Dispensa ?
Pour traduire litalien
dispensa on doit choisir en français
lune des fonctions que ce mot recouvre, car ce mot italien
signifie, selon le contexte, une distribution (deau
par exemple), une pièce où lon emmagasine de la
nourriture, un meuble ayant le même usage, un
fascicule contenant une partie dune oeuvre ou les
informations dun cours ou bien enfin un acte dune
administration dispensant de respecter une prescription ou
une formalité. Et bien ce fascicule se propose de fournir
ce que la traduction française de litalien dispensa
nautorise malheureusement plus à percevoir. Cest-à-dire
quil devrait permettre au lecteur de ne pas recourir à dautres
publications pour disposer dune réserve
dinformations ; réserve qui, dans notre cas, devrait
laider à mieux connaître la société française.
Connaître la
société française ?
Il est banal de
voir qualifier les hommes et les femmes, vivant dun côté
ou de lautre des Alpes, de cousins et à lheure de lEurope
et de la mondialisation, il est utile de souligner les
ressemblances et suspect de montrer les différences. Pourtant à
lépoque des grands brassages et de labolition des
frontières, nier les différences est un appauvrissement, mieux
vaut-il les connaître, peut-être même se les expliquer, afin
de se respecter et de senrichir mutuellement. Dans ce cadre
interculturel, lapprentissage des langues étrangères
joue un rôle irremplaçable. Cest ainsi que nous voulons
apporter quelques clés pour mieux comprendre nos voisins
hexagonaux : les Français, pour les lire et les écouter en
sachant aller plus loin que ce quune traduction
superficielle ne permet pas de comprendre et même parfois rend
confus sinon inintelligible.
On dit que connaître
une langue, ce nest pas seulement posséder sa grammaire
mais aussi la civilisation du pays qui la parle. Létude de
la civilisation, ensemble des phénomènes sociaux, concerne tout
particulièrement des étudiants en sciences politiques et permet,
dans notre cas, de conjuguer les aspects culturel, interculturel
et lenrichissement linguistique.
Notre terrain de
découverte est la société française depuis 1945, le but, mis
à part lenrichissement que toute découverte apporte, est
de tenter doffrir un décodeur
condensant un réseau dinformations nécessaires à une
compréhension un peu approfondie de ce quon lit ou voit de
la France, une tentative dexpliquer la France et les Français,
dapprendre à entrevoir tout lénorme bagage culturel
que certains mots transportent.
Nous avons choisi dessayer de tisser une trame sur laquelle accrocher une information de base. Notre parcours sorganise en trois étapes. Dans la première, nous évoquons quelques mots fréquents, illustrant bien à nos yeux tout ce que le choix dun simple mot implique culturellement ; nous essayons ensuite rapidement de voir un aspect de la perception largement répandue du Français et évoquons des commémorations significatives des débats français récents.
Une deuxième
partie peut être intitulée platement géographie et histoire.
Il sagit de connaître la répartition des habitants sur le
territoire et de reparcourir les grandes étapes de lhistoire
récente. Largument est vaste aussi avons-nous choisi, après
avoir évoqué le débat contemporain suscité par le mot République,
de ne parler que de certains moments de crise où lon voit
saffronter des conceptions divergentes sur la direction à
prendre, les valeurs à soutenir.
Une troisième
partie est thématique et offre différents éclairages de la
France daujourdhui à travers des thèmes porteurs
tels que: limmigration, lexclusion, la famille et lécole.
A la source de ces étapes, se trouvent différentes
lectures. Pour ce qui est des journaux on admettra sans
peine que le journal le plus fréquemment cité est le quotidien Le
Monde. Tout lire est une entreprise impossible et le choix du
Monde ne nous paraît pas sujet à controverses, il sagit
en effet dun quotidien à propos duquel B.Rémond dans Le
dictionnaire historique de la vie politique française au
XXe siècle établi sous la
direction de Jean-François Sirinelli écrit que les
raisons de son succès depuis sa création, le 19 décembre 1944,
sont à rechercher dans son intégrité, qui en fait, entre
autres, un journal fort estimé en France et lu dans le monde
entier.
A
propos de quelques mots
Aux détours dune phrase, il nest pas rare de se heurter à des mots que la consultation dun bon dictionnaire bilingue ne suffit pas à éclaircir ou que cette consultation expose même au risque d interprétations erronées. Le recours au dictionnaire monolingue montre alors toute son importance. Mais il est des mots pour lesquels ni lun ni lautre ne pourront nous aider ou, de toutes façons, épuiser toutes les sources auxquelles un locuteur salimente lorsquil choisit de les utiliser.
Or sil est bien évident quil serait vain de vouloir expliquer ou raconter le magma qui nourrit lexpérience dun individu grandissant dans un pays donné, la France pour ce qui nous concerne, nous voulons indiquer quelques domaines, signaler quelques pistes où les mots dun Français recoupent une expérience sociale (historique, géographique, littéraire) prégnante, pour savoir les décoder et donc aller au-delà des traductions.
Nous choisissons
de citer quelques exemples illustrant notre propos.
Il existe des
mots, dans le domaine alimentaire par exemple, pour lesquels lécho
culturel est facilement détectable. Le pain en priorité, avant
que ne se banalisent nos habitudes alimentaires, correspondait
sans doute davantage à la pasta de lalimentation
italienne. Au début du siècle chaque Français en consommait près
dun kilo par jour ! On utilise encore lexpression
long comme un jour sans pain .
En continuant
notre enquête nous rencontrons des mots pour lesquels une
consultation attentive, croisée des différents
dictionnaires, permet déviter des erreurs dinterprétation.
On trouve
par exemple dans un dictionnaire bilingue, français
italien, les équivalences suivantes : province = provincia,
jacobin = giacobino, campagne = campagna mais la
consultations des dictionnaires monolingues respectifs amènent
des précisions révélatrices, ainsi on aura :
mot |
Français Cf. Le
Nouveau Petit Robert |
Italien Cf. Il nuovo
Zingarelli |
Jacobin
/ Giacobino |
Membre
dune société politique révolutionnaire établie
à Paris dans un ancien couvent de Jacobins. Républicain
intransigeant partisan dun Etat centralisé. |
Appartenente
al Club politico dei Giacobini che ebbe vita a Parigi
Persona
radicale in politica |
Province
/ Provincia |
En
France lensemble du pays (notamment les villes, les
bourgs) à l'exclusion de la capitale |
Ente
autarchico territoriale di amministrazione statale
indiretta. Per estensione, paese, piccolo centro rispetto
al capoluogo e alle grandi città. |
Campagne/
Campagna |
Paysage
rural où les champs ne sont pas clôturés, où il y a
peu darbres, où les habitations sont groupées. |
Ampia
distesa di territorio aperto e pianeggiante, coltivato o
coltivabile |
Notre
consultation nous permet une autre constatation à notre avis révélatrice :
un même mot en italien peut correspondre à plusieurs entrées
en français, cela nous paraît être le fruit dune expérience
historique et donc féconde denseignements.
Citons les deux
traductions du mot cittadino : citadin renvoyant à
la ville et à ses habitants; citoyen à la personne ayant la
nationalité dun pays qui vit en république.
Ou même encore uguale :
égal pour les personnes signifiant qui a les mêmes droits
tandis que semblable, pareil, évoquent les mêmes caractéristiques.
Mais en dautres
cas la lecture des dictionnaires néclaircira quen
partie sinon en rien de fréquentes expressions.
Prenons en
exemple cette phrase, tirée dun article de Philippe
Bernard intitulé La République et ses immigrés publié
dans Le Monde du 28 juin 97
limmigré devrait passer du statut peu enviable de
punching ball du débat politique à celui de figure emblématique
du renouveau républicain
, nous
constatons que la simple traduction rinnovamento
repubblicano reste énigmatique et même ambiguÁ et
que pour ne pas se méprendre sur les raisons qui ont poussé lauteur
à choisir cet adjectif, il importe de savoir ce que la
construction de la République a signifié en France, les traces
quelle a laissées dans la culture et limaginaire
collectif et donc de quoi se nourrit ce mot dans la langue française.
Dautres,
malaisés à localiser, se nourrissent du bagage scolaire que
tout citoyen apprend et fixe dans sa mémoire tout au long de son
enfance. LItalien moyen ne saurait ignorer que la selva
oscura nest pas une simple forêt obscure ni que la
Perpetua nest une simple servante de curé, de même la
Cigale réveille-t-elle chez les Français non lidée dun
simple insecte mais immédiatement ce personnage
du fabuliste La Fontaine qui, insouciant de lavenir, se
trouva fort dépourvu lorsque la bise fut venue !
Parmi toutes les
références littéraires propres au bagage des citoyens français,
nous choisissons dévoquer un seul exemple qui, récemment
(et nous nous garderons bien den chercher lexplication !)
apparaît fréquemment sous la plume de différents analystes
lorsquils rendent compte des questions contemporaines :
la peau de chagrin !
Ainsi Henri Tincq
dans un article intitulé La divine surprise de lédit
de Nantes publié dans Le Monde des
15/16 février 98 écrit-il :
Dès lédit
de Grâce dAlès (1629) les protestants perdent leurs
privilèges militaires, politiques et quand Louis XI arrive au
pouvoir en 1661, lédit est déjà réduit comme une peau
de chagrin
.
Ou bien encore
Pierre Nora à la page 4690 de son monumental Lieux de Mémoire
dans son déroulement le Bicentenaire a eu
toutes les malchances
lhostilité du maire de Paris
devenu premier ministre
a obligé au renoncement à lexposition
universelle et à un programme en peau de chagrin
La traduction
italienne est La pelle di Zigrino mais si chagrin
renvoie à un cuir utilisé fréquemment par les relieurs, cest
aussi un état daffliction, le caractère dune humeur
triste, morose, le contraire de la gaîté et de la satisfaction.
La peau de chagrin cest aussi et principalement le
titre dun court roman dHonoré de Balzac publié
en 1831 occupant une place à part dans les Etudes
philosophiques.
Résumons-le
rapidement :
|
Le
jeune marquis Raphaël de Valentin, pauvre orphelin,
vit hanté par la réalisation dune grande oeuvre,
une théorie de la volonté. Découragé, il est prêt à
se suicider quand il rencontre un homme étrange mi-antiquaire,
mi-sorcier. Celui-ci lui offre une peau de chagrin qui a
le pouvoir de satisfaire tous les désirs de celui qui la
possède. Seulement à la suite de chaque réalisation
la surface de la peau diminue et abrège dautant la
vie de son propriétaire dont elle est le symbole. Raphaël
meurt un an plus tard, immensément riche, après une
suite daventures tumultueuses. |
Ce conte mi-philosophique, mi-fantastique fait partie des oeuvres les plus connues de Balzac. Il nourrit aussi sûrement limaginaire français que Don Quichotte et ses moulins nourrissent limaginaire mondial, occidental tout au moins.
Donc dans ce fascicule, en suivant le fil de lhistoire récente et en ricochant entre les thèmes porteurs de lactualité française, nous proposons de pénétrer cet imaginaire car savoir une langue, cest bien avoir conscience que les mots sont des véhicules denses de significations.
II.
LES FRANÇAIS
A ce sujet, nous désirons parler de
quelques traits caricaturaux , la mauvaise
humeur des Français et ce que lon trouve fréquemment cité
comme lexception française
Dans le journal La Repubblica
du mardi 30/09/97, Bernardo Valli commentait une enquête
intitulée Verso lEuropa / Il caso francese, de la
façon suivante :
(Jospin) Fa in sostanza quel
che faceva il predecessore, limpopolare Alain Juppé :
eppure lui, Lionel Jospin, è popolare
.in quattro mesi
il malumore nazionale si è placato. Non che Jospin sia
riuscito a far sorridere i francesi. Cè mai riuscito
qualcuno ?
.
Une formule
devenue banale définit les Français comme des
Italiens de mauvaise humeur ! ; de nombreux
termes qualifient leur attitude : ils sont moroses, mélancoliques,
grincheux, frileux, nostalgiques. Ils semblent, enfin, pleurer
leur grandeur perdue et si souvent
reprochée à létranger, en Italie sûrement !
Les Français
seraient donc les représentants renfrognés, dhumeur
taciturne et revendicative, dun peuple contraint de se
replier sur son pré hexagonal.
Le dessin
publié par lhebdomadaire Marianne
de la première semaine de juillet 97, tout en évoquant
un épisode précis : le refus du président Chirac
et du chancelier Kohl de porter la tenue de cow-boy prévue
par les hôtes du sommet de Denver pour la soirée
western, illustre efficacement le refus de la France de
baisser la tête devant la puissance des États-Unis et
de leur langue. |
|
Les Français francisent les sigles, on
ne dit pas NATO mais OTAN, AIDS mais SIDA, revendiquent une
langue capable de dire la modernité en français, ainsi un computer
est un ordinateur, un walk-man un baladeur ; lors des
accords internationaux du GATT et de lAMI les réactions
furent nombreuses et dissonantes par rapport aux autres pays
européens.
A propos de lédit de Nantes, Jean
Delumeau professeur au Collège de France, parle dexception
française. Lexception consiste à rompre la règle qui
veut que la religion du roi soit celle de ses sujets, comme cest
le cas dans le reste de lEurope où le catholicisme détat
règne en Espagne, au Portugal ou en Italie comme langlicanisme
détat a été imposé en Angleterre. Lexception française
consisterait alors également, aujourdhui, à refuser de saligner
derrière les États-Unis, monarque actuel de notre planète !
Lorsque lhistorien
François Furet parle de ce quil appelle lénigme
française, il cite ceux qui sont à son avis les trois grands
problèmes qui déterminent lavenir de la France : la
construction européenne, le chômage, limmigration. Il
constate quen France plus quailleurs les acteurs
politiques continuent à fonder leur identité sur leur histoire,
lidée républicaine servant à rafistoler les idéologies
politiques nationales en perdition. Furet fustige cette évocation
rituelle des origines de la République bourgeoise de 1880 car
tout a trop changé parmi ses points forts : la France nest
plus rurale, lécole de Jules Ferry est entrée dans sa
crise terminale, le patriotisme français est orphelin de lieux
de conquête, la gauche na plus dadversaire cléricale
à vaincre. Face à la fascination quexerce le passé,
Furet craint que la passion que les Français mettent à le célébrer,
leur évite surtout den faire linventaire. Lhistorien
estime que la force de L. Jospin tient au mélange dun
style neuf et dun fond archaïque : la nouveauté résidant
aussi dans la composition du gouvernement largement ouvert aux
femmes, larchaïsme dans la permanence des corporatismes
dont il doit tenir compte, les acquis étant menacés non
seulement par léconomie mais aussi par la démographie.
Les Français enfermés dans une ignorance narcissique de léconomie
sont, dit-il, la proie facile des démagogues et le rôle à
chaque élection joué par le parti dextrême droite (le
Front National) qui, dadversaire radical devient un allié
objectif, pollue les échéances électorales. La France, un pays
autiste, obsédé par sa particularité, est devenu une énigme
pour le monde à force den ignorer les lois (doù
le titre de larticle), voilà lornière dont elle
doit se tirer si elle veut enrayer le déclin.
Léditorial
du Monde du même jour, constatant la popularité rencontrée
chez les Français par les journées du Patrimoine, analyse lui
aussi cette passion des Français pour leur passé. A refuser le
monde et la modernité, la France risque de nêtre plus quun
musée. Mais si cette nostalgie révèle un état dépressif,
laissant craindre la momification dun pays, léditorial
préfère miser sur une interprétation plus positive. Les Français
sapproprient leur passé pour construire lavenir.
Lors des journées du Patrimoine, ils se sont précipités en
masse vers lÉlysée ou Matignon, lieux du pouvoir
habituellement fermés au public. LÉditorial y voit un
attachement dynamique à la démocratie. Ils étaient aussi
nombreux à fouler les lieux liés au patrimoine industriel et
surtout, parmi les visiteurs, beaucoup détrangers étaient
présents. Ceci est un signal douverture au monde et à la
modernité alors, conclut-il, le passé devient bien ainsi un
moteur de développement.
Pierre Georges
raconte la liesse qui a accompagné la victoire de léquipe
de football aux derniers championnats du monde dans Le Monde du
14 juillet (date elle aussi emblématique puisque le 14 juillet,
date anniversaire de la prise de la Bastille en 1789, est jour de
fête nationale en France). Il salue avec un enthousiasme
attendri cette équipe qui a su provoquer une telle adhésion
nationale, réveiller tout un pays, donner autant de joie et de
spectacle à autant de gens.
Cette fête
serait un grand coup donné à la morosité et au doute ambiant !
On verra
III.
LES COMMÉMORATIONS
III.a. Présentation
Commémorer ce nest pas seulement
se souvenir, cest faire mémoire ensemble, se rassembler
dans la mémoire commune dun événement que lon
croit fondateur. Et donc lui donner un sens pour aujourdhui.
Nous empruntons ce rappel étymologique à lhistorien
Thierry Wanegffelen. Les commémorations successives que les Français
célèbrent sont significatives de leur façon dêtre, de
se proposer et de se vivre.
Les événements, les personnages tour à
tour célébrés échappent, ne serait-ce que par le choix dont
ils font lobjet, au déterminisme du calendrier. Il nest
ni anodin, ni obligatoire que, de concert, institutions,
associations, médias
multiplient analyses, rappels,
approfondissements, publications ayant trait à certains événements,
la commémoration dun événement devenant plus importante
que lévénement lui-même. Lhistorien commémorateur
du bicentenaire de la Révolution française affirma en effet
On ne peut douter que la façon dont sest préparé
et déroulé le Bicentenaire informera précieusement à lavenir,
au-delà de lui-même, sur létat de la société, de la
politique et de la culture française à la fin du XXe
siècle.
Les usages que la société fait de la mémoire
sont multiples mais ils consistent certainement, tout en ouvrant
une confrontation, à réactiver les valeurs quelle lie, au
moment de sa célébration, à lévénement choisi.
Comme point dobservation nous avons
choisi 3 commémorations :
·
le baptême de Clovis ·
la publication de lÉdit de Nantes ·
le Jaccuse dEmile Zola |
|
Pourquoi ces trois-là ?
Une première
justification peut-être leur proximité temporelle, toutes trois,
elles ont habité ces deux dernières années 1997 et 1998 ;
une autre sera sans doute les valeurs fondatrices que la société
française y attache et les débats quelles ont occasionnés ;
les unes et les autres nous semblent éclairer et nourrir de façon
transversale le matériel
présenté ailleurs.
Ainsi verrons-nous
apparaître, au long de ces pages, des faits liés à lhistoire
et à la chronique récente tels que la querelle scolaire, laffaire
du foulard, le fait que la deuxième religion de France soit désormais
la religion musulmane, la montée dun parti raciste et xénophobe
comme le Front National, les lois successives sur limmigration
etc
Essayer de les comprendre cest aussi savoir
quils sinscrivent dans un réseau de thèmes.
Un outil préalable à
la compréhension de ces thèmes est sans doute la connaissance
de ce qui a nourri la naissance et la consolidation de la France,
à travers quels traumatismes elle est passée et comment elle a
tenté de les affronter. La coexistence des individus et de leurs
convictions dans un même état a nécessité des ajustements,
des solutions, provoqué des fractures et des réconciliations.
Les commémorations représentent alors un outil pratique et
confortable, elles permettent de rappeler les faits du passé et
dévoquer les échos contemporains quils suscitent.
III.b.
1996, Lannée Clovis
Cette
commémoration, qualifiée souvent de très politique, a
reproposé la fracture des deux France ; caricaturalement la
France progressiste et laïque opposée à la France
traditionaliste et catholique.
Le
12 mars 1996 est créé par décret le Comité pour
la commémoration des origines : de la Gaule à la France .
Il est chargé de parrainer et de coordonner les manifestations
culturelles dont le point dorgue sera la venue du pape à
Reims le 22 septembre.
Le
paradoxe apparent de cette commémoration consiste bien dans le
fait que la France en a plus appris sur elle-même que sur le
personnage.
b.1. Qui est Clovis ? |
466
Naissance de Clovis 476 Fin de lEmpire romain dOccident 481 Clovis
succède à son père comme roi des Francs Saliens 492 Second
mariage avec Clotilde princesse burgonde et catholique. 496 Victoire
sur les Alamans 499 Lévêque
de Reims baptise Clovis 507 Clovis
fait reconnaître son autorité par tous les Francs 508 Paris
devient capitale du royaume 511 mort de
Clovis 573-594 Grégoire
de Tours rédige Dix livres dhistoire
ou histoire des Francs |
Dans
la vie scolaire ce roi que lon choisit de célébrer en
grande pompe représente traditionnellement ¼ dheure !
Toutefois lhistoire des manuels scolaires confirme que ce ¼
h na pas toujours laissé indifférents. Jusquà la
première guerre mondiale deux personnages emblématiques représentaient
la France coupée en deux : Clovis et Vercingétorix, le
premier, longtemps présenté en ouverture des manuels scolaires,
illustrait la conception qui veut que la France nait
commencé à exister que quand elle sest, à travers son
roi, convertie au catholicisme ; le second était le
champion de la conception laïque et républicaine attachée
au contraire à la notion de peuple.
Les
éditions scolaires de 1996 reflètent un habile compromis des
deux répertoires dimages traditionnelles. Les manuels
semblent vouloir protéger les enfants face aux récupérations
politiques et donnent par exemple la date de 496, comme une date
bien incertaine.
La
commémoration très politique du mille cinq centième
anniversaire de la conversion de Clovis pousse donc la grande
majorité des enseignants à réaffirmer leur neutralité.
Personne ne niera que cest un personnage incontournable,
qui a réussi à unifier la France et qui en précurseur a utilisé
lÉglise pour servir sa carrière politique comme le feront
ensuite tous les rois de France. Toutefois, lenseignement
portera surtout sur limportance du traitement que lon
peut faire des sources historiques, sur le difficile
apprentissage de lobjectivité en histoire.
La
célébration suscite linquiétude car elle favorise le réveil
des passions extrémistes. On constate dailleurs que lapaisement
de ces passions a correspondu, dans les manuels dhistoire,
à un souci strictement documentaire.
La
visite du pape à Reims, en vue de cette commémoration, rallume
la querelle entre traditionalistes et modernistes. Le pape avait
à plusieurs occasions froissé la sensibilité laïque.
Les
évêques français eux-mêmes craignent que sa visite ne réveille
la guerre des deux France et donc lanticléricalisme et
voire même lanticatholicisme. Un collectif sest créé
rassemblant SOS-Racisme, le réseau Voltaire, le planning
familial etc
pour dénoncer latteinte faite aux lois
de la République en particulier à sa laïcité. Lépiscopat
français se voit tiraillé entre tous les courants réveillés
et contradictoires de léglise française et contrôle
difficilement les âmes des différents courants, des intégristes
proches du parti raciste et nationaliste (le FN) aux courants
conciliaires qui appuient les initiatives laïques, et appellent
léglise à souvrir plus franchement vers la modernité.
Le
voyage de Jean-Paul II relance donc la grande question de la
place de la religion dans une société laïque.
Lhistorien
Michel Rouche rappelle quau-delà du baptême (la
christianisation avait déjà commencé en Gaule à partir du IIe
siècle), Clovis peut aussi évoquer des valeurs fondamentales
aujourdhui. Lacceptation de lautre surtout :
Clovis encourage les mariages mixtes, interdit le pillage et lexécution
des prisonniers de guerre, promulgue les lois mais ne les élabore
pas, nhésite pas à exterminer sa propre parentèle dont
les structures archaïques sont un danger pour lÉtat
Le
pape saura dailleurs déjouer les pièges tendus sur son
passage en reprenant les idéaux de la devise républicaine
Liberté, Égalité, Fraternité et
invitera la France à demeurer accueillante.
b.4.
Gestion laïque de la France daujourdhui ?
La
défense de la laïcité fait réfléchir sur la gestion
laïque de la France. En effet si les dépenses officiellement
affectées par létat aux religions sont modestes, lessentiel
des crédits publics consacrés aux religions et en pratique
essentiellement au culte catholique emprunte dautres canaux :
lentretien des monuments historiques par exemple. De même
létat français, depuis la loi Debré-Guermeur de 1959 sur
lécole, consacre des montants importants à lenseignement
privé : rémunération des enseignants, frais de
fonctionnement des établissements, subvention à lenseignement
agricole et à lenseignement supérieur privés. Au total
le montant équivaut à près de 12% de limpôt sur le
revenu. Certes la plupart de ces dépenses revêtent un caractère
inéluctable lié à la scolarisation, à la sauvegarde du
patrimoine, il nen reste pas moins que lÉtat
subventionne indirectement le culte catholique.
Ce
recul de la laïcité se produit dans une société
multiculturelle et pluriconfessionnelle où chaque religion,
voire chaque secte, entend bien profiter des mêmes libéralités.
La communauté juive a créé un réseau décoles bénéficiant
des lois Debré-Germeur. Un même réseau nexiste pas dans
la confession musulmane en raison dune disposition réglementaire
qui exige un fonctionnement des écoles durant trois ans avant
tout versement de subventions, or la population musulmane na
pas les moyens de préfinancer louverture décoles.
Le
conseil dÉtat a lui aussi opéré de fréquents compromis
en tolérant par deux arrêts les dérogations individuelles à
la fréquentation obligatoire le jour du shabbat pour les élèves
de confessions israélite, estimant par de nombreux arrêts et
avis que le port du foulard islamique ne justifiait pas à lui
seul lexclusion, pas plus quen son temps le port dinsignes
scouts.
La
loi de 1905 sur la séparation de lÉglise et de lÉtat,
semble alors ne plus correspondre à la société actuelle, mais
quel gouvernement oserait courir les risques que sa remise en
chantier comporterait ? Les particularités nationales
tendent dailleurs à sestomper au profit dune
voie européenne intermédiaire.
III.c. 1998,
Lannée de lÉdit de Nantes
Les célébrations de
1998 sinscrivent dans la ligne suscitée par le
tricentenaire de sa révocation en 1985. On décida alors de célébrer
les valeurs que cette révocation avait niées : la tolérance,
la liberté de conscience, lacceptation de lautre. Sa
promulgation est présentée comme un moment-phare dans lhistoire
de la France vers la tolérance et la laïcité. Lhistoire
fut longue et lente pour que le mot tolérance devienne enfin une
vertu, et cette vertu apparaît longtemps associée à la laïcité.
Lassociation tolérance/laïcité explique des réactions
autrement difficiles à cerner de la société française daujourdhui.
c.1. Quest-ce
que lÉdit de Nantes ?
Il y a quatre siècles,
le 13 avril 1598, Henri IV signait à Nantes un édit qui mettait
un terme à 36 ans de guerres ruineuses entre Catholiques et
Protestants en instituant les modalités de coexistence pacifique
entre les confessions chrétiennes rivales.
Henri IV, grand-père
du Roi-soleil, continue de fasciner les Français, sans doute
parce quil résume plusieurs figures qui hantent la mémoire :
le général victorieux qui apporte la paix en se présentant
comme le père de la Nation, lhomme providentiel venu
sauver la France, lhomme au-dessus des partis
confessionnels, le refondateur dun état doté dune
administration toujours plus efficace et centralisée
LÉdit de Nantes
est un ensemble de quatre textes.
Il na pas été
demblée un événement national. Henri IV sy exprime
en roi catholique ayant pris conscience dans la tourmente des
guerres civiles de limpossibilité dextirper le
protestantisme, il prend des mesures qui sont, au sens strict de
lépoque, de tolérance : faute de pouvoir éliminer lautre,
il sagit de le supporter. Il fait des Protestants un corps
privilégié dont lexistence est désormais compatible avec
la culture juridique française.
Il na pas suscité
lapprobation générale. Il est contesté par les
catholiques et peu apprécié des protestants qui le trouvent
trop tiède.
Malgré ses limites,
il leur accorde la liberté de conscience, ce qui suppose, entre
autres, le libre choix par les parents des éducateurs de leurs
enfants. Il interdit tout prosélytisme et réprouve symétriquement
toute manifestation publique de dissension. LÉdit de
Nantes choisit dinstaurer une coexistence confessionnelle
pacifique.
La confrontation
confessionnelle avait contribué à modifier le rapport à laltérité
et à la différence en le rendant encore plus angoissant. Pour
exister les unes face aux autres, les Églises rivales avaient dû
faire passer à larrière plan leurs points communs et
accentuer, à longueur de controverses, leurs différences,
alimentant les peurs et les hostilités.
Entre deux maux :
la coexistence avec les hérétiques et la guerre civile, les
plus raisonnables se retrouvent pour indiquer le moindre.
c.2. LÉdit
comme révélateur de lévolution des mentalités
Considéré comme un
texte fondateur de la tolérance, il ne faut pas oublier quau
départ et encore souvent, tolérer ne signifie que supporter un
mal que lon ne sait pas extirper. Le débat va provoquer la
naissance de concepts fondamentaux pour lavenir.
·
Ladjectif politique .
On considère que cest
alors que ladjectif politique
devient un nom commun désignant celui qui sait bien observer la
chose publique puis, dans un sens alors péjoratif, celui qui
adapte les lois et laction politique aux nécessités du
moment, même sil doit mettre entre parenthèses ses
engagements religieux. Ce terme de politique désigne une famille
desprits qui se distingue par une manière commune denvisager
la division religieuse et de proposer une approche politique du
problème confessionnel. Cest dans ce cadre que sinscrit
le recours à la tolérance. Lordre politique saffranchit
de lordre religieux, État et Église ne sont plus superposés.
·
La laïcité.
Des noms illuminent
notre culture qui avant, pendant, après le schisme religieux sattachent
à penser une convivialité nouvelle. Lexpérience de
voisins de la France, tels que les Pays-Bas, où les Protestants
dominent, indique une méthode pour atteindre la coexistence doù
il ressort que la clef de voûte du système de relations
quotidiennes est le cantonnement strict de lexpression de
convictions religieuses différentes et divergentes dans lespace
privé.
Une
anecdote confirme que la laïcité
reste un objet de débat : |
Adrien
Favreau dans Le Monde du 22.01.1998 dans un article
intitulé La France laïque interdit de subventionner
les visites papales rapporte le fait que le
tribunal administratif de Nantes a annulé une délibération
du conseil régional des Pays de Loire qui avait attribué
100.000 francs à lévêché dune ville vendéenne
pour accueillir le pape. Pour censurer cette subvention
la juridiction administrative sest fondée sur larticle
2 de la loi du 9.12.1905. La République ne
reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte . |
Chemin faisant les
confessions rivales ayant prouvé leur propension à poursuivre
ceux qui pensent autrement, elles vont apparaître, à Voltaire
par exemple, comme irrémédiablement intolérantes. Léquation
rapide dun dogmatisme ne pouvant quêtre fanatique
aboutira à la nécessité, si lon veut atteindre la
concorde, de se débarrasser de ce qui, étant incapable de compréhension,
ne peut quêtre détruit. On a chez Voltaire un appel à écraser
lInfâme, celui-ci étant la religion intolérante, qui se
muera chez les militants laïques de la troisième république en
Bouffons du curé ! . La République,
face aux religions, opte pour lÉtat laïque, absolument
neutre. Jules Ferry proclame à la chambre des députés en 1881 :
la laïcité nest pas antireligieuse elle nest
quanticléricale dans la mesure où le cléricalisme est un
fanatisme . La loi du 28 mars 1882 décrètera la
neutralité religieuse ce qui débouche, selon la logique des laïques,
à la loi du 30 octobre 1886 qui confie lenseignement à un
personnel exclusivement laïque mesure étendue au
secondaire en mai 1912. Luvre laïque des républicains
aboutit en 1905 à la loi de séparation des Églises et de lÉtat.
La laïcité veut
faire de la religion une affaire étroitement privée, une
conviction comme une autre, ce dont auront à souffrir les
sociologues car dans les recensements la question de lappartenance
confessionnelle ne sera plus posée à partir de 1872 !
·
La citoyenneté.
A travers le débat sur la liberté de
conscience, lindividu acquiert des droits face aux autorités
en général, quil sagisse de lÉglise ou de lÉtat :
se dessine alors ce que lon nommera la citoyenneté.
Depuis 1539, létat civil ne
mentionnait pas les naissances mais les baptêmes catholiques,
avec cet édit, pour les sujets non catholiques, les déclarations
de naissance, mariage et décès pourront être faits auprès dun
officier de justice. Ceci ouvre la voie à la laïcisation totale
de létat civil.
Autre point fort de lévolution est la
Déclaration des droits de lhomme et du citoyen
publiée le 26 août 1789. A la logique absolutiste qui interdit
tout ce que la loi ne permet pas, on substitue la logique de la
citoyenneté qui, autorisant tout ce qui nest pas interdit,
favorise la pluralité. Napoléon innove en reconnaissant également
aux Juifs le droit de pratiquer leur religion en leur donnant des
structures centralisées et une organisation locale. Pour
Bonaparte la tolérance envers les juifs a pour but leur intégration
et même leur assimilation (cela sans oublier de vérifier au préalable
leur attachement à la patrie française !). Lautre nest
ainsi accepté que dans la mesure où il peut devenir un
semblable. Malgré ces difficultés, il faut noter que la France
a émancipé sa population juive bien avant les autres pays dEurope :
lAngleterre ne sy résolut quen 1866, lItalie
en 1859, lAllemagne en 1870, la Russie en 1917.
c.3. République et religion(s)
Les fêtes officielles chômées qui, pour
une large part sont dorigine chrétienne, demeurent. Tout
se passe comme si la République estimait que la grande majorité
des Français étaient chrétiens, en particulier catholiques, et
quil importait den tenir compte. LÉglise elle-même
amorce un tournant décisif lorsquen novembre 1890 le
primat dAfrique accueillant lÉtat major de lescadre
de la Méditerranée invite les officiers, des catholiques
monarchistes, à accepter la République. Cette invitation
importe car, après la chute du second Empire en 1870, ladhésion
de lépiscopat français à la cause monarchiste avait fait
rebondir la querelle Eglise-Etat.
Laffaire du foulard islamique, suscité
par les jeunes filles de religion musulmane allant à lécole
publique en portant le foulard islamique considéré comme un
signe religieux distinctif, réveille la peur du fanatisme et le
retranchement derrière des convictions laïques au sens
voltairien du terme. On assiste toutefois à son sujet à un
assouplissement des positions et à une résolution en douceur
du problème.
Létat semble sortir de lère du
soupçon et de la surveillance. On oeuvre au service de lintégration
des musulmans français appelant le remplacement de lIslam en
France par lIslam de France.
LÉdit de Nantes a ouvert la voie à
la reconnaissance dune confession minoritaire. La question
daujourdhui est la reconnaissance dune autre
religion minoritaire, lislam. Les tensions existant entre
la France et sa minorité musulmane nont pas à leur actif
près de quatre décennies de guerres et de massacres sanglants,
mais elles sont nourries par les souvenirs amers de la
colonisation et de la guerre dAlgérie. On pourra accuser
la comparaison dêtre fallacieuse parce que catholiques et
protestants appartenaient au même pays, avaient des références
chrétiennes communes alors que les musulmans sont étrangers à
ce patrimoine symbolique commun. Mais cest oublier que le
protestantisme dalors était aussi la religion dun
royaume étranger et que dautre part les musulmans français
sont nés en France et ont combattu à ses côtés, contre lAllemagne
nazie par exemple. Les règles de la laïcité rendent souvent létat
impuissant car il lui appartient de ne pas simmiscer. Les
musulmans de France souffrent dun manque de garanties
collectives (lieux de culte, marché de la viande autorisée ou
viande halal
). Jean-Pierre Chevènement, ministre de lintérieur
du gouvernement Jospin, examine des propositions qui visent à
une plus grande égalité de traitement. Le temps presse car la
communauté islamique est ébranlée par des tensions toujours
plus grandes et des infiltrations intégristes. Des intellectuels
de cette communauté manifestent leur intérêt pour lÉdit
de Nantes dont ils font une étape du processus dintégration
dune minorité, un compromis qui établit les règles du
vivre ensemble .
c.4. Le problème
des sectes
En revanche lutilisation de la
religion à des fins mercantiles ou économiques suscite réprobation
et répression. Il sagit désormais de lattitude à
adopter à légard des sectes qualifiées de pseudo-religieuses.
Mais quels critères peuvent valablement définir ce terme pseudo ?
En 1996, la commission denquête parlementaire sur les
sectes renvoie à la catégorie de lintolérable, au sommet
de cette catégorie se place la déstabilisation
mentale . Il est bien délicat de déterminer
objectivement ce quest un viol de conscience. Dans
ce domaine, aux enjeux dramatiques, la réponse est encore à
venir.
Au point actuel de lévolution des
mentalités, la présence de lAutre est généralement perçue
comme une richesse et non plus comme une menace. Par précaution
nous ajoutons ladverbe généralement parce que la tolérance
semble ne jamais être une conquête définitive
Cette commémoration ouvre plusieurs thèmes :
la connaissance de laffaire en elle-même et, à travers
elle, lantisémitisme et le rôle des intellectuels.
On peut en effet lire dans nos
dictionnaires :
à
la lettre I dans le Petit Robert :
Intellectuel :
qui a un goût prononcé (ou excessif)
pour les choses de lintelligence, de lesprit ;
chez qui prédomine la vie intellectuelle.
Les intellectuels, la classe des intellectuels Þ intelligentsia ; clerc ; mandarin, les intellos.
à
la lettre J dans Il nuovo Zingarelli
Jaccuse :
denuncia fatta pubblicamente di un
sopruso, di un ingiustizia e sollecito invito a porvi rimedio.
On signale
souvent le rôle des intellectuels comme un élément de lexception
française. Leur histoire est désormais un secteur à part entière
de lhistoire politique et socioculturelle française.
Avant la IIIe
République, il est arrivé que des hommes de culture
investissent la politique : les philosophes du XVIIIe,
Victor Hugo contraint à lexil pour ses positions hostiles
à Napoléon III. Pourtant cest la fin du XIXe
qui marque lentrée des intellectuels comme figures
marquantes du débat civique.
Au commencement
était lAffaire Dreyfus écrit Jean-François Sirinelli
dans Le magazine littéraire du mois de décembre 1987 et aussi,
plus récemment, dans Intellectuels et passions françaises.
Cette affaire, précise-t-il, est fondatrice, non parce que le
substantif intellectuel nexistait pas déjà ou parce que
les clercs navaient pas joué un rôle politique, mais
parce quavec la défense du capitaine Dreyfus se sont dégagées
trois des caractéristiques de leur intervention en politique :
elle est collective, leur signature devient la reine de batailles
sur des grandes causes telles que la Justice ou la Vérité,
valeurs quils défendent en qualité dexperts.
Linjuste
condamnation dont il fut la victime est le point de départ de lune
des plus graves crises de la IIIe République.
Dreyfus (1859-1935)
est un officier français dorigine juive alsacienne. Accusé
à partir dune simple ressemblance décriture davoir
livré à lennemi des renseignements militaires, il est arrêté
en 1894, jugé de façon sommaire, condamné à la déportation
en Guyane. Laffaire est oubliée après une première flambée
dantisémitisme jusquen 1896, année où le nouveau
chef des renseignements, le commandant Picquart, découvre que la
trahison a été commise par lofficier Esterhazy. Un petit
groupe (famille, défenseurs, premiers fidèles) mène lenquête
et lance la campagne de presse pour la révision du procès.
Esterhazy est acquitté en 1898. Le gouvernement affirme quil
ny a pas daffaire Dreyfus alors que lopinion
est divisée en deux camps : dreyfusards (intellectuels,
socialistes, radicaux, républicains modérés antimilitaristes réunis
dans la Ligue des Droits de lHomme) et antidreyfusards (la
droite nationaliste, antisémite et cléricale, regroupée dans
la Ligue de la Patrie française). Après lacquittement dEsterhazy
et le déplacement de Picquart en Tunisie, E.Zola publie dans le
journal de Clémenceau L Aurore
une lettre ouverte Jaccuse prenant la défense de
Dreyfus. Il est condamné à un an de prison et à 3000 francs damende.
En 1899, la découverte de faux et le suicide de lauteur de
ses faux, imposent la révision du procès alors quune
coalition de gauche gouverne le pays. Un conseil de guerre
condamne à nouveau Dreyfus à 10 ans de prison, en lui octroyant
les circonstances atténuantes. Quelques jours plus tard il est
gracié par le président Loubet. Le jugement nest cassé
quen 1906 et Dreyfus réintégré dans ses grades et sa
fonction.
Émile Zola, écrivain
français (1840-1902) publia dans le journal LAurore larticle
intitulé Jaccuse qui a fait basculer laffaire
Dreyfus mais la marche vers la réhabilitation totale a été un
parcours de souffrance pour lauteur enterré au Panthéon,
devenu le symbole de lengagement intellectuel. Condamné
pour son article au maximum de la peine, il fut insulté, menacé,
agressé, jusquà sa mort qui reste, elle aussi, quelque
peu mystérieuse. Il est mort asphyxié parce quun énorme
bloc obstruait le conduit de sa cheminée, cheminée quil
avait pourtant fait ramoner peu auparavant !
Il fut contraint à lexil, des
biographies mensongères allèrent jusquà salir la mémoire
de son père. Détails peut-être, mais pas des moindres, accusé
de vouloir senrichir, laffaire a coûté à Zola la
moitié de ce quil avait épargné dans une vie de travail
forcené. Ironie du sort, il ne verra jamais triompher la justice
pour laquelle il sétait battu.
d.3. La société française révélée
par l affaire Dreyfus
Laffaire est un conflit aigu, un
conflit de valeurs où vérité, justice et droits de lhomme
sont défendus face à la raison détat et au culte étroit
de la patrie. Les fondements de la démocratie sont en cause.
Cette affaire dévoile le conflit profond qui divise la société
française. Elle est dabord le symptôme dun corps
social atteint de racisme. Le racisme à travers le recours au
bouc émissaire satisfait une partie de lopinion désireuse
de trouver les responsables dune situation de souffrance
qui lui échappe (la France ne digère pas la défaite de 1870,
les scandales financiers, les crises ministérielles). Larmée
portait en elle les vertus nationales, aussi choisit-on dimputer
ses défaites à la trahison. Un autre combat se joue : la
grande bourgeoisie a vu son influence décliner, la république
seule issue acceptable aux désastres de la guerre et de la
Commune ne la satisfait pas, les classes moyennes y ayant trop de
pouvoir. Laffaire Dreyfus vient à point nommé pour
coaguler tous les électeurs fidèles aux valeurs de lordre,
de lautorité, de lhonneur. La cause antidreyfusarde
rassemble tous ceux que les nouvelles évolutions politiques, économiques
et sociales remettent en question.
Laffaire sanctionne également le rôle
de la presse face à lopinion. A travers elle, et les débats
passionnés quelle suscite, lopinion retrouve un rôle.
Sa participation est toutefois plus apparente que réelle, plus
passive quactive, mais il en résulte que le débat
sort du huis-clos où les autorités auraient préféré le
confiner. Si lordre a toutefois prévalu, la grande
victoire des dreyfusards a été dans la marque que leur courage,
pour défendre à travers un innocent, une idée et un droit, a
imprimée à jamais dans lesprit des Français.
Nous trouvons une
illustration récente de cet affrontement lors de laccident
provoqué au sein de lAssemblée nationale par un discours
du Premier ministre socialiste Lionel Jospin. Répondant à une
question au sujet de la commémoration de l'Abolition de l'esclavage,
il choisit de procéder à un rappel historique des
positions des forces politiques de l'époque ainsi que de celles
quelles avaient adoptées cinquante ans plus tard au moment
de laffaire Dreyfus. Il attribue à la gauche le mérite davoir
combattu lesclavage et soutenu Dreyfus tandis que la droite
aurait été esclavagiste et antidreyfusarde. Les historiens ont
contredit cette simplification abusive même si lun deux
reconnaît quil y a des tendances permanentes comme lesprit
républicain aux origines de la gauche et un réflexe
conservateur dans la généalogie de la droite, tout en invitant
L. Jospin à ne pas oublier que la droite daujourdhui
descend dauthentiques républicains et non des liberticides
royalistes ou bonapartistes.
Doù lon
voit que les passions ne sont pas enterrées.
La date de naissance de cet appellatif
est considérée la date de publication du Jaccuse
zolien. Maurice Barrès lâcha le mot définitif en sen
prenant à la Protestation des intellectuels. La France, à la
charnière des deux siècles, entre dans lère des masses
comme la plupart des pays occidentaux. Les intellectuels y jouent
un rôle, car ils sont au cur de la circulation des idées,
ils sont dotés dun pouvoir dinfluence et contribuent
à mettre en forme les débats civiques. Lautre versant du
débat fut pendant longtemps occupé par lAction française :
le mouvement de Charles Maurras, qui proposait aux jeunes clercs
une idéologie très structurée, fut durant trois ou quatre décennies
lenvers de la République. Cette dernière présente la Révolution
comme un événement fondateur, lAction française au
contraire comme un drame cosmique.
Durant les années 30, on observe une évolution
des thèmes de mobilisation des intellectuels : à gauche le
thème de lantifascisme, à droite lanticommunisme.
Les intellectuels interprètent alors ce que lon a pu
appeler la guerre froide franco-française. Les années 30
anticipent les trente glorieuses de lengagement.
Associée à la collaboration avec les régimes
responsables des crimes atroces de la seconde guerre mondiale, la
droite idéologique est cantonnée à une position de défense,
la gauche et lextrême gauche règnent au contraire jusquà
la fin des années 70. Des noms retentissent encore par les débats
contrastés quils suscitèrent, citons-en quelques-uns dans
le désordre: R. Aron, Sartre, Malraux, Barthes
Leurs noms
évoquent les crises politiques majeures, telle que la guerre dAlgérie
par exemple.
Les différents combats des intellectuels
renvoient aussi aux canaux quils empruntent, aux tremplins
de leur autorité. La montée en puissance de laudiovisuel
a ravi le devant de la scène aux intellectuels traditionnels.
Une enquête a fait apparaître que les nouvelles générations
qui protestent en 86 se réfèrent davantage aux chanteurs quaux
écrivains. Si les nouvelles idoles semblent sonner le glas du
pouvoir des clercs, le discours de ces derniers a passablement pâli
dans les années 80. Edgar Morin parle dune période
de basses eaux mythologiques . La victoire électorale
de la gauche, en 1981, survient à une époque charnière de lhistoire
des clercs apparemment réduits au silence.
La question concernant limpact véritable
des prises de position des intellectuels nest pas vaine. Lintellectuel
colore son environnement. Lhistoire des pétitions
constitue un observatoire précieux pour localiser les champs de
force qui structurent la société française. Manifestes et pétitions
reflètent lhistoire des crises françaises, bien que les
intellectuels en amplifient certaines et en minimisent dautres.
Les femmes à leur tour, plus de 70 ans après la guerre
masculine de laffaire Dreyfus, montent collectivement sur
la scène lorsquelles publient un manifeste annonciateur
des changements plus privés qui travaillent la société. Le
manifeste publié le 5 avril 1971 en faveur de lavortement
suivi de 343 noms de femmes est le premier de sexe féminin à
obtenir un réel écho national.
Une autre
question évoquée concerne les qualités requises pour mériter
le statut dintellectuel et dans ce domaine lirruption
en force de la télévision et le retentissement quelle
offre aux paroles de chanteurs, dacteurs etc, brouillent
les schémas traditionnels. A ce sujet, le soutien accordé par
le milieu intellectuel à la candidature de lacteur comique
Coluche à lélection présidentielle de 1981 est emblématique.
La remise en cause des idéologies traditionnelles qui
nourrissaient le clivage droite-gauche et la chute du mur, ont un
pouvoir déstabilisateur peu propice aux prises de position.
La mort des
clercs, lautomne des intellectuels, souvent annoncés
semblent contredits par des événements récents tels que les débats
suscités par limpuissance européenne au moment de la
crise yougoslave ou plus récemment encore par les pétitions
partant du monde du spectacle et en particulier des cinéastes
engageant leur nom pour la défense des sans-papiers (le 11 février
1995, 66 réalisateurs lancent un appel à la désobéissance
civile en réaction contre la loi Debré sur limmigration)a
Il paraît licite de les interpréter comme le signe dun
rebondissement de lengagement de celles que lon
appelle désormais volontiers les élites culturelles. Le nouveau
combat exprime, plus quun débat didées, laffirmation
dune solidarité au côté des plus démunis, des milieux
en voie de paupérisation. En quête de cadre idéologique la référence
choisie paraît être le respect plus vaste de la devise républicaine
Liberté, Égalité, Fraternité .
IV.
LHEXAGONE
LHexagone français est léquivalent
de la botte italienne ; limage permet une exploitation
plus commode, ainsi la trouve-t-on fréquemment déclinée dans
des expressions telles que : une politique hexagonale, des
problèmes hexagonaux etc. Si on assiste en Italie à une
opposition renouvelée entre Nord et Sud, la diatribe française
concerne davantage Paris et le reste du territoire ; Paris
et la province.
IV.a. Lespace
français (un peu plus de 550.000 km2;
environ 58,3 millions dhabitants)
Il est en
situation de carrefour maritime et continental.
Il présente une
grande variété de paysages. Le relief est modéré dans son
ensemble, près de 2/3 du pays est situé au-dessous de 250m. Les
montagnes occupent à peine 7% de la surface. Elles se dressent
principalement aux frontières, les Pyrénées au sud, les Alpes
à lest, seul et moindre obstacle au milieu du pays :
le Massif central.
a.1. Quelques
chiffres clés en pourcentage planétaire et
en rang mondial
|
population |
1% |
20ème
rang |
|
PNB (Produit
national brut) |
|
4ème |
|
PNB
par habitant |
|
10ème |
|
Exportation
mondiale de produits agricoles et alimentaires |
|
2ème |
|
Commerce |
5,4% |
4ème |
|
Capacité
nucléaire |
16,8% |
2ème |
|
Automobiles |
8,3% |
4ème |
|
Production
de blé |
5,7% |
4ème |
|
Production
de vin |
22% |
2ème |
|
Arrivées
internationales de touristes |
11,2% |
1er |
a.2. Le territoire français
Il a été très tôt, fortement centralisé.
Centralisation que tous les régimes politiques ont renforcée et
perfectionnée jusquau vote des lois de décentralisation
administratives de 1982-83. LIle de France qui est la région
où se situe Paris abrite, en 1994, sur 2,2% du territoire métropolitain,
19% de sa population.
Si la densité
moyenne du territoire est en 1994 de 105,6 h au km2,
les inégalités de répartition de la
population sont fortes ; ainsi est-elle, dans lIle de
France de 913 h au km2, dans le Limousin de 42,4, dans le Nord-Pas-de-Calais
de 321, en Provence-Alpes-Côte dAzur (région généralement
désignée par le sigle région PACA) de 140,3 pour ne citer que
quelques-unes des 22 régions qui composent lHexagone.
Globalement plus
de 90% de lespace français métropolitain est occupé par
des modes dusage ruraux : terres agricoles, sols boisés
et sols naturels.
La transformation
de la production agricole sest traduite par une diminution
accélérée du nombre dexploitations : seulement un
agriculteur sur trois partant à la retraite est remplacé par un
jeune agriculteur. La superficie moyenne des exploitations a
beaucoup augmenté.
Quatre zones
structurent le paysage rural français :
|
a)
lOuest pays de bocage et délevage intensif : Le caractère agricole des 3 régions
de lOuest est très marqué ; elles
fournissent 24% de la production agricole nationale sur
19% de la superficie agricole utilisée et 14% du
territoire national. Les ménages agricoles restent
nombreux et les revenus sont légèrement inférieurs à
la moyenne. Sur la façade maritime la demande non
agricole et de loisirs entraîne une régression des
usages agricoles au profit des usages urbains. b) le
Nord et le Bassin parisien aux champs ouverts où
dominent les grandes cultures : Les régions
du Nord et du bassin parisien fournissent 29% de la
production agricole sur 28% du territoire. Ce sont des régions
de grandes exploitations très mécanisées où les
revenus sont élevés. c) les
plateaux de lEst et les régions de montagne des
Alpes et du Massif central où la seule activité
possible est souvent lélevage, contribuent plus
faiblement à la production agricole : 16% de la
production pour 25% du territoire. Cest dans ces régions
que lon trouve les plus faibles revenus agricoles.
Les superficies agricoles diminuent au profit des bois et
des friches. d) les régions
méditerranéennes et du Sud-Ouest où dominent les
cultures permanentes et les systèmes mixtes de
polyculture-élevage, fournissent 28% de la production
agricole sur 33% du territoire. Excepté les départements
ayant une forte production viticole, les revenus
agricoles sont en dessous de la moyenne. Le potentiel
touristique est inégalement exploité pour les compléter.
La pression touristique et urbaine est forte dans les départements
littoraux. |
Les sols boisés
progressent à partir des sols naturels. Le passage de lagriculture
à la forêt semble se faire par une étape plus ou moins longue
de non-usage, plus par envahissement spontané. Un déboisement
notable des bosquets et des arbres épars a eu lieu au cours dopérations
de remembrement agricole.
a.3. La
commune
Cest lunité institutionnelle
et de peuplement de base.
Mises en place à
la Révolution, les communes sont les plus anciennes des
collectivités territoriales. Leur nombre a peu varié, en 1990
la France métropolitaine compte 36.551 communes. Elles ont un
statut rural et urbain lié à la continuité de lhabitat.
85,5% des
communes sont rurales et regroupent 26% de la population sur 83,5%
du territoire. Les autres sont urbaines et regroupent 74% de la
population sur 16,5% du territoire.
Au-delà de 5000
habitants toutes les communes font partie dune agglomération
urbaine. Généralement les communes rurales sont de petite
taille : 69% dentre elles ont moins de 500 habitants
et 88% moins de 1000h.
La majorité des
départements ruraux, cest-à-dire dans lesquels plus de 50%
de la population vit dans une commune rurale sont, à louest
de la ligne Le Havre-Marseille. Les grandes agglomérations se
situent dans les départements dont le taux durbanisation dépasse
75%. Elles sont très nombreuses dans les quarts Nord-est et Sud-est
du pays, outre les agglomérations parisienne, lyonnaise,
marseillaise et lilloise, la majorité des unités urbaines de
plus de 250 000 h. y sont localisées. En revanche, dans lOuest
et le Sud-ouest seules les trois régions abritant les villes de
Nantes, Bordeaux et Toulouse ont des taux durbanisation élevés
a.4. Lespace
économique
Il est en
mutation. Depuis le XIXe siècle les régions prospères,
situées au nord de la ligne Le Havre-Marseille, sopposaient
aux régions pauvres, situées à louest et au sud de cette
ligne.
Depuis la fin des
années 70, ces régions de louest et du sud connaissent de
grandes transformations. La crise des activités traditionnelles,
lutilisation de technologies nouvelles, la volonté daménager
le territoire ont rendu cette distinction désuète et lont
même dans certains cas renversée.
Il ne sagit plus dun monde
homogène et son activité principale nest plus lagriculture.
On distingue désormais plusieurs types de campagnes en fonction
de leur isolement plus ou moins grand.
Deux chiffres-clés
illustrent limportance du renversement de perspective
lorsquon envisage les relations entre rural et urbain :
·
90% des ménages habitant lespace rural ne comptent aucun
travailleur agricole
·
moins de 20% des emplois ruraux sont des emplois agricoles
Si
lagriculture garde un poids économique et social important
dans les espaces ruraux, le rural est toutefois plus ouvrier et
industriel quon le croit.
Il
y a aujourdhui dans ces espaces près de trois fois plus douvriers
que dactifs agricoles. Les données mettent en évidence un
quasi-maintien des emplois industriels alors quils reculent
dans les grandes villes. On peut interpréter ce phénomène
comme un avantage de lespace rural pour certaines activités
ou comme un signe de fragilité dépeignant cet espace comme une
vaste région-atelier faisant appel à une main-duvre
peu qualifiée.
Le
rural se partage entre espace producteur et espace consommé, ce
dernier étant lié aux fonctions résidentielles, récréatives,
environnementales
Le développement de la fréquentation
des urbains, lié au développement de la mobilité, apporte une
nouvelle façon de vivre et d'habiter qui va vers une homogénéisation
des modes de vie.
b.1. Un peu dhistoire de la répartition de la population entre ville et campagne
Après
la Seconde Guerre mondiale, lINSEE (Institut National de la
Statistique et des Études Économiques) sest intéressé
à la structuration du territoire. Après le recensement de 1954,
on a distingué lurbain, fait dun tissu serré dhabitations,
et le rural. Cette vision dichotomique sest vite avérée
trop simpliste. Une partie de la population quittait la ville
pour habiter la campagne tout en travaillant en ville. Lespace
périurbain naissait. Dans les années soixante, on a alors
distingué les communes rurales étant sous linfluence des
villes et le rural profond. Mais depuis le développement rapide
des déplacements et la chute du nombre dactifs vivant de lagriculture,
le premier regroupe 76% de la population totale, en 1990, et pour
le second les chercheurs proposent une analyse plus fine
aboutissant à un découpage ultérieur en quatre catégories ; la
quatrième représente le rural isolé, catégorie résiduelle
représentant plus dun tiers du territoire et 10% de la
population française.
De
1851 à 1975, le développement de la population urbaine a été
rapide et régulier. La croissance des villes sest nourrie
du déclin des campagnes touchées par un exode rural important.
Depuis, les campagnes ont cessé de se dépeupler sauf les zones
rurales isolées qui continuent de perdre des habitants, leur
bilan naturel étant aussi fortement déficitaire (population de
plus en plus âgée et naissances peu nombreuses).
A
partir du XIXe siècle lextension des villes a
fait naître les banlieues, mais depuis 30 ans la croissance se
diffuse au-delà et touche les communes rurales. Près du ¼ de
la population résidant dans les communes périurbaines en 1990,
vivait dans les pôles urbains en 1982. Beaucoup continuent à y
travailler, voilà ce que lon appelle rurbanisation
et rurbains.
Le reste du
territoire, cest-à-dire lespace à dominante rurale,
représente 70% de la superficie totale et les deux tiers des
communes. Il regroupe ¼ de la population totale. Cet
espace nest pas en déshérence, à labandon, si
ce nest le rural isolé qui connaît une situation démographique
nettement défavorable.
Dans
ce macro-déséquilibre de la répartition de la population dans
lHexagone, certaines populations sont encore plus inégalement
réparties.
·
Distribution de la population féminine.
Il naît plus de garçons
que de filles et, jusquà 15 ans, elles sont un peu
moins nombreuses partout, puis à lentrée dans la vie
adulte, la proportion de femmes augmente dans lespace à
dominante urbaine et diminue nettement dans lespace à
dominante rurale, en particulier sil est isolé : les
femmes quittent davantage les campagnes.
·
Distribution de la population étrangère.
En 1990, 3.600.000
étrangers ont été recensés en France soit 6,3% de la
population. Limplantation des étrangers est très inégale.
Ils sont nombreux à lest dans les régions dancienne
vocation industrielle et en Ile de France, moins présents dans
les régions occidentales traditionnellement agricoles. On a
alors 8.6% détrangers dans les pôles urbains, 4,9% dans
les pôles ruraux et moins de 3% ailleurs. En outre la proportion
augmente lorsquil sagit de grands pôles, 6% dans les
pôles urbains de 100 000 emplois par rapport à 11% de celle des
pôles de 100 000 et plus. Les Marocains et les Turcs sont les
plus implantés en milieu rural tandis quAlgériens et
Tunisiens y sont les nationalités les plus faiblement représentées.
Les étrangers non européens sont restés à lécart du phénomène
de péri urbanisation. 82% vivent dans les pôles urbains
et seulement 7% vivent dans les communes périurbaines alors que
cest le cas de 59% et 16% des français. Si on retranche
aux populations étrangères les populations appartenant à la
communauté européenne on constate que cette population, dans
les communes périurbaines, atteint à peine 5%.
·
Distribution des ouvriers
Les ouvriers représentent
36% des actifs occupés dans lespace à dominante rurale,
32% dans les communes périurbaines, 27,5% dans les pôles
urbains. Plus lespace est rural plus la population ouvrière
est féminine et jeune et moins les hommes sont qualifiés ;
les femmes occupant de toute façon généralement des emplois
non qualifiés. On distingue également les ouvriers localisés
et les navetteurs qui se déplacent chaque jour pour aller
travailler en dehors de leur espace de résidence. Les navetteurs
sont plus souvent qualifiés et des hommes de moins de 50 ans.
Bien que la population ouvrière rurale renferme les catégories
de population traditionnellement les plus exposées au chômage (jeunes,
non qualifiés, femmes) elle est moins touchée tant par le
chômage que par les statuts demploi précaires. Cet écart
est en partie dû à la mobilité des jeunes qui, partant habiter
en ville, y déplacent leurs difficultés dinsertion
professionnelle.
·
Les personnes âgées
Par rapport à la
proportion de personnes âgées grandissante dans tous les
secteurs, on constate que les petites villes situées en milieu
rural jouent un rôle important dans laccueil de personnes
très âgées (plus de 80 ans) souvent dépendantes.
Malgré
une tendance à lhomogénéisation, les modes de vie
conservent des particularités. Plus on va vers le rural isolé
et plus les revenus diminuent. Les ménages pauvres étant plus
nombreux dans lespace à dominante rurale. Toutefois, dans
ce dernier, le patrimoine médian est plus important à cause du
nombre supérieur de ménages propriétaires de leur logement et
détenteurs de patrimoine professionnel. Les différences
concernent lapprovisionnement alimentaire, les habitants
des villes se rendent plus souvent dans les grandes et moyennes
surfaces (nom donné aux centres commerciaux) mais regroupent
moins leurs achats car ils fréquentent davantage les marchés et
les petits commerces que les habitants des communes périurbaines,
ces derniers, en revanche, fréquentent davantage les fermes, ce
qui montre leur attachement à un mode de vie rural. Les citadins
dépensent davantage pour leur logement, la cherté de ces
derniers les a dailleurs incités à se péri urbaniser.
Un
autre domaine où les différences sont marquées est celui des déplacements.
Les périurbains sont ceux qui se déplacent le plus, mais
sils se déplacent davantage que les urbains, ils se déplacent
plus vite et passent donc moins de temps dans les transports.
Cela pendant la semaine, pendant le week-end ce sont les citadins
qui se déplacent. La fonction daccueil de la campagne saccentue ;
après le boom terminé des résidences secondaires (de la fin
des années 60 au début des années 80), dautres formes daccueil
se sont développées mais leur capacité reste toutefois moindre.
La pratique du tourisme vert seffectue encore largement
dans la famille.
Les
déplacements domicile-travail ont beaucoup augmenté. Le nombre
des actifs changeant de commune pour travailler sest accru
6 fois plus que la population des actifs ayant un emploi. Cette
mobilité a contribué au développement de bassins demplois
ruraux. Les communes périurbaines sont caractérisées par définition,
par une proportion élevée de navetteurs (71% des actifs occupés).
Autre caractéristique, les pôles urbains attirent des actifs de
plus en plus éloignés. Le flux, de plus, nest pas unilatéral,
les navetteurs vont aussi des pôles urbains vers les communes périurbaines
ou rurales.
Au
cours des années 80, le nombre de gares sest raréfié.
Dans le rural isolé 11% des communes qui étaient desservies par
le train en 1980 ne le sont plus en 88. Les habitants du
rural isolé doivent en moyenne parcourir 25 km pour accéder à
une gare. Les lignes dautocar complètent le réseau SNCF.
46% des communes sont desservies par une ligne quotidienne. Cette
desserte sest, elle aussi, raréfiée dans les années 80,
le nombre de communes desservies du rural isolé a diminué de 22%,
leurs habitants sont en moyenne à 9 km dun arrêt de bus.
Aux services collectifs de transport se substituent des services
individuels, notamment les taxis. Mais là encore, les habitants
des communes isolées doivent la plupart du temps faire appel à
des taxis localisés en moyenne à 9 km de leur domicile. La
solution à la raréfaction des transports passe alors par lutilisation
dun véhicule personnel. Les distances données sont à vol
doiseau.
Les
différents types de commerce et services ont suivi le mouvement
historique dexode rural. On a assisté à la raréfaction
et même à la disparition des commerces et des services dans les
zones touchées par le dépeuplement. Les équipements très répandus
au départ tels que les boulangeries ou les écoles primaires
continuent de se raréfier. Le repeuplement de certains espaces
devrait permettre un nouveau dynamisme ou tout au moins un arrêt
de la chute. Toutefois une trop grande proximité des pôles
urbains où tous les biens et services sont disponibles peut
freiner le développement. Ces tendances peuvent être à leur
tour enrayées par des politiques publiques appropriées, on
pense à la poste, à lécole, aux équipements sanitaires
et sociaux mais la rationalisation des dépenses dans le domaine
public peut entraîner une moins bonne desserte des populations
dispersées et donc un nouvel abandon de ces zones.
Le
paysage économique sorganise donc aussi autour dun réseau
de centres de services hiérarchisés approvisionnant une aire de
marché dont létendue dépend de la rareté des biens et
services quils fournissent.
Rares sont les
communes possédant des équipements de centres urbains (hôpital,
laboratoire danalyses médicales, grande surface de
bricolage, magasin de vêtements homme, cinéma): 10% en possèdent
un, 2% en détiennent plus de trois. Ces équipements sont lapanage
des grandes villes : 83% des villes-centres des pôles
urbains et 48% des villes-centres des pôles ruraux disposent de
plus de trois équipements lourds. Ceci leur confère un rôle
important en termes de fournitures de services au milieu rural
environnant. La densité en équipements intermédiaires ne suit
pas la densité de population. La proximité des pôles urbains
et la fréquence des migrations entre les centres et leur
couronne contribuent probablement au sous-équipement
relatif des communes péri-urbaines. Dans les espaces plus éloignés,
des communes peuvent relayer les pôles dans la distribution de
ces biens.
·
Les écoles primaires et les collèges :
Les
écoles primaires sont très répandues sur le territoire et
restent un symbole de la vie communale. En 1994, un peu plus de
deux tiers des communes ont au moins une école élémentaire
publique ou privée. Si la présence de ces établissements se
raréfie au fur et à mesure que lon séloigne des pôles,
les habitants ne sont jamais très éloignés de ces services :
la distance moyenne à léquipement le plus proche atteint
un maximum de 3,4 km dans le rural isolé. Le nombre total délèves
ayant baissé, les fermetures ont donné lieu à des
regroupements pédagogiques.
En
1995, seulement 10% des communes ont un collège mais le nombre
de communes équipées augmente en particulier dans les communes
péri-urbaines. A lopposé, des établissements ont été
fermés dans le rural isolé et, depuis 88, à la périphérie
des pôles ruraux. Le nombre délèves a globalement
augmenté mais la part dinternes (élèves vivant à lécole
toute la semaine) a diminué. Ils sont plus nombreux dans lespace
à dominante rurale.
·
Les équipements sportifs et culturels :
Certains équipements
sportifs sont largement répandus : les terrains de football,
plus récemment les terrains de tennis. Les équipements plus
lourds comme la piscine restent rares et se développent peu.
1/4 des communes
ont une bibliothèque, les deux tiers offrent ce service ou à
travers la structure ou par lorganisation de bibliobus.
Les structures daccueil
socioculturelles sont présentes dans ¼ des communes,
celles du rural isolé étant là encore les moins bien loties.
La présence du
cinéma est peu fréquente. Les communes du rural isolé ou sous
faible influence urbaine sont encore les plus touchées par les
fermetures. Les distances parcourues pour aller au cinéma sont
devenues très importantes : 22 km en moyenne pour lhabitant
du rural isolé, 20 km pour lhabitant du rural sous faible
influence urbaine. Pour voir un film la règle reste de se déplacer
dans les pôles urbains.
En 1996, le taux
de chômage sélève en moyenne à 12,1% mais il varie de 9%
pour les personnes âgées de 40 à 50 ans à 26% pour les moins
de 25 ans, de 10% pour les hommes à 14% pour les femmes, de 7%
pour les bacheliers à 17% pour les non-diplômés.
Dans les pôles
urbains où résident près de 2/3 des actifs, le chômage est
plus élevé. La proportion dactifs non-diplômés est
nettement plus élevée dans lespace à dominante rurale.
Au sein de lespace à dominante rurale, cest le rural
isolé qui en souffre le moins. Ces variations résident
davantage dans la structure de lemploi que dans les caractéristiques
des travailleurs : la part des indépendants est plus élevée
dans le rural isolé.
Les
dix plus grandes villes de France
Recensement
de la population de 1990
Paris |
2
152 423 |
Marseille |
800550 |
Lyon |
415487 |
Toulouse |
358688 |
Nice |
342439 |
Strasbourg |
252338 |
Nantes |
244995 |
Bordeaux |
210336 |
Montpellier |
207996 |
Rennes |
199396 |
Plus que jamais au cours des années 60,
les villes grandissent. Elles doivent absorber les habitants qui
quittent les campagnes, les rapatriés qui quittent les colonies
et les populations immigrées auxquelles la France fait largement
appel car la main duvre autochtone ne suffit pas au développement
industriel.
LÉtat
intervient massivement dans la construction des nombreux
logements nécessaires. Ainsi, en 1963, est créée la DATAR (Délégation
à laménagement du territoire et à laction régionale).
Chargée de promouvoir un développement harmonieux de lensemble
français, elle adopte plusieurs types de politique ; dabord
celle des métropoles déquilibre
création de communautés urbaines regroupant plusieurs communes ;
puis en 1965 les villes nouvelles enfin au début des années 70
leffort porte sur les villes moyennes.
Dans le domaine
des logements létat finance directement les HLM (habitations
à loyer modéré), on facilite laccès à la propriété,
on organise lépargne-logement. Dès 58, on crée les ZUP (zones
à urbaniser en priorité) et on rénove les centres. Entre 1945
et 1975 plus de huit millions de logements sont construits, près
de la moitié du parc total dhabitations !
Toutes les villes ne grandissent pas au même
rythme. Dès le milieu des années 60, les villes des vieilles régions
industrielles déclinent alors que la croissance des villes du
Midi est rapide. Dans les grandes agglomérations, les centres
tendent à perdre une partie de leur population et les banlieues
connaissent une croissance accélérée. Les grands travaux
assainissant et modernisant les centres font que lon rase
les vieux quartiers insalubres et refoule leur population dans
les périphéries.
La construction nécessite
aussi des mots nouveaux : à part les sigles, on trouvera
les grands ensembles faits de tours et de
barres, les cités que le dictionnaire définit comme des
groupes isolés dimmeubles ayant même destination (cité
dortoir, cité étudiante, cité ouvrière).
Les grands
ensembles sont la réponse à lurgence du besoin de
logements. Ils ont une morphologie standardisée conditionnée
par les procédés de construction et la rationalité économique.
Les appartements sont de taille moyenne et abritent des types de
population homogène, familles douvriers et demployés
surtout, les structures de sociabilité sont généralement
absentes ; on se rencontre au supermarché. Vite construits,
ils se sont vite dégradés et la crise mettra brutalement à nu
les erreurs de leur conception. A leur actif, il faut reconnaître
quils offraient un confort généralement inconnu aux
habitants qui venaient sy installer (les logements étaient
clairs et bénéficiaient dune salle de bains).
En 1982, la mise
en oeuvre de la politique DSQ (Développement social des
quartiers) souligne la nécessité de chercher à traiter les
causes profondes de la dégradation de certains quartiers en
mobilisant tous ceux qui y vivent.
En 1990, la LOV (Loi
dorientation pour la ville) se donne pour objectif la lutte
contre la ségrégation.
Les politiques visant à améliorer la
qualité de la vie en ville ne se limitent pas aux aspects
purement habitatifs ; elles vont de
la réhabilitation, à lalphabétisation, aux activités
sportives et culturelles etc
On constate que
les villes, après avoir fonctionné comme des sortes de pompe
à habitants, semblent provoquer le phénomène inverse.
Exode urbain ? Retour à la terre ? Pas vraiment. Certaines
campagnes, à proximité des villes se repeuplent et acquièrent
les modes de vie urbains, phénomène appelé rurbanisation,
à lopposé le rural profond vieillit et sappauvrit
et court le risque de la désertification.
Pour mieux connaître lhexagone et limaginaire
collectif des Français, il est aussi, nous semble-t-il,
important de dire quelques mots de la forêt car en France, peut-être
plus quailleurs, la forêt a façonné le paysage et les
hommes, tissé les légendes et les croyances, catalysé les
angoisses et les peurs.
A la fin de ce second millénaire frustré
dans sa jungle dasphalte, le citadin lui rend un nouveau
culte. Les Français devenus eux aussi des citoyens-citadins
associent forêt avec nature, verdure et air pur. 9 dentre
eux sur 10 trouvent naturel de savoir reconnaître un chêne, très
nombreux ils fréquentent les chemins de grandes randonnées des
forêts qui couvrent près du ¼ du territoire et dont la surface
a doublé depuis le début du siècle dernier.
La forêt abrite,
dès les temps anciens, les êtres de légende (ogres,
enchanteurs, druides) et les proscrits (lépreux, brigands,
justiciers et leur version moderne : les maquisards). Léglise,
après avoir vainement tenté de déraciner les cultes païens,
choisira dy loger ses saints et ses ermites. Avec le XXe
siècle, la France rurale quitte ses champs, mais la forêt est
toujours là et constitue un fonds symbolique puissant.
On citera Brocéliande
(7000 hectares), dans lOuest, où le mythe arthurien a
installé des lieux symboles, tels que la tombe de Merlin lenchanteur.
La Sainte-Baume, dans le midi, où lon se rend en pèlerinage
depuis la nuit des temps, constitue une forêt-relique, le plus
vieux hêtre y aurait entre 300 et 500 ans. Protégée depuis
1319, elle na cessé de grandir. La forêt landaise, le
plus grand massif forestier dEurope de lOuest, que
nulle clôture ninterrompt, date, elle, du siècle dernier.
Elle est née du besoin dassainir une contrée malsaine,
faite de dunes mouvantes et de marais, on lensemença des
pins qui en firent la fortune.
La République a,
en France, plus de 200 ans. On vit aujourdhui sous la Vème
puisque tel est le nombre des républiques qui se sont succédées.
A Paris, capitale
qui résume trop souvent et trop rapidement la France à létranger
et qui, avant la loi sur la décentralisation et la prise de
conscience qui la rendue nécessaire, a même permis à un
sociologue de parler de Paris et du désert français, il
existe une perspective jalonnée de monuments qui, tels les différents
éléments dune matrioska, illustrent lhistoire
de France. Notre-Dame, située au cur médiéval de la
capitale, pourrait ainsi, en emportant dans lenfilade lArc
de triomphe et la tour Eiffel, semboîter dans la
grande Arche de la Fraternité qui domine le très moderne
quartier des affaires de la Défense. Fraternité qui est lun
des éléments de la devise républicaine.
Nous choisissons,
parmi les nombreux épisodes de notre siècle, ceux où lon
voit saffronter deux France . En
simplifiant abusivement, ces deux France et leurs combats
illustrent les réactions opposées suscitées par les évolutions
sociales, économiques et politiques. Nous constaterons dailleurs
que la fracture nest pas forcément sociale mais peut être
aussi générationnelle.
·
Le front populaire ·
Le régime de Vichy |
·
Poujade et Mendès France ·
Mai 68 |
Le
choc pétrolier de 1973 met fin aux années de croissance, Les
trente glorieuses , et inaugure la crise. Nous
choisissons dillustrer la France de la crise, de 73 à nos
jours à travers les thèmes qui dominent les pages-société des
quotidiens, en particulier :
·
Lexclusion ·
Limmigration |
·
La famille ·
Lécole |
a.1.
Un mot et ses dérivés: république
Ladjectif
républicain qualifie les substantifs les plus divers :
valeurs, droite, vigilance, mariage, parrainage
Née avec
la Révolution, la République est un régime radicalement
nouveau donc sans racines. Lidée républicaine nest
en France raccordable à aucune autre expérience : la révolution
découvrait en effet une idée neuve en Europe, celle du
bonheur et sattelait à sa réalisation !
Les
deux premières républiques sont éphémères, ce nest quavec
la troisième quelle sinstalle durablement. De cette
République pionnière , on oublie
volontiers les erreurs (la colonisation par exemple) pour
revendiquer fréquemment, une fidélité, un retour à ses
valeurs.
La
France qui sera celle de la IIIe République vient de
connaître une évolution sociale, lhumiliation dune
défaite, lidée républicaine a encore beaucoup dennemis
et ses amis ne veulent pas répéter les erreurs fatales à la IIe
République qui dura peu et aboutit à un nouveau césarisme.
Les
Républicains de 1880 découvrent donc limportance de la
durée. Si elle survit, elle assiéra sa légitimité;
Jules Ferry sera lhomme de cette conviction. Il veut
surmonter la vision de deux France inconciliables, entretenue par
les enseignements donnés à la jeunesse. Il veut réunir Révolution
et Ancien régime, réunir une seule nation derrière un seul
grand patrimoine. Aujourdhui que léglise a
accepté la république, que droite et gauche ne la contestent
plus, on plaide souvent un retour à une république rendue
mythique par lampleur des transformations sociales
survenues depuis son installation : la France nest
plus un pays rural, on ne croit plus que létat détient
la clé du changement social ni que le progrès viendra à bout
du malheur humain. Ce qui nous sépare peut-être le plus de la
IIIe République, cest limmense pouvoir quelle
attribuait à lécole, à son pouvoir dintégration
et de correction des inégalités. Aujourdhui lécole
est contestée. Autre certitude mise à mal : la République
dalors se vivait comme une communauté universelle et
neutralisait sans états dâme les différences culturelles,
notre culture favorise aujourdhui la particularité.
Lidée
française de république nest pas pour autant irrémédiablement
perdue. Lhorizon républicain endigue les dérives ultra-libérales
mais, tout en refusant de placer le bien commun au-dessus des
droits de lindividu, il renferme la conviction que la société
républicaine est faite pour les citoyens, et doit permettre à
chacun dentre eux datteindre sa totale réalisation.
a.2.
Quelques caractéristiques de la IIIe République
Fondée
en réaction contre le IId empire, elle est portée
par le progrès scientifique et lavènement dune
civilisation industrielle. Lesprit du rentier prédomine
toutefois sur lesprit dentreprise. La diffusion de linstruction
y est un facteur de promotion sociale et cimente lunité.
La France au début du XXe maintient bien des archaïsmes ;
sa faiblesse réside dans sa démographie insuffisante, dans le
fait que, si elle la nourrit, sa paysannerie compte trop dhommes
compte tenu de sa production, lindustrie change la
condition ouvrière mais la législation sociale est en retard.
En 1921, la République
française compte 39 millions dhabitants soit 1 million de
plus seulement que 50 ans plus tôt. En 1938, sa population
atteint 42 millions, ce faible gain étant davantage lié à
limmigration quau recul de la mortalité. Si la
grande crise de 1929, arrivée en France en 1930, fait moins de
ravages que chez ses voisins, cela est dû à la moindre
industrialisation. Les Français, attachés dans leur majorité
au régime républicain, voient avec inquiétude leurs voisins
opter pour le nazisme et le fascisme. Ils ont perdu la prospérité,
craignent la guerre et la Troisième république leur paraît
impuissante.
V.b.
Le Front populaire
Il
est un moment de cristallisation des débats de la France dalors
et reste un épisode mythique pour lavenir. Lorsque la
gauche retournera au pouvoir, 54 ans plus tard, elle agira aussi
en fonction de cet ancêtre historique .
Dans
les années 30 fleurissent les ligues : la ligue se
distingue du parti en ce quelle ne sengage pas dans
la conquête du pouvoir par les candidatures électorales. On
peut citer la Ligue des droits de lhomme constituée en
pleine affaire Dreyfus, la Ligue des auberges de jeunesse etc
mais les ligues qui attirent les activistes dalors forment
des sortes de milices et ont des apparences dorganisation
paramilitaire. Lorganisation qui va connaître lessor
le plus régulier, à partir de 1934, sappelle les Croix-de-Feu.
A lorigine, cette petite association groupe les combattants
qui ont obtenu la croix de guerre. Ce mouvement
nationaliste aspire à un gouvernement républicain fort. Les
ligues cristallisent lexaspération provoquée par la crise
qui ne passe pas, la montée des nationalismes étrangers,
linstabilité ministérielle. Lantiparlementarisme
est renforcé par un scandale politico-financier (laffaire
Stavisky) qui sera le détonateur dune grave crise
politique et alimentera la xénophobie. Entre autres épisodes,
le mardi 6 février 1934, le gouvernement doit se présenter
devant les Chambres pour solliciter leur confiance. Toutes les
organisations de droite invitent à manifester contre les
voleurs , lassociation des anciens combattants
invite, elle aussi, à manifester. La collision est terrible, le
bilan tragique : 15 morts et plus de 1500 blessés. Cest
la stupeur, la démission du président fait tomber la fièvre. Cest
de ce jour que date le rassemblement des forces de gauche. Le
parti communiste sort de son isolement et se fait le moteur de lantifascisme,
thème mobilisateur et unificateur. Il se tourne vers les classes
moyennes et retrouve les valeurs patriotiques. La grande
manifestation du 14 juillet 1935 scelle la constitution du Front
populaire. Cest une coalition des forces de gauche et dextrême
gauche, ayant pour objectif de défendre la démocratie contre
les menaces fascistes. Il existe en Europe deux expériences
similaires : en Espagne et en France. Ce nest pas un
groupement de partis, car y participent confédérations
syndicales, mouvements à dominante intellectuelle et un
mouvement danciens combattants. Leur programme est publié
le 12 janvier 1936 et groupe les revendications sous plusieurs
titres tels que Défense de la liberté, de la paix, restauration
de la capacité dachat. Le mot dordre des communistes
lors de la campagne électorale est linhabituel pour
une France libre, forte et heureuse .
La
victoire du rassemblement fut nette. Léon Blum, dont lengagement
politique a été suscité par laffaire Dreyfus, devient le
premier chef dun gouvernement socialiste, gouvernement
auquel les communistes refusent de participer. Trois femmes, qui
nont pas alors le droit de vote, en font partie ! La
nouvelle chambre ne pouvant se réunir avant un mois, le
gouvernement en place ne peut expédier que les affaires
courantes. Souvre alors un temps dattente, les électeurs
sont au contraire pressés de voir leur vote se concrétiser. Limpatience
va provoquer un formidable mouvement de grèves. Grèves qui par
leur ampleur, leur nouveauté, vont entrer dans la légende.
Elles gagnent toute la France et la paralysent. Les travailleurs
occupent les usines cest la grève sur le tas ,
loccupation est vécue dans une atmosphère de fête, la grève
prend une allure de vacances. On danse tout en entretenant les
machines, lambiance est bien loin de la tension et de la
violence des conflits antérieurs. Dans lopposition, en
revanche, cette situation est vécue comme une violation
inadmissible de la propriété et des valeurs dordre. En réponse
au drapeau rouge flottant sur les usines dans les banlieues ouvrières,
les arrondissements bourgeois tapissent les immeubles du
tricolore. Deux France saffrontent. Le mouvement nest
pas révolutionnaire et ne vise pas à prendre possession des
outils de production mais réclame des améliorations de la
condition ouvrière. Les syndicats grandissent, y compris les
syndicats chrétiens qui reçoivent leur brevet dappartenance
à la classe ouvrière, une génération de jeunes chefs dentreprise
comprend la nécessité dune politique sociale.
Quand
Léon Blum peut enfin agir - désormais la grève dure depuis
trois semaines - il provoque une rencontre entre patronat
et forces ouvrières qui aboutit aux accords de Matignon (première
apparition de ce mot pour désigner le siège du gouvernement).
Le gouvernement est le garant des accords qui comportent une
hausse des salaires, la liberté syndicale (élection de délégués
datelier). Leur signature est une étape capitale du
mouvement social.
Contrairement
aux mots dordre donnés pour la reprise du travail, les
travailleurs renâclent ce qui affaiblit le gouvernement face au
patronat. Une vague de projets de loi vient compléter les
accords, en particulier une loi institue le droit à deux
semaines de congés payés. Cest là linitiative la
plus populaire qui restera le symbole du Front populaire. Cest
la première fois que le droit au loisir est généralisé. En
1956, un autre gouvernement dirigé par un socialiste les portera
à trois semaines, une quatrième semaine sera ajoutée après
1968 et une cinquième après la victoire de la gauche en 1981.
Cette loi a ouvert une fenêtre, des hommes et des femmes qui navaient
jamais quitté leur logement partent en vacances, découvrent la
mer, reviennent au berceau familial, inaugurant le tourisme
social, le sport populaire, le goût du voyage. Une autre loi
abaisse la durée du travail de 48 heures à 40 heures. Le
gouvernement espère ainsi lutter contre le chômage, cet
espoir sera déçu et le gouvernement sera contraint de dévaluer.
La dévaluation est interprétée comme laveu dun échec.
Le
Front populaire oeuvre aussi beaucoup dans le domaine de lenseignement.
Il généralise la gratuité, prolonge la scolarité obligatoire
de 13 à 14 ans et inaugure des méthodes pédagogiques basées
sur les loisirs dirigés. Il est le premier gouvernement à
concevoir une politique culturelle, la défense de la culture étant
lun des enjeux de la lutte contre le fascisme. Ce
foisonnement dinitiatives, parfois brouillon, a suscité un
enthousiasme dont le souvenir résiste à lusure du temps.
Après
les grèves, Blum fut confronté à la grande épreuve de la
guerre dEspagne. Face à lagressivité des pays nazi-fascistes,
la France adopte une stratégie purement défensive tout en lançant
un programme de réarmement.
Le
drame espagnol devient un drame intérieur, Blum est contraint de
se rallier à une politique de non-intervention. Cest le
premier acte de la dissociation du Rassemblement. En juillet 37,
Léon Blum démissionne après une série dincidents dont
une manifestation qui fait 5 morts,
Lexpérience
est terminée. Sa chute ne provoque pas de mouvement populaire,
le gouvernement a épuisé son crédit de confiance mais il
laisse un souvenir très fort qui en fait un moment majeur
de lhistoire contemporaine et une période de référence
encore actuelle.
Les
deux ans qui suivent voient les gouvernements essayer daffronter
la crise économique et laggravation de la situation
internationale.
Au
moment où la paix semble perdue, Mussolini propose une conférence
à quatre : lui, Hitler, le Premier britannique et le président
du conseil français. Les accords conclus dits de Munich
provoquent en France une fracture profonde entre Munichois et
Antimunichois. La fracture est encore vivante, munichois reste un
appellatif infamant. Ce précédent de 1938 a par exemple été
invoqué au moment de la crise du Golfe en 1990. Les deux camps nétaient
pas unanimes et les Français sont divisés à lintérieur
même des familles. Il reste à la France le seul allié
britannique. La droite revient au pouvoir, sactive pour une
reprise économique et sattache à la lutte contre une démographie
faible en instituant le Code de la famille. Les gouvernements
successifs suivront cette voie. En 1939 la France entre en guerre.
Issu
de la défaite, le régime de Vichy est un autre moment clé de lhistoire
contemporaine.
Il
constitue un moment spécifique de lhistoire politique de
ce siècle par les conditions dramatiques de son avènement, il
se distingue par son idéologie mais ne constitue pas non plus
une parenthèse sexpliquant par les circonstances de la
guerre. Il sinscrit dans une tradition ancienne et laisse
un héritage et des séquelles profondes dans la conscience
nationale. Il tire son nom du lieu de linstallation du
dernier gouvernement de la IIIe République formé le
17 juin 1940 par le maréchal Pétain. Vichy fut choisi aussi
pour sa position centrale dans la zone non occupée par larmée
allemande victorieuse. Le 10 juillet 1940 lAssemblée
nationale a donné tous pouvoirs au gouvernement de la République
sous lautorité du maréchal Pétain de promulguer une
nouvelle constitution de lÉtat français qui devra
garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie. Il
sagit donc dun régime antirépublicain et antidémocratique.
A
la faveur du vide, créé par leffondrement, un clan
politique sempare du pouvoir et dénonce la République et
le Front populaire comme premiers responsables de cet état. Il
oeuvre en faveur de larmistice ; la capitulation
serait militaire, larmistice est politique.
Ce
choix est dicté par la situation militaire et pour des raisons
idéologiques. Pétain estime que larmistice est la
condition nécessaire à la pérennité de la France éternelle,
acte de foi quil profère alors que saffrontent
partisans et adversaires de la poursuite de la guerre. Larmistice
est signé dans des conditions moins humiliantes que prévues car
Hitler est décidé à ménager ce nouveau gouvernement disposé
à coopérer. Larmistice, entré en application le 25 juin,
admet en effet le principe dune collaboration avec le Reich
vainqueur. Les motivations annoncent la Révolution
nationale . Larmistice est le point de non-retour
qui va alimenter lalternative résistance/collaboration et
motiver les premières dissidences, celle du général de Gaulle
en premier.
Le
nouveau régime contesté par les gaullistes est considéré régulier
à lextérieur et par une bonne partie de lopinion.
La représentation nationale a largement entériné le choix
crucial de larmistice et accepté la fin de la IIIe
République. 569 députés et sénateurs ont voté le texte sur
les pleins pouvoirs, 20 se sont abstenus, 80 ont voté contre (en
grande majorité socialistes et radicaux-socialistes) mais 176
parlementaires manquaient à lappel (morts au combat ou
embarqués pour lutter en Afrique du nord), manquaient également
les élus communistes déchus de leur mandat pour avoir refusé
de condamner le pacte germano-soviétique.
Vichy
est un régime autoritaire, fondé sur le pouvoir charismatique dun
chef promoteur dun nationalisme exclusif et défensif.
Entre 40 et 42, les actes constitutionnels ont pour effets de
suspendre les chambres et de créer la fonction de chef de létat
français qui combine pouvoir exécutif et législatif. Pétain a
eu au début une grande popularité bien orchestrée par la
propagande. Face au désastre, beaucoup de Français ont cru quil
serait, comme il lavait été pendant la première guerre
mondiale, le sauveur ; ils ont vu en
lui le père protecteur de la nation. Les historiens distinguent
le maréchalisme adhésion sentimentale
à la personne de Pétain et le pétainisme
adhésion lucide aux valeurs véhiculées par Vichy. On retrouve
à des postes clés des représentants de la vieille idéologie
antirépublicaine et contre-révolutionnaire, des éléments des
ligues antiparlementaires, des membres du Parti social français
auquel Pétain emprunte la nouvelle devise travail,
famille, patrie qui remplace Liberté, égalité,
fraternité . La politique de Vichy a été marquée
par les contraintes de loccupation nazie et par des choix.
Ce mélange a entretenu une formidable ambiguïté. Convaincu que
le Reich triompherait, Vichy a tenté de se ménager une place
dans la future Europe allemande. Cette politique visait à faire
admettre des nazis la souveraineté française sur tout le
territoire. Pour prouver à loccupant sa capacité de faire
régner lordre, Vichy a cogéré la
solution finale et le régime sest lié au sort du
Reich, alimentant la guerre civile latente qui éclate en 44. La
nouvelle devise nest pas un simple habillage mais montre
la profondeur de la rupture souhaitée. La nation ne repose plus
sur le principe de la citoyenneté républicaine où la nation
est formée dindividus libres et égaux mais sur le
principe anti-individualiste des corps organiques hiérarchisés :
la Nation valeur suprême, la Profession, la Famille, cellules de
base. La Révolution nationale est donc un mélange darchaïsmes -
retour à la terre, remise à lhonneur des corporations -
et de modernité, en particulier sur le plan de lorganisation
administrative et économique. Elle renforce lÉtat moderne :
nouveau ministère de lindustrie par exemple. La Révolution
nationale passe aussi par lanéantissement de toute
contestation, la persécution de catégories entières comme les
Juifs. De sa propre initiative, elle promulgue des lois antisémites
et poursuit les terroristes aidant ainsi
la police allemande. Entre 40 et 44 le régime se durcit. Avec linvasion,
totale en novembre 42, Vichy apparaît comme totalement inféodé
au Reich. La création de la milice caractérise le Vichy
totalitaire qui sengage dans une lutte armée contre la Résistance.
Pétain a jusquau bout revendiqué lalliance
objective avec le nazisme et cette alliance continue de peser très
lourd dans la mémoire nationale.
c.1.
De nos jours le régime de Vichy est jugé sur la condition
quil a réservée aux Juifs.
Pétain déclarait
Jai toujours défendu les Juifs. Les persécutions
se sont faites en dehors de moi . On sait quil
nen est rien. Vichy a pris des initiatives, on compte de
nombreux décrets, arrêtés, circulaires, qui aboutissent à la
dénaturalisation de 7000 Juifs, leur interdisent laccès
à de nombreuses fonctions, et prévoient leur
internement dans des camps spéciaux. Sous contrôle
administratif, privés de leurs droits les plus élémentaires
les Juifs sont exclus de la nation. Une France des barbelés
surgit en zone libre.
Les
citoyens ennemis y sont enfermés : républicains espagnols,
antifascistes italiens, résistants français y côtoient les
Juifs. De même laryanisation dépossède les
Juifs de leurs biens ; le concours de Vichy est
indispensable aux autorités allemandes pour mener à bien leur
politique antisémite. Lexemple le plus tragiquement célèbre
est la rafle dit du Vél dHiv (vélodrome dhiver du
nom du lieu où les Juifs furent entassés) : Vichy emplit
et organise les convois et prend même la décision que les
enfants de tous les âges accompagnent
leurs parents. Lantisémitisme de Vichy ne va pas jusquà
imposer le port de létoile jaune en zone libre. Vichy
distingue les bons vieux Juifs français
qui perdent leur citoyenneté mais seront épargnés et les étrangers,
dont il convient de se débarrasser. Il collabore dabord
puis il laisse faire ensuite.
Si
moins de Juifs français ont été exterminés (23% dentre
eux contre 66% en Allemagne, 98% en Pologne), ce nest pas
grâce au gouvernement de Vichy mais grâce à la désobéissance
de Français ordinaires et grâce aussi aux Italiens qui, dans
leur zone doccupation élargie de novembre 42 à septembre
43, ont offert un accueil extraordinaire aux victimes des nazis.
Ce sont surtout les Juifs eux-mêmes qui ont organisé leur
propre sauvetage au sein des mouvements de résistance juifs et
non-juifs.
Le dessin satirique
qui suit, se réfère au procès Papon célébré en 1997/98:
Papon, fonctionnaire de Vichy fut reconnu coupable, 50 ans plus
tard, de crime contre lhumanité pour avoir fait déporter
des Juifs. Les deux personnages ne sont pas daccord sur les
dates car Papon, resté haut fonctionnaire de létat français,
a tragiquement réprimé des manifestations ayant eu lieu
au moment de la crise de la guerre dAlgérie
V.d.
Poujade et Mendès France
Ces deux noms et laffrontement
quils évoquent, illustrent le passage dune France dautrefois
à une France moderne et les résistances que ce changement
provoque.
Le
mot poujadisme est depuis lors présent dans le
dictionnaire et définit lattitude fondée sur des
revendications corporatistes et sur le refus dune évolution
socioéconomique.
d.1.
Quelques dates
1953 |
Naissance
de lUCDA (Union de défense des commerçants et
artisans) créée par Pierre Poujade pour sopposer
aux contrôles fiscaux. |
1954 |
Fin
de la guerre dIndochine, début des événements
dAlgérie. Ministère Pierre Mendès-France (PMF)
soutenu par lhebdomadaire Lexpress fondé
lannée précédente. |
1956 |
Élections
législatives. Succès du Front républicain regroupant
la gauche non communiste et la nouvelle
gauche rassemblée autour de PMF. Les
poujadistes obtiennent 10% des suffrages. |
Le
mouvement poujadiste incarne la défense de la petite entreprise
indépendante menacée par la croissance, larrivée de la
grande distribution et lindustrialisation. Les petits
entrepreneurs se sentent les victimes de la traque
fiscale, le gouvernement ayant besoin de fonds pour la
reconstruction savère effectivement plus sévère. Le
gouvernement PMF suscite une vive colère en acceptant un
amendement qui autorise lemprisonnement de tout citoyen sopposant
à un contrôle. Les anciennes classes moyennes, provinciales en
particulier, voient leur pouvoir samoindrir et,
nostalgiques, se tournent vers le passé. Leur programme est de
restaurer la vraie France, celle dautrefois,
colonialiste et rentière. Leurs valeurs sont celles des ligues
antiparlementaristes et xénophobes.
Les
mendésistes appartiennent au contraire aux nouvelles classes
moyennes des salariés. Pour PMF les Français doivent savoir
transférer leurs ambitions de lempire colonial à lindustrie
moderne.
Ainsi
le conflit noppose-t-il pas le prolétariat à la
bourgeoisie mais les classes moyennes.
V.e.
Mai 68
e.1. Lavant
68
De
la guerre au premier choc pétrolier se déroule une période désormais
couramment évoquée par le nom que lui donna léconomiste
Jean Fourastié les Trente glorieuses .
Symboliquement, elle coïncide avec la décolonisation et le
choix européen. De Gaulle sait parler aux classes que lirruption
de la modernité inquiète, il est le garant des valeurs
éternelles . Entre la fin de la guerre dAlgérie
et la crise, les événements de 68 marquent à nouveau une césure
emblématique.
e.2. Une crise
inattendue ?
Lexplosion était
imprévue, Pierre Vianson-Ponté écrivait, au mois de mars dans
un éditorial du Monde : la
France sennuie. Était-elle prévisible ?
Les
vieilles solidarités rurales et ouvrières disparaissent, la
croissance ne propose quun modèle uniformisant de
consommation, les résistances aux changements restent fortes.
Famille, état, église imposent leurs valeurs morales à la génération
née du baby-boom. Les jeunes sont nombreux, ils ont grandi dans
une société où le bien-être se confond avec la possession du
réfrigérateur, de la télévision, de la voiture et de la
machine à laver pour tous. Les solidarités ont changé, elles
ne sont plus verticales mais horizontales, les jeunes simposent
comme un groupe séparé, numériquement 1/3 de la population a
moins de 21 ans. Ils ne désirent plus reproduire le modèle de
leur pères mais recherchent une nouvelle convivialité
avec leurs pairs. Les associations encadrées par les
adultes sont largement contestées (le scoutisme par ex.).
Parmi
les signes avant-coureurs, on peut identifier quelques dates, même
si certaines appartiennent plus spécifiquement à la culture :
1965,
Georges Pérec publie Les choses.
1967,
Michel Tournier publie Vendredi ou Les limbes du Pacifique.
Lun
campe un jeune couple dans la société de consommation et son
insatisfaction, ses tentatives dy échapper. Lautre
renverse le mythe de Robinson Crusoë. Seul sur son île, ce
dernier ne sait que reproduire le modèle qui consiste à
accumuler et à devenir lesclave de ses biens jusquau
moment où le sauvage Vendredi lui
apprend une nouvelle façon dêtre dans le respect ludique
de la nature.
Les
cinéastes de la nouvelle vague proposent des films moins
conventionnels et plus sensibles au quotidien.
En
1967, la loi Neuwirth autorise la pilule, ce qui va révolutionner,
tout dabord la vie sexuelle, puis toute la société.
Plus
directement, les effectifs estudiantins ont plus que doublé en
sept ans. Le milieu est transformé car il nest plus
uniquement fréquenté par les enfants de la bourgeoisie ayant
grandi dans un certain respect du rituel. Cest une
foule solitaire mal administrée qui subit
les cours magistraux de mandarins (nom donné aux professeurs de
luniversité) qui lui semblent bien lointains. LUNEF
(Union Nationale des associations générales dÉtudiants
de France, née en 1907) ne groupe plus quun étudiant sur
dix, les mouvements spontanés foisonnent, mais leur seul point
commun de mobilisation est la solidarité avec le Viêt Nam.
e.3.
Chronique des événements
Depuis
peu, les projecteurs sont braqués sur Nanterre (université
nouvelle construite aux abords dun bidonville) où les étudiants,
dont le leader charismatique sappelle Daniel Cohn-Bendit,
ont occupé le bâtiment administratif le 22 mars et forment un
mouvement qui a pour cible les autorités universitaires,
gouvernementales mais aussi le Parti communiste.
Le gouvernement répond
par la fermeté et le ton monte rapidement :
·
Fermeture de luniversité.
·
Annonce dun conseil de discipline contre 8
meneurs .
·
Meeting de protestation organisé à la Sorbonne.
·
Irruption de la police et arrestation en bloc des participants.
·
Semaine de manifestations au quartier Latin.
·
Les brutalités policières gagnent au mouvement la sympathie de
lopinion. Lycéens et jeunes ouvriers rejoignent le
mouvement.
·
Le Parti communiste revoit sa position.
·
Nuit de barricades, du 10 au 11 mai.
·
Syndicats enseignants et confédérations ouvrières appellent à
une grève générale le 13 mai qui remporte un vaste succès en
province comme à Paris.
·
Parties de la province, les grèves avec occupation font tache dhuile.
En moins dune semaine le pays compte 7 millions de grévistes
qui paralysent le pays. Usines et universités deviennent les
lieux de débats passionnés qui restent toutefois séparés. Des
milieux généralement absents des conflits sociaux (gens de
lettres et du spectacle, cadres) participent.
·
Georges Pompidou choisit de temporiser. Pour dissocier ouvriers
et étudiants, il suscite la rencontre des organisations
patronales et syndicales le 25 mai au ministère du Travail, rue
de Grenelle.
·
La crise politique explose avec le rejet des accords de Grenelle.
La relève du pouvoir semble ouverte par la gauche classique qui
laisserait de côté le PCF. Celui-ci réagit par une grande
manifestation le 29 mai, jour où lopinion stupéfaite découvre
que De Gaulle est introuvable. Il serait parti en Allemagne vérifier
la fidélité de larmée ou aurait cédé au découragement.
Lorsquil revient, il abandonne la possibilité dun référendum
pour les élections législatives.
·
Une immense manifestation de soutien marque le retournement de la
situation. Les négociations salariales reprennent. On assiste à
une dernière flambée de violence dans le secteur automobile qui
fait trois morts.
·
Mi-juin, onze mouvements gauchistes sont dissous, la Sorbonne est
évacuée. Les élections de fin juin voient le recul de la
gauche et le triomphe des gaullistes.
Mai
68 ne fut pas une résurgence des révolutions parisiennes du XIXe
siècle, le mouvement fut national. Il commença par les
manifestations mais resta légaliste, la rue sinclina
devant les urnes.
Un
aspect français de la crise est dans la personnalisation de lautorité,
laspect le plus neuf réside dans lapparition de
nouveaux acteurs : étudiants et couches moyennes. Aux
forces traditionnelles sadjoignirent des courants et des thèmes
politiques nouveaux : féminisme, écologie
On a parlé
au sujet de Mai 68 de révolution inachevée, de psychodrame
national.
e.4.
68 et après
Durant
les années suivantes, le mouvement demeure dans les universités.
Les réponses, comme la loi anticasseurs, sont répressives . La
contestation revêt des aspects violents ou ludiques mais évite
la dérive terroriste.
Deux
luttes sont emblématiques : les Lip ,
ouvriers de lusine portant ce nom décidant dassurer
eux-mêmes la production et la commercialisation des montres, les
paysans du Larzac sopposant à lextension dun
camp militaire. Ils obtiennent un large soutien et regroupent des
milliers de manifestants. La résistance du Larzac se prolongera
jusquen 81, François Mitterrand devenu président de la république
leur donnera satisfaction.
Parmi
les différentes revendications se distinguent aussi celles des
langues et des cultures minoritaires.
Le
mouvement de mai est avant tout la recherche de formes nouvelles
de convivialité, lutopie prend parfois les couleurs de
la nostalgie, cest ainsi que lon a également lu la
lutte du Larzac, les retours communautaires à la terre fréquents
chez les orphelins du mouvement (cf. phénomène
des babas cool nom donné aux personnes
plus ou moins marginales, non violentes, écologistes, vivant
parfois en communauté).
Les
années 70 et leurs manifestations multiformes mettent en évidence
les blocages de la société française.
Létat
accepte toutefois de faire quelques concessions. Il reconnaît
les formes modernes de la famille, du couple, de la sexualité,
la place croissante des femmes et des jeunes dans la société. Légalité
des sexes est devenue un enjeu majeur.
·
1970 lautorité paternelle est remplacée par lautorité
parentale.
·
1974 majorité à 18 ans
·
1974 loi sur lInterruption Volontaire de Grossesse
·
1975 loi autorisant lutilisation des contraceptifs oraux
par les mineures et le remboursement de la pilule par la Sécurité
sociale
·
1975 loi autorisant le divorce par consentement mutuel
·
1981 abolition de la peine de mort
·
1981 loi autorisant les radios locales
·
1982 loi Auroux reconnaissant lexpression des salariés
dans lentreprise.
La France de la
première partie de ce siècle, faite de ruptures et de continuités,
mue donc radicalement. Les Trente glorieuses marquent son
entrée dans la modernité avant que la crise inaugurée en 1973,
avec le premier choc pétrolier, ne la fasse basculer dans cette
fin de siècle, tourmentée et postmoderne, avec son cortège de
problèmes. Problèmes que nous abordons à la faveur des thèmes
annoncés plus haut.
L'immigration est un phénomène ancien en
France, il cristallise les positions, réveille de vieux démons,
interroge la France et ses traditions républicaines ;
ce qui semble le plus significatif, c'est la dimension française
de la question immigrée, révélatrice des faiblesses de notre
société.
a.1. Avant 1850.
La population française est le résultat
des différentes vagues de peuplement qui tout au long des
siècles se sont succédées ou côtoyées sur lhexagone :
de conquêtes en invasions les ancêtres gaulois
aux origines celtes ont pour caractéristique commune dêtre
hétérogènes ! La société du moyen-âge est
progressivement unifiée par le christianisme. A partir du XIIe
siècle les migrations, non plus belliqueuses, mais à
dominante économique, religieuse et politique sont rendues plus
visibles par la constitution dun
Etat-nation aux frontières de plus en plus imperméables. Cette
immigration ne correspond pas à un besoin démographique, car la
France est alors le pays le plus peuplé dEurope, mais à
un besoin de spécialistes. Colporteurs, artisans, saisonniers,
musiciens, marchands, montreurs dours empruntent des itinéraires
connus et la condition détrangers nempêche pas de
jouer un rôle au sommet de létat (Mazarin par exemple).
Les juifs considérés comme étrangers seront reconnus Français
à travers un processus qui, entre la Révolution et le premier
Empire, tendra à faire deux des Français israélites .
La France accueille également des réfugiés politiques comme
elle contraint les siens à lexil, les protestants après
la révocation de lédit de Nantes ou les aristocrates
fuyant la révolution.
a.2. Après 1850.
La situation change totalement car la France
connaît la dénatalité au moment où lindustrialisation
requiert justement de la main duvre. Les premiers
mouvements dimmigration moderne proviennent des pays
limitrophes.
Le recensement de
1851 est le premier à prendre en compte la catégorie détrangers ;
ils sont alors 1% de la population, la catégorie la plus représentée
sont les Belges. En un demi-siècle la population étrangère
triple alors que la population autochtone ne progresse que de 20%.
Aux Belges succèdent les Italiens puis les Allemands, les
Espagnols et les Suisses. Les non-européens sont en quantité négligeable.
Larrivée
massive détrangers a lieu au moment où simpose le régime
républicain qui entraîne le pays dans une phase nouvelle de son
unification. Contre les particularismes régionaux et religieux,
caractéristiques de lancien régime, la IIIe République
impose une langue, une histoire commune. Dans son creuset, la République
amalgame Bretons, Auvergnats, Italiens, Belges, Basques,
protestants, juifs
tous sont considérés des individus égaux
sommés de se fondre en un seul grand
peuple. Entre létat et le citoyen, il nexiste pas de
corps intermédiaires. Le conseil constitutionnel, garant de la
conception républicaine de la nation, a ainsi annulé larticle
parlant du peuple corse, composante du peuple français .
Les artisans de cette unification communément
appelée lintégration à la française
sont principalement lécole laïque, larmée, les
partis de gauche, les syndicats.
a.3. Après la
première guerre mondiale.
Le phénomène saccentue.
Le déficit démographique résultant de la grande guerre est
impressionnant: 10,5% de la population active, sans compter les
mutilés et les naissances perdues. La reconstruction de ce pays
en deuil rend donc indispensable lappel de main duvre
étrangère. Limmigration italienne est renforcée par lexode
politique conséquence de larrivée de Mussolini au pouvoir.
Au total 3,5 millions dItaliens viennent en France entre
1879 et 1940, sur lensemble 1,2 million fera souche dans lhexagone.
Laprès-1918
consacre larrivée massive des immigrés non-frontaliers :
Polonais, Russes blancs, Ukrainiens, Arméniens, Algériens et
Chinois participent plus modestement à cette vague dimmigration
La France devient le premier pays dimmigration relativement
à sa population. Aux courants de limmigration de
travailleurs se mêlent les réfugiés politiques : rescapés
du génocide arménien de 1905, socialistes et anarchistes russes
et italiens avant 1914, antifascistes italiens après 1922,
ressortissants des pays dEurope centrale fuyant lavancée
du fascisme, Républicains espagnols chassés par la victoire de
Franco. Contrairement à des clichés répandus, leur intégration
se fait dans la douleur. Les thèmes de linvasion, de linassimilabilité
se répandent.
Létendue
des vagues de xénophobie est toujours liée à une crise économique
ou politique et non au dépassement dun quelconque seuil de
tolérance. Les immigrés de cette première vague deviennent des
acteurs du mouvement ouvrier, ce qui ne leur attire pas que des
sympathies mais contribue à leur intégration.
a.4. Pendant
les Trente glorieuses.
On assiste à la
troisième vague darrivées dans le climat de la décolonisation.
Quatre millions de personnes proviennent alors du Maghreb, dEspagne,
du Portugal, leur venue est encouragée par lÉtat et le
patronat.
a.5. Depuis
1974.
Date de la
suspension officielle de limmigration de travailleurs non
qualifiés, les Africains noirs et les Asiatiques progressent au
sein de la population étrangère principalement à travers le
regroupement familial même si leur poids relatif reste faible.
Les Portugais
restent la première communauté étrangère par le nombre en
1990, la part des pays européens est devenue minoritaire
Lordonnance
de base date du 19.10.1945, elle a été modifiée en 1973, 1984,
1993, 1998, le tout formant un monument complexe. Les évolutions
de cette législation reflètent des situations économiques,
politiques et démographiques. Les règles de base combinent jus
soli (droit du sol) et jus sanguinis (droit du sang).
A partir de 1986, la pression du Front national va faire du code
de la nationalité un enjeu politique. Les projets vont se succéder,
se contredire, être appliqués ou pas, suivant les majorités
sortant des urnes et les scores atteints par le FN.
Ainsi lorsque la
droite revient au pouvoir, on assiste au retour des textes
limitatifs portant le nom de Pasqua. Parmi les dispositions, on
citera le fait que
·
les jeunes nés de parents étrangers nacquièrent plus
sans formalité la nationalité mais doivent manifester leur
volonté de devenir Français entre 16 et 21 ans ;
·
les parents étrangers denfants nés en France perdent le
droit dobtenir la nationalité pour leurs enfants mineurs,
possibilité qui les protégeait des dangers dexpulsion ;
·
lépoux étranger dun Français devra attendre deux
ans pour lacquérir ;
·
les enfants nés en France après le 31 décembre 1993 de parents
nés en Algérie avant lindépendance ne seront français
à leur naissance que si lun des parents réside en France
depuis cinq ans au-moins. Ce dernier bémol est symptomatique de
la pression de lextrême droite. Il sagit là dune
bombe à retardement : bien des jeunes vers 2012 risquent de
ne pas réussir à prouver que leurs parents résidaient en
France depuis 5 ans au moment de leur naissance.
Contrairement aux
prévisions pessimistes de la gauche, les jeunes concernés par
la manifestation de volonté vont massivement effectuer cette démarche
nouvelle (33.000 en 94, 30.000 en 95). Le système montre des
faiblesses dans deux domaines : il risque daggraver lexclusion
des jeunes (20% du public concerné) ; souvent déscolarisés,
ils vivent à lécart des institutions chargées par la loi
de diffuser linformation. Des enquêtes montrent aussi les
disparités dans lapplication de la loi selon les communes,
les tribunaux.
La nouvelle
majorité de 97 provoque un nouveau changement de cap.
Il ne sagit
pas dun retour à la loi antérieure. Une partie de la
gauche continue de demander un retour à la législation davant
94, un amendement prévoit la possibilité dobtenir la
nationalité dès 13 ans avec le consentement des parents. Les
autres innovations de la loi Guigou concernent la réduction, de
deux ans à un an, du délai pour demander lacquisition de
la nationalité après mariage et la simplification des formalités
dobtention des certificats de nationalité.
Sont recensées
comme étrangères les personnes qui ont leur résidence
permanente en France et qui déclarent ne pas avoir la nationalité
française. Le recensement de 1990 a comptabilisé 3,6 millions détrangers
soit 6,4% de la population, taux égal à celui de 1931.
Lusage de
la notion détranger reflète le poids de lidéologie
française selon laquelle il serait contraire à la tradition républicaine
de distinguer les Français en fonction de leur origine en raison
du risque discriminatoire de cette distinction.
Les polémiques autour du nombre d'étrangers
résidant en France et les flottements des chiffres avancés sont
souvent la conséquence des incertitudes liées aux statistiques.
La stabilité du
nombre ne correspond pas à une stabilité des personnes,
certains rentrent au pays, dautres deviennent français. Laugmentation
de la proportion de Français par acquisition est continue et
reflète les vagues successives dimmigration.
Le choix des mots :
étranger ou immigré, recouvre des situations différentes mais
souvent mal perçues. Certains étrangers sont nés en France et
nont jamais immigré ; lusage courant donne à
ce mot un sens ambigu, le terme faisant référence à lapparence
physique, au mode de vie supposé
; des enfants nés
en France, de nationalité française sont couramment qualifiés
dimmigrés alors quils ne sont nullement venus de létranger.
Un suivi
minutieux des processus dacquisition de la nationalité sur
trois générations permet dévaluer lapport démographique
de limmigration par rapport à la population actuelle.
Ainsi près dun Français sur 5 a un parent ou lun
des grands-parents étranger, près dune naissance sur cinq
est attribuable à un immigré arrivé en France depuis un siècle.
Sans cet apport, la croissance démographique aurait été diminuée
de 40% depuis 45. Il tend à diminuer en raison de la suspension
de limmigration et de la baisse progressive de la fécondité
des femmes étrangères.
Les étrangers
sont inégalement répartis sur lhexagone. La carte de
France de limmigration correspond à celle des grands
centres urbains et industriels alors que les régions de louest
et du centre comptent très peu détrangers. Les trois régions
les plus peuplées Ile de France, Rhônes-Alpes et
Provence-Alpes-Côtes dAzur rassemblent 60% des étrangers
de lhexagone.
VI.d. Chronique
dun siècle de politique dimmigration.
De la période précédant
la seconde guerre mondiale, on retiendra que létat républicain
entend dépasser les particularismes en insufflant le patriotisme
et la langue française pour tous. Le patronat organise larrivée
des travailleurs immigrés et des accords bilatéraux sont passés.
Les choix favorisent une main duvre européenne. Une
société privée la SGI (société générale dimmigration)
organise le recrutement en fonction des demandes des entreprises.
Légalité des salaires prévue par les conventions
satisfait les pays dorigine et les syndicats ouvriers.
La dépression
des années 30 amène des mesures restrictives et une forte vague
de xénophobie qui fait le lit de la politique de discrimination
ethnique mise en oeuvre par Vichy.
Pour faire face aux besoins en main duvre
de la France des Trente glorieuses naît un établissement public :
lONI (office national dimmigration devenu OMI office
des migrations internationales en 1984). Les immigrés les plus
nombreux dans limmédiat après-guerre sont les Italiens du
Sud et les Algériens. Ces derniers arrivent dans un pays qui
engage une guerre contre leurs compatriotes. Dans ce contexte de
déchirure historique où les droits de lhomme sont bafoués
et le racisme exacerbé va émerger la figure de lAlgérien
comme figure emblématique du travailleur immigré en France.
Pour équilibrer la main duvre algérienne, des
recruteurs des grandes entreprises françaises
vont dans les villages marocains, turcs ou portugais. Les jeunes
portugais fuient le service militaire dans une armée engagée
dans les guerres coloniales, la police de lair française
reçoit lordre de fermer les yeux sur leur entrée illégale,
les Portugais vont devenir la première communauté étrangère
au recensement de 1975.
Les immigrés
sont alors censés ne pas sarrêter en France, on construit
pour eux des foyers de célibataires alors que de plus en plus
souvent, ils arrivent accompagnés de leur famille, ils sont
alors réduits à loger dans des conditions insalubres, à sentasser
dans des cités de transit prétendument provisoires.
Laprès 68
marque lirruption de limmigration dans le débat
social. Syndicats, extrême gauche, organisations anti-racistes
engagent les immigrés dans des luttes et tentent dorganiser
la solidarité.
En juillet 74, le
gouvernement français décide de suspendre limmigration.
On autorise toutefois le regroupement familial et crée un
financement spécifique du logement destiné aux immigrés. Lorganisation
des cours de langue et culture dorigine dans les écoles et
la création dune aide au rapatriement marquent la
persistance dune conception provisoire de limmigration.
Le contrôle du séjour est renforcé, lexpulsion pour
simple entrée illégale et le placement en rétention sont
autorisés.
En 81, la gauche
accède au pouvoir avec lambition de mettre fin à la
politique répressive. 10 jours après la victoire de
Mitterrand, les étrangers nés en France ou arrivés avant lâge
de 10 ans, deviennent inexpulsables. Le droit des immigrés est
symboliquement placé sous lautorité du ministre de la
solidarité nationale. Laide au retour est supprimée. Les
sanctions contre les employeurs de main duvre
clandestine sont renforcées.
En 1983, la
Marche pour légalité conduite par
les jeunes des banlieues lyonnaises fait émerger la nouvelle génération
issue de limmigration. Ceux que lon appelle désormais
les beurs (ce mot issu du langage verlan
désigne les jeunes nés en France de parents maghrébins)
revendiquent à la fois leurs racines et leur droit à une place
dans la société française. Ils dénoncent le racisme,
notamment policier.
En juillet 84, lAssemblée
nationale adopte la carte de dix ans qui
rompt avec la précarité et fait cesser lhumiliation des
renouvellements incessants.
Avec la montée
du Front national, le gouvernement raidit ses positions et se
concentre sur la fermeture des frontières et la chasse aux
clandestins. Le regroupement familial est soumis à des
conditions strictes de ressources et de logement. Laide au
retour est pudiquement rebaptisée aide à la réinsertion .
La deuxième
marche des beurs, intitulée Convergence 84
abandonne le thème de la différence, trop facilement récupérable
en sens contraire par lextrême droite, pour promouvoir lidée
dune France qui a besoin de mélange pour
avancer . Le demi échec de ce mouvement marque le déclin
et la division des beurs entre ceux qui prônent lintégration
et ceux qui veulent construire un mouvement maghrébin autonome.
Fin 84, la
jeunesse française adopte, dans une large majorité, le message
antiraciste constitué dune petite main portant linscription :
Touche pas à mon pote (le pote étant lami,
le copain fidèle ; le message signifie : ne cherche
pas à nuire à mon ami) porté par des célébrités lors du
grand concert organisé par lassociation SOS-racisme. Lassociation
France-Plus développe les thèmes de la citoyenneté et incite
les jeunes à se présenter aux élections. La majorité des
beurs se sentent toutefois trahis par ce quils interprètent
comme une simple mode traitant bien superficiellement leurs
difficultés.
Dès 86, le
gouvernement Chirac répondant à la pression du Front
National par la loi Pasqua, les reconduites à la frontière se
multiplient, les renouvellements de la carte de dix
ans sont limités. Une vague dattentats terroristes
à Paris fournit le prétexte à linstauration de visas
pour les étrangers qui touchent les immigrés. Le débat sur le
code de la nationalité provoque des prises de position opposées
ainsi que des manifestations. Après lélection de 1988 où
le Front National atteint le score de 14%, le Premier ministre M.Rocard
tente en vain de dédramatiser la discussion. Mitterrand annonce
le retrait de la loi Pasqua, remplacée par la loi Joxe plus libérale.
La France senflamme lorsque trois collégiennes entendent
porter à lécole le foulard dit islamique. Le conseil détat,
pour calmer les esprits, rappelle les règles de la laïcité et
recommande un réglement cas par cas. Deux organismes mis en
place : le Haut conseil à lintégration et le secrétariat
général à lintégration, sefforcent de calmer le débat.
Le retour de la
droite au pouvoir, en 93, marque le retour de limmigration
comme cheval de bataille amalgamant les thèmes de limmigration
et de linsécurité, chers au Front National. Les débats
parlementaires aboutissent aux lois Pasqua. Celles-ci
restreignent les conditions dexercice du droit du sol et
multiplient les cas dempêchements à lacquisition de
la nationalité, autorisent les contrôles de police
administrative préventifs. On entre dans lère du soupçon
régularisé. Ainsi les maires ont-ils le pouvoir de suspendre un
mariage suspect , le regroupement familial
est rendu plus difficile. Ces textes vont multiplier les
situations dirrégularité sans issue dont sont victimes
ceux qui vont se baptiser sans-papiers .
Les effets de ces textes sont amplifiés par une administration
perméable à la xénophobie.
Jacques Chirac élu
à lÉlysée a pour ministre de lIntérieur Jean-Louis
Debré qui lincite à remettre sur le tapis la question de
limmigration.
Le 22 mars 96
trois cents Africains sans-papiers
trouvent finalement refuge à léglise de Saint-Bernard.
Devant linflexibilité du gouvernement, ils entreprennent
une grève de la faim qui suscite, en août, une vague de
solidarité samplifiant après lévacuation de léglise
par la police le 23/08/96. Limpossibilité de les reconduire
donne à Debré, largument quil attendait. La loi
Debré déclenche un réveil civique , un
appel à désobéir lancé par 59 cinéastes prolonge un
mouvement sans précédent. La loi, en voulant obliger les
personnes hébergeant un étranger à signaler son départ,
portait atteinte non seulement à la liberté des étrangers,
mais aussi à celle des Français.
Avec la nouvelle
majorité issue des élections législatives, en juin 97, on
assiste à une nouvelle gestion de la question plus quà un
véritable changement de cap. Une circulaire prévoit la régularisation
de certains sans-papiers, ceux qui ont fondé une famille en
France ou dont la vie est en danger dans leur pays. L.Jospin,
nouveau Premier ministre, annonce le 19 juin un réexamen global
et charge P.Weil de définir une politique ferme mais
digne . Le rapport est à la base des lois Guigou sur
la nationalité et Chevènement sur limmigration. Les lois
Pasqua ne sont pas supprimées mais aménagées. La loi Chevènement
est critiquée à gauche pour sa modération, à droite pour son
laxisme. Elle supprime certains obstacles dressés par la loi
Pasqua à laccès aux titres de séjour et crée des cartes
spéciales pour les retraités, les scientifiques, les grands
malades et les personnes disposant de liens personnels ou
familiaux avec la France. Elle supprime le délai dun an
pour obtenir un droit de séjour après mariage, elle assouplit
les conditions du regroupement familial, supprime les certificats
dhébergement et permet aux étrangers en condition régulière
de percevoir les allocations aux personnes âgées, aux adultes
handicapés et de logement social.
VI.e. Les
immigrés dans léconomie
Les étrangers
ont été particulièrement touchés par les mutations du marché
du travail. En 1975 les immigrés représentaient le quart des
effectifs des salariés du bâtiment et de lautomobile. Le
chômage est de 32% chez les non-Européens contre 12% pour
les Français. Lanalyse de lévolution par secteurs révèle
en effet, pour les étrangers, une amplification des phénomènes
constatés chez les Français. Dans lindustrie, plus dun
étranger sur trois, voit son emploi supprimé sans profit pour
les nationaux. Les étrangers nont gagné des emplois que
dans les secteurs où les conditions de travail sont précaires
comme le textile ou lhabillement ainsi que le commerce.
La crise a redonné
de laudience aux discours xénophobes liant immigration et
chômage. Elle est aberrante lorsque lon sait que certains
secteurs et le maintien de certaines activités reposent sur la
main duvre étrangère. Certains emplois non-qualifiés
ne trouvent preneurs ni parmi les Français ni parmi les étrangers
installés de longue date. Cest le cas dans le bâtiment,
dans les services aux particuliers, le forestage, lagriculture
et dans certains grands chantiers comme le TGV, Eurotunnel et le
stade de France. Dautre part, une demande de main duvre
étrangère qualifiée se développe ; lÉducation
nationale emploie des maîtres auxiliaires maghrébins et
africains dans certaines écoles boudées par les Français. La
persistance du travail illégal illustre cette demande constante
et touche aussi bien des Français. Le bilan modeste des actions
dincitations au retour traduit limpasse de cette idée.
En revanche celle de mettre les retours volontaires dimmigrés
au service du développement de leur pays dorigine est plus
prometteuse. A partir de 1995, on a expérimenté des micro-projets
financés conjointement par les fonds de coopération et lOMI.
Ces initiatives comme celles prises par des associations dimmigrés
se mobilisant en France et par certaines villes et régions
investissant dans des formules de coopération décentralisée préfigurent
lémergence dune nouvelle solidarité nord-sud dont
les immigrés sont les vecteurs. Depuis 1998, une délégation
interministérielle chargée du co-développement et des
migrations internationales vise à définir une politique dÉtat
cohérente.
Les habitudes de
consommation des étrangers se rapprochent de celles des familles
ouvrières françaises. Le niveau moyen des familles ouvrières
françaises, maghrébines et portugaises est extrêmement proche
(environ 13.400 F par mois) mais la taille de la famille, labsence
de deuxième salaire et les contraintes de limmigration
creusent des écarts que les diverses allocations ne compensent
pas. Les immigrés ont une moins bonne couverture sociale que les
Français. Ils vont moins chez le médecin ou à lhôpital
et profitent moins de la retraite : la population étrangère
étant plus jeune et ayant une moins longue espérance de vie. La
situation est inverse pour les allocations familiales.
La fragilisation
du corps social se traduit par la montée de lintolérance
et de la xénophobie. Lexclusion des revenus du travail, sa
concentration dans des cités de banlieues fermées ont généré
la montée de la violence et de la toxicomanie. Le fait quune
part dominante des étrangers provienne de lancien empire
colonial et soit porteuse dun héritage de conflits et dhumiliations
pèse lourdement sur leur statut. La montée des tensions liées
aux réalités de limmigration alimente un vif débat sur
la manière de promouvoir une cohabitation plus harmonieuse.
La tradition fait
de la France un pays dassimilation efficace, mais ce mot a
pris une signification négative : la négation de laltérité
doù le recours au terme d insertion ,
ce dernier, exploité par la droite extrême pour dire linassimilabilité,
est devenu dangereux ou pour le moins ambigu. Le mot intégration
est alors revenu en force. Tentant de mettre une fin aux
querelles de vocabulaire le Haut Conseil à lintégration (HCI)
a défini lintégration non comme une sorte
de voie mitoyenne entre lassimilation et linsertion
mais comme un processus spécifique
il sagit de
susciter la participation active à la société nationale déléments
variés et différents, tout en acceptant la subsistance de spécificités
culturelles, sociales et morales
afin
de rendre
solidaires les différentes composantes ethniques et culturelles
et de donner à chacun
la possibilité de vivre dans
une société dont il a accepté les règles et dont il devient
un élément constituant (HCI. Pour un modèle
français dintégration, 1991).
Les définitions
théoriques de lintégration ont mal résisté dans les années
90 aux réalités dune société confrontée à des
revendications communautaires. Les violences urbaines, la drogue
ou la délinquance, le raidissement de lexpression
religieuse, lémergence de pratiques inacceptables pour lopinion
publique (polygamie, excision) reflètent les difficultés. Ces
phénomènes exacerbés par les erreurs de lurbanisation, laffaiblissement
des instruments traditionnels dintégration (école, armée,
partis politiques et syndicats) nourrissent les craintes de
ghettoïsation.
Les données
collectées par lINED sont pourtant encourageantes. Lutilisation
de la langue française simpose rapidement. Les couples
mixtes se multiplient. En dépit des graves difficultés les fils
et filles douvriers espagnols et algériens quittent plus
souvent la classe ouvrière que la moyenne des enfants douvriers
français. Lenquête confirme, en revanche, leffet
ghetto lié au type durbanisme ainsi que le rôle clé joué
par lécole. Dans ce domaine, on constate quà
origine sociale égale, élèves français et étrangers, ont des
taux de réussite similaires et que les familles délèves
étrangers ont des attentes plus fortes. Les dernières années
ont vu la mobilisation de nombreuses associations de jeunes issus
de limmigration en faveur de lécole. Les enfants de
limmigration sont surtout le symbole dune
concentration de handicaps sociaux et du choc des cultures que lécole
ne peut affronter seule. La société française tend à
concentrer ses fractures sociales sur lécole, héritière
de la construction républicaine.
Dans le domaine
du logement, il ny a pas au sens propre de ghetto, mais il
y a concentration des franges les plus faibles dans certains
quartiers, cités ou grands ensembles. La crise de ces quartiers
déclassés se manifeste périodiquement par des mouvements de révolte.
Les différentes politiques de la ville essaient dy porter
remède, mêlant création déquipements publics, réhabilitations,
aide à la vie associative et aux interventions sociales. Les
immigrés les plus récents sont avec le quart monde français
les derniers occupants des taudis. Ils squattent les vieux
immeubles, plantent des tentes, investissent des immeubles vides
avec lAssociation Droit au Logement (DAL), ils tentent
surtout de réveiller une société qui inscrit le logement parmi
les droits de lhomme.
On assiste
aujourdhui à un renouveau de lantiracisme. Il passe
aujourdhui par la recherche de nouveaux équilibres entre
une conception rigide de la République, niant les
particularismes, et la reconnaissance dun droit à la différence,
menant à un communitarisme destructeur. Il passe aussi par des
événements très profanes comme le
bonheur vécu par tous les Français grâce à la victoire dune
équipe de football largement multiethnique lors de la Coupe du
Monde de lété 98. Plus quun moment de grâce, il
est à espérer quil inaugure une nouvelle convivialité de
cette France quil est devenu normal de caractériser comme
étant « black, blanc, beur ».
VII. LEXCLUSION
VII.a. Présentation
La France sest
donnée une devise ambitieuse : Liberté, Égalité,
Fraternité.
La déclaration
de 1793, préambule à la constitution de 1848, stipule que la République
doit, par une assistance fraternelle, assurer lexistence
des citoyens nécessiteux. On trouve donc très tôt associées
les notions de République, de fraternité des citoyens et de
droit à laide.
La France a vécu,
pendant la deuxième moitié de notre siècle, une période de
croissance économique (les Trente Glorieuses) et est dotée dun
système de protection sociale développé, au nom emblématique
létat providence . Pourtant, les
pauvres existaient et ils existent encore. La pauvreté augmente
même et le fait que plus personne ne semble en être à labri
provoque des réactions variées (peur, violence, maladie,
engagement
). Lécart entre la réalité et lambition
est donc encore large, il frustre la société et ses
membres et paraît contribuer grandement à leur proverbiale
mauvaise humeur. Ce phénomène, cette souffrance mobilisent
aussi les esprits et sétalent sur les colonnes des
journaux. La fracture sociale enfin est un thème récurrent des
campagnes électorales !
VII.b. Des mots pour dire lexclusion
Les mots
permettant de parler de ce fléau et de
ses victimes sont multiples: la misère, la précarité, la
pauvreté, lindigence, les pauvres, les parias, les démunis,
les laissés-pour- compte, les clochards, les défavorisés, les
marginaux, les sans-emploi, les chômeurs, le quart-monde
des qualifications nouvelles sont également apparues :
lexclusion et les exclus, ainsi que dautres,
construites sur des sigles dailleurs souvent liés à une
de ses expressions ou aux tentatives de remédier aux souffrances
quelle entraîne ; par exemple : les smicards (travailleurs
percevant le Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance)
les SDF (Sans Domicile Fixe) les RMIstes (bénéficiaires du
Revenu Minimum dInsertion) ou les ASSEDIC (Association pour
lEmploi Dans lIndustrie et le Commerce, instituée en
1958 par une convention entre Patronat et Syndicats collectant
des cotisations obligatoires et assurant dans chaque département
lindemnisation du chômage), les SEL (systèmes déchange
local)...
VII.c. De
quoi vivent les Français ?
Connaître leurs revenus est une
entreprise ardue. Ils naiment pas parler de ce quils
gagnent (nous faisons remarquer au passage quà la différence
dun Italien, un salarié français donnera le montant brut
de son salaire car la retenue à la source nest pas systématique)
et le développement de léconomie souterraine et du
travail au noir accentuent le manque de transparence. Depuis 1945,
la composition des revenus des ménages sest profondément
modifiée :
Pourcentage
de revenus provenant dun travail salarié |
en
1945 = 37% |
en
1970 > 50% |
Importance
des prestations sociales |
en
1949 = 11,5% |
en
83 = 37% |
Augmentation
du revenu réel par habitant |
Entre
1960 et 1973 = 80% |
Entre
1973 et 1983 = 20% |
Léventail
des salaires est large et la possession du patrimoine est profondément
inégalitaire. On estimait en 1980 que 10% des ménages les plus
fortunés possédaient 54% du patrimoine. De plus lascenseur
social semble en panne. Les mécanismes de reproduction sociale nont
guère changé. Parmi les classes dirigeantes, lhérédité
sociale est très forte, cadres et professions libérales se perpétuent,
à de rares exceptions. La transmission économique nexplique
que partiellement ce phénomène, la transmission du capital
culturel paraît déterminante. La généralisation de lenseignement
devait permettre la promotion égalitaire de tous les citoyens
aussi cette panne sociale est-elle un des
aspects de la crise de lécole républicaine.
VII.d. Qui sont les pauvres, combien sont-ils
et comment sont-ils appréhendés ?
Le décompte est
lui aussi ardu car à la catégorie de la
pauvreté absolue sest ajoutée celle de la pauvreté
relative.
En juillet 1976,
le premier grand programme de lutte lancée contre la pauvreté
par le conseil de la communauté européenne, énonce en effet :
sont définis comme pauvres les individus et les
familles dont les ressources sont si faibles quils sont
exclus des modes de vie, des habitudes et des activités normales
de lÉtat dans lequel ils vivent .
On constate en effet que, depuis 45, le
regard que citoyens et experts portent sur la pauvreté sest
modifié.
De 45 à 50, les
spécialistes sinquiétaient des conditions de vie des
familles sans logis et des individus sans ressources. Les
victimes étaient bien connues des militants associatifs de
terrain (1953 : mouvement des squatters ; 1954 :
Abbé Pierre ; 1956 : fondation de Atd Quart-Monde, ATD
signifiant Aide à Toute Détresse.)
Dans les années
60, leur attention sest portée sur la survivance dun
sous-prolétariat peu ou pas qualifié et de laccès généralisé
à la consommation. Les exclus étaient définis en termes de
besoins fondamentaux insatisfaits, les experts débouchent alors
sur la caractérisation dun groupe souvent nommé quart-monde.
Dans les années
70, ils prennent conscience de la faiblesse persistante du niveau
de vie dune partie importante de la population française
et les définitions englobent les catégories dites à risques.
Dans les années
80/90, aux inadaptés, aux personnes en état dinsécurité,
de vulnérabilité, de pauvreté effective, sajoutent les
chômeurs et les salariés à statut précaire.
Depuis les années 70, lexclusion
est la catégorie mise en forme par les experts pour mieux cerner
les multiples problèmes liés à la pauvreté. Elle permet de
poser dune façon nouvelle la question sociale dans la société
française contemporaine. Ce nest pas un mot fourre-tout,
ni un inventaire des misères, mais une catégorie appelée à
devenir opérationnelle, utile pour les politiques sociales. Les
spécialistes élargissent le champ détudes, il ne sagit
pas de recenser les pauvres mais de repérer les facteurs de
risques pour mettre en oeuvre une prévention
et non plus simplement une assistance. Les exclus potentiels sont
envisagés comme précaires, fragiles, en situation dinsécurité,
voire de dépendance et de désaffiliation. La dissolution des
liens traditionnels, laffaiblissement des communautés
locales et lurbanisation caractérisent lexclusion
contemporaine.
La pauvreté nest
donc plus seulement absolue (notion ayant inspiré en France linstauration
en 1988 du RMI, revenu destiné à assurer un minimum vital) mais
aussi relative ; on ne regarde plus seulement le montant des
revenus mais lirrégularité, lincertitude de leurs
rentrées.
e.1. Quelle est lampleur du fléau ?
En 1974, louvrage
de René Lenoir dénonce, dès son titre Les
exclus, un Français sur dix ; Jacques
Delors déclare, en 1994, dans un entretien accordé au Monde
Je malarme de lévolution de notre
société dont les deux tiers vivraient plus ou moins bien, mais
sans soccuper de ceux quils laisseraient sur le bord
de la route : le troisième tiers au sein duquel se
trouveraient les exclus, les marginaux, les sans-espoir .
Plus quun dénombrement cynique, ce
qui importe, cest que cette pauvreté, que lon
qualifie de nouvelle depuis la crise, est un phénomène qui sintensifie ;
que certaines catégories semblent particulièrement à risques
et que, si le manque dargent est une cause première, avoir
de largent ne suffit pas à lui seul à émerger de lexclusion.
Lhabitat
est souvent le début de toutes les ségrégations et le canal
par lequel la pauvreté sinfiltre dans les autres domaines :
éducation, emploi, santé etc.
Le degré dexclusion
peut aussi se mesurer sur la base du rétrécissement du réseau
de sociabilité. Le pauvre est victime de désaffiliation ,
cest-à-dire dune double exclusion : dune
exclusion économique et socio-familiale.
Sous les coups conjugués de la croissance
économique de laprès-guerre et le développement de létat
providence la pauvreté absolue a effectivement régressé ;
le quart-monde se résorbe progressivement, en revanche la
nouvelle pauvreté se caractérise par un éventail social plus
large. La détérioration du marché de lemploi, sa
flexibilité croissante, font que les individus vulnérables
risquent de précipiter dans lexclusion et, fait nouveau,
le pauvre nest plus le déviant, linadapté, tels que
le voyaient les conceptions déterministes et un peu mécanistes
dautrefois, mais quiconque se trouve en situation de
fragilité.
Les facteurs de fragilité sont multiples,
les statistiques concernant les RMIstes prouvent toutefois que
certaines caractéristiques mettent particulièrement leurs
victimes à la merci de lexclusion. Parmi ce que lon
appelle désormais des facteurs fragilisants, on trouve :
·
la solitude, lisolement affectif ( 58,7% des rmistes sont
des personnes seules sans enfant)
·
la jeunesse (1/3 a moins de 30 ans), en revanche si les personnes
âgées ont vu leur situation saméliorer, la mauvaise
situation de lemploi fait craindre leur retour à
relativement moyen terme dans les catégories en difficultés.
·
le manque de qualification (47% ont un niveau scolaire inférieur
à la troisième, 21% ont des difficultés dexpression écrite
et orale, 11% un niveau bac ou plus.)
·
les accidents de la vie (15% ont un parcours professionnel heurté)
·
lhabitat (44% sont hébergés et 10% sont dotés dun
habitat précaire ou SDF)
Un autre facteur
largement constaté est lendettement des familles :
on achète désormais tout à crédit, le logement, les vacances.
La France compte aujourdhui plus de 200.000 familles
surendettées, ce qui signifie que 60% de leurs revenus sont
absorbés par le remboursement des dettes. La loi Neiertz
(31/12/89) est une réponse au surendettement des ménages. Elle
instaure des commissions dexamen du surendettement des
particuliers afin de les épauler dans leurs relations avec leurs
créanciers ; les solutions peuvent être des octrois de délais,
des rééchelonnements de mensualité ou la réduction des taux dintérêt.
Toutefois le facteur de base reste lexclusion
du monde du travail. Informatisation, robotisation permettent des
économies de main duvre, peu qualifiée en
particulier. Le chômage touchait 2% de la population dans les
années 60 et 12% en 1994 (3,5 millions de personnes), autre
chiffre grave le chômage de longue durée augmente. La précarisation
des emplois, la diffusion des contrats à durée déterminée, à
temps partiel, en intérim, font que les heures travaillées ne
permettent plus daccéder aux indemnités.
Lemploi nest
pas cependant, à lui seul, une garantie contre lexclusion
(30% des chefs de ménage sadressant à laction
sociale ont un emploi). Les ruptures familiales sont un important
facteur de paupérisation.
e.2. Lutter
contre la pauvreté.
Restaurer la citoyenneté pour tous
mobilise le gouvernement mais aussi les associations caritatives.
Ces dernières interviennent dans lurgence, elles
permettent, par exemple, de patienter
devant les lenteurs de la bureaucratie.
Le réseau
caritatif est très diversifié. Dinspirations religieuse
ou laïque, les stratégies de lutte contre la pauvreté ont fait
maître de nouveaux organismes, tous ont pour objectif une action
daide de terrain. Nous citons parmi les plus connus:
1881 |
Armée
du Salut |
1939 |
Cimade,
service oecuménique dentraide |
1945 |
Secours
populaire |
1946 |
Secours
catholique |
1954 |
lAbbé
Pierre crée les chiffonniers dEmmaüs |
1957 |
Joseph
Wresinki fonde ATD quart monde |
1983 |
Coluche
fonde les Restaurants du cur |
1992/93 |
apparition
de la vente des journaux de rue (le réverbère, la Rue,
Faim de siècle
) |
Les organismes daide
sont en liaison étroite avec les pouvoirs publics. Ils les
renseignent et les aident à mieux connaître les besoins, les
caractéristiques de leur clientèle ;
ils leur proposent des réformes. Les nombreux dossiers constitués
par les associations ont largement servi à élaborer la loi sur
le RMI.
En 1988, avec la loi sur le RMI, la France
se dote dune politique de lutte contre la pauvreté qui nétait
auparavant quune partie implicite du système daide
sociale. Cette mesure a longtemps été discutée et remise à
plus tard : les libéraux lassimilaient à une charité légale ,
la gauche la voyait comme un renoncement à lutter contre les
causes de la pauvreté mais cest un gouvernement de gauche
qui a fini par linstaurer.
Il sagit dune
mesure mixte conjuguant assistance et insertion, ce deuxième
aspect fait son originalité. Le bénéficiaire du RMI sengage
en effet à participer aux actions dinsertion quil
contribue à définir (stage de formation, dalphabétisation
etc.
). Les deux volets (assistance/insertion) sont
toutefois indépendants. Si le bilan de lassistance
est plutôt positif (la Sécurité Sociale noffrant de véritables
garanties quaux individus insérés dans la société)
celui de linsertion est plus mitigé. 40% des rmistes en
1989, le sont encore en 1997, or il sagissait, dans lesprit
du législateur, dune allocation temporaire. Le débat sur
lavenir du RMI est intense et en cours, il enrichit la
discussion sur les minima sociaux.
Fin 97- début 98,
les associations de chômeurs font irruption
sur la scène médiatique. Elles organisent des actions telles
que loccupation des antennes Assedic et se proposent comme
interlocuteurs actifs et non plus seulement comme douloureux
patients dune fatalité .
Juillet 98 voit
la France se doter dun projet de loi dorientation de
lutte contre les exclusions. La ministre de lemploi
et de la solidarité la présenté tout dabord comme laboutissement
dun travail formidable fait par les associations (Le
Monde 22/05/98).
Celles-ci, au
plus fort de leur mouvement, ont obtenu la création dun
Fonds durgence sociale (FUS) destiné à apporter une aide
financière immédiate aux personnes en détresse. Létude
réalisée par rapport aux demandes daide, relance les
inquiétudes ; en effet, malgré le retour de la croissance,
les dispositions de la loi contre lexclusion, on y lit une
chronicisation massive de la pauvreté. Le FUS a fait émerger,
autre inquiétude, une clientèle nouvelle qui traditionnellement
ne sadresse pas aux services sociaux, formée de bataillons
de travailleurs précaires, ayant des revenus souvent inférieurs
au seuil de pauvreté (3200f mensuels).
Lexclusion
reste vécue comme un baromètre de létat de santé de la
communauté démocratique, un indicateur de lharmonie régnant
dans la société, le principe dégalité étant au
fondement de la citoyenneté.
VIII. LA FAMILLE
VIII.a. Présentation
La famille française connaît une évolution
que lon retrouve largement en Italie. Toutefois de ce côté
des Alpes, certaines caractéristiques françaises surprennent ;
la France semble conjuguer un éclatement de la famille
traditionnelle, généralement attribué aux sociétés plus
nordiques et la permanence de certaines résistances
misogynes , banalement interprétées
comme des attitudes plus méditerranéennes .
Les préoccupations actuelles, encore une
fois liées à la montée de ce que lon appelle la nouvelle
pauvreté, soulignent que la famille, souvent invoquée comme le
refuge ultime face aux difficultés sociales (pauvreté, chômage,
solitude, délinquance
) nest malheureusement pas un
rempart suffisant.
Nous renvoyons à la fin du chapitre
quelques récapitulatifs afin de ne pas trop charger de chiffres
ou de dates le corps du développement.
VIII.b. Des mots pour la
dire
Une première
considération concerne les noms donnés aux membres de la
famille. On constate tout dabord que, dans le domaine féminin,
un seul mot recouvre différentes fonctions :
le mot femme
correspond aux mots italiens donna mais aussi moglie ;
le mot fille à litalien ragazza mais aussi figlia ;
de même dans le domaine des grands-parents, il existe les mots
grand-père, grand-mère et grands-parents. Le préfixe grand ,
ressenti comme introduisant une distance respectueuse, a provoqué
lapparition de formes diminutives visant à réchauffer
lappellation. Suivant les origines géographiques et
sociales, mais aussi selon lâge et le choix des intéressés,
les solutions pour appeler les grands-parents
varient ; on trouvera ainsi pépé-mémé ; pèpère-mèmère ;
papi-mami etc
les possibilités sont nombreuses et
racontent aussi lhistoire familiale.
Lun des
principaux acteurs de la famille est incontestablement la
femme. Lévolution de sa condition, lopposition ou laccord
que les transformations de son statut rencontrent, sinscrivent
eux aussi dans la langue. A ce sujet, nous nous contenterons dindiquer
que la langue française reste très masculine ;
cest-à-dire que certaines fonctions, bien quétant
aujourdhui recouvertes par des femmes, nont pas
encore de féminin. Durant le mois de juillet 1998, les journaux
ont rapporté la polémique suscitée par lintention du
gouvernement Jospin de féminiser un certain nombre de titres de
fonctions, on parlerait par exemple désormais de Madame la
ministre, de Madame la députée ou de Madame la
chancelière de luniversité. Au delà de la
querelle, portant sur linstitution ayant la responsabilité
de tels changements linguistiques, le débat a prouvé quil
existe, en France, un malaise ; les femmes ne vivent pas
exclusivement au sein de leur foyer, elles demandent donc
que le rôle quelles jouent dans la société, au sens le
plus large, soit visible au niveau du
langage.
Les Français vivent plus longtemps quautrefois,
les femmes françaises détenant dailleurs le record européen
de longévité. Ils se marient de moins en moins et divorcent de
plus en plus. De nombreux enfants naissent en dehors des liens du
mariage (1 enfant sur 3).
Aujourdhui le nombre de familles
dites recomposées est en augmentation ;
ce sont des familles qui réunissent les enfants communs à un
couple mais aussi les enfants que chaque membre du même couple a
avec un conjoint dont il est séparé.
Les années soixante sont lépoque
charnière où les normes familiales se sont profondément
transformées. Les sociologues constatent que les différents modèles
de famille (monoparentales ou recomposées, couples concubins ou
mariés) ont des comportements semblables. Plus quils ne sopposent,
ils semblent constituer des séquences de vie.
La conférence sur la famille organisée
en juin 98 par le gouvernement français et les rapports qui lont
préparée, montrent bien que ce qui inquiète, cest la
capacité de chaque famille, au-delà du modèle auquel elle
appartient, de répondre aux défis actuels : culturels, économiques
et sociaux.
La famille pyramidale, au sommet de
laquelle un père tout-puissant gouvernait des individus mineurs :
sa femme aussi bien que ses enfants, a cédé la place à une
cellule dindividus égaux au bien-être desquels le groupe
familial doit contribuer. Cette nouvelle conception profane
correspond à un paradoxe : au moment où le mariage est
profondément redéfini en accord avec les valeurs dégalité
et de liberté, on assiste au phénomène nommé le démariage .
Le mariage paraît inutile voire dangereux, le concubinage redéfinit
lengagement comme un pacte purement privé.
Lautre conséquence
de cette redéfinition du lien du couple est laugmentation
du divorce et de la séparation. Elle implique un refus croissant
des situations malheureuses vécues autrefois comme des fatalités ;
une enquête relève que pour 700 divorces difficiles, les
violences conjugales sont en cause dans 21% des cas.
Le démariage
pose des problèmes nouveaux, surtout parce que le mariage était
le socle de létablissement et de la sécurité de la
filiation.
c.1. La situation de la femme a changé
mais linégalité entre les sexes persiste
|
La
devise révolutionnaire inspire la République française
mais les révolutionnaires ont guillotiné Olympes de
Gouges, première féministe, auteur de la déclaration
des droits des femmes. En 1804, le Code Napoléon a clos
les débats révolutionnaires : la famille nexistait
que dans le mariage, lhomme en assurait la
magistrature. Il liait indissolublement trois éléments :
inégalité des sexes, maternité des femmes,
indissolubilité du mariage. Il faudra plus dun siècle
et demi pour que ces trois éléments cessent de faire un
tout. La
transition démographique, les progrès de la médecine
et de léducation réduisent linégalité, la
régression de linégalité est décisive lorsque
les femmes accèdent massivement au travail salarié. En France,
le taux dactivité des femmes a toujours été
important : un peu plus dun tiers des femmes
travaillent, mais plus que dun choix émancipateur,
il sagit dune obligation économique, en
particulier dans le milieu ouvrier ou paysan. Lidéal
bougeois de la femme au foyer se démocratise et atteint
son apogée dans les années 60. Sous leffet de lexode
rural et de lallongement des études, la part des
femmes actives baisse et atteint son minimum historique
en 1961 (28,2%). Pourtant ces femmes mariées sont moins
traditionnelles quon le pense ; elles ont fait
des études, ont travaillé jusquà leur mariage et
se préparent à retravailler quand les enfants sont élevés.
Le taux de femmes actives remonte lentement malgré la
crise (37,9% en 1994). |
Les taux dactivité
particulièrement élevés en France des mères actives signalent
un changement de modèle familial. En France, la seule catégorie
dont les taux dactivité ont augmenté est celle des femmes
de 25 à 49 ans.
En
1968, 60% des femmes en couple de 20 à 59 ans étaient
au foyer ; en 1980 : 30%. Ces chiffres rapportés
aux seules mères ayant des enfants à charge sont encore
plus éloquents. En 1994, 65% des femmes de 25 à 49 ans
travaillent. Cest le cas de 80% des femmes sans
enfants, de 75% des mères dun enfant, de 70% des mères
de deux enfants, de 50% des mères de trois enfants, de
16% des mères de quatre enfants et plus. |
La généralisation
du modèle du couple bi-actif est lun des traits
fondamentaux de la mutation de la famille. Il indique une
aspiration des femmes mais ne peut être dissocié des nécessités
économiques.
Malgré de
meilleures réussites scolaires, le plafond de verre qui
interdit aux femmes laccès aux fonctions les plus
prestigieuses se double dun mur de béton séparant
les activités dites féminines et les activités dites
masculines. Elles traduisent la difficulté à concilier vie
familiale et vie professionnelle. Le travail à temps partiel
illustre ces problèmes. Il est spécifiquement féminin (il est
occupé à 83% par des femmes). Les femmes sont fragilisées par
la double journée, les hommes participent peu aux soins du ménage
et au suivi éducatif.
Les domaines dactivité
des femmes semblent reproduire la séparation des sexes. Lorsquune
femme est médecin, elle sera beaucoup plus souvent pédiatre ou
gynécologue que chirurgienne ; le domaine de lenseignement
est largement occupé par les femmes, tout au moins jusquà
luniversité ; lorsquune femme est ministre cest
encore une fois au domaine de léducation ou des soins quelle
sera nommée
Les spécialistes des sciences de la formation
sinterrogent aujourdhui sur les responsabilités de lécole
dans cette nouvelle transmission des rôles traditionnellement
attribués en fonction du sexe.
Il existe aussi
un risque majeur dinégalité entre les femmes, on perçoit
une dualisation des destins féminins. Les unes bénéficiant dune
carrière intéressante, bien rémunérée, dune prise en
charge de leurs enfants compatible avec leurs horaires de travail,
dun service domestique et de conditions de logement
favorable parviennent à concilier féminité, maternité et
accomplissement personnel ; les autres subissent la précarisation
du travail, le manque de moyens pour la garde des enfants, les
heures de transport et la totalité des tâches ménagères, se
sentent flouées comme femmes comme mères et comme salariées.
Entre ces deux figures, un ensemble de situations montrent que le
problème est davantage lié à lappartenance sociale quà
lidentité féminine.
Le pourcentage
des femmes ayant des responsabilités politiques en France est lun
des plus faibles dEurope. On constate en outre que plus la
responsabilité est prestigieuse, moins elle est féminine .
Létablissement dune véritable participation des
femmes au domaine politique est désormais envisagé comme une
modernisation nécessaire à la société française. Dans cette
direction, le gouvernement Jospin a fait voter, en 1997, une loi
limitant le cumul des mandats (per ex. il ne sera plus possible dêtre
à la fois député européen et député à lassemblée
nationale) mais les effets de ce choix ne seront visibles que
dans les années à venir.
Aujourdhui,
grâce aux progrès de la médecine, lenfant est désiré
et programmé. On constate que cest désormais lenfant
qui fait la famille, au-delà des contrats
qui lient ses parents. Dans le paysage de baisse généralisée
de la natalité, la France compte davantage de naissance
que lItalie. La société française souffre, depuis plus dun
siècle, dune démographie languissante, les gouvernements,
de droite ou de gauche, ont régulièrement essayé dencourager
les naissances, les nombreuses aides accordées à la famille
appartiennent au chapitre dit des prestations
familiales . A titre dexemple, ou de curiosité,
on signalera quen 1997, deux enfants donnent droit à 672
francs dallocations familiales, trois enfants à 1531
francs etc. Laugmentation importante de ces allocations,
lorsque la famille passe de deux à trois enfants, signale la
volonté des politiques dencourager la conception dun
troisième enfant.
La baisse de la fécondité
ne tient pas à un refus de lenfant : les femmes sans
enfants sont moins nombreuses quautrefois. Après une généralisation
du modèle de famille à deux enfants, on constate une
nouvelle évolution dans les générations nées après 1950 :
une hausse de linfécondité et de la proportion de femmes
ayant un enfant ainsi quune hausse de la proportion de
femmes ayant trois enfants.
Les relations
parents-enfants sont profondément transformées pour une part
importante de la population et là se concentrent les problèmes.
Entre 86 et 94,
donc en moins de dix ans, le pourcentage denfants ne vivant
pas avec leurs deux parents sest quasiment multiplié par 6
(17% /3% ). Les études montrent aussi que les adolescents sont
les plus largement concernés (25%) et que ces enfants vivent en
large majorité avec leur mère (85% vivent avec leur mère, 9%
avec leur père, 6% avec aucun des deux).
11% des mineurs vivent avec un parent seul,
5% des enfants mineurs vivent dans une famille recomposée. Les
remises en couple complexifient la fratrie : près de la
moitié des enfants de parents séparés ont au-moins un demi-frère
ou une demi-soeur. 22% résident avec lui ; 10% seulement
ont des familles recomposées dans chaque foyer.
Cest en
1985 que se généralise lemploi du qualificatif monoparentale
pour parler des familles composée dun seul parent, la mère
donc dans la plupart des cas.
A leur sujet, les
sociologues et les psychologues sintéressent à la durée
de la relation de lenfant avec le père.
La fréquence des
liens au père est dautant plus grande que lunion a
été longue, que lenfant est jeune, que le temps écoulé
depuis la rupture est court et que le milieu social est élevé (indiqué
par le niveau de diplôme de la mère). Larrivée dun
beau-père nest pas un obstacle ; ce sont les enfants
dont la mère est seule et sans relation amoureuse qui voient le
moins leur père, en revanche les enfants voient davantage leur père
si celui-ci reste seul. On constate une augmentation du droit de
lenfant à conserver deux parents, le progrès est encore
limité mais réel.
Les
transformations manifestent la vitalité du lien familial. La
fragilisation des liens entre les pères et leurs enfants
est devenue lune des questions les plus importantes dont
les femmes ne tirent aucune victoire mais souvent la
responsabilité dassurer seule la continuité de léducation.
Parce que la
transformation est inassumée surgissent les principales
difficultés, précarisée la mutation de la famille risque de
conduire à des formes plus accentuées de dualisation de la société.
De nombreuses études
soulignent à quel point la paternité est fragilisée dans les
familles affectées par le chômage, dans les quartiers les plus
touchés. Les analystes constatent lenchaînement de leffondrement
de la croyance au progrès, de la récession économique et de la
crise de la masculinité et leur aboutissement à des
comportements délinquants contre autrui ou contre soi :
toxicomanie ou criminalité sont des expressions masculines de la
difficulté dêtre. Si à cela sajoute la difficulté
de lintégration des jeunes dorigine étrangère, lengrenage
est encore plus pernicieux.
Toutes les études
sur le divorce et la séparation soulignent le poids de lappartenance
sociale dans la capacité de maintenir le lien de lenfant
à ses deux parents. Plus on descend dans léchelle sociale
plus les relations père/enfant se distendent et les pensions
alimentaires sont dautant moins payées que leur montant
est plus faible.
Entre 85 et 95, laugmentation
du nombre de familles monoparentales a été trois fois plus
rapide parmi les pauvres que dans lensemble des ménages. Lappauvrissement
des familles monoparentales grandit et lon constate chez
les hommes SDF (sans domicile fixe) la fréquence de processus de
désaffiliation sociale faisant suite à une rupture familiale.
Les solidarités
intergénérationnelles ont été redécouvertes, elles navaient
pourtant pas disparu.
Elles ont été
bouleversées par lallongement de la vie, lexode
rural, lextension du salariat et de la protection sociale.
La famille étendue
se resserre : moins de relations avec les cousins ou avec la
fratrie du fait de léloignement géographique en revanche,
les échanges à lintérieur de la parentèle restreinte
sont intenses et engagent souvent quatre générations.
Les frontières
entre les âges sont moins nettes. Lentrée dans lâge
adulte signifiait autrefois avoir un emploi, être installé dans
un logement indépendant, vivre en couple et fonder une famille.
Aujourdhui ces étapes ne sont pas toujours franchies au même
âge, un ensemble de statuts intermédiaires sintercalent,
liées aux emplois temporaires, à la cohabitation. La poursuite
des études est un fait majeur qui concerne 46% des filles et 44%
des garçons. Le chômage retarde laccès à lemploi
et les situations de précarité demplois se multiplient. Laccès
à un habitat autonome, la mise en couple, la naissance du
premier enfant sont retardés. Une étape se dessine, caractérisée
par un ensemble de précarités; on parle dun allongement
de la jeunesse ou dun nouvel âge de la vie. En outre, les
caractéristiques communes de cet âge cachent dimportantes
disparités selon le sexe et lappartenance sociale :
- les filles
quittent plus vite la maison, plus souvent pour se mettre en
couple et subissent davantage les difficultés du chômage.
- les étudiants
représentent désormais ¼ de la population des 19-29 ans et les
2/3 dentre eux vivent chez leurs parents. A linverse
plus des 2/3 des jeunes non étudiants ont un domicile différent
de celui de leurs parents.
Les retraités bénéficient
de revenu généralement plus élevés que les actifs. Les
transferts publics à légard des retraités sont massifs,
les plus de 60 ans touchent globalement chaque année 18% du
revenu national soit 4 à 5% de plus que lensemble des
autres classes dâge. Les nouvelles générations expérimentent
une détérioration sans précédent de leur niveau de vie, la
famille joue un rôle fondamental pour amortir la crise ce qui
souligne linégalité des aides privées, la fragilité des
solidarités familiales.
Les étudiants sont aidés par leur
famille alors que les autres jeunes sont plus pauvres et moins
aidés. La généralisation de la protection sociale avait libéré
des revenus qui avaient été investis sur lavenir, des
jeunes en particulier, les évolutions actuelles, semblant
remettre en question cette protection, on assiste à une régression
de cet investissement.
La bonne entente
intergénérationnelle attestée par les sondages aurait remplacé
lancien conflit des générations. Laugmentation des
difficultés psychiques voire du suicide chez les adolescents
rend la vision moins idyllique et souligne lincertitude
persistante du nouveau pacte de filiation.
Langoisse
scolaire est lié à un véritable phénomène de société :
léchec scolaire. Linvestissement des parents sur la
scolarité des enfants est aujourdhui démultiplié par langoisse
des lendemains. A ce sujet, le nombre important de publications
concernant lorientation scolaire, les listes et les
statistiques relatant les performances des différents établissements
scolaires disséminés sur le territoire, cela à des périodes où
les familles françaises doivent affronter les choix des écoles
ou répondre aux décisions dorientation des enseignants
pour leurs enfants (la fin et le début de lannée scolaire),
nous paraît un indicateur très français de langoisse
que ces choix véhiculent. A linverse, limpossibilité
de valoriser un capital scolaire accroît la crise de la
transmission entre les générations.
Le fossé se
creuse entre les nouvelles familles recomposées de la
bourgeoisie urbaine et intellectuelle qui semblent triompher de
tous les pièges et les familles sans aucun repères décrites
par les travailleurs sociaux.
La cohésion
sociale exige un effort dimagination collective. Le pacte
civil de solidarité (PACS) tentait de répondre à cette
exigence. Elaboré par deux députés de gauche, il prévoit
de renforcer les droits des couples vivant en union libre, hétérosexuels
ou homosexuels, concerne aussi deux personnes ayant un projet de
vie commun, indépendamment de lexistence de relations
sexuelles. Ce projet a mobilisé lopposition de droite qui
y voit une atteinte à la famille et une première étape vers le
mariage homosexuel. La gauche a sous-estimé cette mobilisation
et a subi un échec alors quelle est majoritaire. Léchec
et ses interprétations divisent la gauche plurielle
et relance les débats à gauche comme à droite.
VIII.f. Les chiffres du
changement
Baisse
du taux de nuptialité |
6,2
pour mille en 1980 |
4,9
pour mille en 1997 |
Baisse
du taux de fécondité |
1,9
enfant par femme en 1980 |
1,7
en 1997 |
Augmentation
des couples non-mariés |
4,2
millions de personnes parmi les 29,4 millions en couple
en 1994 |
|
Augmentation
des naissance naturelles |
11,4%
en 1980 |
38,3%
en 1996 |
Augmentation
du taux de divortialité |
22,5%
en 1980 |
38,3%
en 1996 |
Allongement
de lespérance de vie |
|
En
1996, 74,1 ans pour les hommes 82 ans
pour les femmes |
VIII.g. Quelques dates
concernant plus particulièrement les femmes
|
1837 |
Apparition
du mot féminisme |
|
1879 |
Loi
Camillle Sée créant des lycées de jeunes filles |
|
1884 |
Loi
Naquet rétablissant le divorce |
|
1903 |
Marie
Curie, prix Nobel de Physiques, première femme
professeur à la Sorbonne Capacité juridique de la
femme mariée |
|
1909 |
Les
femmes sont autorisés à porter un pantalon si elles
tiennent à la main un guidon de vélo ou les rênes dun
cheval ! |
|
1925 |
Garçons
et filles suivent le même programme scolaire |
|
1944 |
Obtention
du droit de vote (96 ans après les hommes) |
|
1947 |
1ère
femme ministre, (mais de 47 à 74 les différents
gouvernements n'ont compté aucune femme ministre) |
|
1949 |
Parution
du 2ème sexe de Simone de
Beauvoir |
|
1956 |
Fondation
du planning familial |
|
1965 |
Le mari
ne peut plus sopposer à lexercice de lactivité
professionnelle de sa femme. |
|
1967 |
Loi
Neuwirth; légalisation de la contraception |
|
1970 |
Partage
de l'autorité parentale |
|
1972 |
Principe
légal de l'égalité de rémunération pour des travaux
de valeur égale |
|
1974 |
F.Giroud,
secrétaire détat à la condition féminine |
|
1975 |
Loi Veil:
légalisation de l'IVG (Interruption volontaire de
grossesse) |
|
1980 |
Marguerite
Yourcenar: 1ère femme académicienne |
|
1981 |
Création
du ministère des droits de la femme |
|
1982 |
Remboursement
de l'IVG par la sécurité sociale. Rejet par le conseil
constitutionnel dun projet instituant un quota de
25% de femmes pour les listes de candidatures. |
|
1983 |
Loi sur
l'égalité professionnelle |
|
1985 |
Le nom
de la mère ou de lautre parent peut-être ajouté
au nom porté par lenfant |
|
1986 |
Circulaire
légalisant lemploi du féminin pour les noms
de métiers et de fonctions : écrivaine, docteure,
auteure, professeure
|
|
1987 |
Abolition
des restrictions de lexercice du travail de nuit
des femmes. |
|
1993 |
Principe
de lexercice conjoint de lautorité parentale
à légard de tous les enfants quelle que soit la
situation des parents. |
|
1995 |
Installation
de lobservatoire de la parité chargée de recenser
les inégalités entre les hommes et les femmes. |
VIII.h. La société française
et les homosexuels
|
1960 |
Lhomosexualité
est classée parmi les fléaux sociaux avec lalcoolisme
et la prostitution. Elle nest pas poursuivie. |
|
1978 |
Le Sénat
vote labrogation des lois antihomosexuelles mais
ce projet échoue devant lAssemblée nationale. |
|
1982 |
Dépénalisation
totale de lhomosexualité. |
|
1985 |
Face à
lépidémie du SIDA les associations se mobilisent,
lattitude de la population vis-à-vis des malades
du SIDA et de lhomosexualité en général évolue. |
|
1989 |
La cour
de Cassation pose comme principe quun couple, ce ne
peut être quun homme et une femme. |
|
1998 |
Après
un premier échec à lAssemblée nationale, la
discussion du Pacs (pacte cicil de solidarité), celui-ci
pouvant être conclu par deux personnes physiques quel
que soit leur sexe, est reportée à 99. |
IX. LE SYSTÈME SCOLAIRE
IX.a. Présentation
Lécole est obligatoire de 6 à 16 ans.
Le parcours se développe en trois degrés.
De deux à six ans.
École
maternelle |
Enseignement
pré-élémentaire Facultatif |
De six à onze ans.
École
élémentaire |
CP
cours préparatoire CE 1 cours
élémentaire 1èreannée CE 2 cours élémentaire 2èmeannée CM 1 cours moyen 1èreannée CM 2 cours moyen 2èmeannée |
Premier cycle (se terminant par
le Brevet des collèges) ; de onze à quatorze ans :
Enseignement
secondaire 1er cycle ou
Collège |
Cycle
dobservation avec enseignement commun |
Sixième Cinquième |
|
Cycle
dorientation |
Quatrième Troisième |
A la fin de la troisième se présente le
premier grand carrefour de lorientation.
Le conseil de classe en tenant compte des vux
de la famille propose la poursuite des études ou le redoublement.
Si les parents ne sont pas daccord ils peuvent faire appel
devant une commission ou par voie dexamen.
La famille est informée de la décision daffectation
faite en fonction des décisions dorientation (vers une 2e
de lycée ou vers un Lycée Professionnel) et des
possibilités daccueil de la carte scolaire (cette carte
conditionne linscription dun élève dans un établissement
donné au fait qu'il habite dans son voisinage).
Deuxième cycle : Lycée de 15
à 17 ans :
Enseignement
général et Enseignement technologique Ce cycle prépare au baccalauréat (bac)
ou au Brevet de technicien Les études durent trois ans ;
les élèves passent les classes de : Seconde Première Terminale |
Au
fur et à mesure quils avancent les lycéens se spécialisent
en choisissant des filières par ex : l = littéraire ; es = économique
et social ; s = scientifique Après la 2e formation
de techniciens en 2 ans ; ex de filières : stt = sciences et technologies
tertiaires ; sms = sciences médico-sociales
|
Enseignement
professionnel donné dans les LP (Lycée professionnel) |
En
deux ans = BEP (brevet détudes Professionnelles) Les meilleurs élèves le désirant
peuvent accéder à une première dadaptation pour
préparer en 2 ans un BP (bac Professionnel) En 2 ans = CAP (certificat daptitude
professionnelle) |
Après le bac, les élèves peuvent
choisir entre études courtes ou longues:
Instituts
universitaires de technologie (IUT) et Sections de
techniciens supérieurs (STS) Ils
permettent dobtenir, en 2 ans, un BTS ou un DUT (Diplôme
universitaire de technologie). |
Luniversité
structurée en 3 cycles Le 1er
cycle dure 2 ans et se termine par le DEUG (Diplôme détudes
universitaires généralisées). Le 2ème cycle après un
an par la Licence et après deux ans par la maîtrise, le
3è cycle dure d1 an à 5 ans (1 an=DESS ou
DEA, diplôme détudes supérieures spécialisées
ou avancées) un doctorat obtenu après soutenance dune
thèse. |
Parallèlement il
existe en France le système des Grandes écoles (4 ou 5 ans,
elles jouissent dune réputation de formation délite.
Parmi les plus célèbres : lENA (école nationale dadministration),
HEC (Hautes études commerciales
. On accède aux grandes écoles
après deux ans de classes préparatoires et après concours dadmissibilité.
b.1. De la Renaissance à 1880.
Avant la Révolution, lessor de limprimerie
et la concurrence entre catholiques et protestants facilitent laccès
au savoir. Les écoles de charité se multiplient et jouent un rôle
décisif. Le peuple des villes, et plus encore celui des
campagnes, est réticent face à un enseignement dont il voit
davantage les coûts que lutilité pratique. Lorsque les Jésuites
sont expulsés en 1762, la reprise de leurs collèges provoque un
grand débat pédagogique ; pour le clergé lenseignement
est un devoir de lÉglise, pour les esprits éclairés il
appartient à lÉtat. La Révolution pose le principe de la
responsabilité de lÉtat en la matière. Napoléon
le restreint à lenseignement supérieur et secondaire et
laisse de côté linstruction du peuple et des filles. Il
faudra attendre la loi Guizot de 1833 pour que lécole du
peuple soit reconnue dutilité publique : toute
commune de plus de 500 habitants devra désormais entretenir une
école publique. Il est prévu que chaque département ouvre une
école normale soccupant de la formation des maîtres. Sous
la seconde République les maîtres sont invités à contribuer
à fonder la République. Cela éveille en retour une méfiance
active à leur égard de la part des conservateurs. En 1850 la
loi Falloux vise à renforcer lenseignement confessionnel.
Le Second empire moins soutenu par léglise va essayer de
limiter son influence. La loi Duruy développe la gratuité,
favorise louverture décole pour les filles,
encourage lenseignement des adultes et la pratique de la
lecture par la création de bibliothèques. La loi Falloux
cristallise lopposition entre une majorité anti-républicaine
cléricale et les républicains laïcs. Les prises de position
pontificales anti-républicaines font le reste.
b.2. Lécole de la République.
|
Je
me suis fait un serment : entre toutes les nécessités
du temps présent, entre tous les problèmes, jen
choisirai un auquel je consacrerai tout ce que jai
dintelligence, tout ce que jai dâme,
de cur, de puissance physique et morale, cest
le problème de léducation du peuple. Avec linégalité
déducation, je vous défie davoir jamais légalité
des droits, non légalité théorique mais légalité
réelle. Jules Ferry, député de Paris,
avril 1870. |
La Troisième République ne conçoit pas
la citoyenneté nouvelle sans une refonte du système éducatif.
La souveraineté populaire passe par le développement de linstruction.
Ses trois caractéristiques : gratuite, obligatoire et laïque
vont se construire plus ou moins difficilement. La gratuité sera
rapidement acquise. Lobligation et la laïcité vont
provoquer des débats. Pour les Républicains, obligation et laïcité
sont indissociables. En classe, la prière et le catéchisme
seront remplacées par la morale et linstruction civique.
Les cléricaux réagissent contre lécole sans
Dieu . Dans lesprit des Républicains, former un
Républicain signifie former un esprit critique qui ne doit ni
foi ni obéissance à personne. Lécole du libre examen relègue
les croyances dans la sphère privée. La formation des maîtres
devient un enjeu capital, la République accélère la
construction dÉcoles normales pour les garçons et pour
les filles ; normaliens et normaliennes sont souvent des
enfants dorigine modeste, rurale ; ils mènent une
existence qui a fait comparer leurs écoles à des séminaires
laïques . Leurs élèves, les futurs instituteurs et
institutrices, pénétrés dun esprit de corps dont la
mission était léducation des futurs citoyens, ont été
baptisés les hussards de la République .
Petit à petit, le personnel va être laïcisé ; la séparation
de léglise et de lÉtat, en 1905, provoquera une
recrudescence des hostilités, cela jusquen 1914. Lécole
est obligatoire de 6 à 13 ans ; la très grande majorité
des élèves sarrêtera là. Un examen sélectif sanctionne
la fin de ce parcours lourdement chargé dapprentissages. Le
Certif (Certificat détudes
primaires) est prestigieux, non seulement sur le marché de lemploi.
Lécole pour tous renforce lunité nationale en
particulier linguistique et divulgue autoritairement une morale
laïque.
La poursuite des études, laccès au
cycle secondaire reste réservé à une élite. La réussite dune
poignée de boursiers (1 sur 200) ne suffit pas à démocratiser
lensemble. Le privilège accordé à une culture classique,
répandue dans les classes aisées, est un frein supplémentaire.
La connaissance du latin, puis de lorthographe, est un
bastion de la bourgeoisie.
1880 marque une date pour la scolarisation
des filles dans le secondaire. Camille Sée favorise en effet la
création des lycées de jeunes filles mais celui-ci dure cinq
ans au lieu de sept et ne permet pas daccéder à luniversité.
Les derniers obstacles à la parité avec les établissements
masculins seront levés en 1924/25.
Avec la création des bourses de licence
puis dagrégation, létudiant moderne apparaît. Les
diplômes se spécialisent. Malgré un effort pour
contrebalancer linfluence de la capitale, Paris attire
encore vers 1900, près de 45% des étudiants français.
En 1936, la scolarité obligatoire est
prolongée à 14 ans. A lécole communale, lambition
encyclopédique se transforme en un carcan peu propice à linnovation.
Les écoles techniques instituent un CAP en 1911, mais la
formation stagne. La guerre et la pénurie douvriers
qualifiés débloquent la situation ; on crée des Centres dapprentissage.
Le secondaire se décloisonne ;
filles et garçons suivront désormais le même cursus et surtout
le ministre Herriot y introduit la gratuité à partir de 1928.
b.3. Lécole sous la Cinquième République
Avec le Front populaire commence la
refonte du système secondaire mais cest la Cinquième République
qui accélère la réforme. On instaure une école moyenne à
laquelle tous les élèves accèdent après le primaire. En 1959
la scolarité obligatoire est portée à 16 ans. En 1963 sont créés
les Collèges denseignement secondaire. Parallèlement se
met en place la carte scolaire destinée à diriger les élèves
vers létablissement le plus proche de leur domicile. En
1975, la loi Haby parfait la structure du CES. Avec le collège
pour tous lécole primaire souvre aux réformes et la
mixité se généralise. Lécole maternelle est plébiscitée
et accueille 100% des enfants de trois ans. Les méthodes
innovantes comme celle de M.Montessori y sont largement entrées,
elle conjugue donc éveil de lenfant et solution des problèmes
de garde !
IX.c. La querelle scolaire
La querelle scolaire opposant les tenants
de lécole privée, dite libre , et
de lécole publique ne sest guère assoupie. La
Quatrième République a rompu avec la tradition républicaine à
travers la gestion des bourses. Cette gestion satisfait les
organisations privées et indigne les Laïcs. Linstallation
de la Cinquième République dont la majorité est favorable à lenseignement
privé, relance le débat. La loi Debré entend mettre un terme
à la querelle en continuant de financer lécole privée.
Elle choisit dinstaurer des contrats avec les écoles privées ;
ces dernières recevront les deniers publics si elles acceptent
un contrôle de létat sur leur fonctionnement, leurs
programmes et leurs enseignants. La loi indigne les laïcs sans
satisfaire les catholiques les moins accommodants qui y voient
une ingérence dangereuse et la perte de leur caractère
propre . Le concile Vatican II contribuera davantage
à apaiser les esprits. Dans les années 70, on crée de
fait un double service public où tous les établissements
scolaires sont pris en charge par létat.
Toutefois, en fonction des majorités, de
gauche ou de droite, le débat rebondit. Savary ministre
socialiste, prépare une nouvelle refonte du système de léducation
nationale. Il prend acte des transformations de la clientèle de
lécole privée. Celle-ci est en effet de moins en
moins choisie pour son aspect confessionnel mais de plus en plus
en tant qu école alternative .
Dun côté elle paraît plus souple, plus ouverte aux élèves
en difficultés scolaires, un moyen de contourner les
orientations imposées ; de lautre côté, elle
redevient loutil dune sélection sociale et même
indirectement ethnique, un moyen de contourner la carte scolaire.
Les efforts de Savary soulèvent la méfiance des tenants de lécole
libre qui se mobilisent en masse et le
contraignent à retirer son projet (1984). Suit une période
darmistice ; cela jusquen
1994, date à laquelle le gouvernement de droite annonce une réforme
de la loi Falloux, cest au tour des oppositions laïques de
se mobiliser avec la même ampleur pour protester contre la loi
qui sera finalement cassée par le conseil constitutionnel.
Chaque camp garde ses valeurs et reste vigilant.
IX.d. Lexplosion
scolaire
La généralisation de lenseignement
secondaire a dépassé les prévisions ; létat doit répondre
à cette explosion. Entre 1965 et 1975, on construira un collège
nouveau par jour ouvrable ! La vague continue dans les lycées
surtout après quun ministre (J.P.Chevènement en 1985) a
exprimé le vu de conduire 80% dune classe dâge
au bac. En 1992, le taux était de 60%. Les constructions de lycées
se multiplient. Le bac ouvre laccès à luniversité
qui à son tour se généralise.
1938
= 75.000 étudiants ; 1968 = 670.000 ; 1992 = 1,5
million ; 1995 = 2,2 millions |
Cette augmentation est malheureusement
suspectée dêtre davantage une question de nombre quun
véritable indice de démocratisation, le rôle des écoles supérieures
attirant l élite
intellectuelle (ou sociale encore une fois) est fortement mis en
cause, à tel point que lon entend régulièrement invoquer
labolition de lENA (École Nationale dAdministration)
formant, depuis sa création en 1945, une part importante de lélite
politique française.
IX.e. La crise de lécole
Pendant longtemps, lécole fut
considérée comme un instrument fondamental pour rétablir légalité
des citoyens, pour recruter les élites sur une base élargie en
fonction des mérites individuels. Mais dès la fin des années
60, cette grande ambition apparaît insuffisamment atteinte.
Lécole, croyant distinguer le mérite scolaire,
accorde une prime décisive aux héritiers de la culture
dominante : humaniste autrefois, scientifique aujourdhui.
La carte scolaire augmente les pesanteurs sociologiques.
La lutte contre les inégalités
investit désormais la pédagogie, la vitalité des sciences de léducation
témoignent de limportance de lenjeu que lécole
contenue de représenter dans la société. La défense de lécole
passe bien sûr par la formation et la recherche pédagogique.
Depuis 1991, ce sont désormais des IUFM (Instituts
Universitaires de formation des maîtres) qui forment les
instituteurs et assurent le renouvellement du système éducatif.
Lécole de Jules ferry se trouve
aujourdhui mythifiée comme lâge dor de lécole
et des valeurs de la République. Aujourdhui surtout où lécole
est devenue la cage de résonance et le révélateur des
souffrances sociales, des difficultés de la société, elle dit
son incapacité à les guérir, en tout cas à elle seule.
Parmi les symptômes majeurs de ce mal-être
scolaire, nous pouvons citer :
·
lexplosion de colères récurrentes qui mobilisent régulièrement
les élèves et le corps enseignant,
·
le débat sur la violence à lécole,
·
en 1994, 11% des jeunes ont quitté lécole sans aucune
qualification,
·
les résultats des enquêtes sur lillettrisme (6 à 8% des
jeunes adultes de 18 à 25 ans ne peuvent lire que des phrases
simples de 3 mots),
·
laugmentation du chômage des jeunes : les non-diplômés
ont vu passé leur nombre de 8% en 1975 à 30% en 1994 et les détenteurs
dun diplôme ont vu leur taux de chômage passé à 12% en
94, la période daccès à lemploi continuant,
pour eux, de sallonger.
Les questions transversales soulevées par
ce malaise sont aussi des enjeux électoraux. Lors de la campagne
pour les élections législatives du printemps 97, le programme
du Parti socialiste souligne que son objectif est dabord
de conforter lécole de la République, creuset de lintégration,
garantie de légalité des chances , cette déclaration
sinscrit dans une continuité des valeurs et des rôles
attribués à linstitution scolaire.
Atteindre un tel objectif, largement
partagé (tout au moins au niveau des déclarations) par les
forces démocratiques, est ardu. Linstitution scolaire est
si vaste, si articulée, si chargée de traditions, de
bureaucratie quon la compare communément à un mammouth ;
quant aux jeunes en difficulté, on les dit en galère .
Dès 1981, létat sest
orienté vers une discrimination positive
en instituant des ZEP (Zone dÉducation Prioritaire)
correspondant aux zones en difficulté (concentrées au Nord et
à lEst). Actuellement cette politique est confirmée et
permet de mettre en oeuvre des actions spécifiques prenant en
compte le contexte social, les problèmes se trouvant en amont de
ce que l'on appelle l échec scolaire .
Lun des objectifs majeurs est la lutte contre la ghettoïsation.
Pour éviter la fuite des bons élèves vers des établissements
réputés, fuite que la carte scolaire ne suffit pas (ou mal) à
enrayer, les projets sont de constituer, à lintérieur des
ZEP, des pôles dexcellence capables de jouer un rôle dentraînement
positif sur leur environnement et donc de maintenir la
diversification sociale.
Parmi les projets, on trouve la nécessité
de libérer les initiatives, le renforcement de lenseignement
professionnel et le soutien à lapprentissage mais aussi
une augmentation des bourses aux élèves-professeurs et la
valorisation de ceux qui choisissent les classes difficiles .
Pour les jeunes en galère, on voit naître les classes
de la deuxième chance ou classes du
temps choisi . Pour tous, on assiste à une
revalorisation de linstruction civique.
De plus, lécole se décloisonne et
profite de lengagement général en faveur de lintégration,
de la lutte contre le chômage ou contre la délinquance. Dernièrement,
linstitution des emplois-jeunes a offert
aux écoles 33.000 nouvelles recrues chargées de revitaliser des
structures peu utilisées faute de personnel, ces jeunes jouent
également un rôle intermédiaire entre le monde des adolescents
et celui des adultes, deviennent des confidents et des
conseillers précieux et cela pas seulement pour les problèmes
étroitement scolaires. Dans le domaine de la violence, la figure
de lintermédiaire, ou mieux du médiateur de conflits,
montre, elle aussi, son importance.
Écoles en difficulté, cette expression
évoque les quartiers explosifs des banlieues pourtant dautres
écoles se battent pour affirmer leur rôle et leur droit à
exister ; il sagit des établissements isolés dans
des zones en voie de désertification.
Dans les divers cas, le partenariat des
institutions semble un chemin pratiqué et efficace. Enfin le décloisonnement
passe aussi à travers une meilleure relation entre lécole
et les familles. Les familles en difficulté sont loin dêtre
les moins convaincues de limportance de lécole mais
là encore un médiateur est souvent précieux, ce médiateur
peut dailleurs être simplement une personne capable
de traduire la communication ; il
existe en effet des zones où sur 30.000 habitants on compte plus
de 30 nationalités !
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