INTRODUCTION
En faisant une
porte, le menuisier n'oublie pas de la pourvoir d'une serrure, et
d'une clé. Voici donc un objet dont le degré de fermeture
ou d'ouverture dépend de celui qui l'utilise. La situation économique
résumée dans les pages qui suivent renvoie à la société, à
la politique, aux personnes, aux temps, à la langue utilisée
("dans des industries aussi techniques que l'automobile,
la barrière de la langue et les distances géographiques sont de
fort freins à l'intégration " - Le Monde, 22.01.1999).
Ce travail fournit ainsi des orientations possibles pour une
recherche personnelle, tout en mettant l'accent sur la présentation
médiatique des opérateurs économiques (dans cet ordre d'idées,
le Président Directeur Général du groupe LVMH, Bernard Arnault,
est même l'objet d'un feuilleton radiophonique en Italie!).
Chaque article de journal en plus est une pièce pour élargir
les dimensions de l'ensemble.
Ces personnages et
ces chiffres de production (rarement reproduits, pour ne pas
alourdir le texte de données), ces secteurs en hausse ou en
baisse, composent autant de chapitres ouverts les uns aux autres.
Si l'on a privilégié, en parlant du pétrole, l'un des acteurs
principaux sur ce terrain (le patron de Total), c'est justement
parce que ce secteur y puise un dynamisme qui ferait défaut si
les seuls grands managers appartenaient aux compagnies étrangères.
Il existe beaucoup de dirigeants, d'entreprises ou d'organismes
étrangers, dont la formation s'est faite en France. Le directeur
du Musée d'Art Moderne de New York n'est qu'un exemple parmi d'autres.
En France, l'économie
a subi des modifications rapides. Si nous maintenons encore la
distinction entre secteur primaire (agriculture), secteur
secondaire (industrie) et secteur tertiaire (services, transports),
où classer toutefois un agriculteur qui surveille l'alimentation
de ses chevaux par satellite, un ingénieur qui fabrique des
puces à l'aide d'un microscope électronique, et un employé
travaillant avec ses yeux et ses dix doigts?
Certes, la
naissance, au début des années soixante, d'un organisme comme
la Datar (Délégation à l'aménagement du territoire et
à l'action régionale), a été pour beaucoup dans ces
transformations. Cet organisme n'est ni étranger au développement
ultérieur de l'économie régionale et urbaine, qui affiche ses
distances à l'égard de la planification traditionnelle, ni au développement
durable ou soutenable, qui introduit la notion d'environnement
auprès des opérateurs économiques, devenant ainsi l'un des
enjeux de notre époque. Que cette dernière forme de développement
dépasse celle de la planification centralisée est un des
aspects de l'économie, en France mais plus encore ailleurs, et
sans doute une loi du temps.
Pour dire d'ailleurs
ce qu'a été le temps avant la Datar, nous rappelons quelques épisodes
au cours desquels la France et ses opérateurs ont essayé, faute
de planification, d'orienter l'économie au profit d'une
politique nationale. On comprend mieux l'économie si l'on tient
compte du fait que la régionalisation en France apparaît après
la deuxième guerre mondiale. Les idées d'Europe, de fédéralisme
européen, de communes, nées parfois dans le cerveau de gens
comme Henri Frenay, André Philip ou Jean Monnet, pour citer les
plus connus, qui ont pris une part active à la Résistance, se
sont développées sous la quatrième République, dans les années
quarante et cinquante. Le fait que la France sest donné,
en 1958, une orientation politique assez rigide, a peut-être
constitué un dommage effectivement plus pratique que théorique
pour le développement d'une économie "libérale". On
doit tenir compte de ces données pour comprendre dune manière
générale cette alternance de hauts et de bas qui fait que les
Trente glorieuses débouchent, au début des années 1970,
sur la crise, sans même la période d'écart entre la France et
les autres pays qui a caractérisé la crise de 1929, dont les
effets se font sentir plus tard; cette présence d'un secteur
high tech très performant, néanmoins contemporain de la défense
de l'artisanat et du retour à la nature; les déclarations
parfois contradictoires des dirigeants; et le fait que bien des
intellectuels "maîtres à penser" du XXe siècle
n'ont guère inclu l'économie ou la production dans leur domaine
de recherche, - si l'on excepte la critique de la boutique, la
vision primordiale de l'homme comme paysan et soldat (Alain), et
le discours révolutionnaire d'un homme comme Jean-Paul Sartre.
Mais il faut rappeler aussi ce qu'a été pendant longtemps la politique de la France pour évoquer les facteurs économiques d'aujourd'hui.
I.a. De
1919 à 1944
Malgré ses 1.400.000
morts, la France est sortie victorieuse de la Grande Guerre. C'est
un pays à faible progression démographique, dont une part de la
population active émigre en direction des zones coloniales (Indochine,
Algérie, Afrique). Le Traité de Versailles, par ses ambitions démesurées
dénoncées par l'économiste J.M. Keynes dans son livre Les
conditions économiques de la paix paru en 1919, l'année
même de sa signature, porte la trace de cette blessure profonde.
La France reprend l'Alsace et la Lorraine, annexe les mines de
charbon de la Ruhr, la flotte et le matériel ferroviaire
allemands, confisque les propriétés allemandes hors d'Allemagne.
Elle exige que l'Allemagne paye les pensions de guerre et les réparations
pour la destruction du pays. Enfin, elle demande l'unanimité des
voix dans toutes les décisions prises au niveau de la Société
des Nations (SDN), ce qui lui permet d'apposer son veto autant de
fois qu'elle le juge nécessaire. Keynes reproche aux Français,
et fondamentalement à l'intelligence politique de Clémenceau
qui est le signataire du Traité, l'interruption d'un processus d'internationalisation
de l'économie, au profit de la revanche nationale. C'est un
repli que la France risque de payer cher.
Mais la France a
ou est aussi un empire, selon le point de vue, et
les dirigeants voient dans la France la politique et dans lEmpire
léconomie. Le développement de certaines cultures, comme
le riz et le caoutchouc en Indochine, les agrumes et le vin en
Algérie, le café et le cacao en Afrique, s'y accompagnent d'une
forme extensive d'agriculture sur de très grandes surfaces à
peu près ignorée en France métropolitaine. L'expropriation des
paysans des communautés rurales est la règle. Il faut attendre
les changements structuraux de l'après-guerre et aussi l'arrivée
des rapatriés d'Algérie qui vont investir dans de grandes
propriétés pour voir le modèle de la très grande propriété
se répandre dans l'Hexagone, doublé d'une course à l'intensification.
André Hesse, ministre des colonies en 1925, fait léloge
de la productivité dont son ministère est le garant (L'Indochine,
22 juin 1925) : "l'empire colonial de la France (...) est
à la fois l'héritage d'un passé glorieux et l'une des formes
les plus vivantes de l'activité nationale, c'est là une uvre
qui exige un effort constant, un grand esprit de méthode et de
la patience; il ne peut être question d'agrandir un domaine
colonial qui pourvoit largement déjà aux besoins généraux du
pays : il suffit d'en assurer la sécurité, non seulement contre
les convoitises extérieures, mais (...) contre une certaine
agitation intérieure (...). Les entreprises françaises qui s'y
sont établies ont permis aux indigènes de connaître des procédés
de culture, des moyens industriels, grâce auxquels la production,
depuis quelques années, suit une marche ascendante.
Les budgets
locaux, dans cet essor économique, ont trouvé un supplément de
recettes qui a réduit très sensiblement l'aide financière de
la métropole à certaines colonies, tandis que d'autres en sont
arrivées à participer de plus en plus aux charges de la métropole.
Ce développement
économique est aujourd'hui d'un intérêt vital pour la France,
parce que la France doit puiser de plus en plus dans son domaine
colonial non seulement les matières premières nécessaires au
ravitaillement de son industrie, mais aussi et surtout toutes les
denrées coloniales. Je considère, en effet, qu'il est quelque
peu paradoxal, pour un pays qui possède un empire colonial
comme le nôtre, d'être obligé d'aller chercher dans des
colonies étrangères des produits coloniaux.
Je tiens à déclarer
à la haute Assemblée que mon département entend s'attacher à
une uvre de production économique à laquelle il faut de
plus en plus associer le Français et lindigène ".
En France, les années
1920 sont l'époque du développement et de l'innovation dans l'industrie
mécanique et automobile, avec Citroën, Renault ou Michelin (par
rapport à un indice à base 100 avant-guerre, la production de
caoutchouc atteint l'indice 300 en 1945, alors que toutes les
autres productions sont déficitaires); de l'extraction minière
(c'est l'époque des maîtres de forge, les propriétaires
des aciéries et des mines du Nord et de Lorraine); de l'industrie
textile (l'empire Boussac).
Le développement des méthodes Taylor dans les usines de mécanique et surtout le travail des femmes, vont rentabiliser la production. A l'époque, on ignore la délocalisation des entreprises. La crise de 1929, qui frappe la France avec un certain retard du fait de ses barrières économiques et dun marché en quelque sorte protégé, met un frein à ce développement. Quand la reprise s'amorce, en 1936, c'est parce que les pouvoirs publics ont su intégrer de manière keynésienne la classe ouvrière dans l'économie. Les accords tripartites de juin 1936 aboutissent à un relèvement des salaires ouvriers, à la semaine de 40 heures, et à l'octroi de 15 jours de congés payés. Les nationalisations pratiquées en 1937 ont pour but de résoudre les effets de la crise qui a frappé les très grosses entreprises (chemins de fer et transports aériens). Mais en 1938, sous la menace de la guerre, le gouvernement autorise les patrons à revenir sur les acquis de 1936 pour augmenter la production, et rétablit les 45 heures dans le service public, faisant ainsi valoir a contrario le rôle de l'État dans les négociations.
Le 3 septembre
1939, la France n'a pas encore redressé sa situation économique
que "la guerre Angleterre-Allemagne ", qui
commence à 11 heures du matin, la frappe de plein fouet. "La
guerre France-Allemagne " est déclarée à 17 heures.
De Gaulle va lier une fois pour toutes le problème de la guerre
à celui de l'industrie, dans son appel du 18 juin 1940. Mais ce
n'est pas de l'industrie française qu'il s'agit: "la
France peut (...) utiliser sans limite l'immense industrie des
Etats-Unis ".
Le Parlement a
accordé les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, qui promet
aussitôt une Constitution et la paix avec l'Allemagne. Une
longue période de collaboration entre "le paysan français
et l'ouvrier allemand " commence. L'industrie se fait
parfois l'écho de ces prises de position idéologiques. De
grands industriels, comme Renault - dont la société a son siège
en région parisienne -, collaborent en s'aidant de la police. D'autres,
comme Michelin - dont le siège est à Clermont-Ferrand, en
Auvergne - et les héritiers d'André Citroën, sabotent leur matériel
et cachent les ouvriers destinés au Service du Travail
Obligatoire (S.T.O.).
I.b. Le
gouvernement provisoire et laprès-guerre
En 1944, l'ordonnance
de nationalisation n°45-68 de la Société Renault promulguée
par le général De Gaulle, chef du gouvernement provisoire de la
République, fait de cette nationalisation un moment fondateur de
la nouvelle économie :
"S'il est
indubitable que l'industrie automobile [...] a été une des plus
visées par l'occupant, [...] il n'en reste pas moins que les
dirigeants de ces firmes ont à répondre de l'attitude qu'ils
ont [...] observée à l'égard de l'ennemi et doivent justifier
de la résistance qu'ils ont su apporter à l'ingérence de celui-ci.
Une telle justification ne saurait être fournie par la Société
Renault. Alors que ses livraisons à l'armée française s'étaient
montrées notoirement insuffisantes pendant les années qui ont
précédé la guerre, ses prestations à l'armée allemande ont,
durant l'Occupation, été particulièrement importantes et ne se
sont trouvées freinées que par des bombardements répétés
[...] de la part de l'aviation alliée ".
En nationalisant
Renault "le gouvernement provisoire de la République est
conscient [...] de contribuer au redressement moral et matériel
du pays et de répondre au vu de la Résistance française
et de la classe ouvrière tout entière ".
Pourtant, malgré
l'aide américaine (Plan Marshall), la France ne renonce pas à
une politique nationaliste. La région de la Sarre est placée
sous la tutelle conjointe de l'Allemagne et de la France et jouit
d'un statut d'autonomie. Une partie de son charbon va aux aciéries
françaises. La CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier)
est née de cette "mise en commun des ressources
". En 1954, le Parlement français s'oppose à la création
de la Communauté Européenne de Défense (CED), par
crainte du réarmement allemand, malgré l'engagement du jeune
Valéry Giscard d'Estaing. Comme conséquence, en 1956, par référendum,
la Sarre demande à retourner sous la juridiction allemande. C'est
ce même Giscard d'Estaing qui, devenu Président de la République,
abolit en 1975, au nom de la politique libérale européenne qu'il
entend instaurer, les fêtes de commémoration de la fin de la
deuxième guerre mondiale.
1954 marque la fin
de la guerre d'Indochine, comme le début de celle d'Algérie.
La France crée en
1945 l'Office National d'Immigration pour "glaner" sur
le terrain la main d'uvre nord-africaine qui va lui
permettre de rebâtir son économie. Si les déclarations
gaulliennes au nom de la classe ouvrière citées précédemment
peuvent surprendre, les déclarations, dans les années cinquante,
du député poujadiste et futur fondateur du Front national Jean-Marie
Le Pen, surprennent encore plus :
"J'affirme
que dans la religion musulmane rien ne s'oppose au point de vue
moral à faire du croyant ou du pratiquant musulman un citoyen
français complet. Bien au contraire, sur l'essentiel, ses préceptes
sont les mêmes que ceux de la religion chrétienne, fondement de
la civilisation occidentale. D'autre part, je ne crois pas qu'il
existe plus de race algérienne que de race française [...].
Je conclus :
offrons aux musulmans d'Algérie l'entrée et l'intégration dans
une France dynamique. Au lieu de leur dire comme nous le faisons
maintenant : "Vous nous coûtez très cher, vous êtes un
fardeau", disons-leur : "Nous avons besoin de vous.
Vous êtes la jeunesse de la nation"[...] Comment un pays
qui a déploré longtemps de n'avoir pas assez de jeunes pourrait-il
évaluer le fait d'en avoir cinq ou six millions? " (cité
par Le Monde , Dossiers et Documents, octobre 1984).
Chez l'un et chez
l'autre, le discours sur l'économie est donc soumis à l'imaginaire
de la politique. Pour De Gaulle, la mission historique de la République
et de la nation en armes lui permet d'inclure la classe ouvrière
comme simple acteur au service de l'Histoire. Pour Jean Marie Le
Pen, dont le discours est quand même tolérant (il nest
pas sans rappeler dailleurs la tolérance dAndré
Hesse qui faisait participer les colonisés de la colonisation
),
l'idée de Croisade (certainement implicite dans la notion de
"civilisation occidentale" à laquelle il fait allusion,
tous adversaires confondus) lui permet d'intégrer la religion
musulmane comme force morale dans le renforcement des valeurs, -
en l'occurrence nationales.
Certes, ce n'est
pas une vue aussi sommaire qui rend compte d'une évolution
proprement économique. Elle permet toutefois d'imaginer le développement
à venir en envisageant la prise en considération du territoire
métropolitain comme facteur économique. Les politiques menées
par les différents gouvernements, avec le nationalisme exacerbé,
le colonialisme, les marchés protégés, ont fortement contribué
à la pratique de l'épargne, qui s'est coupée des
investissements sur le territoire national. Les lois sur la défiscalisation
des investissements dans les Territoires d'Outre-mer et l'incitation
à aller y passer ses vieux jours avec l'assurance de percevoir
une retraite double, sont d'ailleurs des résidus actifs de la
politique précédente. Sans faire nôtre la définition de l'économie
française comme d'un "capitalisme sans
capitalistes et sans capitaux ", on doit constater que
le développement économique du pays a été orienté assez
longtemps plus par les décisions politiques que par le libre jeu
du marché.
II. a. L'agriculture
en France
La France est
particulièrement attachée à son agriculture. La référence de
De Gaulle sur l'ingouvernabilité des Français qui peuvent
changer d'opinion comme de fromage chaque jour de l'année (365
fromages, dans les années 1960) trouve un écho inattendu dans l'ironie
du chanteur Renaud qui s'en prend dans Hexagone, une
chanson particulièrement cruelle mais non tout à fait dénuée
de vérité, à certaines valeurs alimentaires nationales comme
le camembert et le vin de Bordeaux (quoique pinard désigne n'importe
quel vin):
Leur pinard et
leur camembert
C'est leur seule
gloire à ces tarés
De fait les différents
Présidents de la République n'ont cessé de rappeler que la
vocation de la France était l'agriculture. Jacques Chirac, dans
un discours pour fêter le cinquantenaire de la création de la
FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants
Agricoles), précise l'orientation de son septennat : la
politique agricole, dit-il, passe par "la modernisation
et l'adaptation de la politique des structures ainsi que par la
modernisation de l'organisation économique et des filières. A
cette fin, j'ai demandé au gouvernement [celui d'Alain Juppé]
et au ministre de l'agriculture de préparer avec vous, et de présenter
l'an prochain, une loi d'orientation agricole. (...) Mes chers
amis, (...) vous êtes, plus que toute autre profession, les
gardiens de notre identité " (Le Monde).
Pendant la
campagne présidentielle de 1995 qui oppose au deuxième tour
Lionel Jospin à Jacques Chirac, le candidat socialiste précise
seulement, sans s'opposer sur le reste à son adversaire, son
intention de "cibler" les aides agricoles. Enfin, Valéry
Giscard d'Estaing, dans son discours de Ferrara au Congrès Européen
des Communes Jumelées (novembre 1998) déclare en ce qui
concerne les "problèmes en suspens ":
« ce sont (...) la politique agricole commune (PAC) - dont
je rappelle qu'elle fait partie du pacte fondateur de l'Union
européenne - et il faut savoir que lorsque nos [représentants]
ont voté à l'époque en faveur du Traité de Rome, le vote a été
enlevé en raison de la présence de la politique agricole
commune dans ce pacte fondateur » (transcription)
Cependant, cette défense
de l'agriculture nationale ou à vocation européenne fortement
teintée de nationalisme de la part de personnalités du
monde politique, dissimule mal certaines faiblesses. L'intérêt
pour l'agriculture n'est pas toujours en prise sur l'ensemble de
l'économie. Pour prendre un exemple, la planification française
n'a consacré à l'agriculture que le IIIe Plan, sous
la forme d'un accroissement de la production des tracteurs
Renault. Jacques Chirac, dans l'article précédemment cité, a
peut-être mis le doigt sur une plaie qui saigne depuis longtemps
en disant aux syndicats agricoles : "Une agriculture dont
seule la vocation productive serait reconnue deviendrait vite un
secteur économique banalisé, soumis aux lois de la
concentration et de la délocalisation, qui conduirait des régions
entières à la désertification ". Mais en même temps
il propose "que soit conclu un nouveau pacte entre la
nation et ses paysans ", où l'accent est mis cette fois
non plus sur les agriculteurs, mais sur une notion - les paysans-
qui évoque davantage la France d'autrefois que celle d'aujourd'hui.
C'est cette approche contradictoire pendant des années qui a déterminé la situation actuelle, si bien mise en relief par Maurice Parodi dans L'économie et la société françaises de 1945 à nos jours :
"L'agriculture,
qui était encore en 1968 la "première industrie nationale"
du point de vue de l'emploi, avec ses 3.125.OOO personnes actives
occupées, ne comptait plus, en 1977, que 2.000.000 de personnes
actives ". Depuis, la situation n'a fait que se dégrader.
Pour s'éloigner de la paysannerie - à laquelle le discours
chiraquien prétend rester fidèle -, fallait-il arriver à un
chiffre de 731 500 actifs seulement, en 1997, dans le secteur
agricole? Comment parler encore d'un grand secteur si la part de
l'agriculture dans le PNB (Produit national brut) n'est
plus que de 3,5%?
Les paysans intéressent
les pouvoirs publics depuis longtemps. En 1881, au début de la
IIIe République, on crée un ministère de l'agriculture
avant même que l'administration ne songe à créer un ministère
de l'industrie. C'est pour protéger l'agriculture de la mévente
qu'on en vient, en 1892, au protectionnisme, facilité par les
colonies. C'est pour assurer le financement de l'agriculture que,
dès sa création, à la fin du XIXe siècle, le Crédit agricole
bénéficie d'un traitement de faveur de la part de l'Etat. Il
"coiffe" le réseau de ses caisses régionales par une
Caisse nationale qui va devenir la première banque du pays.
Cet intérêt prolongé pour un secteur qui a fourni aux cadres politiques de la IIIe et de la IVe République leurs soutiens les plus forts, au régime de Vichy sa justification la plus profonde, et surtout aux deux guerres mondiales leur apport en hommes le plus précieux, aboutit au lendemain de la deuxième guerre à une politique de modernisation partielle dans le cadre du plan Monnet, sous l'égide du ministre socialiste François Tanguy-Prigent.
1946 est l'année,
sur le plan juridique, du changement du statut du fermage.
Une loi porte à 9 ans la durée minimale du bail (contrat) entre
le fermier et le propriétaire. A l'expiration, ce bail est
automatiquement renouvelé, sauf si le propriétaire reprend la
terre pour l'exploiter à son compte ou la donner à son fils qui
va l'exploiter à son tour. En cas de vente, le fermier dispose d'un
droit de préemption sur tout autre acheteur. Enfin, le montant
du fermage est calculé à partir des revenus des cultures et fixé
par une commission mixte, composée de fermiers et de propriétaires.
Le fermage devient
donc un mode de production avantageux. L'Etat favorise aussi les
agriculteurs en créant après 1945 l'INRA (Institut National de
la Recherche Agronomique) et les CUMA (Coopératives d'Utilisation
du Matériel Agricole). Il favorise le remembrement des terres
(les agriculteurs peuvent "échanger", à parité de
rentabilité, leurs terrains de façon à avoir des propriétés
d'un seul tenant); enfin, le taux des prêts accordés par le Crédit
Agricole baisse dans la mesure où cette banque a le monopole sur
les crédits accordés aux agriculteurs.
Deux types de
capital : le capital foncier, qui comprend les terres et
les maisons, et le capital d'exploitation, qui comprend
les machines et le bétail, sont à la base de l'exploitation
agricole.
Malgré la
nouvelle législation, le statut du fermage n'abolit pas le
faire-valoir direct. Si le fermage occupe actuellement 60% de
la Surface Agricole Utilisable (SAU), le faire-valoir direct en
occupe 40%. Mais ce dernier se trouve surtout dans les
exploitations inférieures à 30 hectares. Au-dessus, c'est le
fermage (loyer dune ferme) qui l'emporte. C'est pour ce
dernier notamment qu'ont été faites les grandes réformes. Les
exploitants directs (les propriétaires exploitants) demandent
quant à eux la diminution, et même l'abolition, des droits de
succession. La politique gouvernementale, tout en voulant
favoriser officiellement les exploitations moyennes (autour de 20
hectares) favorise surtout les exploitations à partir de 30
hectares et les grandes exploitations. Mais cette politique a
aussi favorisé certaines régions aux dépens des autres,
notamment celles qui connaissent la production céréalière et
celles des betteraves à sucre. Les primes à l'arrachage qui ont
été décidées dans le cadre de la PAC (Politique agricole
commune) mais aussi dans un cadre parfois strictement national,
ont transformé des zones agricoles comme le midi de la France en
zones de désarroi agricole. L'arrachage des vignobles ou des
arbres fruitiers, le faible rendement des céréales dans ces régions
de plaines peu étendues, auxquels s'ajoutent le gel des oliviers
et l'abandon de la culture des mûriers liée à l'industrie de
la soie, ont accentué les départs vers la ville et encouragé
la monoculture des prairies artificielles plantées de luzerne.
II. b. Les
tarifs
Une politique
de soutien des cours vient équilibrer les prix à partir des
années cinquante. Après l'ONIC (Office National
Interprofessionnel des Céréales), créé en 1945, l'Etat crée
une série d'offices interprofessionnels: ONILAIT (lait),
ONIBEV (bétail et viande), ONIVIT (vin de table, ou vin de
consommation courante). En 1961 est créé le FORMA (Fonds d'Orientation
et de Régularisation des Marchés Agricoles).
Entre 1961 et 1966,
Edgar Pisani, ministre de l'Agriculture sous la présidence du général
de Gaulle, définit une politique des structures agricoles pour
permettre à la France d'aborder le marché commun dans de bonnes
conditions. Cette politique sera suivie par ses successeurs,
notamment Edgar Faure et Jacques Chirac (1972-1974), ce dernier
sous la présidence de Georges Pompidou.
II. c. Les
structures
A) Les
structures foncières. On crée dans chaque région les SAFER
(Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural).
Ces SAFER ont un droit de préemption sur les terres; elles les
revendent à bas prix aux jeunes agriculteurs. Les pertes éventuelles
sont couvertes par subventions budgétaires. La création de cet
organisme remonte au début du boom des résidences secondaires
à la campagne. Ce sont les zones semi-boisées, entre la plaine
et le bois, qui font l'objet des disputes les plus âpres entre
les SAFER et les citadins qui veulent y installer leur villa.
Zones dont le rôle écologique n'est pas encore pensé, et le
plus souvent, difficiles à remettre en culture, dans le midi
notamment, car les oliviers qui les occupaient avaient subi le
gel de 1956.
B) Les
structures démographiques. Les agriculteurs de plus de 55
ans reçoivent une Indemnité Viagère de Départ (IVA),
qui fait fonction de retraite. En revanche, les jeunes
agriculteurs qui s'installent reçoivent une Dotation aux
Jeunes Agriculteurs (DJA). Le but du Centre National pour l'Aménagement
des Exploitations Agricoles est l'abaissement de l'âge des
exploitants agricoles.
C) Les
structures d'exploitation. L'Etat propose le Groupement
Agricole d'exploitation en commun (GAEC) aux agriculteurs. Cette
forme d'exploitation, "associe 2 à 10 personnes mettant
en commun matériel et cheptel, organisant ensemble les travaux
agricoles. Ses membres reçoivent un salaire fixe, complété par
une part variable du bénéfice annuel de l'exploitation
"(M. Baleste).
D) Les
structures de commercialisation. Des Sociétés d'intérêt
collectif agricole (SICA) permettent aux agriculteurs de contrôler
les circuits de distribution de certains produits, comme
artichauts, choux et pommes de terre. Le plus souvent, ces
cultures sont des monocultures, provenant d'une spécialisation régionale
(artichauts en Bretagne, dans la région de Saint Pol de Léon,
choux en Alsace).
II. d. Produire
Le parc de
tracteurs s'élève actuellement à environ 1.500.000 (la
production de matériel agricole est de plus en plus l'apanage
des sociétés étrangères, en ce qui concerne par exemple les
tracteurs, les tronçonneuses et les moissonneuses). Mais le
"gel des terres ", c'est-à-dire, de la part de
Bruxelles, l'interdiction momentanée de cultiver, et les
incertitudes de la PAC, font que la production et l'investissement
dans ce domaine, restent stagnants. Le succès de certaines
machines, comme les vendangeuses, a complètement aboli des catégories
entières d'ouvriers agricoles saisonniers dans les grandes régions
viticoles (Bordeaux, Bourgogne).
L'insémination
artificielle a amélioré la sélection des espèces animales.
Mais la nourriture des animaux a été bouleversée par le développement
des rations alimentaires.
Certains élevages
hors-sol, comme celui des porcs, font l'objet de réglementations
particulièrement strictes : "L'exploitation porcine est
encadrée par des prescriptions techniques drastiques pour l'environnement,
s'agissant, entre autres, de la collecte des effluents d'élevage,
de la capacité de stockage des lisiers, de la limitation de leur
utilisation comme engrais et des nuisances au voisinage. (...) La
profession (...) est engagée dans des actions préventives et
curatives en faveur de l'environnement, comme en témoigne l'implication
des éleveurs au côté des pouvoirs publics dans le Programme de
Maîtrise des Pollutions d'Origine Agricole (PMPOA). (...) ce
programme est freiné actuellement " (Luc Guyau, Le
Monde du 3.11.1998).
Dans des cas comme celui-là, les contraintes de l'environnement d'une part, la volonté de maintenir l'élevage dans une région déterminée alors que la consommation regarde l'ensemble du territoire de l'autre, se heurtent à ce qu'on appelle aujourd'hui le développement durable ou soutenable, précédemment évoqué, qui tend à harmoniser la production au milieu où on l'implante. L'élevage du porc en est l'un des exemples les plus criants.
Cet appel aux
fonds de l'Etat s'inscrit bien évidemment dans le cadre du
protectionnisme, puisqu'à la différence de la viande bovine, la
viande de porc n'a jamais été considérée que comme une
extension de la production végétale. La France mais aussi l'Europe,
jouent ici sur la régionalisation qualitative de la production
en limitant d'un côté "le développement du porc hors
de Bretagne " (la Bretagne assure 52% de la production
nationale), et en faisant passer, de l'autre, certains produits,
comme le jambon de Bayonne (en Pays basque) sous le label "indication
géographique protégée ".
Cette insistance sur la productivité n'a pas été sans inconvénient pour la terre et la santé des hommes et des animaux. La crise de "la vache folle" est suffisamment connue pour qu'on nait pas besoin de s'y arrêter longuement. Aux dires du ministère de l'Agriculture, la maladie est en régression sur le territoire français. Aux dires du ministère de la Recherche, elle s'étend à d'autres espèces animales, comme les moutons. Elle est passée du domaine agricole au phénomène de société, comme en témoignent ces phrases tirées de Vert de colère, l'une des dernières chansons de Pierre Perret (1998), un chansonnier à la fois gourmet et gourmand, sensible aux habitudes alimentaires de ses concitoyens (sa chanson Le Tord-boyaux , type du restaurant de banlieue à la fois attrayant et équivoque, a été un succès dans les années soixante):
"Les
moutons mang' leurs papas
Changés en
granulés.
Sont un petit
cadeau du ciel
De nos
industriels ".
En ce qui concerne
la production "culturale " (le terme tend à
remplacer l'adjectif "agricole", qui devient ici désuet)
les laboratoires de l'INRA ont sélectionné les semences des céréales
(maïs, blé). Fongicides et herbicides, désherbants et engrais
ont accru la productivité à l'hectare des semences. L'irrigation
par canaux et par aspersion s'est répandue. On est passé dans
les années cinquante de la culture du maïs normal à celle du
maïs hybride plus résistant aux climats froids, pour arriver
ces dernières années au maïs transgénique (appartenant aux
OGM, Organismes Génétiquement Modifiés).
Mais les défauts de cette politique de productivité se font sentir.
On aboutit d'abord
à une dépendance croissante de l'agriculture par rapport aux
autres branches de l'industrie (chimie, par exemple); à tel
point qu'on privilégie une agriculture et un élevage hors-sol (élevage
des volailles, notamment). Les ressources en eau diminuent (les
nappes phréatiques s'épuisent). Les écologistes dénoncent l'usage
irraisonné des fertilisants. Aujourd'hui, les grands céréaliers
essaient de doser l'emploi de l'eau et des engrais en fonction
des besoins exacts de la plante. Les OGM sont remis en question
par les écologistes et les organisations de consommateurs.
L'endettement est
devenu une plaie pour les paysans. On estime environ à 10% des
agriculteurs en France le chiffre de ceux qui ne parviennent pas
à honorer leurs dettes envers les banques (Crédit agricole
notamment). Un Fonds d'allégement de la dette agricole (FADA) a
été mis en place par le Crédit agricole ces dernières années.
Enfin, comme écrivait Fernand Braudel au début des années 1980,
"les paysans de l'Ancien Régime travaillaient pour leur
Seigneur; les agriculteurs d'aujourd'hui travaillent pour payer
les dettes contractées au moment de l'achat du matériel
".
II. e.
Les régions agricoles
La France est un
pays qui est passé d'une grande diversification des cultures végétales
sur l'ensemble du territoire à une politique de spécialisation
par région. Sa SAU (Surface Agricole Utilisable) la plus grande
d'Europe lui a permis de pratiquer pendant longtemps une
agriculture extensive. Aujourd'hui, la concurrence des pays européens
et des pays tiers, le modèle fourni par les autres agricultures,
entraînent la production à devenir intensive. L'Economie
paysanne, qui a régi la France pendant l'Ancien Régime et jusqu'à
la première moitié de ce siècle, s'est en quelque sorte adaptée
aux nécessités actuelles, jusqu'à devenir le domaine de l'agro-alimentaire.
De ce point de vue, la région Bretagne est emblématique. La
Bretagne est l'une des régions qui a le moins souffert de l'exode
rural; elle a su reconvertir son agriculture grâce aux petites
et moyennes sociétés agro-alimentaires. Traverser la France en
allant du sud-est vers l'ouest signifie passer de la France
agricole à la France agro-alimentaire.
Les différents
types de production végétale se répartissent comme suit :
- la grande
culture intensive (céréales, betteraves à sucre, oléagineux
: tournesol, colza et soja) dans le Centre-Nord : en Flandre,
Picardie, Champagne, Beauce et Brie;
- les cultures
fourragères en association avec l'élevage dans l'Ouest :
Bretagne, nord du pays de Loire;
- l'agriculture
mixte (céréales, cultures fourragères, élevage) : Poitou
Charente, Languedoc, Aquitaine, Nord du Bassin Parisien, ainsi
que dans le Nord-Est : Vosges, Alsace et Lorraine, et le Centre-Est
: Bresse, Nord du Rhône;
- les cultures
maraîchères, fruitières et florales, plus spécialement en
Provence, en Corse (oranges et agrumes en général) et dans le
Rhône, mais aussi le long de la Loire, en Aquitaine, et en
Bretagne pour certaines productions (pommes à cidre, artichauts).
Dans le domaine
maraîcher, on distingue deux types de production : la production
pour l'auto-consommation familiale, difficilement quantifiable
mais importante, et la production de plein champ, souvent intégrée
à la polyculture.
- les vignobles de
vin de table (Languedoc), et ceux de vins AOC (Appelation d'Origine
Contrôlée) : Champagne, Bourgogne, Bordeaux, Pays de Loire; une
nouvelle catégorie, à mi-chemin entre les vins AOC et les vins
de table, est constituée par les vins de pays. Le but des
viticulteurs étant souvent de passer d'une catégorie à l'autre,
celle-ci constitue une catégorie intermédiaire;
- les zones de pâturage
permanent, consacrées à l'élevage, comme la Normandie, les Pyrénées,
le Massif Central, la Savoie;
Une mention
particulière est à réserver à certaines micro-régions, comme
la Camargue, où l'on produit du riz; à la forêt des Landes (bois
et résineux), au Périgord (truffes), ainsi qu'aux régions
productrices de bière (Alsace) et d'alcools : Cognac (Charente)
et Armagnac.
En ce qui concerne
les différentes productions, les céréales les plus cultivées
sont le blé, l'orge et le maïs. Mais la France est fortement
concurrencée dans ce domaine par les Etats-Unis.
Parmi les produits
sucriers, la betterave à sucre est présente en territoire métropolitain
et sa production concerne aussi bien les planteurs de betteraves
que les raffineurs; il faut compter aussi la canne à sucre, dont
la production tend à la baisse dans les îles des Antilles (où
elle sert à fabriquer le rhum); l'aide de l'Etat la maintient à
la Réunion, où elle intéresse essentiellement les petits
planteurs qui assurent 200.000 tonnes de sucre chaque année, et
70% des exportations de l'île. "La France est le premier
producteur mondial de sucre de betterave et se situe au 7 ème
rang mondial en comptant la production de sucre de canne. Il y a
en métropole 42 sucreries, appartenant notamment à Eridania
Beghin-say, Saint Louis Sucre, Vermandoise Industries "
(Le Monde, 4 mars 1999).
La production des
vins de table est en baisse également, malgré les efforts
des producteurs languedociens. En revanche, les vins AOC (Appelation
d'origine contrôlée) résistent bien en dehors de toute définition
des prix. La région Alsace fonde sa production agricole sur le
double marché des vins AOC et de la bière.
Dans l'ensemble, les régions productrices de vin AOC sont les seules régions qui ont su maintenir à travers le temps la constance de leurs productions, Cognac, Bourgogne et Bordeaux ayant été assurées, dès le départ, d'un marché international (à l'origine, Cognac et Bordeaux fournissent les tables d'Angleterre ; la Bourgogne celles des pays du nord de lEurope).
Pourtant, la
concurrence est forte. Le cognac, qui prend son nom de la ville
des Charentes, voit sa production viticole partiellement déclassée
en vin de pays en raison de la concurrence que lui font en France
des alcools comme le whisky. La ruse des producteurs consiste
alors à commercialiser des long-drinks (cognac-vodka, bière au
cognac) qui sont d'abord expérimentés sur les consommateurs
britanniques, en attendant d'être vendus dans les supermarchés
de l'Hexagone. Par contre, les vins de Bordeaux sont l'objet d'une
spéculation effrénée de la part des grands groupes agro-alimentaires
et autres, qui rachètent les propriétés en profitant
parfois des dissensions à l'intérieur des familles. Mais les
retombées de certains "événements" comme le réveillon
de l'an 2000 ne sont pas non plus étrangères aux calculs des
viticulteurs. Des producteurs viticoles des Charentes, à cet
effet, ont mis en bouteille d'excellents vins qu'ils ont immergés
au large de la Vendée, pour retrouver la tradition du "vin
de mer " dont les commerçants du XVIIe et XVIIIe siècles
étaient amateurs.
Rappelons tout de
même que la consommation des produits végétaux et animaux ne
se résume pas à la production métropolitaine; l'alimentation
est suffisamment diversifiée en ce domaine pour faire appel aux
cultures des autres pays et des autres continents.
II. f. La
production animale
Les zones d'élevage
sont les régions laissées libres par l'agriculture spécialisée.
L'élevage bovin pour le lait se concentre surtout en Savoie, en
Franche-Comté (au-dessus du lac de Genève), et en Normandie; l'élevage
bovin pour la viande dans le Massif Central - les éleveurs y
sont surtout des "naisseurs ", c'est-à-dire qu'ils
élèvent les vaches et vendent les veaux, sur le marché français
mais aussi italien et espagnol, pour être engraissés par d'autres
éleveurs dits "d'embouche "; l'élevage bovin
pour le lait et la viande en Bretagne et dans le pays de Loire;
la Corse, les Alpes du Sud et le sud du Massif Central (les
Causses) connaissent un important élevage ovin et caprin (moutons
et chèvres). Les porcs sont surtout élevés dans le nord du
pays (en Flandre) et en Bretagne, tout comme la volaille (35% de
la production nationale).
II. g. Les
industries agro-alimentaires (IAA)
Les IAA concernent
essentiellement la transformation des produits agricoles par 2
types d'industrie :
- d'abord, les industries
agricoles, qui travaillent les produits bruts fournis par l'exploitation
: par exemple, le blé est transformé en farine. Les
investissements sont coûteux (minoteries, sucreries). La marge
de bénéfice est réduite, et d'autant plus réduite pour les
agriculteurs eux-mêmes. La production de sucre se divise
notamment entre les producteurs de betteraves et les raffineurs.
- ensuite, les industries
alimentaires; cette seconde transformation aboutit aux
produits préparés et prêts à être consommés. Les bénéfices
sont plus importants.
Les IAA sont le
premier secteur industriel français, et emploient près de 400.000
actifs; leur solde est excédentaire, mais la "restructuration"
de ces dernières années les a frappées également, en raison
du recul des prix et de la stagnation de la consommation
intérieure.
Les industries
alimentaires ont été stimulées ces dernières années :
- par la
modification des goûts alimentaires et surtout par les
grandes surfaces (grands super-marchés), qui présentent des
produits sous emballage calibrés en fonction des demandes :
fruits, légumes, etc. Les plats cuisinés, les vins AOC et les
fromages frais connaissent par exemple un véritable boum. Les
produits de luxe, comme le saumon, le foie gras, et le vin, sont
à la fois banalisés par la vente dans les grandes surfaces, et
objet, nous l'avons vu, de la convoitise des grands groupes;
- par les
contraintes économiques : les produits surgelés bénéficient
de la présence simultanée dans les foyers des congélateurs et
des fours à micro-ondes; le fait que dans une famille homme et
femme travaillent entraîne la consommation des aliments "prêts
à consommer ", depuis les potages en sachet aux filets
de poisson en passant par le café en poudre. La pomme de terre s'est
particulièrement bien maintenue, grâce aux chips d'abord,
puis à la purée en flocons et enfin aux frites précuites.
En témoignent les articles qui lui sont consacrés régulièrement
dans les journaux, comme celui-ci : "Le Nord-Pas-de-Calais
est le plus gros producteur de pommes de terre de consommation :
1,9 million de tonnes sur 40 500 hectares, soit près du double
de la Picardie. Toutefois, cette dernière arrive en tête pour l'approvisionnement
des industries de la fécule.
Il s'agit, en
fait, de deux métiers différents. La production féculière
rapporte moins, mais est moins risquée que la pomme de terre de
consommation. (...) Quant aux recherches variétales, elles
apportent sans cesse de jeunes concurrentes de la célèbre
bintje, en fonction des exigences des techniciens et de la mode.
Les uns veulent de beaux volumes oblongs pour les longues frites
des fast-food; d'autres une belle peau, facile à laver
" (Le Monde, 2 mars 1999).
- par la
restauration collective : Campanile et Novotel se disputent
la restauration commerciale, tandis que Mac Donald s'est
emparé de la restauration rapide (fast food);
grilladeries et cafétérias accompagnent généralement les
grandes surfaces et les chaînes hôtelières.
II. h. L'organisation des IAA.
- Les coopératives
se sont implantées surtout dans l'industrie laitière; pendant
longtemps, l'Union Laitière Normande (ULN) représente le fer de
lance des coopératives agro-alimentaires; le principe des prix
garantis lui assure de bonnes rentes de position; l'introduction
des quotas laitiers en 1984 l'oblige à privilégier des produits
à plus forte valeur ajoutée comme les yaourts et l'emmenthal (en
France, l'emmenthal et le gruyère font partie de l'alimentation
de base comme en Italie le "parmigiano"); mais ces
produits sont soumis à une concurrence effrénée, et l'ULN est
rachetée par le groupe privé Bongrain; pour les volailles, nous
avons la coopérative UNICOPA;
- Le secteur
industriel. La plupart des entreprises agro-alimentaires
appartiennent aux PME (Petites et Moyennes Entreprises); elles
sont souvent soumises à des entreprises plus grandes appartenant
quant à elles au secteur de la distribution.
- Le secteur
financier. Les IAA se sont dotées en 1980 d'une structure
financière de capital-investissement, l'IDIA (Institut des
industries agricoles et agroalimentaires). Cette structure est
rachetée en 1998 par le Crédit agricole qui détient 26% de son
capital. L'IDIA investit dans tous les domaines de l'agro-alimentaire,
sans en privilégier aucun en particulier.
II. i. Les
stratégies
La diversification
est une des ressources de certains industriels, présents au départ
dans le domaine du luxe. Le groupe LVMH (Louis Vuitton Moët
Hennessy), présent d'abord dans la maroquinerie, a ensuite
distribué son activité dans le champagne (Moët) et dans le
cognac (Hennessy), ainsi que dans les vins étrangers (californiens
et australiens). Il est maintenant entré dans le vin de Bordeaux,
après le rachat des parts de la famille du comte de Lur-Saluces
dans le domaine de Château d'Yquem (1.000 Francs la bouteille
pour une bonne année). De plus, son PDG, Bernard Arnault, s'est
associé au milliardaire belge Albert Frère dans le domaine de
Cheval Blanc (Saint-Emilion). Cette stratégie est aussi celle de
François Pinault, propriétaire du Printemps, de La Redoute et
de la FNAC (Fédération nationale d'achat des cadres), et l'une
des plus grosses fortunes de France. Sa nouvelle propriété de
Château Latour lui rapporte un bénéfice pudiquement représenté
par le chiffre de 5%, sur un chiffre d'affaire (CA) de 80
millions de Francs, en forte augmentation.
Certains secteurs
choisissent une position de force. C'est le cas de Danone (1er
groupe national, 4ème européen et 8ème mondial) dans les
produits laitiers; de Pernod-Ricard dans les apéritifs et le
"pastis", boisson alcoolisée à base d'anis, populaire
dans le midi de la France sous le nom de "pastaga".
Pernod-Ricard est le produit de la fusion des deux sociétés qui
se disputaient le marché de ce produit.
Le tableau qui
suit présente le Chiffre d'Affaires (en millions de francs) pour
l'année 1997 de quelques groupes spécialisés dans la
production alimentaire, et choisis dans des régions différentes.
Malgré la politique de décentralisation, on constate que le siège
social des groupes ou des sociétés dont le CA est le plus élevé
se trouve encore en Ile de France (Paris, Neuilly s/Seine) (source
: L'Entreprise, décembre 1998).
Groupe |
Secteur
|
Localité |
CA
1997 |
Revenu
Net |
Danone |
Alimentation |
Paris |
88
476 |
3664,0 |
Eridania
Beghin-Say |
Agro-Industrie |
Neuilly
s/Seine |
63
650 |
1904,0 |
Pernod-Ricard |
Boissons |
Paris |
19
049 |
1354,0 |
Fromageries
Bel |
Produits
laitiers |
Paris |
9
280 |
404,2 |
Taittinger |
Champagne |
Reims |
4
221 |
97,0 |
Veuve
Clicquot-Ponsardin |
Champagne |
Reims |
1
137 |
291,0 |
William-Saurin |
Alimentaire |
Lyon |
3
295 |
157,7 |
Rivoire
& Carret |
Alimentaire |
Marseille |
1
379 |
10,2 |
Jean
Stalaven |
Charcutier-traiteur |
St-Brieuc-
Bretagne |
931 |
9,0 |
La stratégie
consistant à privilégier les secteurs a abouti, pour certains
groupes, en particulier Danone, à rafler le maximum de marques
dans le domaine de l'agro-alimentaire, alors que sa production de
base était les produits laitiers. Ce groupe, sous l'égide d'abord
de son directeur et principal actionnaire Antoine Riboud, puis de
son successeur et fils Franck Riboud, possède les marques
suivantes, qu'il a eu soin de laisser à leur nom : bières (Kronenbourg,
Kanterbraü); condiments (Amora, Maille); biscottes (Heudebert);
pâtes alimentaires (Panzani, Agnesi); biscuits (Belin, Lu, l'Alsacienne);
eaux plates (non gazeuses : Evian, Volvic); produits frais (Gervais-Danone);
confiserie (La Pie qui chante, Vandamme); confitures (Materne,
Lenzbourg, Lerebourg). Toutefois, la tendance aujourd'hui
consisterait à unifier le groupe sous le seul nom de Danone,
pour économiser en frais de publicité.
Exemple d'accord
agro-alimentaire qui a rempli d'aise le cur des Français :
"Franck Riboud, le patron de Danone [...], après avoir
investi plus de 50 millions de francs pour être le partenaire
"produits frais" du Mondial de foot, vient d'arracher
le droit de vendre de l'eau d'Evian dans les buvettes des stades.
Ce n'était pas gagné d'avance. Coca-Cola avait payé plus de
150 millions de francs à la Fédération Internationale de
football, pour que ses sodas et jus de fruits (Minute Maid)
soient les boissons exclusives de la Coupe du monde 1998. Douglas
Ivester, le nouveau président de la firme d'Atlanta, a fini par
céder. Il faut dire que les deux entreprises entretiennent de
bonnes relations : Coca est un des distributeurs d'Evian aux
Etats-Unis, tandis que Danone fabrique le Minute Maid Premium en
Europe. Mais Coca ne lâche pas tout. Evian n'aura pas le droit
de vanter sa présence au Mondial dans ses publicités "
(Capital, n°76, janvier 1998).
Pour la petite
histoire, Antoine Riboud est le frère du photographe
antimilitariste Marc Riboud, qui a sensibilisé l'opinion
publique mondiale en photographiant le mouvement hippy américain
contre la guerre du Vietnam dans les années 60. Les yuppies ne
sont pas loin.
Parmi les autres
grands groupes spécialisés dans un secteur, il faut citer
Bongrain, qui réalise la moitié de son chiffre d'affaires à l'étranger.
La plupart des fromages à pâte molle (Caprice des dieux,
Chamois d'or, Belle des champs), lui appartiennent, envahissant
aujourd'hui le marché italien, spécialisé traditionnellement
dans les fromages à pâte dure.
Cette bonne
situation encourage aussi l'implantation en France de nombreuses
sociétés étrangères. C'est le cas des géants Nestlé (qui
possède pour l'heure Chambourcy, Gloria, Guigoz, Vittel et
Perrier) et Unilever.
II. k. Autres
secteurs de l'agro-alimentaire
Parmi les produits
laitiers, le beurre recule (on apprécie cependant encore le
beurre salé de Bretagne) et les fromages sont en progression. On
mentionnera pour mémoire, outre le groupe Bongrain déjà cité,
le groupe Besnier, du nom de son propriétaire, surnommé le
roi du camembert et l'ogre des fromages, qui a racheté
la Société des Caves de Roquefort (du nom d'un village des
Causses qui produit ce fromage de brebis) à... Nestlé!
La viande est la
deuxième IAA française par son CA, - les Français consomment
une moyenne de 35 kg de porc par habitant et par an, sous forme
essentiellement de charcuterie. Le circuit vif (bétail
abattu sur les lieux de consommation) a cédé la place au circuit
mort. La filière de la viande permet aux steaks d'arriver
directement hachés chez votre boucher (ou directement chez vous
grâce au développement des distributeurs de produits surgelés).
Le principal groupe est SOCOPA (Société omnium de
conditionnement de produits agricoles), présent surtout dans l'Ouest.
Aujourd'hui, l'agriculture
et la politique qui la soutient changent de visage. Il ne s'agit
plus d'une politique indiscriminée de prix garantis en fonction
de la culture pratiquée, mais d'une aide particulièrement ciblée
en fonction des agriculteurs eux-mêmes. Enfin, cette politique détermine
également des changements dans la stratégie suivie entre autres
par le CNJA (Centre national des jeunes agriculteurs), comme l'explique
Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture :
"Les
agriculteurs doivent prêter attention plus à la compétitivité
des exploitations qu'à leur productivité (...) plutôt à la
marge que dégage leur activité qu'au volume de production qui
en résulte". Et cette compétitivité "tiendra
plus à sa capacité de différenciation des produits sur des
marchés de plus en plus segmentés qu'à sa compétitivité sur
le prix des produits standards de masse " (Le Monde
21-22 juin1998).
Pourtant, malgré
ce réajustement et l'élévation du niveau de vie des
agriculteurs (corollaire sans doute de leur diminution en nombre),
les disparités géographiques restent fortes :
"Par
rapport à une moyenne 100, les exploitations de Champagne-Ardennes
sont à 193 et d'Ile-de-France à 172, le Limousin ne dépasse
pas 40, la Basse-Normandie 62 et Midi-Pyrénnées 76. Le ministre
de l'agriculture, Louis Le Pensec, s'est ''réjoui'' de ces évolutions
mais ajoute que les disparités rendent urgente une politique
vigoureuse de rééquilibrage, par exemple à travers la future
loi d'orientation " (Le Monde, 28 mai 1998).
II. l. La
pêche et les régions maritimes
Si la France a un
ministère de l'agriculture depuis 1881, elle a attendu cent ans
pour avoir un ministère de la mer. Les enjeux dont la mer est l'objet
sont à la fois économiques, alimentaires et environnementaux.
Plus que les autres, les ressources maritimes sont
internationales, et c'est en termes de régions maritimes (Arc
Atlantique, du Portugal à l'Irlande, Iles, Méditerranée) qu'il
faut évaluer ces enjeux, et les ressources.
En France, 3 types
de pêche se partagent le poisson :
- la petite pêche,
dont les bateaux n'excèdent pas 12 mètres et font des sorties
fréquentes, sans s'éloigner des côtes. Les pêcheurs sont rémunérés
à la part, après paiement des frais de manutention;
- la pêche
hauturière, au chalut (espèce de filet) et en haute mer, étalée
sur un ou plusieurs jours;
- la grande pêche,
avec navires-usines qui traitent et préparent le poisson à bord,
et dont les sorties peuvent durer des mois. Dans ces deux
derniers types de pêche, les marins reçoivent un salaire fixe.
Mais les problèmes, comme la raréfaction de certaines espèces (morues, daurades, merlans, lieus noirs); la nécessité d'en trouver d'autres, comestibles, à de plus grandes profondeurs; le fait que certaines zones se dépeuplent alors que d'autres sont plus prolifiques que jamais (s'il faut en croire Robert Delort et son très riche livre, Les animaux ont une histoire, où il consacre un chapitre aux rapports de l'Occident et du hareng), ce qui entraîne la concurrence d'autres pays; tout cela place la Communauté Européenne d'abord, l'Union Européenne ensuite, en situation d'intervenir, aussi bien pour réparer les dégâts causés au patrimoine par les manifestations de pêcheurs à Rennes, en Bretagne, il ya quelques années, que pour réglementer les techniques de pêche, puisque la Commission condamne les nuisances provoquées à la faune en général et au renouvellement des espèces pêchées en particulier, par les FMD (Filets à mailles dérivants). Dans l'Europe Bleue qui a été mise en place, la France n'est pas le plus en règle des partenaires, et la pratique des aides est remise en question ces derniers temps.
Aussi certains
organismes de contrôle et de recherche sont-ils créés. L'Ifremer
(Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer),
en compagnie de ses homologues européens, met au point un type
de filet pour laisser la vie aux jeunes poissons. La surpêche
(capture dans les filets des poissons hors-normes) est en effet
une des causes principales de la disparition des espèces.
Voici d'ailleurs
comment la France vit ses rapports avec ses partenaires européens
: "Après des négociations difficiles, les ministres
européens chargés de la pêche ont trouvé mardi 15 avril un
compromis sur la réduction des captures de poisson. Ce que les
experts appellent "l'effort de pêche" sera réduit de
30% d'ici à 2001 pour les espèces les plus "menacées"
et de 20% pour les stocks considérés comme "surexploités".
La France, par
la voix de Philippe Vasseur, et le Royaume Uni ont voté contre,
estimant ces réductions excessives. Les Etats pourront soit réduire
leurs flotilles, soit limiter le temps des sorties en mer. Les
bateaux côtiers de moins de 12 mètres sont exonérés de ces
mesures. Cet accord permet le déblocage par la Commission des
fonds européens prévus pour la reconversion des activités et
des régions où la pêche est en crise. La France et l'Espagne
sont attributaires d'importants crédits à ce titre " (Martine
Valo, Le Monde)
Si le monde de la
pêche est bien desservi par un arrière-pays qui va du mareyeur
qui se fournit à la criée à l'arrivée du bateau, jusqu'aux 10.000
poissonniers (mais les Français font la moue devant le poisson;
ils n'aiment plus que les espèces "nobles" et les
coquillages: oursins, mais surtout moules et huîtres, élevées
par des conchyliculteurs dans des concessions cédées par
l'Etat, à Arcachon ou à Cancale), les marins-pêcheurs
sont soumis à la concurrence dont profitent les IAA qui préfèrent
s'approvisionner sur les marchés étrangers en raison des prix
moins élevés. La pêche doit donc devenir une industrie à part
entière. Le marin vendéen ou le germonier (le germon est le
thon blanc, le germonier celui qui le pêche) de l'Ile d'Yeu pêchent
ainsi dans l'Atlantique, font subir au thon un premier traitement
dans les pêcheries du Maroc, et l'apportent enfin à Boulogne
pour les dernières opérations. Pour sensibiliser aux problèmes
de la mer et de la pêche, d'un point de vue scientifique, la
ville de Brest a ouvert Océanopolis, un centre de recherche, d'éducation
et même de loisirs (on peut s'y promener et caresser des animaux
marins!), placé sous la direction d'Ifremer. En attendant que l'aquaculture
remplace la pêche (les cycles de la truite et de la crevette
sont pourtant bien dominés), les tempêtes s'abattront encore
sur le pont des bateaux du Guilvinec, lun des derniers
ports de pêche bretons.
III. a. Les
conditions de la productivité : les premières nationalisations
Il a fallu moins
de temps pour nationaliser les entreprises au lendemain de la
guerre que pour les privatiser de nos jours. C'est dire si la
philosophie, héritée de la révolution française, qui a
justifié les nationalisations, a été expéditive. En 1794, l'Abbé
Grégoire établissait l'existence d'un bien public à partir d'un
droit de propriété à base 0, évoquant "les objets
nationaux qui, n'étant à personne, sont la propriété de tous
". Le préambule de la Constitution de la IV° République,
en 1946 part, quant à lui, d'une base 0,1 : "tout bien,
toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères
d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit
devenir la propriété de la collectivité ". La
Constitution de 1958 ne crée pas de nouvelles lois. Elle laisse
les choses en l'état, prévoyant seulement l'indemnisation des
actionnaires.
Les
nationalisations des années 1930 concernent les entreprises
frappées par la crise. L'État leur vient en aide et les
regroupe dans un consortium unique (les différentes compagnies
de chemins de fer sont regroupés dans la SNCF - Société
nationale des Chemins de Fer; les compagnies aériennes, dans
Air France). Seules les industries d'armements sont
nationalisées pour des raisons politiques, par crainte du
fascisme et pour préparer la guerre. Les nationalisations de
1945 à 1947, quant à elles, sont pensées en dehors de la crise
économique.
Dans un premier moment, l'État entérine les nationalisations d'avant la guerre. Air France devient ainsi une société d'économie mixte, comprenant l'État, les employés et des usagers. De 1944 à 1945 le gouvernement provisoire nationalise par ordonnances. La Société Renault devient la Régie Renault (aujourd'hui, reprivatisée, elle s'appelle simplement Renault). Son président est nommé par l'État mais son autonomie est respectée, tout comme celle du patron de la SNCF. A partir de 1945 l'État organise sous sa direction les sources d'énergie à travers des nationalisations parlementaires, en créant EDF (Électricité de France), GDF (Gaz de France), et les Charbonnages de France. EDF et GDF sont fortement centralisées. Seuls, les Charbonnages de France maintiennent une certaine indépendance, car ils restent un regroupement de sociétés.
III. b. Les
conditions de la productivité : les banques
L'État
nationalise aussi le secteur bancaire, dont la Banque de France,
le Crédit Lyonnais, la Société Générale et la Banque
Nationale du Commerce et de l'Industrie à 100%, établissant
ainsi la première distinction entre les banques de dépôt et
les banques d'affaires (les premières reçoivent des dépôts à
court terme, et les prêtent; les secondes se spécialisent dans
les financements à plus long terme).
Pourtant, ces
nationalisations ne seront pas toujours vécues comme un passage
à l'économie d'État. Les banques nationalisées continueront
leurs affaires comme si de rien n'était. Comme l'explique Le
Monde du 4 décembre 1998 : "On constate, a posteriori,
que ces nationalisations, si elles ont été un acte politique
fort, n'ont en revanche été, sur le plan économique, qu'un ''quasi
non-événement''. Les quatre banques ont continué à participer
à l'économie de marché (...) Le seul acte d'autorité que [l'État]
ait engagé sera, en 1966, la fusion imposée de la BNCI (Banque
Nationale pour le Commerce et l'Industrie) et du Comptoir
national d'escompte, fusion qui donnera naissance à la BNP (Banque
nationale de Paris)". Et de conclure : "Le développement
s'est appuyé, en France, davantage sur un financement bancaire -la
dette - que sur un financement de marché - la Bourse (...). Il
jouera un rôle très important pendant toute la période des
"trente glorieuses", à travers notamment l'encadrement
du crédit, la politique d'investissement, les priorités au
logement et la création, à chaque occasion, d'institutions
financières spécialisées ".
III. c. Les
conditions de la productivité : la planification
La Planification
est la deuxième institution nationale créée au lendemain de la
guerre. Il s'agit d'une planification indicative conçue
pour satisfaire aux exigences de la reconstruction. Jean Monnet,
qui s'est occupé de l'approvisionnement des Alliés pendant la
guerre, en est l'initiateur, comme il va l'être de la CECA.
Cette planification, menée par une Commission et dirigée par un
Commissaire (encore Jean Monnet, pour le "Plan de
modernisation et d'équipement", de 1947 à 1952) est d'abord
une planification en volume puis, le système devenant plus fin,
une planification en valeur. Aujourd'hui, la planification intègre
les acteurs régionaux et l'État n'y a plus qu'une part très réduite.
On parle même, ces derniers temps, de déplanification.
Malgré la politique de déréglementation actuelle, on compte encore 1400 entreprises de société mixte, en dehors des quelques très grandes "institutions" où l'État joue un rôle important. Pour certaines d'entre elles, comme EDF et GDF ou la SNCF, l'État hésite encore à les verser dans le secteur privé sa politique consiste à les maintenir dans le secteur public, à la différence des GEN (Grandes Entreprises Publiques, comme Thomson, Renault) qui passent de l'autre côté.
III. d. Les
conditions de la productivité : les nationalisations de 1981
Les
nationalisations ne remontent pas seulement à la période de l'immédiat
après-guerre. En 1982, le gouvernement Mauroy nationalise
beaucoup, et à 100% ("51 % cela n'aurait pas eu de sens
", disait le Premier Ministre). Il s'agit surtout de groupes
bancaires dont la politique d'investissements a été jugée
timide. Enfin, une politique nouvelle oriente "chaque
grande entreprise publique [placée] sur une filière de
production". Parmi les nouvelles nationalisées, Saint
Gobain (verre et matériaux de construction), Usinor Sacilor (acier),
Thomson (électronique), Péchiney (aluminium), Rhône Poulenc (chimie)
doivent maîtriser le cycle de la production en entier. Mais l'État
leur vient aussi en aide. Il mène alors une politique de "grands
travaux" d'assainissement des finances de l'entreprise,
comme avec Usinor pour l'acier. De 1986 à 1997, au cours des
différents trains de privatisations, on lui a souvent reproché
de les sous-évaluer pour les revendre plus rapidement.
III. e. Les
conditions de la productivité : les privatisations
Ces trains de
privatisation s'inscrivent dans une politique de déréglementation
systématique à laquelle les accords entre le Parti socialiste
et le Parti communiste ne s'opposent pas. Lionel Jospin, pour
sauver les formes, élimine le mot privatisation de son
vocabulaire et parle maintenant d'ouverture au capital. La
Commission pour les privatisations change de nom, elle aussi. Et
ce n'est peut-être pas un hasard non plus si le CNPF (Conseil
National du Patronat Français, le syndicat des patrons) est
devenu en 1998 le Médef (Mouvement des entreprises de France).
L'Acte Unique
Européen d'abord, le Traité de Maastricht ensuite, et par-dessus
tout la volonté des hommes politiques (si François Mitterrand a
en quelque sorte "laissé faire" les privatisations
sous les gouvernements de la cohabitation avec Chirac et Balladur,
ce sont surtout ces derniers, puis Alain Juppé et Lionel Jospin,
qui ont privatisé systématiquement) poussent dans le sens d'une
privatisation d'office, essayant parfois de sauver quelques
acquis hérités du passé gaulliste. Renault n'a pas été
privatisée sans heurts sous Balladur : l'État y a gardé une
majorité de contrôle (51%). Il y maintient actuellement une
majorité de 46%. On a pu dire que le gouvernement Jospin
privatise plus que celui d'Alain Juppé. Pourtant, si Thomson-CSF
a été privatisé, ce secteur de l'électronique de défense,
dont le gérant commanditaire est Jean Luc Lagardère, PDG du
groupe Matra (missiles), ne l'a pas été selon les modalités de
son directeur qui voulait le rattacher à son propre groupe. Le
gouvernement en a décidé autrement en l'adossant (c'est-à-dire
en lui trouvant un groupe d'appoint plus fort) à l'Aérospatiale.
L'ouverture à la
concurrence de certains secteurs a accéléré aussi l'ouverture
au capital. En quelques années, l'ouverture des télécommunications
et de l'espace aérien ont fait passer France Télécom et Air-France
dans la catégorie des entreprises concurrentielles. EDF y
passera en février 1999, et la SNCF doit y passer à son tour.
Pour l'heure, les
"privatisées" fonctionnent avec les capitaux des actionnaires
stables, des actionnaires partenaires, et des actionnaires
institutionnels, ces derniers étant le plus souvent de
grands groupes bancaires ou financiers. Dans certains secteurs,
comme France Télécom, l'État conserve encore près de 70% des
actions, et les employés ont été invités à acheter les
actions de leur entreprise (qu'ils doivent garder cinq ans). Dans
le cas d'Air France, le PDG a utilisé les privatisations pour négocier
avec les employés le gel de leurs salaires en échange d'une
participation accrue à l'entreprise. Dans l'ensemble, ce
mouvement de privatisations a permis au capitalisme français de
sortir d'une "impasse" : la fusion AXA-UAP dans les
assurances, en réunissant un groupe privé et un groupe
autrefois national, a entraîné la formation d'un bloc financier
à valeur internationale.
Quant aux
investissements étrangers en France, écoutons François
Grosrichard évoquer le bilan de 1997 :
"Selon la
Datar (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action
régionale), les étrangers ont créé ou maintenu 24 212 emplois
l'an dernier, contre 22 814 en 1996, soit une hausse de 6 % pour
des investissements d'environ 22 milliards de francs (...). La
Datar, qui ne comptabilise pas non plus les emplois supprimés
par des firmes étrangères, indique, en outre, qu'en 1997 les créations
nouvelles d'entreprises sont plus nombreuses que les extensions d'établissements
déjà existants. Le premier secteur concerné est l'automobile (18%
des projets annoncés) suivi des entreprises d'électronique, de
télécommunications, d'informatique (16% des projets) et de la
filière papier-bois et du verre (11 %) " (Le Monde, 26
février 1998).
III. f. Les
entreprises à forte valeur ajoutée
Enfin, on ne
saurait parler d'économie sans évoquer l'ensemble des
entreprises qui n'appartiennent pas au secteur public. Le mensuel
L'Entreprise recense, dans son numéro spécial de décembre
1998, un total de 11.000 entreprises, classées par départements,
dont le CA va des 254 milliards de francs de la compagnie pétrolière
Elf Aquitaine, aux 50 millions de francs de l'entreprise la plus
petite prise en considération. Sur les 13 entreprises dont le siège
social est en Ile de France (Paris et sa région) et dont le CA dépasse
100 milliards de francs, 9 appartiennent ou ont appartenu à l'État.
Seules Promodès et Auchan, qui appartiennent à la grande
distribution, dépassent ce chiffre : leur siège est en Basse
Normandie et dans le Nord Pas-de-Calais. Elles sont suivies dans
le groupe de tête par Michelin, qui affiche 83 278
millions de francs de CA au cur de l'Auvergne, à Clermont-Ferrand.
Le secteur privé est donc très vaste. Parmi les 40 entreprises
servant à calculer l'indice boursier qui intègre les plus
grosses entreprises du pays (le CAC 40) 7 parmi elles (Elf, Total,
Renault, Suez, Saint Gobain, Alcatel, la Générale des Eaux) ont
appartenu entièrement à l'État. Mais Carrefour (distribution)
a un chiffre d'affaires qui est presque le double de celui de la
SNCF (170 milliards contre 98 en 1997).
III. g. La
politique énergétique : le charbon
Ni centralisée ni
étatisée, la Société des Charbonnages de France, créée en
1947, constitue un enjeu idéologique plus qu'une nécessité économique.
C'est dans la France des années noires, en 1958-1960, en pleine
guerre d'Algérie, lors de la mise en place de la nouvelle
Constitution, après l'effondrement du barrage hydroélectrique
de Fréjus qui a fait des centaines de morts, lorsque les mines
ne sont plus rentables et quand les chercheurs commencent à
"plancher" sur le nucléaire, que de Gaulle déclare
"il ne faut pas renoncer à notre charbon ".
Aujourd'hui, on évalue à court terme la fin de l'extraction
minière en France. Ce qui ne signifie pas la fin du charbon,
mais du moins des difficultés. Une perspective s'annonce peut-être
avec l'ouverture à brève échéance du marché de l'électricité.
Denis Gallois résume bien la situation en disant : "le
projet de constituer un pôle électrique regroupant les cinq
centrales thermiques des Charbonnages de France a été approuvé
le 30 mars (1995) par l'ensemble des houillères de bassins
concernés. Une nouvelle entité, la Société nationale d'électricité
et de thermique (SNET), regroupera les installations implantées
à Hornaing (Nord), Carling (Moselle), Montceau- les-Mines (Saône-et-Loire),
Decazeville (Aveyron) et Gardanne (Bouches du Rhône). (...) Le
groupe Charbonnages, deuxième producteur national d'électricité
avec 26% du volume (hors nucléaire) distribué par EDF, n'aurait
donc (...) qu'un seul client. Il lui serait impossible de vendre
une partie de sa production à d'autres acquéreurs. (...) La
constitution du pôle électrique est liée à la fermeture des
derniers puits de mines en 2005. Après cette date, le groupe
Charbonnages de France deviendra une entreprise d'environ 2500
personnes dont l'activité se partagera entre la production d'électricité
et l'importation de charbon avec les services liés à cette
activité. D'où l'espoir placé dans ces cinq centrales. Cet
outil de production, employant 1300 agents spécialisés (...) a
connu un taux d'utilisation de 92 % " (Le Monde, 1er
avril 1995).
En ce qui concerne
la région charbonnière par excellence, c'est-à-dire le Centre,
avec Le Creusot et Saint-Etienne, les propriétaires des puits
qui sont aussi les propriétaires des terrains ont tout fait pour
en effacer le passé minier. "Nous n'avons pas de mine
pour la transformer en musée " disait un ouvrier des
chantiers navals de Brest, en Bretagne, à l'occasion d'une
restructuration. Mais même le musée de la mine de Saint-Etienne,
malgré l'émotion qu'on y éprouve, ressemble plus à un
parcours virtuel qu'à une ancienne mine.
III. h. La
politique énergétique : le pétrole et le gaz naturel
La ligne Le
Havre Marseille qui place, à l'est, la France industrialisée,
et, à l'ouest, la France agricole, selon la division instaurée
en 1947 par Jean-François Gravier dans Paris et le désert
français , partage aussi bien aujourd'hui une France pétrolière
riche des ports de Dunkerque, Le Havre, et Marseille-Lavéra d'un
côté, et une France sans pétrole, ou du moins sans grosses
raffineries, de l'autre.
La France a depuis
longtemps une politique pétrolière, basée depuis 1928 sur une
charte du pétrole entre la France et les pays producteurs qui
facilitait l'importation de pétrole en provenance du Moyen
Orient de la part des compagnies françaises et des compagnies étrangères
installées en France métropolitaine. Mais aujourd'hui, cette
loi a été remise en cause par les institutions de l'Union Européenne.
Le pétrole est la
source d'énergie la plus soumise aux aléas de la conjoncture.
Pour y remédier, l'Etat a créé sa propre compagnie nationale,
Elf (Essences et lubrifiants français), sur la base d'une
compagnie préexistante, la SNPA (Société nationale des pétroles
d'Aquitaine), chargée à l'origine de la prospection et de l'exploitation
en Algérie et en France, et dont le résultat le plus fructueux
a été la découverte du gisement de gaz de Lacq, dans les Pyrénées.
Aujourd'hui, le champ d'action de cette nouvelle compagnie est
esentiellement l'Afrique sub-saharienne et la mer du Nord. L'autre
compagnie pétrolière française, Total, héritière de la
Compagnie française des pétroles, liée aux grandes compagnies
américaines qui la tolèrent dans les pays du Golfe (défiant
les Etats-Unis, elle vient d'investir en Iran, " pays
interdit à la communauté internationale par le 'Grand Satan' [entendez,
les Etats-Unis] "), prospecte et vend avec succès
en Asie. Ces deux majors françaises se font une concurrence très
forte sur le marché international. En témoigne le coup de poker
du 2 décembre 1998 du patron de Total, Thierry Desmarest :
"Le mois dernier aussi, si l'on avait mieux perçu son
silence, on aurait peut-être compris avant l'heure que Total
allait mettre la main sur le belge PetroFina, et non Elf, comme
tous les experts l'annonçaient depuis quelques semaines. Au
moment où seuls les géants parviennent à encaisser la chute
des cours du pétrole, ce discret coup de maître a propulsé le
groupe dans le peloton de tête des grandes compagnies mondiales.
A quelques encablures des Exxon-Mobil, Shell, et BP-Amoco, et
surtout très loin devant son vieux concurrent Elf, qu'il
talonnait jusqu'alors " (Libération, 12.01.1999).
Aujourd'hui, le
bas prix du pétrole, la diversification des sources d'approvisionnement
de la part des compagnies (autre succès de Total, alors que son
concurrent Elf, en voulant les limiter, s'englue dans les
affaires africaines), l'accroissement de la capacité de ces mêmes
compagnies à extraire "l'or noir", font du pétrole la
plus grande source d'énergie à bas prix disponible.
Le pétrole
extrait par les compagnies françaises est le plus souvent vendu
sur place, ou dans les pays limitrophes. En France, la production
est très faible (il y a un bassin pétrolier en Aquitaine, et un
en région parisienne) et les raffineurs situés en métropole décident
eux-mêmes auprès de qui s'approvisionner. Les raffineries sont
d'ailleurs un secteur en crise. Marseille, Fos et Lavéra sont
sur le point de perdre les leurs - les compagnies pétrolières
qui y sont présentes tendent à se reconvertir dans l'industrie
chimique - compte tenu de la délocalisation des raffineries en
direction des pays producteurs eux-mêmes. Mais l'arrêt de la
production coûte plus cher que la reconversion des sites. De
plus, les constructeurs français privilégient le gazole, du
fait du prix très concurrentiel de celui-ci, meilleur marché
que l'essence sans plomb, et surtout sous la pression des
transporteurs routiers.
Aujourd'hui, les
deux compagnies nationales tendent à orienter leurs recherches
dans le sens de la diversification. Total investit dans les énergies
douces (l'énergie solaire) en Afrique, sur les terres d'Elf; et
Elf dans la chimie ... et les parfums.
Pour l'heure, c'est
encore l'Etat qui retire le plus de bénéfice de la vente des
produits pétroliers à la pompe (essence, gazole, fioul agricole),
à travers les TPP (taxes sur les produits pétroliers). Et les
stations d'essence de marque (elles sont à peu près toutes représentées)
sont en concurrence avec les stations-service des grandes
surfaces depuis la libéralisation du prix de l'essence.
Le statut d'entreprise
d'intérêt public n'a pas été accordé à GDF (Gaz de France,
entreprise de distribution) dont le réseau est beaucoup moins étendu
que celui d'EDF (Electricité de France, dont nous allons parler
ensuite). Pendant longtemps, la société a reposé sur l'exploitation
du gaz de Lacq (Aquitaine). Aujourd'hui, GDF se tourne vers des
fournisseurs étrangers (Hollande, Russie, Algérie). Son grand
concurrent en zone agricole est Butagaz.
III. i. La
politique énergétique : l'électricité et le nucléaire
En France l'électricité
est le mythe du XXe siècle naissant. Jules Verne en fait le
perpetuum mobile du sous-marin ultramoderne Nautilus, et
Raoul Dufy décore en son honneur le Pavillon de l'électricité
qui va devenir la plus grande surface peinte de l'histoire de la
peinture. Pour répondre aux besoins du pays, le gouvernement
français crée en 1946 EDF (Electricité de France), devenue
aujourd'hui la plus grande compagnie mondiale productrice d'électricité.
EDF produit de l'électricité
et en achète aux petits producteurs et aux Charbonnages de
France. Elle en vend aux pays voisins (Italie, Suisse, Grande-Bretagne),
investit au Portugal et en Espagne, vend des centrales nucléaires
en Chine (Daya Bay 1 et 2, - la première connaissant déjà des
difficultés, ce qui risque de compromettre le marché asiatique).
EDF produit de l'électricité
à partir de centrales hydrauliques, d'une centrale marémotrice
expérimentale (celle de la Rance, en Bretagne, qui reste la
seule tentative dans le genre), de centrales thermiques, et
surtout nucléaires, après les choix politiques du septennat de
Valéry Giscard d'Estaing d'amener la France à l'indépendance
énergétique (lois Messmer en 1974, et lois de1980).
La production d'énergie
nucléaire à usage civil est née d'une volonté des
gouvernements, qui ont d'abord créé le CEA (Commissariat à l'Energie
Atomique), puis la société Framatome, pour mettre au point une
filière française. D'ailleurs, la volonté de conjurer une éventuelle
séparation entre un domaine politique et un domaine industriel
était bien dessinée dans cette justification du politologue
Raymond Aron, dans un article du Figaro (16 septembre 1958) :
"Les Etats-Unis consentaient à nous vendre de l'uranium
enrichi à un prix peut-être inférieur au prix de revient de
celui qui sortira de l'usine française, mais ils exigeaient, en
contrepartie, un droit de regard sur l'usage qui en serait fait.
En ne produisant pas eux-mêmes l'uranium enrichi, les pays d'Europe
auraient accepté une sujétion à la fois industrielle et
militaire ". Mais l'opposition d'EDF aux choix de
Framatome lui ont fait préférer les procédés américains de
Westinghouse. Aujourd'hui, Framatome est devenu le premier
constructeur de centrales nucléaires, mais le gouvernement français
et EDF ont suspendu la construction de centrales jusqu'en l'an
2000.
Si le sort de
Framatome se différencie de celui d'EDF, le nucléaire civil lie
l'un à l'autre les sorts de chacune de ces sociétés. Or, des
sondages récents sur les choix énergétiques de la France (aucun
référendum n'a été proposé aux Français; est-ce pour cela
qu'un commando terroriste a tiré autrefois sur la centrale de
Creys Malville en construction?) font une place de plus en plus
grande aux énergies renouvelables. Cette "sensibilité"
sociale s'est concrétisée par un sommet où se sont réunis les
7 grands électriciens du moment (EDF, Enel, etc.) à Versailles.
L'E7 a adopté, le 2 juin1998, une charte pour le "développement
énergétique durable ". Si les effets de cette charte
ne s'adressent pour l'instant qu'à l'Afrique (énergie solaire)
et aux pays de l'Est (Pologne), il n'est pas exlu qu'ils s'appliquent
dans un proche avenir aux pays de l'OCDE. C'est dans ces
conditions, et en attendant l'échéance de 2010 pour le
renouvellement du parc des centrales nucléaires, que Framatome
exporte encore ses capacités (si des problèmes technologiques
ne font pas obstacle à son développement à l'international).
En France, des centrales sont dorénavant fermées pour les
dangers qu'elles représentent (SuperPhénix, à Creys-Malville,
mais aussi les centrales de Chinon). Quant à l'usine de
retraitement des déchets nucléaires de La Hague, elle est
actuellement la cible des écologistes et des populations locales
qui dénoncent le taux de radioactivité relevé aux alentours. C'est
la Cogema (Compagnie générale des matières nucléaires) qui
est actuellement chargée de nettoyer les zones irradiées.
Même si les Français
sont globalement satisfaits des performances et des services d'EDF
(ils rappellent, toutefois, qu'elle ne devrait pas couper le
courant aux ménages qui ne sont pas en mesure de payer leur électricité),
et si l'Etat a voulu, ces dernières années, en faire l'entreprise
publique pilote, en remplacement de Renault, l'ouverture
prochaine du marché entraîne le gouvernement à faire des
projets de démembrement de la société en secteurs autonomes.
Quant à Framatome, elle souhaite "trouver une autre
source de revenus pouvant compenser la réduction d'activités liée
au parc nucléaire français et les moindres commandes de
centrales nucléaires " (Le Monde , 29 août 1998). Pour
l'heure, elle se tourne vers la connectique (il s'agit de la
fabrication de pièces de raccordements pour les circuits électriques
et électroniques).
EDF, après une
tentative pour faire passer un projet de contrats de 32 heures
hebdomadaires combattu par les lois européennes, vient de signer
avec l'ensemble des centrales syndicales des contrats de 35
heures et un gain de 4.000 emplois nets. Elle a valorisé le
capital scientifique de ses employés par des échanges inter-entreprises,
et a installé maintenant un service "Intranet" qui
leur permet de communiquer et d'échanger leur savoir-faire.
III. j. Documents
Les entretiens du
journal Le Monde avec le président de Siemens, Heinrich von
Pierer, et le PDG de Framatome, Dominique Vignon, publiés
respectivement le 9 décembre et le 21 octobre 1997 rapportent
les difficultés du secteur nucléaire français eu égard à son
allié et "concurrent" allemand, Siemens.
- Siemens a récemment
noué une alliance avec un groupe britannique dans l'industrie
nucléaire. N'êtes-vous pas en train de renoncer à votre
traditionnelle alliance avec les Français?
HvP : Notre
collaboration avec BNFL concerne les combustibles nucléaires, un
domaine dans lequel nous étions déjà en concurrence avec
Framatome. Siemens et Framatome n'auraient pas pu s'associer dans
ce domaine, car nous avons déjà ensemble près de 80% de parts
de marché en Europe, et Bruxelles ne l'aurait pas autorisé. J'ai
expliqué à plusieurs autorités françaises que notre future
société commune avec BNFL naura pas de conséquences négatives
sur nos relations avec Framatome. Nous continuerons à travailler
ensemble sur la mise au point du réacteur nucléaire à eau
pressurisée (EPR). BNFL, qui ne fabrique pas de réacteurs, ne
fera pas concurrence à ce projet et soutiendra la coopération
entre Siemens et Framatome.
- Un autre sujet dinquiétude,
en France, est le rachat par Siemens des chaudières thermiques
de Westinghouse, que convoitait le français GEC Alsthom. Avez-vous
aussi l'ambition de reprendre les activités nucléaires du
groupe américain que Framatome souhaite racheter?
HvP : Nous n'avons
pas l'intention de racheter les activités nucléaires de
Westinghouse. Nous n'avons à ce sujet pas de conflit et je
souhaite bonne chance à Framatome.
- Vous avez cédé
vos activités de défense à British Aerospace et DASA, au détriment
de Thomson-CSF, qui était candidat. Est-ce le résultat d'une défiance
envers les Français, notamment de la part des salariés?
HvP : Il est vrai
que le comité d'entreprise avait émis un avis négatif sur
Thomson-CSF. A la suite de mes recommandations, Thomson a présenté
un projet excellent pour assurer le maintien de l'emploi et la
poursuite de l'activité électronique de défense. Mais le prix
offert par DASA et BA était sensiblement supérieur. C'est cela,
et cela seulement, qui a emporté la décision.
- La coopération
que vous avez engagée avec GEC Alsthom pour l'exportation de
trains à grande vitesse a-t-elle souffert de vos différentes
affaires?
HvP : Après la
bataille qui nous a opposés sur le TGV coréen, nous avons tous
les deux appris les leçons du passé. Même si nous n'avons pas
encore de contrat, je me réjouis du pas important franchi pour
construire un TGV à Taïwan. Nous devons nous habituer à être
en concurrence dans certains domaines et à coopérer dans d'autres.
- L'allemand
Siemens, partenaire de Framatome, vient de signer un accord
visant à se rapprocher du britannique BNFL, pour créer un
groupe concurrent des industriels français et présent dans tous
les secteurs du nucléaire. Comment percevez-vous ce
rapprochement germano-britannique?
D.V. : Il est
clair que cette alliance ne nous fait pas plaisir et nous amène
à réfléchir sur sa finalité. Elle peut se comprendre car nous
sommes avec Siemens depuis de nombreuses années dans une
situation délicate. Nous sommes à la fois concurrent sur le
court terme dans le domaine des services et combustibles, et nous
coopérons sur le long terme pour concevoir le futur réacteur
nucléaire européen, l'EPR (European Pressurized Reactor). Or
Siemens a des perspectives de marché intérieur qui sont décroissantes.
Le groupe allemand a donc souhaité adosser ses activités à un
partenaire.
- Pourquoi a-t-il
préféré un groupe britannique aux français?
D.V. : Dès le
mois de février, j'ai proposé à Siemens de réfléchir à une
mise en commun de nos activités nucléaires. Un tel regroupement
aurait posé des problèmes au niveau européen car nous aurions
été en position dominante. Les dirigeants m'ont également répondu
que cet accord n'apporterait rien au futur groupe, chacun étant
déjà très implanté sur son propre marché. Dans leur esprit
cette alliance leur bloquait tout développement important sur le
marché français qui est le premier européen avec soixante
tranches nucléaires.
- Le futur groupe
germano-britannique s'est constitué pour venir concurrencer
Framatome sur son marché privilégié?
D.V. : C'est la
question que nous allons leur poser. Il est possible que la stratégie
de cette future société soit de venir offrir des services et
des combustibles sur le marché français. Siemens et BNFL visent
le siècle prochain. Ils sont confortés par la déréglementation
de la production d'électricité et les obligations bruxelloises,
qui obligent les entreprises publiques, donc EDF, à consulter
les industriels de façon ouverte pour leur approvisionnement.
- Dans ces
conditions, quel est le devenir du futur réacteur franco-allemand?
D.V. : Je constate
que Siemens entend poursuivre la coopération engagée avec
Framatome pour construire l'EPR, qui est au cur de l'harmonisation
de sûreté franco-allemande. C'est un objectif de long terme qui
conditionne le redémarrage de l'industrie nucléaire en France
en Allemagne et en Europe. Nous allons maintenant engager des
discussions pour la poursuite du développement. Nous n'avons a
priori aucune hostilité de principe à travailler avec cette
nouvelle société dès lors que nous avons toujours la maîtrise
du produit et de l'usage des connaissances techniques. En France,
Framatome assurera les réalisations, en Allemagne ce sera
Siemens, et nous devions nous mettre ensemble pour le reste du
monde. Le nouvel accord nous oblige à en rediscuter.
- Comment se déroulera
la commercialisation de l'EPR?
D.V. : Si la compétition
devient plus forte sur les marchés des services et des
combustibles, la vente en commun s'avérera délicate. Nous
pouvons envisager un système analogue à celui existant dans l'industrie
automobile - deux constructeurs Peugeot et Fiat s'allient pour un
monospace et le vendent séparément - ou continuer sur la base
actuelle.
- Pensez-vous que
Siemens se désengage du nucléaire avec cette alliance?
D.V. : C'est une
forme de désengagement mais Siemens assure le contraire.
- Cette
association n'est-elle pas une réponse à votre projet de fusion
avec le groupe français GEC-Alsthom, une opération que Siemens
désapprouvait?
D. V. : L'argument
est souvent avancé. Mais ces deux accords sont de nature
totalement différente : GEC-Alsthom ne fait pas de nucléaire
contrairement à BNFL et n'induisait pas de concurrence dans le
champ de notre accord. De toutes façons, la fusion avec GEC-Alsthom
n'est plus à l'ordre du jour.
- Cet accord
germano-britannique traduit une dégradation de vos relations
avec les Allemands. C'est un échec pour Framatome?
D.V. : Je suis
entré chez Framatome il y a huit ans comme directeur général
adjoint dans la filiale commune avec siemens et j'ai joué un rôle
important dans la conception de l'EPR. Je connaissais toutes les
difficultés de marier notre nucléaire avec les Allemands tout
en protégeant l'industrie française. L'accord Siemens-BNFL est
donc un échec sur ce plan. En revanche, je ne le vis pas comme
la fin de l'EPR.
- Ce renversement
d'alliance obligera-t-il à une recomposition du paysage nucléaire
français entre EDF, Cogema, Framatome et le CEA?
D.V. : Cela va
ouvrir les yeux. Mais il faut se donner le temps de la réflexion.
A long terme, dans une perspective de reprise du marché nucléaire,
il faut considérer cette industrie sous deux aspects : le
premier, d'ordre stratégique, qui oblige à avoir une présence
des pouvoirs publics importante et le second, sous l'aspect de la
vente d'équipements énergétiques. Dans ce dernier cas,
Framatome avait deux partenaires GEC-Alsthom et Siemens. Ils sont
désormais inaccessibles tous les deux.
- Etes-vous alors
tenté de vous allier à la Cogema comme Siemens le fait avec
BNFL?
D.V. : Notre lien
avec la Cogema peut se consolider. Nous sommes déjà liés dans
l'exploitation des combustibles. Il faut aller au-delà, et
pourquoi pas envisager une participation de Cogema au capital de
Framatome ou une participation croisée entre les deux sociétés.
Mais il y a un risque de "bunkérisation" du nucléaire
français qu'il faut éviter. De même, avoir son principal
client comme actionnaire recèle un danger : la présence d'EDF
à environ 11% dans le capital de Framatome est compréhensible
mais en faire un actionnaire de contrôle comporte le risque d'être
mis sous tutelle.
III. k. Le
secteur industriel
Le secteur
industriel est en pleine transformation du fait de la politique
de déréglementation, de l'abolition des frontières, et de l'application
du principe pollueur-payeur. Il met en uvre les trois
domaines des biens intermédiaires (matières premières, verre,
etc.), des biens d'équipement, et des biens de consommation.
La politique générale
consiste à alléger les entreprises des productions qui n'appartiennent
pas directement à la filière. Par exemple, l'Etat renfloue
Usinor et Sacilor, qui produisent l'acier, au détriment de toute
autre production des entreprises en question. EDF accorde des
tarifs préférentiels à Péchiney pour l'électrolyse de l'aluminium
et celle-ci rachète l'américain American Can, dont elle
installe les usines à Dunkerque, favorisant ainsi l'arrivée de
Coca Cola. Récemment, le géant de l'agro-alimentaire Danone
vient de se débarrasser de sa section emballages, etc.
III. l. L'automobile
comme exemple
La tactique suivie
par les constructeurs automobiles généralistes comme Renault (qui
produit des camions après le rachat de Berliet, et des voitures)
est la diversification de la production et la spécialisation des
usines. Renault garde Flins en France et Valence en Espagne,
parce que la spécialisation y est poussée, et se débarrasse
de Vilvorde en Belgique parce que l'usine produit deux modèles
de voiture au lieu d'un seul, ce qui est plus rentable pour la
société. Renault cherche aussi des alliances avec d'autres
constructeurs généralistes comme Fiat ou Peugeot, alors que les
accords avec un spécialiste comme Volvo échouent ("pour
des raisons de nationalité " a dit le PDG du
constructeur suédois).
La construction
automobile française obéit aujourd'hui aux ordres d'un duopôle,
composé de Renault et de Peugeot-Citroën (PSA), après le
rachat par Peugeot de Citroën à Michelin, favorisé dans les
années 1970 par le Président Giscard d'Estaing. Si les
stratégies se ressemblent, Peugeot, avec sa filiale Citroën en
particulier, tend vers le haut de gamme (même si, autrefois,
dans le bas de gamme, la 2CV de Citroën a certainement dépassée
en popularité la 4CV Renault). C'est Citroën qui a construit
des modèles de luxe, comme la Citroën-Maserati, et fabrique
encore des modèles hors-série, comme la voiture de fonction du
Président de la République.
Renaud chantait déjà
dans Hexagone :
en novembre au
salon de l'auto
ils vont admirer
par milliers
le dernier modèle
de chez Peugeot
qu'ils pourront
jamais se payer
Après des années de vaches maigres, les constructeurs français enregistrent, à partir de 1998, une bonne reprise des ventes, notamment en France (1,9 million d'immatriculations, dont 63% en voitures de construction nationale). Ils font appel à de nombreux équipementiers. L'implantation sur les marchés étrangers est bonne mais la politique suivie n'a pas toujours porté ses fruits (Renault n'a pas réussi à s'implanter aux Etats-Unis, ou d'autres entreprises françaises ont quand même prospéré). Pour l'heure, c'est Peugeot qui part "à la conquête" du marché américain, dans la mesure où elle entend réaliser au moins 20% de ses ventes à l'étranger.
Les constructeurs,
sous la pression des lois européennes, tendent aussi à limiter
la quantité de CO2. Une prime de 10.000 Francs est accordée aux
constructeurs pour la production de chaque voiture électrique,
et une aide de 5.000 Francs à chacun des clients. PSA et Renault,
la première avec le projet Tulipe, mettent en place un service
de location de voitures électriques en ville (à La Rochelle,
par exemple, et dans les villes moyennes) par abonnement. L'opération
"villes sans voitures" du 22 septembre 1998, lorsque de
nombreux conseils municipaux de villes moyennes ont interdit la
circulation automobile, a sensibilisé la population sur la
question des transports publics. Et Lionel Jospin a annoncé en décembre
1998 la création des véloroutes, de grandes voies adaptées à
la circulation des bicyclettes, en complément des anciennes
"pistes cyclables".
La planification,
qui a longtemps constitué une forme administrative du progrès
industriel sous la forme centralisée, et sa projection nationale
à travers la Datar, peut donc, en se faisant plus souple,
devenir le point de départ d'une production basée sur un développement
durable tenant compte des facteurs écologiques.
La production de
voitures étrangères en France reflète à peu près les mêmes
tendances au mécano industriel français. Daimler-Benz s'est
associée à Swatch pour construire la MCC (Micro Compact Car) en
Lorraine et a installé autour de son unité d'assemblage un
village d'équipementiers nécessaires à la fabrication du modèle.
Et Toyota s'implante dans le Nord-Pas de-Calais pour bénéficier
de la proximité de son équipementier situé en Angleterre.
III. m.
Document : Les chantiers navals comme contre-exemple
- La crise des
chantiers navals remonte aux années 60 en Europe. Les dirigeants
suédois, avec l'aval des syndicats, tireront en premier la
sonnette d'alarme et feront adopter, dès 1979, un plan de
restructuration qui conduit à la fermeture rapide des chantiers
navals. "On ne peut pas continuer indéfiniment à fabriquer
des produits quand personne ne veut acheter. Mieux vaut miser sur
les industries de l'avenir", soulignait alors Thage Peterson,
le ministre de l'industrie.
(...) "En
maintenant les travailleurs les plus anciens et les plus âgés
dans les entreprises des secteurs en difficulté et en
contraignant les plus récents et les plus jeunes à se
reconvertir vers les secteurs en développement, on rend plus aisés
les nécessaires redéploiements de l'économie", explique
Bernard Brunhes, dans une note rédigée en 1988, en tant qu'expert
auprès de l'OCDE sur les questions de flexibilité.
(...) En France, l'accord de 1984, qui met en place la préretraite à cinquante-trois ans dans les chantiers navals, le congé de conversion qui permet aux salariés de se former à un nouveau métier pendant une durée maximum de deux ans, etc. n'a concerné que les cinq grands sites nationaux : les trois sociétés de la Normed (Dunkerque, La Seyne et La Ciotat), Nantes et Saint-Nazaire. "Pour le reste, il a fallu négocier l'application de l'accord entreprise par entreprise et, dans certaines, la durée du congé de reconversion n'a été que de huit mois".
(...) D'autre part,
en 1986, la prime "Madelin" alors ministre de l'industrie,
qui donne la possibilité aux salariés de quitter immédiatement
l'entreprise avec la coquette somme de 200.000 Francs, a été
octroyée sans négociation préalable. En contrepartie, le
salarié renonce à toute aide au reclassement. "Une ''prime
à la valise'' substantielle est une bonne manière, comme Ponce
Pilate, de se laver les mains des conséquences sociales d'un
licenciement économique " juge, critique, Guy Royon,
directeur du personnel de la Normed de 1983 à 1990 (...). La ''prime
à la valise'' ralliera 4492 salariés dont la grande majorité,
près de 3000, s'inscriront par la suite à l'ANPE (Agence
Nationale pour l'Emploi) entre juillet et décembre 1986. Quand l'opération
de reconversion de la Normed s'achève fin 1989, plus de mille d'entre
eux restent sans emplois". Clarisse Fabre, Le Monde, 12.3.1997.
III. n. La
construction et l'habitat urbain
L'Etat est
intervenu au lendemain de la guerre dans la construction à
travers l'Office public des HLM (Habitations à loyer modéré),
et par la création des ZUP (Zone à urbaniser en priorité); ces
dernières sont définies par la commune qui dit que toute
construction de 100 logements doit être localisée en ZUP. Les réalisations
les plus spectaculaires sont celles de Grenoble et Toulouse. La
politique urbaine d'aujourd'hui tend à revenir sur ce modèle de
construction et de développement urbain, qui posent
effectivement des problèmes de rénovation.
Les lois de 1962
et 1965 créent quant à elles :
- les ZAD ou Zone
d'aménagement différé. L'institution permet la mixité avec
les promoteurs, qui s'y retrouvent en achetant à côté de la
zone en question.
- les ZIF : Zone d'intervention
foncière, au centre ville.
- les ZAC : Zone d'aménagement
concerté ; elle remplace les ZUP en 1967. L'équipement est
fourni par la commune et par les promoteurs.
Les deux grandes
sociétés de BTP (Bâtiments et travaux publics) sont :
- Les Ciments
Lafarge. Ils exportent et construisent à l'extérieur. La société
poursuit actuellement une politique de rachats d'entreprises à l'étranger
pour s'assurer la domination de toute la filière du secteur de
la construction. Entre 1997 et 1998, "Lafarge a réalisé
plus de 25 acquisitions, dans seize pays aussi différents que
les Philippines, la Chine et l'Afrique du Sud " (Le
Monde, 22 janvier 1999).
- La société
Bouygues; elle a à son actif de grandes constructions, comme l'Université
de Ryad, en Arabie Saoudite, la mosquée de Casablanca, l'Arche
de la Défense et la Bibliothèque de France, à Paris, le pont
de Tancarville en Normandie, et Eurotunnel. La société couvre
aujourd'hui une part du marché des télécommunications (Bouygues-Télécom).
III. o. Les
Petites et Moyennes Industries
Les PMI en France
sont plutôt dépendantes des grandes, à part quelques équipementiers
importants, comme Valeo, Epeda, Bertrand Faure, qui travaillent
pour l'automobile, et dont la production va de la sous-traitance
au parténariat.
Pourtant, de
nombreuses industries spécialisées connaissent de bons résultats.
Moulinex, dans le secteur du petit matériel électro-ménager,
présente une image de la réussite, malgré des pertes d'emploi
importantes. Si les skis Rossignol et leur concurrent Salomon (skis
et équipement de neige) accusent désormais une légère perte
de vitesse parce que les jeunes boudent ce genre de sport au
profit d'autres sports de glisse comme le snowboard ou la planche
(avec ou sans voile, windsurf ou bodysurf, aujourd'hui dominés
par Quicksilver), Zodiac d'une part (canots pneumatiques) et la
Comex (Compagnie maritime d'Expertise), de l'autre, qui allient
la production de matériel et les services, bénéficient d'un
marché favorable. Le tissu de ces petites et moyennes sociétés,
nées souvent de la rencontre entre une localisation et un
produit ou un service déterminés, augmente rapidement. Geocean,
une société de service chargée de repérer et d'exploiter les
sources d'eau douce en mer, et un autre équipementier, moins
connu que les premiers, Mota (échangeurs thermiques pour camions,
voitures et bateaux, qui équipe entre autres les vaporetti de
Venise), ont leur siège à Aubagne, près de Marseille.
Enfin, on ne
saurait conclure ce tour d'horizon rapide des PME sans citer la
société de Jean-Claude Decaux, présent dans toutes les villes
de France avec son mobilier urbain, comme les Sanisettes (WC
urbains) et les Abribus, et dont la philosophie, brève et
efficace, se résume en ces quelques mots : "Travailler,
encore travailler !"
Pourtant, ce sont les PMI et les PME (Petites et Moyennes Entreprises) qui posent les problèmes de reconversion ou de restructuration les plus difficiles à résoudre. Dans le textile, l'ensemble du secteur lorrain constitué de PME a pour ainsi dire disparu (la Lorraine posant aussi un cas de reconversion particulièrement ardu puisque son économie a reposé aussi, en dehors du textile, sur le charbon et le fer). Et l'ensemble du secteur de l'acier, composé d'un tissu d'entreprises moyennes, se ramène aujourd'hui aux deux grands, Usinor et Sacilor, qui ont bénéficié du plan acier et des aides de l'État.
IV. a. Les
transports : les chemins de fer
Parmi les services
qui "remplissent des missions d'intérêt économique général",
on trouve le service des transports par chemin de fer.
Les chemins de fer
sont un secteur à la fois traditionnel et dynamique, comme le
montrent les cartes publiées ici. Ils mettent en uvre
plusieurs opérateurs dont les plus importants sont la SNCF (Société
nationale des chemins de fer), qui assure les services, le RFR (Réseau
ferré de France) dont la tâche est de gérer le matériel (la
société émane d'une division des tâches à l'intérieur de la
SNCF pour alléger les charges de gestion), et enfin la dernière-née
des grandes sociétés ferroviaires, Alstom, qui a pour tâche de
fabriquer le matériel, en particulier le TGV (train à grande
vitese), dont la SNCF est le co-producteur.
La SNCF est créée
en 1937 pour venir en aide aux différentes compagnies établies
sur le sol national. L'Etat y deviendra ensuite le seul
actionnaire. Un réseau particulièrement centralisé, en
contradiction avec la multiplicité des sociétés d'origine (le
premier film des frères Lumière consacre l'arrivée du train en
gare de La Ciotat, une petite ville de la Méditerranée, équipée
par la compagnie des chemins de fer du midi), aligne 35.000 kms
de voies ferrées dont le centre est Paris. L'efficacité du réseau
grandes lignes contraste avec certains embarras liés aux
changements de lignes pour la traversée est-ouest de la France
sans passer par la capitale. Cette centralisation n'est pourtant
pas à sens unique. L'innovation, de fait, est passée par des
lignes secondaires : le premier train mis en service l'a été
sur la ligne Lyon-Saint Etienne, et le premier TGV sur la ligne
Lyon-Valence. Toutefois, un service multimodal (train-avion,
train-métro ou RER-Réseau Express Régional, en service en Ile
de France, mais en projet dans d'autres villes, comme Marseille -,
un service train-auto ou bus) fonctionne bien à l'arrivée des
grandes gares. Actuellement, le parc ferroviaire est supérieur
à son utilisation pour faciliter les services dans les périodes
d'affluence (vacances, ou gestion de la Coupe du Monde de
football, par exemple, et autres grands événements dont la
France et Paris en particulier entendent avoir la primeur).
Aujourd'hui, la SNCF pratique la modulation des tarifs : "Un
décret du Conseil d'Etat autorise la société nationale à établir
ses grilles de prix en fonction des conditions de marché (...)
La tarification flexible version SNCF doit avoir un effet mécanique
d'amplification des volumes, avec un objectif de conquête de 5%
de clientèle supplémentaire. Un mouvement déjà bien engagé,
selon le transporteur, puisque sur le second semestre 1997, un
tiers de la croissance du trafic voyageurs était dû aux seules
innovations tarifaires " (Le Figaro , 4 mai 1997).
De fait, en tant
que service public aux personnes, la SNCF offre des conditions de
déplacement à prix réduits à environ 80% des voyageurs. Les
tarifs Découvertes Enfant Plus, Séjour, Senior, Cartes Enfant
Plus et Senior sont quelques unes de ces modalités tarifaires
qui s'appliquent aux jeunes ou aux personnes âgées.
Le succès du TGV,
dont le constructeur Alstom est maintenant coté en Bourse,
repose sur une politique favorisée par la SNCF qui a préféré
éliminer le service des voies non rentables au profit de la
grande vitesse sur les grandes lignes, malgré certains projets
discutables du point de vue rendement, comme la ligne TGV Paris-Strasbourg.
Il convient de signaler que le TGV, qui couvre la distance
Marseille-Paris (800 kms) en quatre heures et demi, est loin de
disposer des voies propres qui lui permettent d'atteindre la
vitesse que les constructeurs ont prévue pour lui.
Quant à la société
Eurotunnel, qui exploite le TGV voyageurs Paris-Londres et le
transport des véhicules, elle ne deviendra véritablement
rentable qu'après l'an 2000, et lorsque le service sera complété
par la grande vitesse sur le sol de la Grande Bretagne. La SNCF,
dont dépend Eurotunnel, devant faire face aux difficultés de
son homologue britannique pour la construction des lignes.
Les chemins de fer :
tradition et innovation
1. Lingénieur
et le capital français dans la construction du réseau
ferroviaire européen en 1914
2. La construction
du TGV dans le monde
IV. b. Document : Aiguillages pour le futur, par Paul Virilio (Bulletin de la SNCF, rubrique Publicité)
On disait par le
passé que quand on jette un pont sur un fleuve, ce n'est jamais
pour relier les deux rives mais pour relier les deux horizons. Ce
raisonnement s'applique au TGV, le métro de l'Europe. Les véritables
utilisateurs du pont ne sont pas les riverains, ils viennent de
beaucoup plus loin. Le pont est en réalité une suture entre les
horizons. Sa vocation correspond à la révolution des transports
de l'ère industrielle alors qu'aujourd'hui, nous en sommes à la
révolution informationnelle, post-industrielle. D'un côté, on
a la vitesse absolue, celle des autoroutes de l'information, et
de l'autre, la vitesse relative, celle d'un train qui fait 300 à
l'heure ou même 1000 à l'heure selon l'objectif des trains sous
vide. Le conflit est inévitable. La vitesse est un milieu.
Compter la vitesse du TGV en termes de réduction du temps de déplacement
entre deux points A et B est une vision archaïque. Il faut
traiter le rapport d'horizon à horizon et non de rive à rive.
Le milieu s'étend avec la vitesse et seul ce milieu doit être
pris en compte. Voir comment le TGV déchire la carte d'Europe,
la fripe pour redessiner un espace-temps. La géographie de la
vitesse est d'une nature nouvelle et concerne la société, voire
même les murs. Le conflit se vit déjà avec d'un côté
les sédentaires, ceux qui sont branchés, et de l'autre les
nomades, ceux qui sont contraints au déplacement incessant pour
bénéficier de l'emploi. Les contrats à durée indéterminée,
qui ont fait la quasi-totalité du XXe siècle,
permettaient de localiser les populations ouvrières dans des
bassins d'habitat liés aux bassins d'emploi. Ils délimitaient
une mobilité restreinte : c'était le ''métro-boulot-dodo''.
Aujourd'hui, avec le développement de contrats à durée déterminée
d'une moyenne de six mois, on assiste à l'émergence d'une itinérance
sociale. Il y avait en 1991 environ 560 000 jeunes errants; il y
en a actuellement près d'un million!
Paradoxalement,
les technologies de transmission accroissent l'inertie. Le nomade
en quête d'emploi, lui, est obligé de se déplacer. Or, son
itinérance vitale induit un déchirement social parce que la
société se bâtit dans la relation de proximité.
Contrairement aux
Etats-Unis où Kerouac chantait le nomadisme, l'Europe est le
continent de la sédentarisation. La mobilité excessive nous désocialise.
La France peut se vanter d'avoir en Saint-Exupéry un romancier pilote qui a déposé autant de brevets d'aviation qu'il a écrit de romans. Qu'il ait adopté une morale à la mesure de la technologie utilisée est une chose. Que sa compagnie, l'Aéropostale (années 1930) ne lui ait pas permis de se lancer dans des aventures où son imagination le prédisposait, en est une autre.
C'est toutefois
pour résoudre les difficultés financières des compagnies qu'est
créée la compagnie Air France avant guerre. Société d'économie
mixte (où l'État est quand même dominant), Air France jouit
toujours d'une large autonomie de gestion, et l'État hésite à
la privatiser entièrement, malgré l'ouverture de l'espace aérien.
Mise à l'épreuve
par la concurrence des autres compagnies (British Airways, Air
Liberté, Lauda Air) qui ont obligé d'une part la compagnie à résorber
sa filiale Air Inter sur le territoire national, et d'autre part
l'État à favoriser le rapprochement des concurrents français
de la compagnie pour préserver l'espace aérien, Air France
dispose aujourd'hui d'une infrastructure aéroportuaire imposante
avec le plus grand échangeur européen (le hub, une plate-forme
de correspondance) qui lui permet d'accélérer les temps de
changements de vol. C'est aussi le principe de l'échange qui l'a
entraînée à recréer aujourd'hui l'Aéropostale, un service de
"quick change" (changement rapide) qui permet de
transformer des avions destinés au transport passagers en diurne
en avions cargos pour le courrier en nocturne.
A partir des aéroports
de la région parisienne, Roissy-Charles de Gaulle, l'un des plus
performants, et Orly (dont les performances n'ont d'égales que
les nuisances), Air France offre aux passagers un système
multimodal de transports grâce au TGV et au RER (Réseau Express
Régional). Les deux aéroports les plus importants après ceux-là
sont Nice et Marseille-Marignane. Ajoutez à cela une certaine sécurité
dans les vols et le matériel, un personnel qui aime son métier
(en pleine grève, les pilotes font quand même l'éloge de la
mobilité à laquelle ils sont soumis pour assurer leurs services).
Air France continue à former son personnel après le passage de
celui-ci par l'école de pilotage.
Les transports aériens
sont un secteur particulièrement brûlant dont la "protection"
s'est jusqu'à présent accompagnée de revendications salariales
que les médias font régulièrement apparaître comme
exorbitantes (un pilote débutant perçoit pourtant un salaire d'ingénieur
20.000 Francs par mois - avec l'obligation de rembourser
les frais d'école à la société).
Dans le domaine de
la technique, la France a certainement privilégié ses
avionneurs (Dassault, l'Aérospatiale, le motoriste SNECMA, l'un
des fleurons des nouvelles privatisées). Des accords d'entreprise
ont eu lieu entre la France et la Grande-Bretagne pour la
construction de Concorde (dont le programme est actuellement arrêté,
même si des projets pour l'après 2000 sont à l'étude), entre
l'Aérospatiale et Daimler (à parité de 37%) et d'autres
constructeurs européens pour le projet Airbus. Les bons résultats
de ce dernier, mais aussi son échec sur le marché chinois
devant Boeing, dû aux revendications de chacun des membres
responsables, ont déterminé les pouvoirs publics à transformer
le groupe de partenaires européens en une Société anonyme.
Arianespace.
La France dispose
à Kourou, en Guyane d'une base pour le lanceur européen Ariane.
Pour l'heure, la société Arianespace (80 milliards de CA), qui
en est à son cinquième lanceur (Ariane 5) place sur orbite des
satellites du monde entier, au point que ses concurrentes (en
Chine, en Russie et au Japon) cherchent à se la rallier. Un
projet de coopération entre la Chine, qui possède le lanceur
Longue Marche, et Arianespace, est à l'étude.
IV. d. Le
commerce et la distribution
Le "panier de
la ménagère" est une expression utilisée par les
journalistes pour indiquer le pouvoir d'achat des Français en
matière d'alimentation. Même s'ils consacrent beaucoup moins d'argent
que par le passé sur leur budget aux dépenses d'alimentation,
comme nous le disent les statistiques (et pourtant, les magasins
et les quartiers d'alimentation se multiplient), pour être en règle
avec l'époque il faudrait parler aujourd'hui du "caddy"
de la ménagère, du nom des chariots des supermarchés, où l'on
va faire les courses en famille, bien souvent le dimanche.
La grande
distribution n'est pas tout à fait neuve en France. Il faut
distinguer d'abord les grands magasins, comme Le Printemps ou Les
Galeries Lafayette, bien implantés en ville, dans les quartiers
du centre. Certaines de ces institutions sont à l'origine de la
vente par correspondance, comme La Redoute, née à Roubaix, dans
le Nord, qui appartient au groupe Le Printemps (auquel appartient
aussi la FNAC - Fédération nationale d'achat des cadres-, spécialisée
dans le disque, les livres et la vidéo). Mais les parts de marché
les plus grosses sont prises aujourd'hui par les géants :
Carrefour, Auchan (autre groupe de Roubaix, plus précisément du
quartier des Hauts-Champs, d'où son nom), Casino et Promodès,
dans le domaine de la grande distribution intégrée (un PDG pour
la société et l'ensemble des magasins), et par Leclerc et Système
U dans le domaine de la grande distribution des indépendants (un
PDG à la tête de chaque magasin et un groupe de gérants
actionnaires). Les intégrés se déploient fondamentalement dans
les hypermarchés, avec des surfaces de 2500 m2 à 10 000 m2, en
zone périurbaine, et sans spécialisation. Les indépendants
privilégient les supermarchés ou les supérettes, dont la
surface n'excède pas 2500 m2 pour les premiers, et 400 m2 pour
les secondes. Il s'agit de magasins de périphérie mais aussi de
proximité, tournés vers l'alimentation. Au demeurant, ces
groupes n'hésitent pas à créer eux aussi des chaînes d'hypermarchés.
Leclerc (toujours dirigé par son fondateur et principal
actionnaire, Edouard Leclerc) et Système U, qui viennent de s'associer,
sont devenus en janvier 1999 le plus grand groupe de commerce
alimentaire français. Présents presque exclusivement en France,
dans les villes moyennes et proches des zones rurales, où ils
ont su s'adapter grâce à leurs techniques de stockage et d'approvisionnement
(Système U dispose de 4 centrales régionales de stockage,
Leclerc de 16), ils envisagent maintenant l'ouverture à l'international,
compte tenu des lois restrictives (lois Royer, 1973, qui
soumettent l'ouverture des grandes surfaces en France à l'accord
d'une commission régionale), et des lois d'interdiction (loi
Balladur, qui en interdit l'ouverture). Si une coopération
existe déjà entre eux depuis longtemps pour l'achat et le
stockage des carburants, une coopération est en cours pour la
vente des produits "premiers prix".
IV. e. Les
revenus de l'État : les impôts directs
Les Français
payent l'Impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP)
depuis la veille de la Grande Guerre, c'est-à-dire depuis 1914.
Et même si cet impôt n'a pas couvert les frais de la guerre, il
a contribué à l'équipement. Toujours remis en cause, l'IRPP
est acquitté par tous les contribuables et il est d'autant plus
progressif que les revenus des ménages sont bas. La CSG (Contribution
sociale généralisée) qui lui est associée servant à combler,
depuis des années, le déficit de la Sécurité sociale.
Les impôts locaux regardent directement les rapports entre les Français et leur lieu de résidence, primaire ou secondaire, et leur lieu de travail, s'ils sont agriculteurs. Dans le détail, ils ne s'appellent plus "impôts", mais taxes, et se répartissent entre taxe sur la propriété foncière non bâtie, taxe sur le foncier bâti, et taxe d'habitation proprement dite. Ces taxes rapportent en ponction aux régions, communes et départements, entre 3,8 et 4,3 % de la richesse nationale, et à l'État la moitié environ de ce que lui rapporte l'IRPP.
Les taxes d'habitation,
ou taxes sur le foncier bâti, se présentent sous des aspects
différents. Il peut s'agir soit d'une TVA (Taxe à la valeur
ajoutée) à l'achat pour le neuf; soit d'une taxe de
mutation (en d'autres termes, d'une part des frais de notaire)
à l'achat pour l'Ancien; soit enfin d'une taxe d'habitation
lorsque le résident jouit du bâtiment dont il est propriétaire.
Les taxes professionnelles quant à elles touchent
essentiellement les industries et le commerce. Certaines communes
riches en installations industrielles ne les dissocient pas des
taxes d'habitation et établissent un équilibre entre les taxes
d'habitation et les taxes professionnelles, au profit des premières.
Ainsi l'immobilier est souvent moins taxé dans les villes
industrielles et davantage dans les villes de villégiature. Mais
l'inverse est vrai aussi. Des communes, avec le soutien de l'État,
accordent la jouissance de zones défiscalisées à de grosses
entreprises (ainsi, Coca Cola s'est installé dans le Var, à
Signes, une commune qui a besoin d'attirer de la main d'uvre).
Certaines catégories, comme les agriculteurs, sont exemptes des
taxes professionnelles.
IV. f. Les
revenus de l'État : les impôts indirects
C'est la TVA, déjà
citée dans le paragraphe précédent. La TVA oscille entre 5,5%
et 20,6% et est perçue par l'État sur la vente des produits
marchands. Le taux le plus bas se réfère aux produits classés
"de première nécessité", appellation assez vague qui
va des produits extrêmement périssables, comme les fleurs, à l'abonnement
au câble. Dans l'ensemble, la TVA rapporte à l'État près de
680 milliards de Francs, et l'IR 300 milliards.
IV. g. Les
niches fiscales
Elles regroupent
les formes d'investissement qui permettent aux contribuables de bénéficier
d'abattement sur leurs impôts. L'investissement dans le
cinéma en est une, comme l'investissement dans les Dom-tom (Départements
et Territoires d'outre-mer) sur la base de la loi Pons, qui
permet à l'investisseur de déduire ses investissements de sa déclaration
de revenus, ou encore la loi Malraux, défiscalisation prévue
pour les travaux sur les logements classés, - le ministre de la
culture de De Gaulle ayant ainsi donné le signal du départ pour
la restauration des hôtels particuliers du quartier du Marais,
à Paris. Ces deux dernières sont toutefois réservées au
contribuable imposé au taux maximal de l'IR. Quant aux grands
domaines viticoles de Bordeaux et de Bourgogne, à vins classés
AOC, ils sont exempts de taxes foncières, ce qui explique
en partie la spéculation dont ils sont l'objet actuellement.
Enfin certains placements, comme le Livret A de la Caisse d'Épargne,
dont les intérêts sont exempts d'impôts, l'assurance vie, qui
permet des abattements en entrée (le souscripteur d'une
assurance vie a au minimum 1000 Francs d'abattement), en route
(les intérêts ne sont pas imposables) et en sortie (elle
est exonérée des droits de succession), les Sicav (Société d'investissement
à placement variable) permettent des abattements substantiels.
Et on a recensé 70 professions, comprenant journalistes, hôtesses
de l'air, VRP, etc.. qui jouissent d'abattements sous le nom
"d'abattement 20% ".
Enfin il convient
de signaler une forme d'imposition relativement récente, puisqu'elle
date du premier septennat de F. Mitterrand : l'ISF (Impôt de
solidarité sur la fortune ). Il "frappe" 170 000
personnes environ, dont le revenu excède 4,61 millions de Francs.
Un contrôle effectué par les inspecteurs du fisc vient de révéler
que 75% des personnes assujetties ne le payent pas. L'État
envisage de le supprimer, pour éviter des transferts excessifs
de capitaux à l'étranger... N'entrent pas dans son calcul les
uvres d'art et les instruments professionnels.
IV. h. La
politique de l'emploi
Pour mémoire :
PIB (Produit Intérieur
Brut) en milliards de francs : 7843
SMIC (Salaire
minimum interprofessionnel de croissance) horaire : 40,22 F. (1
Euro vaut 6, 559 F. actuellement)
Population active
: 25.582.000
Nombre de chômeurs
: 2.997.600
Dans son livre L'économie
politique ou la maîtrise des contraintes André
Grjebine dit qu'en mettant l'accent sur le contrôle de l'inflation
et l'équilibre budgétaire, les gouvernements ont régulièrement
sacrifié le problème de l'emploi et du chômage de masse de
longue ou moyenne durée à de faux problèmes. Nous allons
essayer de résumer très brièvement la politique d'emploi qui a
été suivie.
Dans un discours
aux PME du 27 janvier 1997, le président de l'Assemblée
Nationale, Philippe Séguin, a déclaré : "L'entreprise
n'est pas comptable vis à vis de la collectivité nationale en
termes d'emplois, mais en termes de richesses produites
". Une façon comme une autre d'avaliser une politique dont
la plupart des Français sensibles au problème du chômage, et
en particulier les chômeurs eux-mêmes, c'est-à-dire 12% de la
population active, ont déjà constaté les carences. Mais si le
but du président de l'Assemblée est de redimensionner la
confiance que les Français ont placé ces dernières années
dans les entreprises, il faut dire aussi que cette confiance,
savamment entretenue par toute une série de lois et de projets,
est sérieusement ébranlée depuis quelque temps par les résultats
de la déréglementation. Malgré la Convention générale de
protection sociale de 1991, qui instaure les congés de
reconversion pour les ouvriers de moins de 45 ans, malgré aussi
l'application du temps partiel dans de nombreuses entreprises, la
création d'emplois de proximité, le partage du temps de travail,
etc. les chiffres suivants permettent de mesurer l'ampleur des
difficultés auxquelles se heurtent les gouvernements qui
entendent porter remède à la crise actuelle :
- l'agriculture,
comme nous l'avons vu, est passée de 3,5 millions d'actifs à
730 000;
- le secteur de l'acier,
à travers une série de restructurations, est passé de 140 000
à 40 000 actifs entre 1979 et 1990;
- l'industrie
automobile licencie depuis quinze ans près de 2000 personnes par
an; elle ne crée de nouveaux emplois qu'à l'étranger;
- les chantiers
navals et les derniers bassins de travail du Centre de la France
(Le Creusot) n'ont pas su assurer la reconversion de la plupart
des travailleurs;
- des secteurs
entiers ont été sacrifiés sans contrepartie, comme l'électronique
civile, l'informatique, les machines agricoles, une très grande
partie du textile.
Dans l'ensemble,
deux politiques ont été mises en uvre. Celle des aides
aux sociétés d'une part, qui a vu ces derniers temps le "saupoudrage"
budgétaire des entreprises au moyen de l'argent récupéré sur
les privatisations, et celle des heures de travail, de l'autre.
Actuellement, une combinaison des deux est en train de voir le
jour. Nous résumons ici les principales étapes de cette
histoire (Sources : Le nouvel Observateur, Le Monde, Libération
) :
- 1955 : les
salariés de Renault obtiennent la 3ème semaine de congés payés;
- 1956 : une loi généralise
la 3ème semaine de congés payés;
- 1962 : les
salariés de Renault obtiennent la 4ème semaine de congés payés;
- 1969 : généralisation
de la 4ème semaine de congés payés;
- 1982 : la durée
légale hebdomadaire passe de 40 heures à 39 heures, sans baisse
de salaire. La loi instaure la 5ème semaine de congés payés;
- années 1980 :
la loi Delebarre puis la loi Séguin organisent l'aménagement du
temps de travail. De nombreux accords d'entreprises annualisent
le temps de travail, avec ou sans réduction de salaire.
Suppression de l'autorisation administrative de licenciement et
création des Enca (Emplois nouveaux à contrainte allégée;
mais le sigle se réfère au mot "en-cas", qui désigne
une chose pouvant satisfaire un besoin momentané). L'État s'engage
à ne pas augmenter les charges salariales et à ne pas réduire
le travail au-dessous de 39 heures;
- 1996 : la loi
Robien accorde des baisses de charge aux entreprises qui réduisent
d'au moins 10% le temps de travail pour embaucher ou sauver des
emplois;
- juin 1998 :
abolition de la loi Robien;
- 13 juin 1998 :
loi Aubry. La loi "cadre" (approuvée) fixe au 1er
janvier 2000 le passage aux 35 heures (2002 pour les entreprises
de moins de 20 salariés). Elle laisse à la négociation le soin
d'établir les modalités. Une aide structurelle est prévue
jusqu'à 9.000 Francs par salarié si les entreprises bouclent
leur accord avant le 30 juin 1998. Les aides deviennent ensuite dégressives.
La loi "balai" (qui doit être présentée dans un
deuxième temps) doit permettre, avant l'an 2000, de régler tous
les points restés flous : le double Smic (Salaire minimum
interprofessionnel de croissance, instauration d'un revenu
mensuel minimum); les quotas autorisés sans taxation supplémentaire
des heures supplémentaires; le temps de travail des cadres. L'aide
structurelle qui va remplacer celles accordées jusque là tourne
aux alentours de 5.000 Francs.
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