toutefois trahis par ce qu’ils interprètent comme une simple mode traitant bien superficiellement leurs difficultés.

Dès 86, le gouvernement Chirac  répondant à la pression du Front National par la loi Pasqua, les reconduites à la frontière se multiplient, les renouvellements de la “ carte de dix ans ” sont limités. Une vague d’attentats  terroristes à Paris fournit le prétexte à l’instauration de visas pour les étrangers qui touchent les immigrés. Le débat sur le code de la nationalité provoque des prises de position opposées ainsi que des manifestations. Après l’élection de 1988 où le Front National atteint le score de 14%, le Premier ministre M.Rocard tente en vain de dédramatiser la discussion. Mitterrand annonce le retrait de la loi Pasqua, remplacée par la loi Joxe plus libérale. La France s’enflamme lorsque trois collégiennes entendent porter à l’école le foulard dit islamique. Le conseil d’état, pour calmer les esprits, rappelle les règles de la laïcité et recommande un réglement cas par cas. Deux organismes mis en place : le Haut conseil à l’intégration et le secrétariat général à l’intégration, s’efforcent de calmer le débat.

Le retour de la droite au pouvoir, en 93, marque le retour de l’immigration comme cheval de bataille amalgamant les thèmes de l’immigration et de l’insécurité, chers au Front National. Les débats parlementaires aboutissent aux lois Pasqua. Celles-ci restreignent les conditions d’exercice du droit du sol et multiplient les cas d’empêchements à l’acquisition de la nationalité, autorisent les contrôles de police administrative préventifs. On entre dans l’ère du soupçon régularisé. Ainsi les maires ont-ils le pouvoir de suspendre un mariage “ suspect ”, le regroupement familial est rendu plus difficile. Ces textes vont multiplier les situations d’irrégularité sans issue dont sont victimes ceux qui vont se baptiser “ sans-papiers ”. Les effets de ces textes sont amplifiés par une administration perméable à la xénophobie.

Jacques Chirac élu à l’Élysée a pour ministre de l’Intérieur Jean-Louis Debré qui l’incite à remettre sur le tapis la question de l’immigration.

Le 22 mars 96 trois cents Africains “ sans-papiers ” trouvent finalement refuge à l’église de Saint-Bernard. Devant l’inflexibilité du gouvernement, ils entreprennent une grève de la faim qui suscite, en août, une vague de solidarité s’amplifiant après l’évacuation de l’église par la police le 23/08/96. L’impossibilité de les “ reconduire ” donne à Debré, l’argument qu’il attendait. La loi Debré déclenche un réveil “ civique ”, un appel à désobéir lancé par 59 cinéastes prolonge un mouvement sans précédent. La loi, en voulant obliger les personnes hébergeant un étranger à signaler son départ, portait atteinte non seulement à la liberté des étrangers, mais aussi à celle des Français.

Avec la nouvelle majorité issue des élections législatives, en juin 97, on assiste à une nouvelle gestion de la question plus qu’à un véritable changement de cap. Une circulaire prévoit la régularisation de certains sans-papiers, ceux qui ont fondé une famille en France ou dont la vie est en danger dans leur pays. L.Jospin, nouveau Premier ministre, annonce le 19 juin un réexamen global et charge P.Weil de définir une politique “ ferme mais digne ”. Le rapport est à la base des lois Guigou sur la nationalité et Chevènement sur l’immigration. Les lois Pasqua ne sont pas supprimées mais aménagées. La loi Chevènement est critiquée à gauche pour sa modération, à droite pour son laxisme. Elle supprime certains obstacles dressés par la loi Pasqua à l’accès aux titres de séjour et crée des cartes spéciales pour les retraités, les scientifiques, les grands malades et les personnes disposant de liens personnels ou familiaux avec la France. Elle supprime le délai d’un an pour obtenir un droit de séjour après mariage, elle assouplit les conditions du regroupement familial, supprime les certificats d’hébergement et permet aux étrangers en condition régulière de percevoir les allocations aux personnes âgées, aux adultes handicapés et de logement social.

 

 

VI.e. Les immigrés dans  l’économie

 

Les étrangers ont été particulièrement touchés par les mutations du marché du travail. En 1975 les immigrés représentaient le quart des effectifs des salariés du bâtiment et de l’automobile. Le chômage  est de 32% chez les non-Européens contre 12% pour les Français. L’analyse de l’évolution par secteurs révèle en effet, pour les étrangers, une amplification des phénomènes constatés chez les Français. Dans l’industrie, plus d’un étranger sur trois, voit son emploi supprimé sans profit pour les nationaux. Les étrangers n’ont gagné des emplois que dans les secteurs où les conditions de travail sont précaires comme le textile ou l’habillement ainsi que le commerce.

La crise a redonné de l’audience aux discours xénophobes liant immigration et chômage. Elle est aberrante lorsque l’on sait que certains secteurs et le maintien de certaines activités reposent sur la main d’œuvre étrangère. Certains emplois non-qualifiés ne trouvent preneurs ni parmi les Français ni parmi les étrangers installés de longue date. C’est le cas dans le bâtiment, dans les services aux particuliers, le forestage, l’agriculture et dans certains grands chantiers comme le TGV, Eurotunnel et le stade de France. D’autre part, une demande de main d’œuvre étrangère qualifiée se développe ; l’Éducation nationale emploie des maîtres auxiliaires maghrébins et africains dans certaines écoles boudées par les Français. La persistance du travail illégal illustre cette demande constante et touche aussi bien des Français. Le bilan modeste des actions d’incitations au retour traduit l’impasse de cette idée. En revanche celle de mettre les retours volontaires d’immigrés au service du développement de leur pays d’origine est plus prometteuse. A partir de 1995, on a expérimenté des micro-projets financés conjointement par les fonds de coopération et l’OMI. Ces initiatives comme celles prises par des associations d’immigrés se mobilisant en France et par certaines villes et régions investissant dans des formules de coopération décentralisée préfigurent l’émergence d’une nouvelle solidarité nord-sud dont les immigrés sont les vecteurs. Depuis 1998, une délégation interministérielle chargée du co-développement et des migrations internationales vise à définir une politique d’État cohérente.

 

Les habitudes de consommation des étrangers se rapprochent de celles des familles ouvrières françaises. Le niveau moyen des familles ouvrières françaises, maghrébines et portugaises est extrêmement proche (environ 13.400 F par mois) mais la taille de la famille, l’absence de deuxième salaire et les contraintes de l’immigration creusent des écarts que les diverses allocations ne compensent pas. Les immigrés ont une moins bonne couverture sociale que les Français. Ils vont moins chez le médecin ou à l’hôpital et profitent moins de la retraite : la population étrangère étant plus jeune et ayant une moins longue espérance de vie. La situation est inverse pour les allocations familiales.

 

VI.f. Intégration ou rejet ?

 

La fragilisation du corps social se traduit par la montée de l’intolérance et de la xénophobie. L’exclusion des revenus du travail, sa concentration dans des cités de banlieues fermées ont généré la montée de la violence et de la toxicomanie. Le fait qu’une part dominante des étrangers provienne de l’ancien empire colonial et soit porteuse d’un héritage de conflits et d’humiliations pèse lourdement sur leur statut. La montée des tensions liées aux réalités de l’immigration alimente un vif débat sur la manière de promouvoir une cohabitation plus harmonieuse. 

La tradition fait de la France un pays d’assimilation efficace, mais ce mot a pris une signification négative : la négation de l’altérité d’où le recours au terme d’ “ insertion ”, ce dernier, exploité par la droite extrême pour dire l’inassimilabilité, est devenu dangereux ou pour le moins ambigu. Le mot intégration est alors revenu en force. Tentant de mettre une fin aux querelles de vocabulaire le Haut Conseil à l’intégration (HCI) a défini l’intégration “ non comme une sorte de voie mitoyenne entre l’assimilation et l’insertion mais comme un processus spécifique … il s’agit de susciter la participation active à la société nationale d’éléments variés et différents, tout en acceptant la subsistance de spécificités culturelles, sociales et morales … afin … de rendre solidaires les différentes composantes ethniques et culturelles … et de donner à chacun…la possibilité de vivre dans une société dont il a accepté les règles et dont il devient un élément constituant ” (HCI. Pour un modèle français d’intégration, 1991).

Les définitions théoriques de l’intégration ont mal résisté dans les années 90 aux réalités d’une société confrontée à des revendications communautaires. Les violences urbaines, la drogue ou la délinquance, le raidissement de l’expression religieuse, l’émergence de pratiques inacceptables pour l’opinion publique (polygamie, excision) reflètent les difficultés. Ces phénomènes exacerbés par les erreurs de l’urbanisation, l’affaiblissement des instruments traditionnels d’intégration (école, armée, partis politiques et syndicats) nourrissent les craintes de ghettoïsation.

 

Les données collectées par l’INED sont pourtant encourageantes. L’utilisation de la langue française s’impose rapidement. Les couples mixtes se multiplient. En dépit des graves difficultés les fils et filles d’ouvriers espagnols et algériens quittent plus souvent la classe ouvrière que la moyenne des enfants d’ouvriers français. L’enquête confirme, en revanche, l’effet ghetto lié au type d’urbanisme ainsi que le rôle clé joué par l’école. Dans ce domaine, on constate qu’à origine sociale égale, élèves français et étrangers, ont des taux de réussite similaires et que les familles d’élèves étrangers ont des attentes plus fortes. Les dernières années ont vu la mobilisation de nombreuses associations de jeunes issus de l’immigration en faveur de l’école. Les enfants de l’immigration sont surtout le symbole d’une concentration de handicaps sociaux et du choc des cultures que l’école ne peut affronter seule. La société française tend à concentrer ses fractures sociales sur l’école, héritière de la construction républicaine.

 

Dans le domaine du logement, il n’y a pas au sens propre de ghetto, mais il y a concentration des franges les plus faibles dans certains quartiers, cités ou grands ensembles. La crise de ces quartiers déclassés se manifeste périodiquement par des mouvements de révolte. Les différentes politiques de la ville essaient d’y porter remède, mêlant création d’équipements publics, réhabilitations, aide à la vie associative et aux interventions sociales. Les immigrés les plus récents sont avec le quart monde français les derniers occupants des taudis. Ils squattent les vieux immeubles, plantent des tentes, investissent des immeubles vides avec l’Association Droit au Logement (DAL), ils tentent surtout de réveiller une société qui inscrit le logement parmi les droits de l’homme.

 

On assiste aujourd’hui à un renouveau de l’antiracisme. Il passe aujourd’hui par la recherche de nouveaux équilibres entre une conception rigide de la République, niant les particularismes, et la reconnaissance d’un droit à la différence, menant à un communitarisme destructeur. Il passe aussi par des événements très “ profanes ” comme le bonheur vécu par tous les Français grâce à la victoire d’une équipe de football largement multiethnique lors de la Coupe du Monde de l’été 98. Plus qu’un moment de grâce, il est à espérer qu’il inaugure une nouvelle convivialité de cette France qu’il est devenu normal de caractériser comme étant « black, blanc, beur ».

 

VII. L’EXCLUSION

 

VII.a. Présentation

 

La France s’est donnée une devise ambitieuse : Liberté, Égalité, Fraternité.

La déclaration de 1793, préambule à la constitution de 1848, stipule que la République doit, par une assistance fraternelle, assurer l’existence des citoyens nécessiteux. On trouve donc très tôt associées les notions de République, de fraternité des citoyens et de droit à l’aide.

 

La France a vécu, pendant la deuxième moitié de notre siècle, une période de croissance économique (les Trente Glorieuses) et est dotée d’un système de protection sociale développé, au nom emblématique “ l’état providence ”. Pourtant, les pauvres existaient et ils existent encore. La pauvreté augmente même et le fait que plus personne ne semble en être à l’abri provoque des réactions variées (peur, violence, maladie, engagement…). L’écart entre la réalité et l’ambition est donc encore large, il frustre  la société et ses membres et paraît contribuer grandement à leur proverbiale  mauvaise humeur. Ce phénomène, cette souffrance mobilisent aussi  les esprits et s’étalent sur les colonnes des journaux. La fracture sociale enfin est un thème récurrent des campagnes électorales !

 

 

 

VII.b. Des mots pour dire l’exclusion

 

Les mots permettant de parler de ce “ fléau ” et de ses victimes sont multiples: la misère, la précarité, la pauvreté, l’indigence, les pauvres, les parias,  les démunis, les laissés-pour- compte, les clochards, les défavorisés, les marginaux, les sans-emploi, les chômeurs, le quart-monde … des  qualifications nouvelles sont également apparues : l’exclusion et les exclus, ainsi que d’autres, construites sur des sigles d’ailleurs souvent liés à une de ses expressions ou aux tentatives de remédier aux souffrances qu’elle entraîne ; par exemple : les smicards (travailleurs percevant le Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance) les SDF (Sans Domicile Fixe) les RMIstes (bénéficiaires du Revenu Minimum d’Insertion) ou les ASSEDIC (Association pour l’Emploi Dans l’Industrie et le Commerce, instituée en 1958 par une convention entre Patronat et Syndicats collectant des cotisations obligatoires et assurant dans chaque département l’indemnisation du chômage), les SEL (systèmes d’échange local)...

 

 

VII.c. De quoi vivent les Français ?

 

Connaître leurs revenus est une entreprise ardue. Ils n’aiment pas parler de ce qu’ils gagnent (nous faisons remarquer au passage qu’à la  différence d’un Italien, un salarié français donnera le montant brut de son salaire car la retenue à la source n’est pas systématique) et le développement de l’économie souterraine et du travail au noir accentuent le manque de transparence. Depuis 1945, la composition des revenus des ménages s’est profondément modifiée :

 

Pourcentage de revenus provenant d’un travail salarié en 1945 = 37% en 1970 > 50%
Importance des prestations sociales en 1949 = 11,5% en 83 = 37%
Augmentation du revenu réel par habitant Entre 1960 et 1973 = 80% Entre 1973 et 1983 = 20%

 

L’éventail des salaires est large et la possession du patrimoine est profondément inégalitaire. On estimait en 1980 que 10% des ménages les plus fortunés possédaient 54% du patrimoine. De plus l’ascenseur social semble en panne. Les mécanismes de reproduction sociale n’ont guère changé. Parmi les classes dirigeantes, l’hérédité sociale est très forte, cadres et professions libérales se perpétuent, à de rares exceptions. La transmission économique n’explique que partiellement ce phénomène, la transmission du capital culturel paraît déterminante. La généralisation de l’enseignement devait permettre la promotion égalitaire de tous les citoyens aussi cette “ panne sociale ” est-elle un des aspects de la crise de l’école républicaine.

 

 

 

VII.d. Qui sont les pauvres, combien sont-ils et comment sont-ils appréhendés ?

 

Le décompte est lui aussi ardu car à la “ catégorie ” de la pauvreté absolue s’est ajoutée celle de la pauvreté relative.

En juillet 1976, le premier grand programme de lutte lancée contre la pauvreté par le conseil de la communauté européenne, énonce en effet : “ sont définis comme pauvres les individus et les familles dont les ressources sont si faibles qu’ils sont exclus des modes de vie, des habitudes et des activités normales de l’État dans lequel ils vivent ”.

 

On constate en effet que, depuis 45, le regard que citoyens et experts portent sur la pauvreté s’est modifié.

 

De 45 à 50, les spécialistes s’inquiétaient des conditions de vie des familles sans logis et des individus sans ressources. Les victimes étaient bien connues des militants associatifs de terrain (1953 : mouvement des squatters ; 1954 : Abbé Pierre ; 1956 : fondation de Atd Quart-Monde, ATD signifiant Aide à Toute Détresse.)

 

Dans les années 60, leur attention s’est portée sur la survivance d’un sous-prolétariat peu ou pas qualifié et de l’accès généralisé à la consommation. Les exclus étaient définis en termes de besoins fondamentaux insatisfaits, les experts débouchent alors sur la caractérisation d’un groupe souvent nommé quart-monde.

 

Dans les années 70, ils prennent conscience de la faiblesse persistante du niveau de vie d’une partie importante de la population française et les définitions englobent les catégories dites à risques.

 

Dans les années 80/90, aux inadaptés, aux personnes en état d’insécurité, de vulnérabilité, de pauvreté effective, s’ajoutent les chômeurs et les salariés à statut précaire.

 

VII.e. Une catégorie : L’exclusion

 

Depuis les années 70, l’exclusion est la catégorie mise en forme par les experts pour mieux cerner les multiples problèmes liés à la pauvreté. Elle permet de poser d’une façon nouvelle la question sociale dans la société française contemporaine. Ce n’est pas un mot  fourre-tout, ni un inventaire des misères, mais une catégorie appelée à  devenir opérationnelle, utile pour les politiques sociales. Les spécialistes  élargissent le champ d’études, il ne s’agit pas de recenser les pauvres mais de repérer les facteurs de risques pour mettre en oeuvre une “ prévention ” et non plus simplement une assistance. Les exclus potentiels sont envisagés comme précaires, fragiles, en situation d’insécurité, voire de dépendance et de désaffiliation. La dissolution des liens traditionnels, l’affaiblissement des communautés locales et l’urbanisation caractérisent l’exclusion contemporaine.

 

La pauvreté n’est donc plus seulement absolue (notion ayant inspiré en France l’instauration en 1988 du RMI, revenu destiné à assurer un minimum vital) mais aussi relative ; on ne regarde plus seulement le montant des revenus mais l’irrégularité, l’incertitude de leurs rentrées.

 

 

e.1. Quelle est l’ampleur du fléau ?

 

En 1974,  l’ouvrage de René Lenoir dénonce, dès son titre “ Les exclus, un Français sur dix ” ; Jacques Delors déclare, en 1994, dans un entretien accordé au Monde “ Je m’alarme de l’évolution de notre société dont les deux tiers vivraient plus ou moins bien, mais sans s’occuper de ceux qu’ils laisseraient sur le bord de la route : le troisième tiers au sein duquel se trouveraient les exclus, les marginaux, les sans-espoir ”.

 

Plus qu’un dénombrement cynique, ce qui importe, c’est que cette pauvreté, que l’on qualifie de nouvelle depuis la crise, est un phénomène qui s’intensifie ; que certaines catégories semblent particulièrement à risques et que, si le manque d’argent est une cause première, avoir de l’argent ne suffit pas à lui seul à émerger de l’exclusion.

L’habitat est souvent le début de toutes les ségrégations et le canal par lequel la pauvreté s’infiltre dans les autres domaines : éducation, emploi, santé etc.… Le degré d’exclusion peut aussi se mesurer sur la base du rétrécissement du réseau de sociabilité. Le pauvre est victime de “ désaffiliation ”, c’est-à-dire d’une double exclusion :  d’une exclusion économique et socio-familiale.

 

Sous les coups conjugués de la croissance économique de l’après-guerre et le développement de l’état providence la pauvreté absolue a effectivement régressé ; le quart-monde se résorbe progressivement, en revanche la nouvelle pauvreté se caractérise par un éventail social plus large. La détérioration du marché de l’emploi, sa flexibilité croissante, font que les individus vulnérables risquent de précipiter dans l’exclusion et, fait nouveau, le pauvre n’est plus le déviant, l’inadapté, tels que le voyaient les conceptions déterministes et un peu mécanistes d’autrefois, mais quiconque se trouve en situation de fragilité.

Les facteurs de fragilité sont multiples, les statistiques concernant les RMIstes prouvent toutefois que certaines caractéristiques mettent particulièrement leurs victimes à la merci de l’exclusion. Parmi ce que l’on appelle désormais des facteurs fragilisants, on trouve :

·        la solitude, l’isolement affectif ( 58,7% des rmistes sont des personnes seules sans enfant)

·        la jeunesse (1/3 a moins de 30 ans), en revanche si les personnes âgées ont vu leur situation s’améliorer, la mauvaise situation de l’emploi fait craindre leur retour à relativement moyen terme dans les catégories en difficultés.

·         le manque de qualification (47% ont un niveau scolaire inférieur à la troisième, 21% ont des difficultés d’expression écrite et orale, 11% un niveau bac ou plus.)

·        les accidents de la vie (15% ont un parcours professionnel heurté)

·        l’habitat (44% sont hébergés et 10% sont dotés d’un habitat précaire ou SDF)

 

Un autre facteur largement constaté est l’endettement des familles : on achète désormais tout à crédit, le logement, les vacances. La France compte aujourd’hui plus de 200.000 familles surendettées, ce qui signifie que 60% de leurs revenus sont absorbés par le remboursement des dettes. La loi Neiertz (31/12/89) est une réponse au surendettement des ménages. Elle instaure des commissions d’examen du surendettement des particuliers afin de les épauler dans leurs relations avec leurs créanciers ; les solutions peuvent être des octrois de délais, des rééchelonnements de mensualité ou la réduction des taux d’intérêt.

 

 

Toutefois le facteur de base reste l’exclusion du monde du travail. Informatisation, robotisation permettent des économies de main d’œuvre, peu qualifiée en particulier. Le chômage touchait 2% de la population dans les années 60 et 12% en 1994 (3,5 millions de personnes), autre chiffre grave le chômage de longue durée augmente. La précarisation des emplois, la diffusion des contrats à durée déterminée, à temps partiel, en intérim, font que les heures travaillées ne permettent plus d’accéder aux indemnités.

L’emploi n’est pas cependant, à lui seul, une garantie contre l’exclusion (30% des chefs de ménage s’adressant à l’action sociale ont un emploi). Les ruptures familiales sont un important facteur de paupérisation.

 

 

e.2. Lutter contre la pauvreté.

 

Restaurer la citoyenneté  pour tous mobilise le gouvernement mais aussi les associations caritatives. Ces dernières interviennent dans l’urgence, elles permettent, par exemple, de “ patienter ” devant les lenteurs de la bureaucratie.

 

Le réseau caritatif est très diversifié. D’inspirations religieuse ou laïque, les stratégies de lutte contre la pauvreté ont fait maître de nouveaux organismes, tous ont pour objectif une action d’aide de terrain. Nous citons parmi les plus connus:

 

 

 

1881 Armée du Salut 1939 Cimade, service oecuménique d’entraide
1945 Secours populaire 1946 Secours catholique
1954 l’Abbé Pierre crée les chiffonniers d’Emmaüs 1957 Joseph Wresinki fonde ATD quart monde
1983 Coluche fonde les Restaurants du cœur 1992/93 apparition de la vente des journaux de rue (le réverbère, la Rue, Faim de siècle…)

 

Les organismes d’aide sont en liaison étroite avec les pouvoirs publics. Ils les renseignent et les aident à mieux connaître les besoins, les caractéristiques de leur “ clientèle ” ; ils leur proposent des réformes. Les nombreux dossiers constitués par les associations ont largement servi à élaborer la loi sur le RMI.

 

En 1988, avec la loi sur le RMI, la France se dote d’une politique de lutte contre la pauvreté qui n’était auparavant qu’une partie implicite du système d’aide sociale. Cette mesure a longtemps été discutée et remise à plus tard : les libéraux l’assimilaient à une “ charité légale ”, la gauche la voyait comme un renoncement à lutter contre les causes de la pauvreté mais c’est un gouvernement de gauche qui a fini par l’instaurer.

Il s’agit d’une mesure mixte conjuguant assistance et insertion, ce deuxième aspect fait son originalité. Le bénéficiaire du RMI s’engage en effet à participer aux actions d’insertion qu’il contribue à définir (stage de formation, d’alphabétisation etc.…). Les deux volets (assistance/insertion) sont toutefois indépendants. Si le bilan  de l’assistance est plutôt positif (la Sécurité Sociale n’offrant de véritables garanties qu’aux individus insérés dans la société) celui de l’insertion est plus mitigé. 40% des rmistes en 1989, le sont encore en 1997,  or il s’agissait, dans l’esprit du législateur, d’une allocation temporaire. Le débat sur l’avenir du RMI est intense et en cours, il enrichit la discussion sur les minima sociaux.

 

Fin 97- début 98, les associations de chômeurs font “ irruption ” sur la scène médiatique. Elles organisent des actions telles que l’occupation des antennes Assedic et se proposent comme interlocuteurs actifs et non plus seulement comme “ douloureux patients d’une fatalité ”.

Juillet 98 voit la France se doter d’un projet de loi d’orientation de lutte contre les exclusions. La ministre  de l’emploi et de la solidarité l’a présenté tout d’abord comme l’aboutissement d’un travail formidable fait par les associations (Le Monde 22/05/98).

Celles-ci, au plus fort de leur mouvement, ont obtenu la création d’un Fonds d’urgence sociale (FUS) destiné à apporter une aide financière immédiate aux personnes en détresse. L’étude réalisée par rapport aux demandes d’aide, relance les inquiétudes ; en effet, malgré le retour de la croissance, les dispositions de la loi contre l’exclusion, on y lit une chronicisation massive de la pauvreté. Le FUS a fait émerger, autre inquiétude, une clientèle nouvelle qui traditionnellement ne s’adresse pas aux services sociaux, formée de “ bataillons ” de travailleurs précaires, ayant des revenus souvent inférieurs au seuil de pauvreté (3200f mensuels).

 

L’exclusion reste vécue comme un baromètre de l’état de santé de la communauté démocratique, un indicateur de l’harmonie régnant dans la société, le principe d’égalité étant au fondement de la citoyenneté.

 

 

VIII. LA FAMILLE

 

VIII.a. Présentation

La famille française connaît une évolution que l’on retrouve largement en Italie. Toutefois de ce côté des Alpes, certaines caractéristiques françaises surprennent ; la France semble conjuguer un éclatement de la famille traditionnelle, généralement attribué aux sociétés plus “ nordiques ” et la permanence de certaines résistances “ misogynes ”, banalement interprétées comme des attitudes plus “ méditerranéennes ”.

Les préoccupations actuelles, encore une fois liées à la montée de ce que l’on appelle la nouvelle pauvreté, soulignent que la famille, souvent invoquée comme le refuge ultime face aux difficultés sociales (pauvreté, chômage, solitude, délinquance…) n’est malheureusement pas un rempart suffisant.

Nous renvoyons à la fin du chapitre quelques récapitulatifs afin de ne pas trop charger de chiffres ou de dates le corps du développement.

 

 

VIII.b. Des mots pour la dire 

 

Une première considération concerne les noms donnés aux membres de la famille. On constate tout d’abord que, dans le domaine féminin, un seul mot recouvre différentes fonctions :

le mot femme correspond aux mots italiens donna mais aussi moglie ; le mot fille à l’italien ragazza mais aussi figlia ; de même dans le domaine des grands-parents, il existe les mots grand-père, grand-mère et grands-parents. Le préfixe “ grand ”, ressenti comme introduisant une distance respectueuse, a provoqué l’apparition de formes diminutives visant à “ réchauffer ” l’appellation. Suivant les origines géographiques et sociales, mais aussi selon l’âge et le choix des intéressés, les solutions pour “ appeler ” les grands-parents varient ; on trouvera ainsi pépé-mémé ; pèpère-mèmère ; papi-mami etc… les possibilités sont nombreuses et racontent aussi l’histoire familiale.

L’un des principaux acteurs de la famille est incontestablement la femme. L’évolution de sa condition, l’opposition ou l’accord que les transformations de son statut rencontrent, s’inscrivent eux aussi dans la langue. A ce sujet, nous nous contenterons d’indiquer que la langue française reste très “ masculine ” ; c’est-à-dire que certaines fonctions, bien qu’étant aujourd’hui recouvertes par des femmes, n’ont pas encore de féminin. Durant le mois de juillet 1998, les journaux ont rapporté la polémique suscitée par l’intention du gouvernement Jospin de féminiser un certain nombre de titres de fonctions, on parlerait par exemple désormais de Madame la ministre, de Madame la députée ou de Madame la chancelière de l’université. Au delà de la querelle, portant sur l’institution ayant la responsabilité de tels changements linguistiques, le débat a prouvé qu’il existe, en France, un malaise ; les femmes ne vivent pas exclusivement au sein de leur foyer, elles  demandent donc que le rôle qu’elles jouent dans la société, au sens le plus large, soit “ visible ” au niveau du langage.

 

 

VIII.c. La famille a changé

 

Les Français vivent plus longtemps qu’autrefois, les femmes françaises détenant d’ailleurs le record européen de longévité. Ils se marient de moins en moins et divorcent de plus en plus. De nombreux enfants naissent en dehors des liens du mariage (1 enfant sur 3).

Aujourd’hui le nombre de familles dites “ recomposées ” est en augmentation ; ce sont des familles qui réunissent les enfants communs à un couple mais aussi les enfants que chaque membre du même couple a avec un conjoint dont il est séparé.

 

Les années soixante sont l’époque charnière où les normes familiales se sont profondément transformées. Les sociologues constatent que les différents modèles de famille (monoparentales ou recomposées, couples concubins ou mariés) ont des comportements semblables. Plus qu’ils ne s’opposent, ils semblent constituer des séquences de vie.

La conférence sur la famille organisée en juin 98 par le gouvernement français et les rapports qui l’ont préparée, montrent bien que ce qui inquiète, c’est la capacité de chaque famille, au-delà du modèle auquel elle appartient, de répondre aux défis actuels : culturels, économiques et sociaux.

 

 

La famille pyramidale, au sommet de laquelle un père tout-puissant gouvernait des individus “ mineurs ” : sa femme aussi bien que ses enfants, a cédé la place à une cellule d’individus égaux au bien-être desquels le groupe familial doit contribuer. Cette nouvelle conception “ profane ” correspond à un paradoxe : au moment où le mariage est profondément redéfini en accord avec les valeurs d’égalité et de liberté, on assiste au phénomène nommé le “ démariage ”. Le mariage paraît inutile voire dangereux, le concubinage redéfinit l’engagement comme un pacte purement privé.

L’autre conséquence de cette redéfinition du lien du couple est l’augmentation du divorce et de la séparation. Elle implique un refus croissant des situations malheureuses vécues autrefois comme des fatalités ; une enquête relève que pour 700 divorces difficiles, les violences conjugales sont en cause dans 21% des cas.

Le démariage pose des problèmes nouveaux, surtout parce que le mariage était le socle de l’établissement et de la sécurité de la filiation.

 

 

 

 

 

c.1. La situation de la femme a changé mais l’inégalité entre les sexes persiste

 

  La devise révolutionnaire inspire la République française mais les révolutionnaires ont guillotiné Olympes de Gouges, première féministe, auteur de la déclaration des droits des femmes. En 1804, le Code Napoléon a clos les débats révolutionnaires : la famille n’existait que dans le mariage, l’homme en assurait la magistrature. Il liait indissolublement trois éléments : inégalité des sexes, maternité des femmes, indissolubilité du mariage.

Il faudra plus d’un siècle et demi pour que ces trois éléments cessent de faire un tout.

La transition démographique, les progrès de la médecine et de l’éducation réduisent l’inégalité, la régression de l’inégalité est décisive lorsque les femmes accèdent massivement au travail salarié.

 

 

 

En France, le taux d’activité des femmes a toujours été important : un peu plus d’un tiers des femmes travaillent, mais plus que d’un choix émancipateur, il s’agit d’une obligation économique, en particulier dans le milieu ouvrier ou paysan. L’idéal bougeois de la femme au foyer se démocratise et atteint son apogée dans les années 60. Sous l’effet de l’exode rural et de l’allongement des études, la part des femmes actives baisse et atteint son minimum historique en 1961 (28,2%). Pourtant ces femmes mariées sont moins traditionnelles qu’on le pense ; elles ont fait des études, ont travaillé jusqu’à leur mariage et se préparent à retravailler quand les enfants sont élevés. Le taux de femmes actives remonte lentement malgré la crise (37,9% en 1994).

 

Les taux d’activité particulièrement élevés en France des mères actives signalent un changement de modèle familial. En France, la seule catégorie dont les taux d’activité ont augmenté est celle des femmes de 25 à 49 ans.

 

 

En 1968, 60% des femmes en  couple de 20 à 59 ans étaient au foyer ; en 1980 : 30%. Ces chiffres rapportés aux seules mères ayant des enfants à charge sont encore plus éloquents. En 1994, 65% des femmes de 25 à 49 ans travaillent. C’est le cas de 80% des femmes sans enfants, de 75% des mères d’un enfant, de 70% des mères de deux enfants, de 50% des mères de trois enfants, de 16% des mères de quatre enfants et plus.

 

La généralisation du modèle du couple bi-actif est l’un des traits fondamentaux de la mutation de la famille. Il indique une aspiration des femmes  mais ne peut être dissocié des nécessités économiques.

 

Malgré de meilleures réussites scolaires, le plafond de verre qui interdit aux femmes l’accès aux fonctions les plus prestigieuses se double d’un mur de béton séparant les activités dites féminines et les activités dites masculines. Elles traduisent la difficulté à concilier vie familiale et vie professionnelle. Le travail à temps partiel illustre ces problèmes. Il est spécifiquement féminin (il est occupé à 83% par des femmes). Les femmes sont fragilisées par la double journée, les hommes participent peu aux soins du ménage et au suivi éducatif.

Les domaines d’activité des femmes semblent reproduire la séparation des sexes. Lorsqu’une femme est médecin, elle sera beaucoup plus souvent pédiatre ou gynécologue que chirurgienne ; le domaine de l’enseignement est largement occupé par les femmes, tout au moins jusqu’à l’université ; lorsqu’une femme est ministre c’est encore une fois au domaine de l’éducation ou des soins qu’elle sera nommée… Les spécialistes des sciences de la formation s’interrogent aujourd’hui sur les responsabilités de l’école dans cette nouvelle transmission des rôles traditionnellement attribués en fonction du sexe.

Il existe aussi un risque majeur d’inégalité entre les femmes, on perçoit une dualisation des destins féminins. Les unes bénéficiant d’une carrière intéressante, bien rémunérée, d’une prise en charge de leurs enfants compatible avec leurs horaires de travail, d’un service domestique et de conditions de logement favorable parviennent à concilier féminité, maternité et accomplissement personnel ; les autres subissent la précarisation du travail, le manque de moyens pour la garde des enfants, les heures de transport et la totalité des tâches ménagères, se sentent flouées comme femmes comme mères et comme salariées. Entre ces deux figures, un ensemble de situations montrent que le problème est davantage lié à l’appartenance sociale qu’à l’identité féminine.

 

Le pourcentage des femmes ayant des responsabilités politiques en France est l’un des plus faibles d’Europe. On constate en outre que plus la responsabilité est prestigieuse, moins elle est “ féminine ”. L’établissement d’une véritable participation des femmes au domaine politique est désormais envisagé comme une modernisation nécessaire à la société française. Dans cette direction, le gouvernement Jospin a fait voter, en 1997, une loi limitant le cumul des mandats (per ex. il ne sera plus possible d’être à la fois député européen et député à l’assemblée nationale) mais les effets de ce choix ne seront visibles que dans les années à venir.

 

c.2. Les enfants

 

Aujourd’hui, grâce aux progrès de la médecine, l’enfant est désiré et programmé. On constate que c’est désormais l’enfant qui fait la famille, au-delà des “ contrats ” qui lient ses parents. Dans le paysage de baisse généralisée de la natalité,  la France compte davantage de naissance que l’Italie. La société française souffre, depuis plus d’un siècle, d’une démographie languissante, les gouvernements, de droite ou de gauche, ont régulièrement essayé d’encourager les naissances, les nombreuses aides accordées à la famille appartiennent au chapitre dit des “ prestations familiales ”. A titre d’exemple, ou de curiosité, on signalera qu’en 1997, deux enfants donnent droit à 672 francs d’allocations familiales, trois enfants à 1531 francs etc. L’augmentation importante de ces allocations, lorsque la famille passe de deux à trois enfants, signale la volonté des politiques d’encourager la conception d’un troisième enfant.

 

La baisse de la fécondité ne tient pas à un refus de l’enfant : les femmes sans enfants sont moins nombreuses qu’autrefois. Après une généralisation du modèle de famille  à deux enfants, on constate une nouvelle évolution dans les générations nées après 1950 : une hausse de l’infécondité et de la proportion de femmes ayant un enfant ainsi qu’une hausse de la proportion de femmes ayant trois enfants.

 

Les relations parents-enfants sont profondément transformées pour une part importante de la population et là se concentrent les problèmes.

Entre 86 et 94, donc en moins de dix ans, le pourcentage d’enfants ne vivant pas avec leurs deux parents s’est quasiment multiplié par 6 (17% /3% ). Les études montrent aussi que les adolescents sont les plus largement concernés (25%) et que ces enfants vivent en large majorité avec leur mère (85% vivent avec leur mère, 9% avec leur père, 6% avec aucun des deux).

 

 

 

11% des mineurs vivent avec un parent seul, 5% des enfants mineurs vivent dans une famille recomposée. Les remises en couple complexifient la fratrie : près de la moitié des enfants de parents séparés ont au-moins un demi-frère ou une demi-soeur. 22% résident avec lui ; 10% seulement ont des familles recomposées dans chaque foyer.

 

C’est en 1985 que se généralise l’emploi du qualificatif “ monoparentale ” pour parler des familles composée d’un seul parent, la mère donc dans la plupart des cas.

A leur sujet, les sociologues et les psychologues s’intéressent à la durée de la relation de l’enfant avec le père.

La fréquence des liens au père est d’autant plus grande que l’union a été longue, que l’enfant est jeune, que le temps écoulé depuis la rupture est court et que le milieu social est élevé (indiqué par le niveau de diplôme de la mère). L’arrivée d’un beau-père n’est pas un obstacle ; ce sont les enfants dont la mère est seule et sans relation amoureuse qui voient le moins leur père, en revanche les enfants voient davantage leur père si celui-ci reste seul. On constate une augmentation du droit de l’enfant à conserver deux parents, le progrès est encore limité mais réel.

 

Les transformations manifestent la vitalité du lien familial. La fragilisation  des liens entre les pères et leurs enfants est devenue l’une des questions les plus importantes dont les femmes ne tirent aucune victoire mais souvent la responsabilité d’assurer seule la continuité de l’éducation.

Parce que la transformation est inassumée surgissent les principales difficultés, précarisée la mutation de la famille risque de conduire à des formes plus accentuées de dualisation de la société.

De nombreuses études soulignent à quel point la paternité est fragilisée dans les familles affectées par le chômage, dans les quartiers les plus touchés. Les analystes constatent l’enchaînement de l’effondrement de la croyance au progrès, de la récession économique et de la crise de la masculinité et leur aboutissement à des comportements délinquants contre autrui ou contre soi : toxicomanie ou criminalité sont des expressions masculines de la difficulté d’être. Si à cela s’ajoute la difficulté de l’intégration des jeunes d’origine étrangère, l’engrenage est encore plus pernicieux.

Toutes les études sur le divorce et la séparation soulignent le poids de l’appartenance sociale dans la capacité de maintenir le lien de l’enfant à ses deux parents. Plus on descend dans l’échelle sociale plus les relations père/enfant se distendent et les pensions alimentaires sont d’autant moins payées que leur montant est plus faible.

 

Entre 85 et 95, l’augmentation du nombre de familles monoparentales a été trois fois plus rapide parmi les pauvres que dans l’ensemble des ménages. L’appauvrissement des familles monoparentales grandit et l’on constate chez les hommes SDF (sans domicile fixe) la fréquence de processus de désaffiliation sociale faisant suite à une rupture familiale.

 

VIII.d. Les étapes de la vie adulte

 

Les solidarités intergénérationnelles ont été redécouvertes, elles n’avaient pourtant pas disparu.

Elles ont été bouleversées par l’allongement de la vie, l’exode rural, l’extension du salariat et de la protection sociale.

La famille étendue se resserre : moins de relations avec les cousins ou avec la fratrie du fait de l’éloignement géographique en revanche, les échanges à l’intérieur de la parentèle restreinte sont intenses et engagent souvent quatre générations.

Les frontières entre les âges sont moins nettes. L’entrée dans l’âge adulte signifiait autrefois avoir un emploi, être installé dans un logement indépendant, vivre en couple et fonder une famille. Aujourd’hui ces étapes ne sont pas toujours franchies au même âge, un ensemble de statuts intermédiaires s’intercalent, liées aux emplois temporaires, à la cohabitation. La poursuite des études est un fait majeur qui concerne 46% des filles et 44% des garçons. Le chômage retarde l’accès à l’emploi et les situations de précarité d’emplois se multiplient. L’accès à un habitat autonome, la mise en couple, la naissance du premier enfant sont retardés. Une étape se dessine, caractérisée par un ensemble de précarités; on parle d’un allongement de la jeunesse ou d’un nouvel âge de la vie. En outre, les caractéristiques communes de cet âge cachent d’importantes disparités selon le sexe et l’appartenance sociale :

- les filles quittent plus vite la maison, plus souvent pour se mettre en couple et subissent davantage les difficultés du chômage.

- les étudiants représentent désormais ¼ de la population des 19-29 ans et les 2/3 d’entre eux vivent chez leurs parents. A l’inverse plus des 2/3 des jeunes non étudiants ont un domicile différent de celui de leurs parents.

 

Les retraités bénéficient de revenu généralement plus élevés que les actifs. Les transferts publics à l’égard des retraités sont massifs, les plus de 60 ans touchent globalement chaque année 18% du revenu national soit 4 à 5% de plus que l’ensemble des autres classes d’âge.  Les nouvelles générations expérimentent une détérioration sans précédent de leur niveau de vie, la famille joue un rôle fondamental pour amortir la crise ce qui souligne l’inégalité des aides privées, la fragilité des solidarités familiales.

Les étudiants sont aidés par leur famille alors que les autres jeunes sont plus pauvres et moins aidés. La généralisation de la protection sociale avait libéré des revenus qui avaient été investis sur l’avenir, des jeunes en particulier, les évolutions actuelles, semblant remettre en question cette protection, on assiste à une régression de cet investissement.

 

La bonne entente intergénérationnelle attestée par les sondages aurait remplacé l’ancien conflit des générations. L’augmentation des difficultés psychiques voire du suicide chez les adolescents rend la vision moins idyllique et souligne l’incertitude persistante du nouveau pacte de filiation.

L’angoisse scolaire est lié à un véritable phénomène de société : l’échec scolaire. L’investissement des parents sur la scolarité des enfants est aujourd’hui démultiplié par l’angoisse des lendemains. A ce sujet, le nombre important de publications concernant l’orientation scolaire, les listes et les statistiques relatant les performances des différents établissements scolaires disséminés sur le territoire, cela à des périodes où les familles françaises doivent affronter les choix des écoles ou répondre aux décisions d’orientation des enseignants pour leurs enfants (la fin et le début de l’année scolaire), nous paraît un indicateur très français de l’angoisse que ces choix véhiculent. A l’inverse, l’impossibilité de valoriser un capital scolaire accroît la crise de la transmission entre les générations.

 

 

VIII.e. De nouveaux besoins législatifs

 

Le fossé se creuse entre les nouvelles familles recomposées de la bourgeoisie urbaine et intellectuelle qui semblent triompher de tous les pièges et les familles sans aucun repères décrites par les travailleurs sociaux.

La cohésion sociale exige un effort d’imagination collective. Le pacte civil de solidarité (PACS) tentait de répondre à cette exigence. Elaboré par deux députés de gauche, il prévoit de renforcer les droits des couples vivant en union libre, hétérosexuels ou homosexuels, concerne aussi deux personnes ayant un projet de vie commun, indépendamment de l’existence de relations sexuelles. Ce projet a mobilisé l’opposition de droite qui y voit une atteinte à la famille et une première étape vers le mariage homosexuel. La gauche a sous-estimé cette mobilisation et a subi un échec alors qu’elle est majoritaire. L’échec et ses interprétations divisent la gauche “ plurielle ” et relance les débats à gauche comme à droite.

 

 

 

 

 

 VIII.f. Les chiffres du changement 

 

Baisse du taux de nuptialité   6,2 pour mille en 1980 4,9 pour mille en 1997
Baisse du taux de fécondité 1,9 enfant par femme en 1980 1,7 en 1997
Augmentation des couples non-mariés 4,2 millions de personnes parmi les 29,4 millions en couple en 1994  
Augmentation des naissance naturelles 11,4% en 1980 38,3% en 1996
Augmentation du taux de divortialité 22,5% en 1980 38,3% en 1996
Allongement de l’espérance de vie   En 1996, 74,1 ans pour les hommes

82 ans pour les femmes

 

 

 

 

 

VIII.g. Quelques dates concernant plus particulièrement les femmes 

 

  1837 Apparition du mot féminisme
  1879 Loi Camillle Sée créant des lycées de jeunes filles
  1884 Loi Naquet rétablissant le divorce
  1903 Marie Curie, prix Nobel de Physiques, première femme professeur à la Sorbonne

Capacité juridique de la femme mariée

  1909 Les femmes sont autorisés à porter un pantalon si elles tiennent à la main un guidon de vélo ou les rênes d’un cheval !
  1925 Garçons et filles suivent le même programme scolaire
  1944 Obtention du droit de vote (96 ans après les hommes)
  1947 1ère femme ministre, (mais de 47 à 74 les différents gouvernements n'ont compté aucune femme ministre)
  1949 Parution du “ 2ème sexe ” de Simone de Beauvoir
  1956 Fondation du planning familial
  1965 Le mari ne peut plus s’opposer à l’exercice de l’activité professionnelle de sa femme.
  1967 Loi Neuwirth; légalisation de la contraception
  1970 Partage de l'autorité parentale
  1972 Principe légal de l'égalité de rémunération pour des travaux de valeur égale
  1974 F.Giroud, secrétaire d’état à la condition féminine
  1975 Loi Veil: légalisation de l'IVG (Interruption volontaire de grossesse)
  1980 Marguerite Yourcenar: 1ère femme académicienne
  1981 Création du ministère des droits de la femme
  1982 Remboursement de l'IVG par la sécurité sociale.

Rejet par le conseil constitutionnel d’un projet instituant un quota de 25% de femmes pour les listes de candidatures.

  1983 Loi sur l'égalité professionnelle
  1985 Le nom de la mère ou de l’autre parent peut-être ajouté au nom porté par l’enfant

 

  1986 Circulaire légalisant  l’emploi du féminin pour les noms de métiers et de fonctions : écrivaine, docteure, auteure, professeure…
  1987 Abolition des restrictions de l’exercice du travail de nuit des femmes.
  1993 Principe de l’exercice conjoint de l’autorité parentale à l’égard de tous les enfants quelle que soit la situation des parents.
  1995 Installation de l’observatoire de la parité chargée de recenser les inégalités entre les hommes et les femmes.

 

 

 

VIII.h. La société française et les homosexuels

 

  1960 L’homosexualité est classée parmi les fléaux sociaux avec l’alcoolisme et la prostitution. Elle n’est pas poursuivie.
  1978 Le Sénat vote l’abrogation des lois antihomosexuelles mais  ce projet échoue devant l’Assemblée nationale.
  1982 Dépénalisation totale de l’homosexualité.
  1985 Face à l’épidémie du SIDA les associations se mobilisent, l’attitude de la population vis-à-vis des malades du SIDA et de l’homosexualité en général évolue.
  1989 La cour de Cassation pose comme principe qu’un couple, ce ne peut être qu’un homme et une femme.
  1998 Après un premier échec à l’Assemblée nationale, la discussion du Pacs (pacte cicil de solidarité), celui-ci pouvant être conclu par deux personnes physiques quel que soit leur sexe, est reportée à 99.

 

 

IX. LE SYSTÈME SCOLAIRE

 

IX.a. Présentation

L’école est obligatoire de 6 à 16 ans.

Le parcours se développe en trois degrés.

Premier degré

De deux à six ans.

École maternelle Enseignement pré-élémentaire

Facultatif

De six à onze ans.

École élémentaire CP cours préparatoire

CE 1 cours élémentaire 1èreannée

CE 2 cours élémentaire 2èmeannée

CM 1 cours moyen 1èreannée

CM 2 cours moyen 2èmeannée

 

Second degré

Premier cycle (se terminant par le Brevet des collèges) ; de onze à quatorze ans :

Enseignement secondaire

1er cycle ou Collège

Cycle d’observation avec enseignement commun Sixième

Cinquième

  Cycle d’orientation Quatrième

Troisième

 

A la fin de la troisième se présente le premier grand carrefour de l’orientation.

Le conseil de classe en tenant compte des vœux de la famille propose la poursuite des études ou le redoublement. Si les parents ne sont pas d’accord ils peuvent faire appel devant une commission ou par voie d’examen.

La famille est informée de la décision d’affectation faite en fonction des décisions d’orientation (vers une 2e de lycée ou vers un Lycée Professionnel) et des possibilités d’accueil de la carte scolaire (cette carte conditionne l’inscription d’un élève dans un établissement donné au fait qu'il habite dans son voisinage).

 

 

 

Deuxième cycle : Lycée de 15 à 17 ans :

Enseignement général et Enseignement technologique

Ce cycle prépare au baccalauréat (bac) ou au Brevet de technicien

Les études durent trois ans ; les élèves passent

les classes de :

Seconde

Première

Terminale

Au fur et à mesure qu’ils avancent les lycéens se spécialisent en choisissant des filières par ex :

l = littéraire ; es = économique et social ; s = scientifique 

Après la 2e  formation de techniciens en 2 ans ; ex de filières :

stt = sciences et technologies tertiaires ; sms = sciences médico-sociales …

Enseignement professionnel donné dans les LP (Lycée professionnel) En deux ans = BEP (brevet d’études Professionnelles)

Les meilleurs élèves le désirant peuvent accéder à une première d’adaptation pour préparer en 2 ans un BP (bac Professionnel)

En 2 ans = CAP (certificat d’aptitude professionnelle)

 

Troisième degré

Après le bac, les élèves peuvent choisir entre études courtes ou longues:

Instituts universitaires de technologie (IUT) et Sections de techniciens supérieurs (STS)

Ils permettent d’obtenir, en 2 ans, un BTS ou un DUT (Diplôme universitaire de technologie).

L’université structurée en 3 cycles

Le 1er cycle dure 2 ans et se termine par le DEUG (Diplôme d’études universitaires généralisées). Le 2ème cycle après un an par la Licence et après deux ans par la maîtrise, le 3è cycle  dure d’1 an à 5 ans (1 an=DESS ou DEA, diplôme d’études supérieures spécialisées ou avancées) un doctorat obtenu après soutenance d’une thèse.

 

Parallèlement il existe en France le système des Grandes écoles (4 ou 5 ans, elles jouissent d’une réputation de formation d’élite. Parmi les plus célèbres : l’ENA (école nationale d’administration), HEC (Hautes études commerciales…. On accède aux grandes écoles après deux ans de classes préparatoires et après concours d’admissibilité.

 

IX.b. Un peu d’histoire

 

b.1. De la Renaissance à 1880.

 

Avant la Révolution, l’essor de l’imprimerie et la concurrence entre catholiques et protestants facilitent l’accès au savoir. Les écoles de charité se multiplient et jouent un rôle décisif. Le peuple des villes, et plus encore celui des campagnes, est réticent face à un enseignement dont il voit davantage les coûts que l’utilité pratique. Lorsque les Jésuites sont expulsés en 1762, la reprise de leurs collèges provoque un grand débat pédagogique ; pour le clergé l’enseignement est un devoir de l’Église, pour les esprits éclairés il appartient à l’État. La Révolution pose le principe de la responsabilité de l’État en la matière.  Napoléon le restreint à l’enseignement supérieur et secondaire et laisse de côté l’instruction du peuple et des filles. Il faudra attendre la loi Guizot de 1833 pour que l’école du peuple  soit reconnue d’utilité publique : toute commune de plus de 500 habitants devra désormais entretenir une école publique. Il est prévu que chaque département ouvre une école normale s’occupant de la formation des maîtres. Sous la seconde République les maîtres sont invités à contribuer à fonder la République. Cela éveille en retour une méfiance active à leur égard de la part des conservateurs. En 1850 la loi Falloux vise à renforcer l’enseignement confessionnel. Le Second empire moins soutenu par l’église va essayer de limiter son influence. La loi Duruy développe la gratuité, favorise l’ouverture d’école pour les filles, encourage l’enseignement des adultes et la pratique de la lecture par la création de bibliothèques. La loi Falloux cristallise l’opposition entre une majorité anti-républicaine cléricale et les républicains laïcs. Les prises de position pontificales anti-républicaines font le reste.

 

 

b.2. L’école de la République.

 

  “ Je me suis fait un serment : entre toutes les nécessités du temps présent, entre tous les problèmes, j’en choisirai un auquel je consacrerai tout ce que j’ai d’intelligence, tout ce que j’ai d’âme, de cœur, de puissance physique et morale, c’est le problème de l’éducation du peuple. Avec l’inégalité d’éducation, je vous défie d’avoir jamais l’égalité des droits, non l’égalité théorique mais l’égalité réelle. ”  Jules Ferry, député de Paris, avril 1870.

 

La Troisième République ne conçoit pas la citoyenneté nouvelle sans une refonte du système éducatif. La souveraineté populaire passe par le développement de l’instruction. Ses trois caractéristiques : gratuite, obligatoire et laïque vont se construire plus ou moins difficilement. La gratuité sera rapidement acquise. L’obligation et la laïcité vont provoquer des débats. Pour les Républicains, obligation et laïcité sont indissociables. En classe, la prière et le catéchisme seront remplacées par la morale et l’instruction civique. Les cléricaux réagissent contre l’école “ sans Dieu ”. Dans l’esprit des Républicains, former un Républicain signifie former un esprit critique qui ne doit ni foi ni obéissance à personne. L’école du libre examen relègue les croyances dans la sphère privée. La formation des maîtres devient un enjeu capital, la République accélère la construction d’Écoles normales pour les garçons et pour les filles ; normaliens et normaliennes sont souvent des enfants d’origine modeste, rurale ; ils mènent une existence qui a fait comparer leurs écoles à des “ séminaires laïques ”. Leurs élèves, les futurs instituteurs et institutrices, pénétrés d’un esprit de corps dont la mission était l’éducation des futurs citoyens, ont été baptisés “ les hussards de la République ”. Petit à petit, le personnel va être laïcisé ; la séparation de l’église et de l’État, en 1905, provoquera une recrudescence des hostilités, cela jusqu’en 1914. L’école est obligatoire de 6 à 13 ans ; la très grande majorité des élèves s’arrêtera là. Un examen sélectif sanctionne la fin de ce parcours lourdement chargé d’apprentissages. Le “ Certif’ ”  (Certificat d’études primaires) est prestigieux, non seulement sur le marché de l’emploi. L’école pour tous renforce l’unité nationale en particulier linguistique et divulgue autoritairement une morale laïque.

La poursuite des études, l’accès au cycle secondaire reste réservé à une élite. La réussite d’une poignée de boursiers (1 sur 200) ne suffit pas à démocratiser l’ensemble. Le privilège accordé à une culture classique, répandue dans les classes aisées, est un frein supplémentaire. La connaissance du latin, puis de l’orthographe, est un bastion de la bourgeoisie.

 

1880 marque une date pour la scolarisation des filles dans le secondaire. Camille Sée favorise en effet la création des lycées de jeunes filles mais celui-ci dure cinq ans au lieu de sept et ne permet pas d’accéder à l’université. Les derniers obstacles à la parité avec les établissements masculins seront levés en 1924/25.

 

Avec la création des bourses de licence puis d’agrégation, l’étudiant moderne apparaît. Les diplômes se spécialisent. Malgré un effort  pour contrebalancer l’influence de la capitale, Paris attire encore vers 1900, près de 45% des étudiants français.

 

En 1936, la scolarité obligatoire est prolongée à 14 ans. A l’école communale, l’ambition encyclopédique se transforme en un carcan peu propice à l’innovation. Les écoles techniques  instituent un CAP en 1911, mais la formation stagne. La guerre et la pénurie d’ouvriers qualifiés débloquent la situation ; on crée des Centres d’apprentissage.

Le secondaire se décloisonne ; filles et garçons suivront désormais le même cursus et surtout le ministre Herriot y introduit la gratuité à partir de 1928.

 

b.3. L’école sous la Cinquième République 

 

Avec le Front populaire commence la refonte du système secondaire mais c’est la Cinquième République qui accélère la réforme. On instaure une école moyenne à laquelle tous les élèves accèdent après le primaire. En 1959 la scolarité obligatoire est portée à 16 ans. En 1963 sont créés les Collèges d’enseignement secondaire. Parallèlement se met en place la carte scolaire destinée à diriger les élèves vers l’établissement le plus proche de leur domicile. En 1975, la loi Haby parfait la structure du CES.  Avec le collège pour tous l’école primaire s’ouvre aux réformes et la mixité se généralise. L’école maternelle est plébiscitée et accueille 100% des enfants de trois ans. Les méthodes innovantes comme celle de M.Montessori y sont largement entrées, elle conjugue donc éveil de l’enfant et solution des problèmes de garde !

 

 

IX.c. La querelle scolaire 

 

La querelle scolaire opposant les tenants de l’école privée, dite “ libre ”, et de l’école publique ne s’est guère assoupie. La Quatrième République a rompu avec la tradition républicaine à travers la gestion des bourses. Cette gestion satisfait les organisations privées et indigne les Laïcs. L’installation de la Cinquième République dont la majorité est favorable à l’enseignement privé, relance le débat. La loi Debré entend mettre un terme à la querelle en continuant de financer l’école privée. Elle choisit d’instaurer des contrats avec les écoles privées ; ces dernières recevront les deniers publics si elles acceptent un contrôle de l’état sur leur fonctionnement, leurs programmes et leurs enseignants. La loi indigne les laïcs sans satisfaire les catholiques les moins accommodants qui y voient une ingérence dangereuse et la perte de “ leur caractère propre ”. Le concile Vatican II contribuera davantage à apaiser les esprits. Dans les années 70, on crée de fait un double service public où tous les établissements scolaires sont pris en charge par l’état.

Toutefois, en fonction des majorités, de gauche ou de droite, le débat rebondit.  Savary ministre socialiste, prépare une nouvelle refonte du système de l’éducation nationale. Il prend acte des transformations de la clientèle de l’école privée. Celle-ci est en effet  de moins en moins choisie pour son aspect confessionnel mais de plus en plus en tant qu’ école “ alternative ” . D’un côté elle paraît plus souple, plus ouverte aux élèves en difficultés scolaires, un moyen de contourner les orientations imposées ; de l’autre côté, elle redevient l’outil d’une sélection sociale et même indirectement ethnique, un moyen de contourner la carte scolaire. Les efforts de Savary soulèvent la méfiance des tenants de l’école “ libre ” qui se mobilisent en masse et le contraignent à retirer son projet (1984). Suit une période “ d’armistice ” ; cela jusqu’en 1994, date à laquelle le gouvernement de droite annonce une réforme de la loi Falloux, c’est au tour des oppositions laïques de se mobiliser avec la même ampleur pour protester contre la loi qui sera finalement cassée par le conseil constitutionnel. Chaque camp garde ses valeurs et reste vigilant.

 

 

IX.d. L’explosion scolaire 

 

La généralisation de l’enseignement secondaire a dépassé les prévisions ; l’état doit répondre à cette explosion. Entre 1965 et 1975, on construira un collège nouveau par jour ouvrable ! La vague continue dans les lycées surtout après qu’un ministre (J.P.Chevènement en 1985) a exprimé le vœu de conduire 80% d’une classe d’âge au bac. En 1992, le taux était de 60%. Les constructions de lycées se multiplient. Le bac ouvre l’accès à l’université qui à son tour se généralise.

 

1938 = 75.000 étudiants ; 1968 = 670.000 ; 1992 = 1,5 million ; 1995 = 2,2 millions

 

Cette augmentation est malheureusement suspectée d’être davantage une question de nombre qu’un véritable indice de démocratisation, le rôle des écoles supérieures attirant l’ “ élite ” intellectuelle (ou sociale encore une fois) est fortement mis en cause, à tel point que l’on entend régulièrement invoquer l’abolition de l’ENA (École Nationale d’Administration) formant, depuis sa création en 1945, une part importante de l’élite politique française.

 

 

IX.e. La crise de l’école 

 

Pendant longtemps, l’école fut considérée comme un instrument fondamental pour rétablir l’égalité des citoyens, pour recruter les élites sur une base élargie en fonction des mérites individuels. Mais dès la fin des années 60,  cette grande ambition apparaît insuffisamment atteinte. L’école,  croyant distinguer le mérite scolaire, accorde une prime décisive aux héritiers de la culture dominante : humaniste autrefois, scientifique aujourd’hui. La carte scolaire augmente les pesanteurs sociologiques.

La lutte  contre les inégalités investit désormais la pédagogie, la vitalité des sciences de l’éducation témoignent de l’importance de l’enjeu que l’école contenue de représenter dans la société. La défense de l’école passe bien sûr par la formation et la recherche pédagogique. Depuis 1991, ce sont désormais des IUFM (Instituts Universitaires de formation des maîtres) qui forment les instituteurs et assurent le renouvellement du système éducatif.

 

L’école de Jules ferry se trouve aujourd’hui mythifiée comme l’âge d’or de l’école et des valeurs de la République. Aujourd’hui surtout où l’école est devenue la cage de résonance et le révélateur des souffrances sociales, des difficultés de la société, elle dit son incapacité à  les guérir, en tout cas à elle seule.

 

Parmi les symptômes majeurs de ce mal-être scolaire,  nous pouvons citer :

·        l’explosion de colères récurrentes qui mobilisent régulièrement les élèves et le corps enseignant,

·        le débat sur la violence à l’école,

·        en 1994, 11% des jeunes ont quitté l’école sans aucune qualification,

·        les résultats des enquêtes sur l’illettrisme (6 à 8% des jeunes adultes de 18 à 25 ans ne peuvent lire que des phrases simples de 3 mots),

·        l’augmentation du chômage des jeunes : les non-diplômés ont vu passé leur nombre de 8% en 1975 à 30% en 1994 et les détenteurs d’un diplôme ont vu leur taux de chômage passé à 12% en 94,  la période d’accès à l’emploi continuant, pour eux, de s’allonger.

 

Les questions transversales soulevées par ce malaise sont aussi des enjeux électoraux. Lors de la campagne pour les élections législatives du printemps 97, le programme du Parti socialiste souligne que son objectif est “ d’abord de conforter l’école de la République, creuset de l’intégration, garantie de l’égalité des chances ”, cette déclaration s’inscrit dans une continuité des valeurs et des rôles attribués à l’institution scolaire.

Atteindre un tel objectif, largement partagé (tout au moins au niveau des déclarations) par les forces démocratiques, est ardu. L’institution scolaire est si vaste, si articulée, si chargée de traditions, de bureaucratie qu’on la compare communément à un mammouth ; quant aux jeunes en difficulté, on les dit “ en galère ”.

Dès 1981,  l’état s’est orienté vers une “ discrimination positive ” en instituant des ZEP (Zone d’Éducation Prioritaire) correspondant aux zones en difficulté (concentrées au Nord et à l’Est). Actuellement cette politique est confirmée et permet de mettre en oeuvre des actions spécifiques prenant en compte le contexte social, les problèmes se trouvant en amont de ce que l'on appelle l’ “ échec scolaire ”. L’un des objectifs majeurs est la lutte contre la ghettoïsation. Pour éviter la fuite des bons élèves vers des établissements réputés, fuite que la carte scolaire ne suffit pas (ou mal) à enrayer, les projets sont de constituer, à l’intérieur des ZEP, des pôles d’excellence capables de jouer un rôle d’entraînement positif sur leur environnement  et donc de maintenir la diversification sociale.

 

 

 

Parmi les projets, on trouve la nécessité de libérer les initiatives, le renforcement de l’enseignement professionnel et le soutien à l’apprentissage mais aussi une augmentation des bourses aux élèves-professeurs et la valorisation de ceux qui choisissent les classes “ difficiles ”. Pour les jeunes en galère, on voit naître les “ classes de la deuxième chance ” ou “ classes du temps choisi ” . Pour tous, on assiste à une revalorisation de l’instruction civique.

De plus, l’école se décloisonne et profite de l’engagement général en faveur de l’intégration, de la lutte contre le chômage ou contre la délinquance. Dernièrement, l’institution des emplois-jeunes a “ offert ” aux écoles 33.000 nouvelles recrues chargées de revitaliser des structures peu utilisées faute de personnel, ces jeunes jouent également un rôle intermédiaire entre le monde des adolescents et celui des adultes, deviennent des confidents et des conseillers précieux et cela pas seulement pour les problèmes étroitement scolaires. Dans le domaine de la violence, la figure de l’intermédiaire, ou mieux du médiateur de conflits, montre, elle aussi, son importance.

 

Écoles en difficulté, cette expression évoque les quartiers explosifs des banlieues  pourtant d’autres écoles se battent pour affirmer leur rôle et leur droit à exister ; il s’agit des établissements isolés dans des zones en voie de désertification.

 

Dans les divers cas, le partenariat des institutions semble un chemin pratiqué et efficace. Enfin le décloisonnement passe aussi à travers une meilleure relation entre l’école et les familles. Les familles en difficulté sont loin d’être les moins convaincues de l’importance de l’école mais là encore un médiateur est souvent précieux, ce médiateur peut d’ailleurs être simplement une personne capable de “ traduire ” la communication ; il existe en effet des zones où sur 30.000 habitants on compte plus de 30 nationalités !

 

 

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