INTRODUCTION

En faisant une porte, le menuisier n'oublie pas de la pourvoir d'une serrure, et d'une clé. Voici donc  un objet dont le degré de fermeture ou d'ouverture dépend de celui qui l'utilise. La situation économique résumée dans les pages qui suivent renvoie à la société, à la politique, aux personnes, aux temps, à la langue utilisée ("dans des industries aussi techniques que l'automobile, la barrière de la langue et les distances géographiques sont de fort freins à l'intégration " - Le Monde, 22.01.1999). Ce travail fournit ainsi des orientations possibles pour une recherche personnelle, tout en mettant l'accent sur la présentation médiatique des opérateurs économiques (dans cet ordre d'idées, le Président Directeur Général du groupe LVMH, Bernard Arnault, est même l'objet d'un feuilleton radiophonique en Italie!). Chaque article de journal en plus est une pièce pour élargir les dimensions de l'ensemble.

Ces personnages et ces chiffres de production (rarement reproduits, pour ne pas alourdir le texte de données), ces secteurs en hausse ou en baisse, composent autant de chapitres ouverts les uns aux autres. Si l'on a privilégié, en parlant du pétrole, l'un des acteurs principaux sur ce terrain (le patron de Total), c'est justement parce que ce secteur y puise un dynamisme qui ferait défaut si les seuls grands managers appartenaient aux compagnies étrangères. Il existe beaucoup de dirigeants, d'entreprises ou d'organismes étrangers, dont la formation s'est faite en France. Le directeur du Musée d'Art Moderne de New York n'est qu'un exemple parmi d'autres.

En France, l'économie a subi des modifications rapides. Si nous maintenons encore la distinction entre secteur primaire (agriculture), secteur secondaire (industrie) et secteur tertiaire (services, transports), où classer toutefois un agriculteur qui surveille l'alimentation de ses chevaux par satellite, un ingénieur qui fabrique des puces à l'aide d'un microscope électronique, et un employé travaillant avec ses yeux et ses dix doigts?

Certes, la naissance, au début des années soixante, d'un organisme comme la Datar (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale), a été pour beaucoup dans ces transformations. Cet organisme n'est ni étranger au développement ultérieur de l'économie régionale et urbaine, qui affiche ses distances à l'égard de la planification traditionnelle, ni au développement durable ou soutenable, qui introduit la notion d'environnement auprès des opérateurs économiques, devenant ainsi l'un des enjeux de notre époque. Que cette dernière forme de développement dépasse celle de la planification centralisée est un des aspects de l'économie, en France mais plus encore ailleurs, et sans doute une loi du temps.

Pour dire d'ailleurs ce qu'a été le temps avant la Datar, nous rappelons quelques épisodes au cours desquels la France et ses opérateurs ont essayé, faute de planification, d'orienter l'économie au profit d'une politique nationale. On comprend mieux l'économie si l'on tient compte du fait que la régionalisation en France apparaît après la deuxième guerre mondiale. Les idées d'Europe, de fédéralisme européen, de communes, nées parfois dans le cerveau de gens comme Henri Frenay, André Philip ou Jean Monnet, pour citer les plus connus, qui ont pris une part active à la Résistance, se sont développées sous la quatrième République, dans les années quarante et cinquante. Le fait que la France s’est donné, en 1958, une orientation politique assez rigide, a peut-être constitué un dommage effectivement plus pratique que théorique pour le développement d'une économie "libérale". On doit tenir compte de ces données pour comprendre d’une manière générale cette alternance de hauts et de bas qui fait que les Trente glorieuses débouchent, au début des années 1970, sur la crise, sans même la période d'écart entre la France et les autres pays qui a caractérisé la crise de 1929, dont les effets se font sentir plus tard; cette présence d'un secteur high tech très performant, néanmoins contemporain de la défense de l'artisanat et du retour à la nature; les déclarations parfois contradictoires des dirigeants; et le fait que bien des intellectuels "maîtres à penser" du XXe siècle n'ont guère inclu l'économie ou la production dans leur domaine de recherche, - si l'on excepte la critique de la boutique, la vision primordiale de l'homme comme paysan et soldat (Alain), et le discours révolutionnaire d'un homme comme Jean-Paul Sartre.

Mais il faut rappeler aussi ce qu'a été pendant longtemps la politique de la France pour évoquer les facteurs économiques d'aujourd'hui.

I. RAPPEL HISTORIQUE

I.a. De 1919 à 1944

 

Malgré ses 1.400.000 morts, la France est sortie victorieuse de la Grande Guerre. C'est un pays à faible progression démographique, dont une part de la population active émigre en direction des zones coloniales (Indochine, Algérie, Afrique). Le Traité de Versailles, par ses ambitions démesurées dénoncées par l'économiste J.M. Keynes dans son livre Les conditions économiques de la paix  paru en 1919, l'année même de sa signature, porte la trace de cette blessure profonde. La France reprend l'Alsace et la Lorraine, annexe les mines de charbon de la Ruhr, la flotte et le matériel ferroviaire allemands, confisque les propriétés allemandes hors d'Allemagne. Elle exige que l'Allemagne paye les pensions de guerre et les réparations pour la destruction du pays. Enfin, elle demande l'unanimité des voix dans toutes les décisions prises au niveau de la Société des Nations (SDN), ce qui lui permet d'apposer son veto autant de fois qu'elle le juge nécessaire. Keynes reproche aux Français, et fondamentalement à l'intelligence politique de Clémenceau qui est le signataire du Traité, l'interruption d'un processus d'internationalisation de l'économie, au profit de la revanche nationale. C'est un repli que la France risque de payer cher.

Mais la France a  ou est  aussi un empire, selon le point de vue, et les dirigeants voient dans la France la politique et dans l’Empire l’économie. Le développement de certaines cultures, comme le riz et le caoutchouc en Indochine, les agrumes et le vin en Algérie, le café et le cacao en Afrique, s'y accompagnent d'une forme extensive d'agriculture sur de très grandes surfaces à peu près ignorée en France métropolitaine. L'expropriation des paysans des communautés rurales est la règle. Il faut attendre les changements structuraux de l'après-guerre et aussi l'arrivée des rapatriés d'Algérie qui vont investir dans de grandes propriétés pour voir le modèle de la très grande propriété se répandre dans l'Hexagone, doublé d'une course à l'intensification. André Hesse, ministre des colonies en 1925, fait l’éloge de la productivité dont son ministère est le garant  (L'Indochine, 22 juin 1925) : "l'empire colonial de la France (...) est à la fois l'héritage d'un passé glorieux et l'une des formes les plus vivantes de l'activité nationale, c'est là une œuvre qui exige un effort constant, un grand esprit de méthode et de la patience; il ne peut être question d'agrandir un domaine colonial qui pourvoit largement déjà aux besoins généraux du pays : il suffit d'en assurer la sécurité, non seulement contre les convoitises extérieures, mais (...) contre une certaine agitation intérieure (...). Les entreprises françaises qui s'y sont établies ont permis aux indigènes de connaître des procédés de culture, des moyens industriels, grâce auxquels la production, depuis quelques années, suit une marche ascendante.

Les budgets locaux, dans cet essor économique, ont trouvé un supplément de recettes qui a réduit très sensiblement l'aide financière de la métropole à certaines colonies, tandis que d'autres en sont arrivées à participer de plus en plus aux charges de la métropole.

Ce développement économique est aujourd'hui d'un intérêt vital pour la France, parce que la France doit puiser de plus en plus dans son domaine colonial non seulement les matières premières nécessaires au ravitaillement de son industrie, mais aussi et surtout toutes les denrées coloniales. Je considère, en effet, qu'il est quelque peu paradoxal, pour un pays qui  possède un empire colonial comme le nôtre, d'être obligé d'aller chercher dans des colonies étrangères des produits coloniaux.

Je tiens à déclarer à la haute Assemblée que mon département entend s'attacher à une œuvre de production économique à laquelle il faut de plus en plus associer le Français et l’indigène ".

 

En France, les années 1920 sont l'époque du développement et de l'innovation dans l'industrie mécanique et automobile, avec Citroën, Renault ou Michelin (par rapport à un indice à base 100 avant-guerre, la production de caoutchouc atteint l'indice 300 en 1945, alors que toutes les autres productions sont déficitaires); de l'extraction minière (c'est l'époque des maîtres de forge, les propriétaires des aciéries et des mines du Nord et de Lorraine); de l'industrie textile (l'empire Boussac).

Le développement des méthodes Taylor dans les usines de mécanique et surtout le travail des femmes, vont rentabiliser la production. A l'époque, on ignore la délocalisation des entreprises. La crise de 1929, qui frappe la France avec un certain retard du fait de ses barrières économiques et d’un marché en quelque sorte protégé, met un frein à ce développement. Quand la reprise s'amorce, en 1936, c'est parce que les pouvoirs publics ont su intégrer de manière keynésienne la classe ouvrière dans l'économie. Les accords tripartites de juin 1936 aboutissent à un relèvement des salaires ouvriers, à la semaine de 40 heures, et à l'octroi de 15 jours de congés payés. Les nationalisations pratiquées en 1937 ont pour but de résoudre les effets de la crise qui a frappé les très grosses entreprises (chemins de fer et transports aériens). Mais en 1938, sous la menace de la guerre, le gouvernement autorise les patrons à revenir sur les acquis de 1936 pour augmenter la production, et rétablit les 45 heures dans le service public, faisant ainsi valoir a contrario  le rôle de l'État  dans les négociations.

Le 3 septembre 1939, la France n'a pas encore redressé sa situation économique que "la guerre Angleterre-Allemagne ", qui commence à 11 heures du matin, la frappe de plein fouet. "La guerre France-Allemagne " est déclarée à 17 heures. De Gaulle va lier une fois pour toutes le problème de la guerre à celui de l'industrie, dans son appel du 18 juin 1940. Mais ce n'est pas de l'industrie française qu'il s'agit: "la France peut (...) utiliser sans limite l'immense industrie des Etats-Unis ".

Le Parlement a accordé les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, qui promet aussitôt une Constitution et la paix avec l'Allemagne. Une longue période de collaboration entre "le paysan français et l'ouvrier allemand " commence. L'industrie se fait parfois l'écho de ces prises de position idéologiques. De grands industriels, comme Renault - dont la société a son siège en région parisienne -, collaborent en s'aidant de la police. D'autres, comme Michelin - dont le siège est à Clermont-Ferrand, en Auvergne - et les héritiers d'André Citroën, sabotent leur matériel et cachent les ouvriers destinés au Service du Travail Obligatoire (S.T.O.).

 

I.b. Le gouvernement provisoire et l’après-guerre

 

En 1944, l'ordonnance de nationalisation n°45-68 de la Société Renault promulguée par le général De Gaulle, chef du gouvernement provisoire de la République, fait de cette nationalisation un moment fondateur de la nouvelle économie :

"S'il est indubitable que l'industrie automobile [...] a été une des plus visées par l'occupant, [...] il n'en reste pas moins que les dirigeants de ces firmes ont à répondre de l'attitude qu'ils ont [...] observée à l'égard de l'ennemi et doivent justifier de la résistance qu'ils ont su apporter à l'ingérence de celui-ci.  Une telle justification ne saurait être fournie par la Société Renault. Alors que ses livraisons à l'armée française s'étaient montrées notoirement insuffisantes pendant les années qui ont précédé la guerre, ses prestations à l'armée allemande ont, durant l'Occupation, été particulièrement importantes et ne se sont trouvées freinées que par des bombardements répétés [...] de la part de l'aviation alliée ".

En nationalisant Renault "le gouvernement provisoire de la République est conscient [...] de contribuer au redressement moral et matériel du pays et de répondre au vœu de la Résistance française et de la classe ouvrière tout entière ".

Pourtant, malgré l'aide américaine (Plan Marshall), la France ne renonce pas à une politique nationaliste. La région de la Sarre est placée sous la tutelle conjointe de l'Allemagne et de la France et jouit d'un statut d'autonomie. Une partie de son charbon va aux aciéries françaises. La CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier) est née de cette "mise en commun des ressources ". En 1954, le Parlement français s'oppose à la création de la  Communauté Européenne de Défense (CED), par crainte du réarmement allemand, malgré l'engagement du jeune Valéry Giscard d'Estaing. Comme conséquence, en 1956, par référendum, la Sarre demande à retourner sous la juridiction allemande. C'est ce même Giscard d'Estaing qui, devenu Président de la République, abolit en 1975, au nom de la politique libérale européenne qu'il entend instaurer, les fêtes de commémoration de la fin de la deuxième guerre mondiale.

 

1954 marque la fin de la guerre d'Indochine, comme le début de celle d'Algérie.

La France crée en 1945 l'Office National d'Immigration pour "glaner" sur le terrain la main d'œuvre nord-africaine qui va lui permettre de rebâtir son économie. Si les déclarations gaulliennes au nom de la classe ouvrière citées précédemment peuvent surprendre, les déclarations, dans les années cinquante, du député poujadiste et futur fondateur du Front national Jean-Marie Le Pen, surprennent encore plus :

"J'affirme que dans la religion musulmane rien ne s'oppose au point de vue moral à faire du croyant ou du pratiquant musulman un citoyen français complet. Bien au contraire, sur l'essentiel, ses préceptes sont les mêmes que ceux de la religion chrétienne, fondement de la civilisation occidentale. D'autre part, je ne crois pas qu'il existe plus de race algérienne que de race française [...].

Je conclus : offrons aux musulmans d'Algérie l'entrée et l'intégration dans une France dynamique. Au lieu de leur dire comme nous le faisons maintenant : "Vous nous coûtez très cher, vous êtes un fardeau", disons-leur : "Nous avons besoin de vous. Vous êtes la jeunesse de la nation"[...] Comment un pays qui a déploré longtemps de n'avoir pas assez de jeunes pourrait-il évaluer le fait d'en avoir cinq ou six millions? " (cité par Le Monde , Dossiers et Documents, octobre 1984).

Chez l'un et chez l'autre, le discours sur l'économie est donc soumis à l'imaginaire de la politique. Pour De Gaulle, la mission historique de la République et de la nation en armes lui permet d'inclure la classe ouvrière comme simple acteur au service de l'Histoire. Pour Jean Marie Le Pen, dont le discours est quand même tolérant (il n’est pas sans rappeler d’ailleurs la tolérance d’André Hesse qui faisait participer les colonisés de la colonisation…), l'idée de Croisade (certainement implicite dans la notion de "civilisation occidentale" à laquelle il fait allusion, tous adversaires confondus) lui permet d'intégrer la religion musulmane comme force morale dans le renforcement des valeurs, - en l'occurrence nationales.

 

Certes, ce n'est pas une vue aussi sommaire qui rend compte d'une évolution proprement économique. Elle permet toutefois d'imaginer le développement à venir en envisageant la prise en considération du territoire métropolitain comme facteur économique. Les politiques menées par les différents gouvernements, avec le nationalisme exacerbé, le colonialisme, les marchés protégés, ont fortement contribué à  la pratique de l'épargne, qui s'est coupée des investissements sur le territoire national. Les lois sur la défiscalisation des investissements dans les Territoires d'Outre-mer et l'incitation à aller y passer ses vieux jours avec l'assurance de percevoir une retraite double, sont d'ailleurs des résidus actifs de la politique précédente. Sans faire nôtre la définition de l'économie française comme  d'un "capitalisme sans capitalistes et sans capitaux ", on doit constater que le développement économique du pays a été orienté assez longtemps plus par les décisions politiques que par le libre jeu du marché.

II. LE SECTEUR PRIMAIRE

II. a. L'agriculture en France

 

La France est particulièrement attachée à son agriculture. La référence de De Gaulle sur l'ingouvernabilité des Français qui peuvent changer d'opinion comme de fromage chaque jour de l'année (365 fromages, dans les années 1960) trouve un écho inattendu dans l'ironie du chanteur Renaud qui s'en prend dans Hexagone, une chanson particulièrement cruelle mais non tout à fait dénuée de vérité, à certaines valeurs alimentaires nationales comme le camembert et le vin de Bordeaux (quoique pinard désigne n'importe quel vin):

Leur pinard et leur camembert

C'est leur seule gloire à ces tarés

De fait les différents Présidents de la République n'ont cessé de rappeler que la vocation de la France était l'agriculture. Jacques Chirac, dans un discours pour fêter le cinquantenaire de la création de la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles), précise l'orientation de son septennat : la politique agricole, dit-il, passe par "la modernisation et l'adaptation de la politique des structures ainsi que par la modernisation de l'organisation économique et des filières. A cette fin, j'ai demandé au gouvernement [celui d'Alain Juppé] et au ministre de l'agriculture de préparer avec vous, et de présenter l'an prochain, une loi d'orientation agricole. (...) Mes chers amis, (...) vous êtes, plus que toute autre profession, les gardiens de notre identité " (Le Monde).

Pendant la campagne présidentielle de 1995 qui oppose au deuxième tour Lionel Jospin à Jacques Chirac, le candidat socialiste précise seulement, sans s'opposer sur le reste à son adversaire, son intention de "cibler" les aides agricoles. Enfin, Valéry Giscard d'Estaing, dans son discours de Ferrara au Congrès Européen des Communes Jumelées (novembre 1998) déclare en ce qui concerne les "problèmes en suspens ": « ce sont (...) la politique agricole commune (PAC) - dont je rappelle qu'elle fait partie du pacte fondateur de l'Union européenne - et il faut savoir que lorsque nos [représentants] ont voté à l'époque en faveur du Traité de Rome, le vote a été enlevé en raison de la présence de la politique agricole commune  dans ce pacte fondateur » (transcription)…

Cependant, cette défense de l'agriculture nationale ou à vocation européenne fortement teintée de nationalisme de la part de  personnalités du monde politique, dissimule mal certaines faiblesses. L'intérêt pour l'agriculture n'est pas toujours en prise sur l'ensemble de l'économie. Pour prendre un exemple, la planification française n'a consacré à l'agriculture que le IIIe Plan, sous la forme d'un accroissement de la production des tracteurs Renault. Jacques Chirac, dans l'article précédemment cité, a peut-être mis le doigt sur une plaie qui saigne depuis longtemps en disant aux syndicats agricoles : "Une agriculture dont seule la vocation productive serait reconnue deviendrait vite un secteur économique banalisé, soumis aux lois de la concentration et de la délocalisation, qui conduirait des régions entières à la désertification ". Mais en même temps il propose "que soit conclu un nouveau pacte entre la nation et ses paysans ", où l'accent est mis cette fois non plus sur les agriculteurs, mais sur une notion - les paysans- qui évoque davantage la France d'autrefois que celle d'aujourd'hui.

C'est cette approche contradictoire pendant des années qui a déterminé la situation actuelle, si bien mise en relief par Maurice Parodi dans L'économie et la société françaises de 1945 à nos jours :

"L'agriculture, qui était encore en 1968 la "première industrie nationale" du point de vue de l'emploi, avec ses 3.125.OOO personnes actives occupées, ne comptait plus, en 1977, que 2.000.000 de personnes actives ". Depuis, la situation n'a fait que se dégrader. Pour s'éloigner de la paysannerie - à laquelle le discours chiraquien prétend rester fidèle -, fallait-il arriver à un chiffre de 731 500 actifs seulement, en 1997, dans le secteur agricole? Comment parler encore d'un grand secteur si la part de l'agriculture dans le PNB (Produit national brut) n'est plus que de 3,5%?

 

Les paysans intéressent les pouvoirs publics depuis longtemps. En 1881, au début de la IIIe République, on crée un ministère de l'agriculture avant même que l'administration ne songe à créer un ministère de l'industrie. C'est pour protéger l'agriculture de la mévente qu'on en vient, en 1892, au protectionnisme, facilité par les colonies. C'est pour assurer le financement de l'agriculture que, dès sa création, à la fin du XIXe siècle, le Crédit agricole bénéficie d'un traitement de faveur de la part de l'Etat. Il "coiffe" le réseau de ses caisses régionales par une Caisse nationale qui va devenir la première banque du pays.

Cet intérêt prolongé pour un secteur qui a fourni aux cadres politiques de la IIIe et de la IVe République leurs soutiens les plus forts, au régime de Vichy sa justification la plus profonde, et surtout aux deux guerres mondiales leur apport en hommes le plus précieux, aboutit au lendemain de la deuxième guerre à une politique de modernisation partielle dans le cadre du plan Monnet, sous l'égide du ministre socialiste François Tanguy-Prigent.

1946 est l'année, sur le plan juridique, du changement du statut du fermage. Une loi porte à 9 ans la durée minimale du bail (contrat) entre le fermier et le propriétaire. A l'expiration, ce bail est automatiquement renouvelé, sauf si le propriétaire reprend la terre pour l'exploiter à son compte ou la donner à son fils qui va l'exploiter à son tour. En cas de vente, le fermier dispose d'un droit de préemption sur tout autre acheteur. Enfin, le montant du fermage est calculé à partir des revenus des cultures et fixé par une commission mixte, composée de fermiers et de propriétaires.

Le fermage devient donc un mode de production avantageux. L'Etat favorise aussi les agriculteurs en créant après 1945 l'INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) et les CUMA (Coopératives d'Utilisation du Matériel Agricole). Il favorise le remembrement des terres (les agriculteurs peuvent "échanger", à parité de rentabilité, leurs terrains de façon à avoir des propriétés d'un seul tenant); enfin, le taux des prêts accordés par le Crédit Agricole baisse dans la mesure où cette banque a le monopole sur les crédits accordés aux agriculteurs.

Deux types de capital : le capital foncier, qui comprend les terres et les maisons, et le capital d'exploitation, qui comprend les machines et le bétail, sont à la base de l'exploitation agricole.

Malgré la nouvelle législation,  le statut du fermage n'abolit pas le faire-valoir direct. Si le fermage occupe actuellement 60% de la Surface Agricole Utilisable (SAU), le faire-valoir direct en occupe 40%. Mais ce dernier se trouve surtout dans les exploitations inférieures à 30 hectares. Au-dessus, c'est le fermage (loyer d’une ferme) qui l'emporte. C'est pour ce dernier notamment qu'ont été faites les grandes réformes. Les exploitants directs (les propriétaires exploitants) demandent quant à eux la diminution, et même l'abolition, des droits de succession. La politique gouvernementale, tout en voulant favoriser officiellement les exploitations moyennes (autour de 20 hectares) favorise surtout les exploitations à partir de 30 hectares et les grandes exploitations. Mais cette politique a aussi favorisé certaines régions  aux dépens des autres, notamment celles qui connaissent la production céréalière et celles des betteraves à sucre. Les primes à l'arrachage qui ont été décidées dans le cadre de la PAC (Politique agricole commune) mais aussi dans un cadre parfois strictement national, ont transformé des zones agricoles comme le midi de la France en zones de désarroi agricole. L'arrachage des vignobles ou des arbres fruitiers, le faible rendement des céréales dans ces régions de plaines peu étendues, auxquels s'ajoutent le gel des oliviers et l'abandon de la culture des mûriers liée à l'industrie de la soie, ont accentué les départs vers la ville et encouragé la monoculture des prairies artificielles plantées de luzerne.

II. b. Les tarifs

 

Une politique de soutien des cours vient équilibrer les prix à partir des années cinquante. Après l'ONIC (Office National Interprofessionnel des Céréales), créé en 1945, l'Etat crée une série d'offices interprofessionnels: ONILAIT (lait), ONIBEV (bétail et viande), ONIVIT (vin de table, ou vin de consommation courante). En 1961 est créé le FORMA (Fonds d'Orientation et de Régularisation des Marchés Agricoles).

Entre 1961 et 1966, Edgar Pisani, ministre de l'Agriculture sous la présidence du général de Gaulle, définit une politique des structures agricoles pour permettre à la France d'aborder le marché commun dans de bonnes conditions. Cette politique sera suivie par ses successeurs, notamment Edgar Faure et Jacques Chirac (1972-1974), ce dernier sous la présidence de Georges Pompidou.

II. c. Les structures

 

A) Les structures foncières. On crée dans chaque région les SAFER (Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural). Ces SAFER ont un droit de préemption sur les terres; elles les revendent à bas prix aux jeunes agriculteurs. Les pertes éventuelles sont couvertes par subventions budgétaires. La création de cet organisme remonte au début du boom des résidences secondaires à la campagne. Ce sont les zones semi-boisées, entre la plaine et le bois, qui font l'objet des disputes les plus âpres entre les SAFER et les citadins qui veulent y installer leur villa. Zones dont le rôle écologique n'est pas encore pensé, et le plus souvent, difficiles à remettre en culture, dans le midi notamment, car les oliviers qui les occupaient avaient subi le gel de 1956.

B) Les structures démographiques. Les agriculteurs de plus de 55 ans reçoivent une Indemnité Viagère de Départ (IVA), qui fait fonction de retraite. En revanche, les jeunes agriculteurs qui s'installent reçoivent une Dotation aux Jeunes Agriculteurs (DJA). Le but du Centre National pour l'Aménagement des Exploitations Agricoles est l'abaissement de l'âge des exploitants agricoles.

C) Les structures d'exploitation. L'Etat propose le Groupement Agricole d'exploitation en commun (GAEC) aux agriculteurs. Cette forme d'exploitation, "associe 2 à 10 personnes mettant en commun matériel et cheptel, organisant ensemble les travaux agricoles. Ses membres reçoivent un salaire fixe, complété par une part variable du bénéfice annuel de l'exploitation "(M. Baleste).

D) Les structures de commercialisation. Des Sociétés d'intérêt collectif agricole (SICA) permettent aux agriculteurs de contrôler les circuits de distribution de certains produits, comme artichauts, choux et pommes de terre. Le plus souvent, ces cultures sont des monocultures, provenant d'une spécialisation régionale (artichauts en Bretagne, dans la région de Saint Pol de Léon, choux en Alsace).

 

II. d. Produire

 

Le parc de tracteurs s'élève actuellement à environ 1.500.000 (la production de matériel agricole est de plus en plus l'apanage des sociétés étrangères, en ce qui concerne par exemple les tracteurs, les tronçonneuses et les moissonneuses). Mais le "gel des terres ", c'est-à-dire, de la part de Bruxelles, l'interdiction momentanée de cultiver, et les incertitudes de la PAC, font que la production et l'investissement dans ce domaine, restent stagnants. Le succès de certaines machines, comme les vendangeuses, a complètement aboli des catégories entières d'ouvriers agricoles saisonniers dans les grandes régions viticoles (Bordeaux, Bourgogne).

L'insémination artificielle a amélioré la sélection des espèces animales. Mais la nourriture des animaux a été bouleversée par le développement des rations alimentaires.

Certains élevages hors-sol, comme celui des porcs, font l'objet de réglementations particulièrement strictes : "L'exploitation porcine est encadrée par des prescriptions techniques drastiques pour l'environnement, s'agissant, entre autres, de la collecte des effluents d'élevage, de la capacité de stockage des lisiers, de la limitation de leur utilisation comme engrais et des nuisances au voisinage. (...) La profession (...) est engagée dans des actions préventives et curatives en faveur de l'environnement, comme en témoigne l'implication des éleveurs au côté des pouvoirs publics dans le Programme de Maîtrise des Pollutions d'Origine Agricole (PMPOA). (...) ce programme est freiné actuellement " (Luc Guyau, Le Monde  du 3.11.1998).

Dans des cas comme celui-là, les contraintes de l'environnement d'une part, la volonté de maintenir l'élevage dans une région déterminée alors que la consommation regarde l'ensemble du territoire de l'autre, se heurtent à ce qu'on appelle aujourd'hui le développement durable ou soutenable, précédemment évoqué, qui tend à harmoniser la production au milieu où on l'implante. L'élevage du porc en est l'un des exemples les plus criants.

Cet appel aux fonds de l'Etat s'inscrit bien évidemment dans le cadre du protectionnisme, puisqu'à la différence de la viande bovine, la viande de porc n'a jamais été considérée que comme une extension de la production végétale. La France mais aussi l'Europe, jouent ici sur la régionalisation qualitative de la production en limitant d'un côté "le développement du porc hors de Bretagne " (la Bretagne assure 52% de la production nationale), et en faisant passer, de l'autre, certains produits, comme le jambon de Bayonne (en Pays basque) sous le label "indication géographique protégée ".

Cette insistance sur la productivité n'a pas été sans inconvénient pour la terre et la santé des hommes et des animaux. La crise de "la vache folle" est suffisamment connue pour qu'on n’ait pas besoin de s'y arrêter longuement. Aux dires du ministère de l'Agriculture, la maladie est en régression sur le territoire français. Aux dires du ministère de la Recherche, elle s'étend à d'autres espèces animales, comme les moutons. Elle est passée du domaine agricole au phénomène de société, comme en témoignent ces phrases tirées de Vert de colère, l'une des dernières chansons de Pierre Perret (1998), un chansonnier à la fois gourmet et gourmand, sensible aux habitudes alimentaires de ses concitoyens (sa chanson Le Tord-boyaux , type du restaurant de banlieue à la fois attrayant et équivoque, a été un succès dans les années soixante):

"Les moutons mang' leurs papas

Changés en granulés.

Les déchets ultimes

La vach' folle en prime

Sont un petit cadeau du ciel

De nos industriels ".

 

En ce qui concerne la production "culturale " (le terme tend à remplacer l'adjectif "agricole", qui devient ici désuet) les laboratoires de l'INRA ont sélectionné les semences des céréales (maïs, blé). Fongicides et herbicides, désherbants et engrais ont accru la productivité à l'hectare des semences. L'irrigation par canaux et par aspersion s'est répandue. On est passé  dans les années cinquante de la culture du maïs normal à celle du maïs hybride plus résistant aux climats froids, pour arriver ces dernières années au maïs transgénique (appartenant aux OGM, Organismes Génétiquement Modifiés).

Mais les défauts de cette politique de productivité se font sentir.

On aboutit d'abord à une dépendance croissante de l'agriculture par rapport aux autres branches de l'industrie (chimie, par exemple); à tel point qu'on privilégie une agriculture et un élevage hors-sol (élevage des volailles, notamment). Les ressources en eau diminuent (les nappes phréatiques s'épuisent). Les écologistes dénoncent l'usage irraisonné des fertilisants. Aujourd'hui, les grands céréaliers essaient de doser l'emploi de l'eau et des engrais en fonction des besoins exacts de la plante. Les OGM sont remis en question par les écologistes et les organisations de consommateurs.

L'endettement est devenu une plaie pour les paysans. On estime environ à 10% des agriculteurs en France le chiffre de ceux qui ne parviennent pas à honorer leurs dettes envers les banques (Crédit agricole notamment). Un Fonds d'allégement de la dette agricole (FADA) a été mis en place par le Crédit agricole ces dernières années. Enfin, comme écrivait Fernand Braudel au début des années 1980, "les paysans de l'Ancien Régime travaillaient pour leur Seigneur; les agriculteurs d'aujourd'hui travaillent pour payer les dettes contractées au moment de l'achat du matériel ".

 

II. e. Les régions agricoles

 

La France est un pays qui est passé d'une grande diversification des cultures végétales sur l'ensemble du territoire à une politique de spécialisation par région. Sa SAU (Surface Agricole Utilisable) la plus grande d'Europe lui a permis de pratiquer pendant longtemps une agriculture extensive. Aujourd'hui, la concurrence des pays européens et des pays tiers, le modèle fourni par les autres agricultures, entraînent la production à devenir intensive. L'Economie paysanne, qui a régi la France pendant l'Ancien Régime et jusqu'à la première moitié de ce siècle, s'est en quelque sorte adaptée aux nécessités actuelles, jusqu'à devenir le domaine de l'agro-alimentaire. De ce point de vue, la région Bretagne est emblématique. La Bretagne est l'une des régions qui a le moins souffert de l'exode rural; elle a su reconvertir son agriculture grâce aux petites et moyennes sociétés agro-alimentaires. Traverser la France en allant du sud-est vers l'ouest signifie passer de la France agricole à la France agro-alimentaire.

 

Les différents types de production végétale se répartissent comme suit :

- la grande culture intensive  (céréales, betteraves à sucre, oléagineux : tournesol, colza et soja) dans le Centre-Nord : en Flandre, Picardie, Champagne, Beauce et Brie;

- les cultures fourragères en association avec l'élevage dans l'Ouest : Bretagne, nord du pays de Loire;

- l'agriculture mixte (céréales, cultures fourragères, élevage) : Poitou Charente, Languedoc, Aquitaine, Nord du Bassin Parisien, ainsi que dans le Nord-Est : Vosges, Alsace et Lorraine, et le Centre-Est : Bresse, Nord du Rhône;

- les cultures maraîchères, fruitières et florales, plus spécialement en Provence, en Corse (oranges et agrumes en général) et dans le Rhône, mais aussi le long de la Loire, en Aquitaine, et en Bretagne pour certaines productions (pommes à cidre, artichauts).

Dans le domaine maraîcher, on distingue deux types de production : la production pour l'auto-consommation familiale, difficilement quantifiable mais importante, et la production de plein champ, souvent intégrée à la polyculture.

- les vignobles de vin de table (Languedoc), et ceux de vins AOC (Appelation d'Origine Contrôlée) : Champagne, Bourgogne, Bordeaux, Pays de Loire; une nouvelle catégorie, à mi-chemin entre les vins AOC et les vins de table, est constituée par les vins de pays. Le but des viticulteurs étant souvent de passer d'une catégorie à l'autre, celle-ci constitue une catégorie intermédiaire;

- les zones de pâturage permanent, consacrées à l'élevage, comme la Normandie, les Pyrénées, le Massif Central, la Savoie;

Une mention particulière est à réserver à certaines micro-régions, comme la Camargue, où l'on produit du riz; à la forêt des Landes (bois et résineux), au Périgord (truffes), ainsi qu'aux régions productrices de bière (Alsace) et d'alcools : Cognac (Charente) et Armagnac.

En ce qui concerne les différentes productions, les céréales les plus cultivées sont le blé, l'orge et le maïs. Mais la France est fortement concurrencée dans ce domaine par les Etats-Unis.

Parmi les produits sucriers, la betterave à sucre est présente en territoire métropolitain et sa production concerne aussi bien les planteurs de betteraves que les raffineurs; il faut compter aussi la canne à sucre, dont la production tend à la baisse dans les îles des Antilles (où elle sert à fabriquer le rhum); l'aide de l'Etat la maintient à la Réunion, où elle intéresse essentiellement les petits planteurs qui assurent 200.000 tonnes de sucre chaque année, et 70% des exportations de l'île. "La France est le premier producteur mondial de sucre de betterave et se situe au 7 ème rang mondial en comptant la production de sucre de canne. Il y a en métropole 42 sucreries, appartenant notamment à Eridania Beghin-say, Saint Louis Sucre, Vermandoise Industries " (Le Monde, 4 mars 1999).

La production des vins de table  est en baisse également, malgré les efforts des producteurs languedociens. En revanche, les vins AOC (Appelation d'origine contrôlée) résistent bien en dehors de toute définition des prix. La région Alsace fonde sa production agricole sur le double marché des vins AOC et de la bière.

Dans l'ensemble, les régions productrices de vin AOC sont les seules régions qui ont su maintenir à travers le temps la constance de leurs productions, Cognac, Bourgogne et Bordeaux ayant été assurées, dès le départ, d'un marché international (à l'origine, Cognac et Bordeaux fournissent les tables d'Angleterre ; la Bourgogne  celles des pays du nord de l’Europe).

Pourtant, la concurrence est forte. Le cognac, qui prend son nom de la ville des Charentes, voit sa production viticole partiellement déclassée en vin de pays en raison de la concurrence que lui font en France des alcools comme le whisky. La ruse des producteurs consiste alors à commercialiser des long-drinks (cognac-vodka, bière au cognac) qui sont d'abord expérimentés sur les consommateurs britanniques, en attendant d'être vendus dans les supermarchés de l'Hexagone. Par contre, les vins de Bordeaux sont l'objet d'une spéculation effrénée de la part des grands groupes agro-alimentaires et autres, qui rachètent les propriétés  en profitant parfois des dissensions à l'intérieur des familles. Mais les retombées de certains "événements" comme le réveillon de l'an 2000 ne sont pas non plus étrangères aux calculs des viticulteurs. Des producteurs viticoles des Charentes, à cet effet, ont mis en bouteille d'excellents vins qu'ils ont immergés au large de la Vendée, pour retrouver la tradition du "vin de mer " dont les commerçants du XVIIe et XVIIIe siècles étaient amateurs.

Rappelons tout de même que la consommation des produits végétaux et animaux ne se résume pas à la production métropolitaine; l'alimentation est suffisamment diversifiée en ce domaine pour faire appel aux cultures des autres pays et des autres continents.

II. f. La production animale

 

Les zones d'élevage sont les régions laissées libres par l'agriculture spécialisée. L'élevage bovin pour le lait se concentre surtout en Savoie, en Franche-Comté (au-dessus du lac de Genève), et en Normandie; l'élevage bovin pour la viande dans le Massif Central - les éleveurs y sont surtout des "naisseurs ", c'est-à-dire qu'ils élèvent les vaches et vendent les veaux, sur le marché français mais aussi italien et espagnol, pour être engraissés par d'autres éleveurs dits "d'embouche "; l'élevage bovin pour le lait et la viande en Bretagne et dans le pays de Loire; la Corse, les Alpes du Sud et le sud du Massif Central (les Causses) connaissent un important élevage ovin et caprin (moutons et chèvres). Les porcs sont surtout élevés dans le nord du pays (en Flandre) et en Bretagne, tout comme la volaille (35% de la production nationale).

 

II. g. Les industries agro-alimentaires (IAA)

 

Les IAA concernent essentiellement la transformation des produits agricoles par 2 types d'industrie :

- d'abord, les industries agricoles, qui travaillent les produits bruts fournis par l'exploitation : par exemple, le blé est transformé en farine. Les investissements sont coûteux (minoteries, sucreries). La marge de bénéfice est réduite, et d'autant plus réduite pour les agriculteurs eux-mêmes. La production de sucre se divise notamment entre les producteurs de betteraves et les raffineurs.

- ensuite, les industries alimentaires; cette seconde transformation aboutit aux produits préparés et prêts à être consommés. Les bénéfices sont plus importants.

Les IAA sont le premier secteur industriel français, et emploient près de 400.000 actifs; leur solde est excédentaire, mais la "restructuration" de ces dernières années les a frappées également, en raison du recul des prix  et de la stagnation de la consommation intérieure.

Les industries alimentaires ont été stimulées ces dernières années :

- par la modification des goûts alimentaires et surtout par les grandes surfaces (grands super-marchés), qui présentent des produits sous emballage calibrés en fonction des demandes : fruits, légumes, etc. Les plats cuisinés, les vins AOC et les fromages frais connaissent par exemple un véritable boum. Les produits de luxe, comme le saumon, le foie gras, et le vin, sont à la fois banalisés par la vente dans les grandes surfaces, et objet, nous l'avons vu, de la convoitise des grands groupes;

- par les contraintes économiques : les produits surgelés bénéficient de la présence simultanée dans les foyers des congélateurs et des fours à micro-ondes; le fait que dans une famille homme et femme travaillent entraîne la consommation des aliments "prêts à consommer ", depuis les potages en sachet aux filets de poisson en passant par le café en poudre. La pomme de terre s'est particulièrement bien maintenue, grâce aux chips d'abord, puis à la purée en flocons et enfin aux frites précuites. En témoignent les articles qui lui sont consacrés régulièrement dans les journaux, comme celui-ci : "Le Nord-Pas-de-Calais est le plus gros producteur de pommes de terre de consommation : 1,9 million de tonnes sur 40 500 hectares, soit près du double de la Picardie. Toutefois, cette dernière arrive en tête pour l'approvisionnement des industries de la fécule.

Il s'agit, en fait, de deux métiers différents. La production féculière rapporte moins, mais est moins risquée que la pomme de terre de consommation. (...) Quant aux recherches variétales, elles apportent sans cesse de jeunes concurrentes de la célèbre bintje, en fonction des exigences des techniciens et de la mode. Les uns veulent de beaux volumes oblongs pour les longues frites des fast-food; d'autres une belle peau, facile à laver " (Le Monde, 2 mars 1999).

- par la restauration collective : Campanile et Novotel se disputent la restauration commerciale, tandis que Mac Donald s'est emparé de la restauration rapide (fast food); grilladeries et cafétérias accompagnent généralement les grandes surfaces et les chaînes hôtelières.

 

II. h. L'organisation des IAA.

 

- Les coopératives se sont implantées surtout dans l'industrie laitière; pendant longtemps, l'Union Laitière Normande (ULN) représente le fer de lance des coopératives agro-alimentaires; le principe des prix garantis lui assure de bonnes rentes de position; l'introduction des quotas laitiers en 1984 l'oblige à privilégier des produits à plus forte valeur ajoutée comme les yaourts et l'emmenthal (en France, l'emmenthal et le gruyère font partie de l'alimentation de base comme en Italie le "parmigiano"); mais ces produits sont soumis à une concurrence effrénée, et l'ULN est rachetée par le groupe privé Bongrain; pour les volailles, nous avons la coopérative UNICOPA;

- Le secteur industriel. La plupart des entreprises agro-alimentaires appartiennent aux PME (Petites et Moyennes Entreprises); elles sont souvent soumises à des entreprises plus grandes appartenant quant à elles au secteur de la distribution.

- Le secteur financier. Les IAA se sont dotées en 1980 d'une structure financière de capital-investissement, l'IDIA (Institut des industries agricoles et agroalimentaires). Cette structure est rachetée en 1998 par le Crédit agricole qui détient 26% de son capital. L'IDIA investit dans tous les domaines de l'agro-alimentaire, sans en privilégier aucun en particulier.

 

II. i. Les stratégies

 

La diversification est une des ressources de certains industriels, présents au départ dans le domaine du luxe. Le groupe LVMH (Louis Vuitton Moët Hennessy), présent d'abord dans la maroquinerie, a ensuite distribué son activité dans le champagne (Moët) et dans le cognac (Hennessy), ainsi que dans les vins étrangers (californiens et australiens). Il est maintenant entré dans le vin de Bordeaux, après le rachat des parts de la famille du comte de Lur-Saluces dans le domaine de Château d'Yquem (1.000 Francs la bouteille pour une bonne année). De plus, son PDG, Bernard Arnault, s'est associé au milliardaire belge Albert Frère dans le domaine de Cheval Blanc (Saint-Emilion). Cette stratégie est aussi celle de François Pinault, propriétaire du Printemps, de La Redoute et de la FNAC (Fédération nationale d'achat des cadres), et l'une des plus grosses fortunes de France. Sa nouvelle propriété de Château Latour lui rapporte un bénéfice pudiquement représenté par le chiffre de 5%, sur un chiffre d'affaire (CA) de 80 millions de Francs, en forte augmentation.

Certains secteurs choisissent une position de force. C'est le cas de Danone (1er groupe national, 4ème européen et 8ème mondial) dans les produits laitiers; de Pernod-Ricard dans les apéritifs et le "pastis", boisson alcoolisée à base d'anis, populaire dans le midi de la France sous le nom de "pastaga". Pernod-Ricard est le produit de la fusion des deux sociétés qui se disputaient le marché de ce produit.

 

II. j. Quelques grands groupes agro-alimentaires

 

Le tableau qui suit présente le Chiffre d'Affaires (en millions de francs) pour l'année 1997 de quelques groupes spécialisés dans la production alimentaire, et choisis dans des régions différentes. Malgré la politique de décentralisation, on constate que le siège social des groupes ou des sociétés dont le CA est le plus élevé se trouve encore en Ile de France (Paris, Neuilly s/Seine) (source : L'Entreprise, décembre 1998).

 

Groupe

Secteur

Localité CA 1997 Revenu Net
Danone Alimentation Paris 88 476 3664,0
Eridania Beghin-Say Agro-Industrie Neuilly s/Seine 63 650 1904,0
Pernod-Ricard Boissons Paris 19 049 1354,0
Fromageries Bel Produits laitiers Paris 9 280 404,2
Taittinger Champagne Reims 4 221 97,0
Veuve Clicquot-Ponsardin Champagne Reims 1 137 291,0
William-Saurin Alimentaire Lyon 3 295 157,7
Rivoire & Carret Alimentaire Marseille 1 379 10,2
Jean Stalaven Charcutier-traiteur St-Brieuc- Bretagne 931 9,0

 

 

 

La stratégie consistant à privilégier les secteurs a abouti, pour certains groupes, en particulier Danone, à rafler le maximum de marques dans le domaine de l'agro-alimentaire, alors que sa production de base était les produits laitiers. Ce groupe, sous l'égide d'abord de son directeur et principal actionnaire Antoine Riboud, puis de son successeur et fils Franck Riboud, possède les marques suivantes, qu'il a eu soin de laisser à leur nom : bières (Kronenbourg, Kanterbraü); condiments (Amora, Maille); biscottes (Heudebert); pâtes alimentaires (Panzani, Agnesi); biscuits (Belin, Lu, l'Alsacienne); eaux plates (non gazeuses : Evian, Volvic); produits frais (Gervais-Danone); confiserie (La Pie qui chante, Vandamme); confitures (Materne, Lenzbourg, Lerebourg). Toutefois, la tendance aujourd'hui consisterait à unifier le groupe sous le seul nom de Danone, pour économiser en frais de publicité.

Exemple d'accord agro-alimentaire qui a rempli d'aise le cœur des Français : "Franck Riboud, le patron de Danone [...], après avoir investi plus de 50 millions de francs pour être le partenaire "produits frais" du Mondial de foot, vient d'arracher le droit de vendre de l'eau d'Evian dans les buvettes des stades. Ce n'était pas gagné d'avance. Coca-Cola avait payé plus de 150 millions de francs à la Fédération Internationale de football, pour que ses sodas et jus de fruits (Minute Maid) soient les boissons exclusives de la Coupe du monde 1998. Douglas Ivester, le nouveau président de la firme d'Atlanta, a fini par céder. Il faut dire que les deux entreprises entretiennent de bonnes relations : Coca est un des distributeurs d'Evian aux Etats-Unis, tandis que Danone fabrique le Minute Maid Premium en Europe. Mais Coca ne lâche pas tout. Evian n'aura pas le droit de vanter sa présence au Mondial dans ses publicités " (Capital, n°76, janvier 1998).

Pour la petite histoire, Antoine Riboud est le frère du photographe antimilitariste Marc Riboud, qui a sensibilisé l'opinion publique mondiale en photographiant le mouvement hippy américain contre la guerre du Vietnam dans les années 60. Les yuppies ne sont pas loin.

Parmi les autres grands groupes spécialisés dans un secteur, il faut citer Bongrain, qui réalise la moitié de son chiffre d'affaires à l'étranger. La plupart des fromages à pâte molle (Caprice des dieux, Chamois d'or, Belle des champs), lui appartiennent, envahissant aujourd'hui le marché italien, spécialisé traditionnellement dans les fromages à pâte dure.

Cette bonne situation encourage aussi l'implantation en France de nombreuses sociétés étrangères. C'est le cas des géants Nestlé (qui possède pour l'heure Chambourcy, Gloria, Guigoz, Vittel et Perrier) et Unilever.

II. k. Autres secteurs de l'agro-alimentaire 

 

Parmi les produits laitiers, le beurre recule (on apprécie cependant encore le beurre salé de Bretagne) et les fromages sont en progression. On mentionnera pour mémoire, outre le groupe Bongrain déjà cité, le groupe Besnier, du nom de son propriétaire, surnommé le roi du camembert et l'ogre des fromages, qui a racheté la Société des Caves de Roquefort (du nom d'un village des Causses qui produit ce fromage de brebis) à... Nestlé!

La viande est la deuxième IAA française par son CA, - les Français consomment une moyenne de 35 kg de porc par habitant et par an, sous forme essentiellement de charcuterie. Le circuit vif (bétail abattu sur les lieux de consommation) a cédé la place au circuit mort. La filière de la viande permet aux steaks d'arriver directement hachés chez votre boucher (ou directement chez vous grâce au développement des distributeurs de produits surgelés). Le principal groupe est SOCOPA (Société omnium de conditionnement de produits agricoles), présent surtout dans l'Ouest.

 

Aujourd'hui, l'agriculture et la politique qui la soutient changent de visage. Il ne s'agit plus d'une politique indiscriminée de prix garantis en fonction de la culture pratiquée, mais d'une aide particulièrement ciblée en fonction des agriculteurs eux-mêmes. Enfin, cette politique détermine également des changements dans la stratégie suivie entre autres par le CNJA (Centre national des jeunes agriculteurs), comme l'explique Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture :

"Les agriculteurs doivent prêter attention plus à la compétitivité des exploitations qu'à leur productivité (...) plutôt à la marge que dégage leur activité qu'au volume de production qui en résulte". Et cette compétitivité "tiendra plus à sa capacité de différenciation des produits sur des marchés de plus en plus segmentés qu'à sa compétitivité sur le prix des produits standards de masse " (Le Monde  21-22 juin1998).

Pourtant, malgré ce réajustement et l'élévation du niveau de vie des agriculteurs (corollaire sans doute de leur diminution en nombre), les disparités géographiques restent fortes :

"Par rapport à une moyenne 100, les exploitations de Champagne-Ardennes sont à 193 et d'Ile-de-France à 172, le Limousin ne dépasse pas 40, la Basse-Normandie 62 et Midi-Pyrénnées 76. Le ministre de l'agriculture, Louis Le Pensec, s'est ''réjoui'' de ces évolutions mais ajoute que les disparités rendent urgente une politique vigoureuse de rééquilibrage, par exemple à travers la future loi d'orientation " (Le Monde, 28 mai 1998).

 

II. l. La pêche et les régions maritimes

 

Si la France a un ministère de l'agriculture depuis 1881, elle a attendu cent ans pour avoir un ministère de la mer. Les enjeux dont la mer est l'objet sont à la fois économiques, alimentaires et environnementaux. Plus que les autres, les ressources maritimes sont internationales, et c'est en termes de régions maritimes (Arc Atlantique, du Portugal à l'Irlande, Iles, Méditerranée) qu'il faut évaluer ces enjeux, et les ressources.

En France, 3 types de pêche se partagent le poisson :

- la petite pêche, dont les bateaux n'excèdent pas 12 mètres et font des sorties fréquentes, sans s'éloigner des côtes. Les pêcheurs sont rémunérés à la part, après paiement des frais de manutention;

- la pêche hauturière, au chalut (espèce de filet) et en haute mer, étalée sur un ou plusieurs jours;

- la grande pêche, avec navires-usines qui traitent et préparent le poisson à bord, et dont les sorties peuvent durer des mois. Dans ces deux derniers types de pêche, les marins reçoivent un salaire fixe.

Mais les problèmes, comme la raréfaction de certaines espèces (morues, daurades, merlans, lieus noirs); la nécessité d'en trouver d'autres, comestibles, à de plus grandes profondeurs; le fait que certaines zones se dépeuplent alors que d'autres sont plus prolifiques que jamais (s'il faut en croire Robert Delort et son très riche livre, Les animaux ont une histoire, où il consacre un chapitre aux rapports de l'Occident et du hareng), ce qui entraîne la concurrence d'autres pays; tout cela place la Communauté Européenne d'abord, l'Union Européenne ensuite, en situation d'intervenir, aussi bien pour réparer les dégâts causés au patrimoine par les manifestations de pêcheurs à Rennes, en Bretagne, il ya quelques années, que pour réglementer les techniques de pêche, puisque la Commission condamne les nuisances provoquées à la faune en général et au renouvellement des espèces pêchées en particulier, par les FMD (Filets à mailles dérivants). Dans l'Europe Bleue  qui a été mise en place, la France n'est pas le plus en règle des partenaires, et la pratique des aides est remise en question ces derniers temps.

Aussi certains organismes de contrôle et de recherche sont-ils créés. L'Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer), en compagnie de ses homologues européens, met au point un type de filet pour laisser la vie aux jeunes poissons. La surpêche (capture dans les filets des poissons hors-normes) est en effet une des causes principales de la disparition des espèces.

Voici d'ailleurs comment la France vit ses rapports avec ses partenaires européens : "Après des négociations difficiles, les ministres européens chargés de la pêche ont trouvé mardi 15 avril un compromis sur la réduction des captures de poisson. Ce que les experts appellent "l'effort de pêche" sera réduit de 30% d'ici à 2001 pour les espèces les plus "menacées" et de 20% pour les stocks considérés comme "surexploités".

La France, par la voix de Philippe Vasseur, et le Royaume Uni ont voté contre, estimant ces réductions excessives. Les Etats pourront soit réduire leurs flotilles, soit limiter le temps des sorties en mer. Les bateaux côtiers de moins de 12 mètres sont exonérés de ces mesures. Cet accord permet le déblocage par la Commission des fonds européens prévus pour la reconversion des activités et des régions où la pêche est en crise. La France et l'Espagne sont attributaires d'importants crédits à ce titre " (Martine Valo, Le Monde)

Si le monde de la pêche est bien desservi par un arrière-pays qui va du mareyeur qui se fournit à la criée à l'arrivée du bateau, jusqu'aux 10.000 poissonniers (mais les Français font la moue devant le poisson; ils n'aiment plus que les espèces "nobles" et les coquillages: oursins, mais surtout moules et huîtres, élevées par des conchyliculteurs dans des concessions cédées par l'Etat, à Arcachon ou à Cancale), les marins-pêcheurs sont soumis à la concurrence dont profitent les IAA qui préfèrent s'approvisionner sur les marchés étrangers en raison des prix moins élevés. La pêche doit donc devenir une industrie à part entière. Le marin vendéen ou le germonier (le germon est le thon blanc, le germonier celui qui le pêche) de l'Ile d'Yeu pêchent ainsi dans l'Atlantique, font subir au thon un premier traitement dans les pêcheries du Maroc, et l'apportent enfin à Boulogne pour les dernières opérations. Pour sensibiliser aux problèmes de la mer et de la pêche, d'un point de vue scientifique, la ville de Brest a ouvert Océanopolis, un centre de recherche, d'éducation et même de loisirs (on peut s'y promener et caresser des animaux marins!), placé sous la direction d'Ifremer. En attendant que l'aquaculture remplace la pêche (les cycles de la truite et de la crevette sont pourtant bien dominés), les tempêtes s'abattront encore sur le pont des bateaux du Guilvinec, l’un des derniers ports de pêche bretons.

III. LE SECTEUR SECONDAIRE

 

III. a. Les conditions de la productivité : les premières nationalisations

 

Il a fallu moins de temps pour nationaliser les entreprises au lendemain de la guerre que pour les privatiser de nos jours. C'est dire si la philosophie, héritée de la révolution française,  qui a justifié les nationalisations, a été expéditive. En 1794, l'Abbé Grégoire établissait l'existence d'un bien public à partir d'un droit de propriété à base 0, évoquant "les objets nationaux qui, n'étant à personne, sont la propriété de tous ". Le préambule de la Constitution de la IV° République, en 1946 part, quant à lui, d'une base 0,1 : "tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ". La Constitution de 1958 ne crée pas de nouvelles lois. Elle laisse les choses en l'état, prévoyant seulement l'indemnisation des actionnaires.

Les nationalisations des années 1930 concernent les entreprises frappées par la crise. L'État leur vient en aide et les regroupe dans un consortium unique (les différentes compagnies de chemins de fer sont regroupés dans la SNCF - Société nationale des Chemins de Fer; les compagnies aériennes, dans Air France). Seules les industries d'armements sont nationalisées pour des raisons politiques, par crainte du fascisme et pour préparer la guerre. Les nationalisations de 1945 à 1947, quant à elles, sont pensées en dehors de la crise économique.

Dans un premier moment, l'État entérine les nationalisations d'avant la guerre. Air France devient ainsi une société d'économie mixte, comprenant l'État, les employés et des usagers. De 1944 à 1945 le gouvernement provisoire nationalise par ordonnances. La Société Renault devient la Régie Renault (aujourd'hui, reprivatisée, elle s'appelle simplement Renault). Son président est nommé par l'État mais son autonomie est respectée, tout comme celle du patron de la SNCF. A partir de 1945 l'État organise sous sa direction les sources d'énergie à travers des nationalisations parlementaires, en créant EDF (Électricité de France), GDF (Gaz de France), et les Charbonnages de France. EDF et GDF sont fortement centralisées. Seuls, les Charbonnages de France maintiennent une certaine indépendance, car ils restent un regroupement de sociétés.

 

III. b. Les conditions de la productivité : les banques

 

L'État nationalise aussi le secteur bancaire, dont la Banque de France, le Crédit Lyonnais, la Société Générale et la Banque Nationale du Commerce et de l'Industrie à 100%, établissant ainsi la première distinction entre les banques de dépôt et les banques d'affaires (les premières reçoivent des dépôts à court terme, et les prêtent; les secondes se spécialisent dans les financements à plus long terme).

Pourtant, ces nationalisations ne seront pas toujours vécues comme un passage à l'économie d'État. Les banques nationalisées continueront leurs affaires comme si de rien n'était. Comme l'explique  Le Monde du 4 décembre 1998 : "On constate, a posteriori, que ces nationalisations, si elles ont été un acte politique fort, n'ont en revanche été, sur le plan économique, qu'un ''quasi non-événement''. Les quatre banques ont continué à participer  à l'économie de marché (...) Le seul acte d'autorité que [l'État] ait engagé sera, en 1966, la fusion imposée de la BNCI (Banque Nationale pour le Commerce et l'Industrie) et du Comptoir national d'escompte, fusion qui donnera naissance à la BNP (Banque nationale de Paris)". Et de conclure : "Le développement s'est appuyé, en France, davantage sur un financement bancaire -la dette - que sur un financement de marché - la Bourse (...). Il jouera un rôle très important pendant toute la période des "trente glorieuses", à travers notamment l'encadrement du crédit, la politique d'investissement, les priorités au logement et la création, à chaque occasion, d'institutions financières spécialisées ".

 

III. c. Les conditions de la productivité : la planification

 

La Planification est la deuxième institution nationale créée au lendemain de la guerre. Il s'agit d'une planification indicative  conçue pour satisfaire aux exigences de la reconstruction. Jean Monnet, qui s'est occupé de l'approvisionnement des Alliés pendant la guerre, en est l'initiateur, comme il va l'être de la CECA. Cette planification, menée par une Commission et dirigée par un Commissaire (encore Jean Monnet, pour le "Plan de modernisation et d'équipement", de 1947 à 1952) est d'abord une planification en volume puis, le système devenant plus fin, une planification en valeur. Aujourd'hui, la planification intègre les acteurs régionaux et l'État n'y a plus qu'une part très réduite. On parle même, ces derniers temps, de déplanification.

Malgré la politique de déréglementation actuelle, on compte encore 1400 entreprises de société mixte, en dehors des quelques très grandes "institutions" où l'État joue un rôle important. Pour certaines d'entre elles, comme EDF et GDF ou la SNCF, l'État hésite encore à les verser dans le secteur privé sa politique consiste à les maintenir dans le secteur public, à la différence des GEN (Grandes Entreprises Publiques, comme Thomson, Renault) qui passent de l'autre côté.

 

III. d. Les conditions de la productivité : les nationalisations de 1981

 

Les nationalisations ne remontent pas seulement à la période de l'immédiat après-guerre. En 1982, le gouvernement Mauroy nationalise beaucoup, et à 100% ("51 % cela n'aurait pas eu de sens ", disait le Premier Ministre). Il s'agit surtout de groupes bancaires dont la politique d'investissements a été jugée timide. Enfin, une politique nouvelle oriente "chaque grande entreprise publique [placée] sur une filière de production". Parmi les nouvelles nationalisées, Saint Gobain (verre et matériaux de construction), Usinor Sacilor (acier), Thomson (électronique), Péchiney (aluminium), Rhône Poulenc (chimie) doivent maîtriser le cycle de la production en entier. Mais l'État leur vient aussi en aide. Il mène alors une politique de "grands travaux" d'assainissement des finances de l'entreprise, comme avec Usinor pour l'acier. De 1986 à 1997, au cours des différents trains de privatisations, on lui a souvent reproché de les sous-évaluer pour les revendre plus rapidement.

 

III. e. Les conditions de la productivité : les privatisations

 

Ces trains de privatisation s'inscrivent dans une politique de déréglementation systématique à laquelle les accords entre le Parti socialiste et le Parti communiste ne s'opposent pas. Lionel Jospin, pour sauver les formes, élimine le mot privatisation de son vocabulaire et parle maintenant d'ouverture au capital. La Commission pour les privatisations change de nom, elle aussi. Et ce n'est peut-être pas un hasard non plus si le CNPF (Conseil National du Patronat Français, le syndicat des patrons) est devenu en 1998 le Médef (Mouvement des entreprises de France).

L'Acte Unique Européen d'abord, le Traité de Maastricht ensuite, et par-dessus tout la volonté des hommes politiques (si François Mitterrand a en quelque sorte "laissé faire" les privatisations sous les gouvernements de la cohabitation avec Chirac et Balladur, ce sont surtout ces derniers, puis Alain Juppé et Lionel Jospin, qui ont privatisé systématiquement) poussent dans le sens d'une privatisation d'office, essayant parfois de sauver quelques acquis hérités du passé gaulliste. Renault n'a pas été privatisée sans heurts sous Balladur : l'État y a gardé une majorité de contrôle (51%). Il y maintient actuellement une majorité de 46%. On a pu dire que le gouvernement Jospin privatise plus que celui d'Alain Juppé. Pourtant, si Thomson-CSF a été privatisé, ce secteur de l'électronique de défense, dont le gérant commanditaire est Jean Luc Lagardère, PDG du groupe Matra (missiles), ne l'a pas été selon les modalités de son directeur qui voulait le rattacher à son propre groupe. Le gouvernement en a décidé autrement en l'adossant (c'est-à-dire en lui trouvant un groupe d'appoint plus fort) à l'Aérospatiale.

L'ouverture à la concurrence de certains secteurs a accéléré aussi l'ouverture au capital. En quelques années, l'ouverture des télécommunications et de l'espace aérien ont fait passer France Télécom et Air-France dans la catégorie des entreprises concurrentielles. EDF y passera en février 1999, et la SNCF doit y passer à son tour.

Pour l'heure, les "privatisées" fonctionnent avec les capitaux des actionnaires stables, des actionnaires partenaires, et des actionnaires institutionnels, ces derniers étant le plus souvent de grands groupes bancaires ou financiers. Dans certains secteurs, comme France Télécom, l'État conserve encore près de 70% des actions, et les employés ont été invités à acheter les actions de leur entreprise (qu'ils doivent garder cinq ans). Dans le cas d'Air France, le PDG a utilisé les privatisations pour négocier avec les employés le gel de leurs salaires en échange d'une participation accrue à l'entreprise. Dans l'ensemble, ce mouvement de privatisations a permis au capitalisme français de sortir d'une "impasse" : la fusion AXA-UAP dans les assurances, en réunissant un groupe privé et un groupe autrefois national, a entraîné la formation d'un bloc financier à valeur internationale.

Quant aux investissements étrangers en France, écoutons François Grosrichard évoquer le bilan de 1997 :

"Selon la Datar (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale), les étrangers ont créé ou maintenu 24 212 emplois l'an dernier, contre 22 814 en 1996, soit une hausse de 6 % pour des investissements d'environ 22 milliards de francs (...). La Datar, qui ne comptabilise pas non plus les emplois supprimés par des firmes étrangères, indique, en outre, qu'en 1997 les créations nouvelles d'entreprises sont plus nombreuses que les extensions d'établissements déjà existants. Le premier secteur concerné est l'automobile (18% des projets annoncés) suivi des entreprises d'électronique, de télécommunications, d'informatique (16% des projets) et de la filière papier-bois et du verre (11 %) " (Le Monde, 26 février 1998).

 

III. f. Les entreprises à forte valeur ajoutée

 

Enfin, on ne saurait parler d'économie sans évoquer l'ensemble des entreprises qui n'appartiennent pas au secteur public. Le mensuel L'Entreprise recense, dans son numéro spécial de décembre 1998, un total de 11.000 entreprises, classées par départements, dont le CA va des 254 milliards de francs de la compagnie pétrolière Elf Aquitaine, aux 50 millions de francs de l'entreprise la plus petite prise en considération. Sur les 13 entreprises dont le siège social est en Ile de France (Paris et sa région) et dont le CA dépasse 100 milliards de francs, 9 appartiennent ou ont appartenu à l'État. Seules Promodès et Auchan, qui appartiennent à la grande distribution, dépassent ce chiffre : leur siège est en Basse Normandie et dans le Nord Pas-de-Calais. Elles sont suivies dans le groupe de tête par Michelin, qui affiche  83 278 millions de francs de CA au cœur de l'Auvergne, à Clermont-Ferrand. Le secteur privé est donc très vaste. Parmi les 40 entreprises servant à calculer l'indice boursier qui intègre les plus grosses entreprises du pays (le CAC 40) 7 parmi elles (Elf, Total, Renault, Suez, Saint Gobain, Alcatel, la Générale des Eaux) ont appartenu entièrement à l'État. Mais Carrefour (distribution) a un chiffre d'affaires qui est presque le double de celui de la SNCF (170 milliards contre 98 en 1997).

III. g. La politique énergétique : le charbon

 

Ni centralisée ni étatisée, la Société des Charbonnages de France, créée en 1947, constitue un enjeu idéologique plus qu'une nécessité économique. C'est dans la France des années noires, en 1958-1960, en pleine guerre d'Algérie, lors de la mise en place de la nouvelle Constitution, après l'effondrement du barrage hydroélectrique de Fréjus qui a fait des centaines de morts, lorsque les mines ne sont plus rentables et quand les chercheurs commencent à "plancher" sur le nucléaire, que de Gaulle déclare "il ne faut pas renoncer à notre charbon ". Aujourd'hui, on évalue à court terme la fin de l'extraction minière en France. Ce qui ne signifie pas la fin du charbon, mais du moins des difficultés. Une perspective s'annonce peut-être avec l'ouverture à brève échéance du marché de l'électricité. Denis Gallois résume bien la situation en disant : "le projet de constituer un pôle électrique regroupant les cinq centrales thermiques des Charbonnages de France a été approuvé le 30 mars (1995) par l'ensemble des houillères de bassins concernés. Une nouvelle entité, la Société nationale d'électricité et de thermique (SNET), regroupera les installations implantées à Hornaing (Nord), Carling (Moselle), Montceau- les-Mines (Saône-et-Loire), Decazeville (Aveyron) et Gardanne (Bouches du Rhône). (...) Le groupe Charbonnages, deuxième producteur national d'électricité avec 26% du volume (hors nucléaire) distribué par EDF, n'aurait donc (...) qu'un seul client. Il lui serait impossible de vendre une partie de sa production à d'autres acquéreurs. (...) La constitution du pôle électrique est liée à la fermeture des derniers puits de mines en 2005. Après cette date, le groupe Charbonnages de France deviendra une entreprise d'environ 2500 personnes dont l'activité se partagera entre la production d'électricité et l'importation de charbon avec les services liés à cette activité. D'où l'espoir placé dans ces cinq centrales. Cet outil de production, employant 1300 agents spécialisés (...) a connu un taux d'utilisation de 92 % " (Le Monde, 1er avril 1995).

En ce qui concerne la région charbonnière par excellence, c'est-à-dire le Centre, avec Le Creusot et Saint-Etienne, les propriétaires des puits qui sont aussi les propriétaires des terrains ont tout fait pour en effacer le passé minier. "Nous n'avons pas de mine pour la transformer en musée " disait un ouvrier des chantiers navals de Brest, en Bretagne, à l'occasion d'une restructuration. Mais même le musée de la mine de Saint-Etienne, malgré l'émotion qu'on y éprouve, ressemble plus à un parcours virtuel qu'à une ancienne mine.

 

III. h. La politique énergétique : le pétrole et le gaz naturel

 

La ligne Le Havre Marseille qui place, à l'est, la France industrialisée, et, à l'ouest, la France agricole, selon la division instaurée en 1947 par Jean-François Gravier dans Paris et le désert français , partage aussi bien aujourd'hui une France pétrolière riche des ports de Dunkerque, Le Havre, et Marseille-Lavéra d'un côté, et une France sans pétrole, ou du moins sans grosses raffineries, de l'autre.

La France a depuis longtemps une politique pétrolière, basée depuis 1928 sur une charte du pétrole entre la France et les pays producteurs  qui facilitait l'importation de pétrole en provenance du Moyen Orient de la part des compagnies françaises et des compagnies étrangères installées en France métropolitaine. Mais aujourd'hui, cette loi a été remise en cause par les institutions de l'Union Européenne.

Le pétrole est la source d'énergie la plus soumise aux aléas de la conjoncture. Pour y remédier, l'Etat a créé sa propre compagnie nationale, Elf (Essences et lubrifiants français), sur la base d'une compagnie préexistante, la SNPA (Société nationale des pétroles d'Aquitaine), chargée à l'origine de la prospection et de l'exploitation en Algérie et en France, et dont le résultat le plus fructueux a été la découverte du gisement de gaz de Lacq, dans les Pyrénées. Aujourd'hui, le champ d'action de cette nouvelle compagnie est esentiellement l'Afrique sub-saharienne et la mer du Nord. L'autre compagnie pétrolière française, Total, héritière de la Compagnie française des pétroles, liée aux grandes compagnies américaines qui la tolèrent dans les pays du Golfe (défiant les Etats-Unis, elle vient d'investir en Iran, " pays interdit à la communauté internationale par le 'Grand Satan' [entendez, les Etats-Unis]  "), prospecte et vend avec succès en Asie. Ces deux majors françaises se font une concurrence très forte sur le marché international. En témoigne le coup de poker du 2 décembre 1998 du patron de Total, Thierry Desmarest : "Le mois dernier aussi, si l'on avait mieux perçu son silence, on aurait peut-être compris avant l'heure que Total allait mettre la main sur le belge PetroFina, et non Elf, comme tous les experts l'annonçaient depuis quelques semaines. Au moment où seuls les géants parviennent à encaisser la chute des cours du pétrole, ce discret coup de maître a propulsé le groupe dans le peloton de tête des grandes compagnies mondiales. A quelques encablures des Exxon-Mobil, Shell, et BP-Amoco, et surtout très loin devant son vieux concurrent  Elf, qu'il talonnait jusqu'alors " (Libération, 12.01.1999).

Aujourd'hui, le bas prix du pétrole, la diversification des sources d'approvisionnement de la part des compagnies (autre succès de Total, alors que son concurrent Elf, en voulant les limiter, s'englue dans les affaires africaines), l'accroissement de la capacité de ces mêmes compagnies à extraire "l'or noir", font du pétrole la plus grande source d'énergie à bas prix disponible.

Le pétrole extrait par les compagnies françaises est le plus souvent vendu sur place, ou dans les pays limitrophes. En France, la production est très faible (il y a un bassin pétrolier en Aquitaine, et un en région parisienne) et les raffineurs situés en métropole décident eux-mêmes auprès de qui s'approvisionner. Les raffineries sont d'ailleurs un secteur en crise. Marseille, Fos et Lavéra sont sur le point de perdre les leurs - les compagnies pétrolières qui y sont présentes tendent à se reconvertir dans l'industrie chimique - compte tenu de la délocalisation des raffineries en direction des pays producteurs eux-mêmes. Mais l'arrêt de la production coûte plus cher que la reconversion des sites. De plus, les constructeurs français privilégient le gazole, du fait du prix très concurrentiel de celui-ci, meilleur marché que l'essence sans plomb, et surtout sous la pression des transporteurs routiers.

Aujourd'hui, les deux compagnies nationales tendent à orienter leurs recherches dans le sens de la diversification. Total investit dans les énergies douces (l'énergie solaire) en Afrique, sur les terres d'Elf; et Elf dans la chimie ... et les parfums.

Pour l'heure, c'est encore l'Etat qui retire le plus de bénéfice de la vente des produits pétroliers à la pompe (essence, gazole, fioul agricole), à travers les TPP (taxes sur les produits pétroliers). Et les stations d'essence de marque (elles sont à peu près toutes représentées) sont en concurrence avec les stations-service des grandes surfaces depuis la libéralisation du prix de l'essence.

Le statut d'entreprise d'intérêt public n'a pas été accordé à GDF (Gaz de France, entreprise de distribution) dont le réseau est beaucoup moins étendu que celui d'EDF (Electricité de France, dont nous allons parler ensuite). Pendant longtemps, la société a reposé sur l'exploitation du gaz de Lacq (Aquitaine). Aujourd'hui, GDF se tourne vers des fournisseurs étrangers (Hollande, Russie, Algérie). Son grand concurrent en zone agricole est Butagaz.

 

III. i. La politique énergétique : l'électricité et le nucléaire

 

 En France l'électricité est le mythe du XXe siècle naissant. Jules Verne en fait le perpetuum mobile  du sous-marin ultramoderne Nautilus, et Raoul Dufy décore en son honneur le Pavillon de l'électricité qui va devenir la plus grande surface peinte de l'histoire de la peinture. Pour répondre aux besoins du pays, le gouvernement français crée en 1946 EDF (Electricité de France), devenue aujourd'hui la plus grande compagnie mondiale productrice d'électricité.

EDF produit de l'électricité et en achète aux petits producteurs et aux Charbonnages de France. Elle en vend aux pays voisins (Italie, Suisse, Grande-Bretagne), investit au Portugal et en Espagne, vend des centrales nucléaires en Chine (Daya Bay 1 et 2, - la première connaissant déjà des difficultés, ce qui risque de compromettre le marché asiatique).

EDF produit de l'électricité à partir de centrales hydrauliques, d'une centrale marémotrice expérimentale (celle de la Rance, en Bretagne, qui reste la seule tentative dans le genre), de centrales thermiques, et surtout nucléaires, après les choix politiques du septennat de Valéry Giscard d'Estaing d'amener la France à l'indépendance énergétique (lois Messmer en 1974, et lois de1980).

La production d'énergie nucléaire à usage civil est née d'une volonté des gouvernements, qui ont d'abord créé le CEA (Commissariat à l'Energie Atomique), puis la société Framatome, pour mettre au point une filière française. D'ailleurs, la volonté de conjurer une éventuelle séparation entre un domaine politique et un domaine industriel était bien dessinée dans cette justification du politologue Raymond Aron, dans un article du Figaro (16 septembre 1958) : "Les Etats-Unis consentaient à nous vendre de l'uranium enrichi à un prix peut-être inférieur au prix de revient de celui qui sortira de l'usine française, mais ils exigeaient, en contrepartie, un droit de regard sur l'usage qui en serait fait. En ne produisant pas eux-mêmes l'uranium enrichi, les pays d'Europe auraient accepté une sujétion à la fois industrielle et militaire ". Mais l'opposition d'EDF aux choix de Framatome lui ont fait préférer les procédés américains de Westinghouse. Aujourd'hui, Framatome est devenu le premier constructeur de centrales nucléaires, mais le gouvernement français et EDF ont suspendu la construction de centrales jusqu'en l'an 2000.

Si le sort de Framatome se différencie de celui d'EDF, le nucléaire civil lie l'un à l'autre les sorts de chacune de ces sociétés. Or, des sondages récents sur les choix énergétiques de la France (aucun référendum n'a été proposé aux Français; est-ce pour cela qu'un commando terroriste a tiré autrefois sur la centrale de Creys Malville en construction?) font une place de plus en plus grande aux énergies renouvelables. Cette "sensibilité" sociale s'est concrétisée par un sommet où se sont réunis les 7 grands électriciens du moment (EDF, Enel, etc.) à Versailles. L'E7 a adopté, le 2 juin1998, une charte pour le "développement énergétique durable ". Si les effets de cette charte ne s'adressent pour l'instant qu'à l'Afrique (énergie solaire) et aux pays de l'Est (Pologne), il n'est pas exlu qu'ils s'appliquent dans un proche avenir aux pays de l'OCDE. C'est dans ces conditions, et en attendant l'échéance de 2010 pour le renouvellement du parc des centrales nucléaires, que Framatome exporte encore ses capacités (si des problèmes technologiques ne font pas obstacle à son développement à l'international). En France, des centrales sont dorénavant fermées pour les dangers qu'elles représentent (SuperPhénix, à Creys-Malville, mais aussi les centrales de Chinon). Quant à l'usine de retraitement des déchets nucléaires de La Hague, elle est actuellement la cible des écologistes et des populations locales qui dénoncent le taux de radioactivité relevé aux alentours. C'est la Cogema (Compagnie générale des matières nucléaires) qui est actuellement chargée de nettoyer les zones irradiées.

Même si les Français sont globalement satisfaits des performances et des services d'EDF (ils rappellent, toutefois, qu'elle ne devrait pas couper le courant aux ménages qui ne sont pas en mesure de payer leur électricité), et si l'Etat a voulu, ces dernières années, en faire l'entreprise publique pilote, en remplacement de Renault, l'ouverture prochaine du marché entraîne le gouvernement à faire des projets de démembrement de la société en secteurs autonomes. Quant à Framatome, elle souhaite "trouver une autre source de revenus pouvant compenser la réduction d'activités liée au parc nucléaire français et les moindres commandes de centrales nucléaires " (Le Monde , 29 août 1998). Pour l'heure, elle se tourne vers la connectique (il s'agit de la fabrication de pièces de raccordements pour les circuits électriques et électroniques).

EDF, après une tentative pour faire passer un projet de contrats de 32 heures hebdomadaires combattu par les lois européennes, vient de signer avec l'ensemble des centrales syndicales des contrats de 35 heures et un gain de 4.000 emplois nets. Elle a valorisé le capital scientifique de ses employés par des échanges inter-entreprises, et a installé maintenant un service "Intranet" qui leur permet de communiquer et d'échanger leur savoir-faire.

III. j. Documents

 

Les entretiens du journal Le Monde avec le président de Siemens, Heinrich von Pierer, et le PDG de Framatome, Dominique Vignon, publiés respectivement le 9 décembre et le 21 octobre 1997 rapportent les difficultés du secteur nucléaire français eu égard à son allié et "concurrent" allemand, Siemens.

 

Premier entretien : Le Monde - Heinrich von Pierer

 

- Siemens a récemment noué une alliance avec un groupe britannique dans l'industrie nucléaire. N'êtes-vous pas en train de renoncer à votre traditionnelle alliance avec les Français?

HvP : Notre collaboration avec BNFL concerne les combustibles nucléaires, un domaine dans lequel nous étions déjà en concurrence avec Framatome. Siemens et Framatome n'auraient pas pu s'associer dans ce domaine, car nous avons déjà ensemble près de 80% de parts de marché en Europe, et Bruxelles ne l'aurait pas autorisé. J'ai expliqué à plusieurs autorités françaises que notre future société commune avec BNFL n’aura pas de conséquences négatives sur nos relations avec Framatome. Nous continuerons à travailler ensemble sur la mise au point du réacteur nucléaire à eau pressurisée (EPR). BNFL, qui ne fabrique pas de réacteurs, ne fera pas concurrence à ce projet et soutiendra la coopération entre Siemens et Framatome.

- Un autre sujet d’inquiétude, en France, est le rachat par Siemens des chaudières thermiques de Westinghouse, que convoitait le français GEC Alsthom. Avez-vous aussi l'ambition de reprendre les activités nucléaires du groupe américain que Framatome souhaite racheter?

HvP : Nous n'avons pas l'intention de racheter les activités  nucléaires de Westinghouse. Nous n'avons à ce sujet pas de conflit et je souhaite bonne chance à Framatome.

- Vous avez cédé vos activités de défense à British Aerospace et DASA, au détriment de Thomson-CSF, qui était candidat. Est-ce le résultat d'une défiance envers les Français, notamment de la part des salariés?

HvP : Il est vrai que le comité d'entreprise avait émis un avis négatif sur Thomson-CSF. A la suite de mes recommandations, Thomson a présenté un projet excellent pour assurer le maintien de l'emploi et la poursuite de l'activité électronique de défense. Mais le prix offert par DASA et BA était sensiblement supérieur. C'est cela, et cela seulement, qui a emporté la décision.

- La coopération que vous avez engagée avec GEC Alsthom pour l'exportation de trains à grande vitesse a-t-elle souffert de vos différentes affaires?

HvP : Après la bataille qui nous a opposés sur le TGV coréen, nous avons tous les deux appris les leçons du passé. Même si nous n'avons pas encore de contrat, je me réjouis du pas important franchi pour construire un TGV à Taïwan. Nous devons nous habituer à être en concurrence dans certains domaines et à coopérer dans d'autres.

 

Deuxième Entretien : Le Monde - Dominique Vignon

 

- L'allemand Siemens, partenaire de Framatome, vient de signer un accord visant à se rapprocher du britannique BNFL, pour créer un groupe concurrent des industriels français et présent dans tous les secteurs du nucléaire. Comment percevez-vous ce rapprochement germano-britannique?

D.V. : Il est clair que cette alliance ne nous fait pas plaisir et nous amène à réfléchir sur sa finalité. Elle peut se comprendre car nous sommes avec Siemens depuis de nombreuses années dans une situation délicate. Nous sommes à la fois concurrent sur le court terme dans le domaine des services et combustibles, et nous coopérons sur le long terme pour concevoir le futur réacteur nucléaire européen, l'EPR (European Pressurized Reactor). Or Siemens a des perspectives de marché intérieur qui sont décroissantes. Le groupe allemand a donc souhaité adosser ses activités à un partenaire.

- Pourquoi a-t-il préféré un groupe britannique aux français?

D.V. : Dès le mois de février, j'ai proposé à Siemens de réfléchir à une mise en commun de nos activités nucléaires. Un tel regroupement aurait posé des problèmes au niveau européen car nous aurions été en position dominante. Les dirigeants m'ont également répondu que cet accord n'apporterait rien au futur groupe, chacun étant déjà très implanté sur son propre marché. Dans leur esprit cette alliance leur bloquait tout développement important sur le marché français qui est le premier européen avec soixante tranches nucléaires.

- Le futur groupe germano-britannique s'est constitué pour venir concurrencer Framatome sur son marché privilégié?

D.V. : C'est la question que nous allons leur poser. Il est possible que la stratégie de cette future société soit de venir offrir des services et des combustibles sur le marché français. Siemens et BNFL visent le siècle prochain. Ils sont confortés par la déréglementation de la production d'électricité et les obligations bruxelloises, qui obligent les entreprises publiques, donc EDF, à consulter les industriels de façon ouverte pour leur approvisionnement.

- Dans ces conditions, quel est le devenir du futur réacteur franco-allemand?

D.V. : Je constate que Siemens entend poursuivre la coopération engagée avec Framatome pour construire l'EPR, qui est au cœur de l'harmonisation de sûreté franco-allemande. C'est un objectif de long terme qui conditionne le redémarrage de l'industrie nucléaire en France en Allemagne et en Europe. Nous allons maintenant engager des discussions pour la poursuite du développement. Nous n'avons a priori aucune hostilité de principe à travailler avec cette nouvelle société dès lors que nous avons toujours la maîtrise du produit et de l'usage des connaissances techniques. En France, Framatome assurera les réalisations, en Allemagne ce sera Siemens, et nous devions nous mettre ensemble pour le reste du monde. Le nouvel accord nous oblige à en rediscuter.

- Comment se déroulera la commercialisation de l'EPR?

D.V. : Si la compétition devient plus forte sur les marchés des services et des combustibles, la vente en commun s'avérera délicate. Nous pouvons envisager un système analogue à celui existant dans l'industrie automobile - deux constructeurs Peugeot et Fiat s'allient pour un monospace et le vendent séparément - ou continuer sur la base actuelle.

- Pensez-vous que Siemens se désengage du nucléaire avec cette alliance?

D.V. : C'est une forme de désengagement mais Siemens assure le contraire.

- Cette association n'est-elle pas une réponse à votre projet de fusion avec le groupe français GEC-Alsthom, une opération que Siemens désapprouvait?

D. V. : L'argument est souvent avancé. Mais ces deux accords sont de nature totalement différente : GEC-Alsthom ne fait pas de nucléaire contrairement à BNFL et n'induisait pas de concurrence dans le champ de notre accord. De toutes façons, la fusion avec GEC-Alsthom n'est plus à l'ordre du jour.

- Cet accord germano-britannique traduit une dégradation de vos relations avec les Allemands. C'est un échec pour Framatome?

D.V. : Je suis entré chez Framatome il y a huit ans comme directeur général adjoint dans la filiale commune avec siemens et j'ai joué un rôle important dans la conception de l'EPR. Je connaissais toutes les difficultés de marier notre nucléaire avec les Allemands tout en protégeant l'industrie française. L'accord Siemens-BNFL est donc un échec sur ce plan. En revanche, je ne le vis pas comme la fin de l'EPR.

- Ce renversement d'alliance obligera-t-il à une recomposition du paysage nucléaire français entre EDF, Cogema, Framatome et le CEA?

D.V. : Cela va ouvrir les yeux. Mais il faut se donner le temps de la réflexion. A long terme, dans une perspective de reprise du marché nucléaire, il faut considérer cette industrie sous deux aspects : le premier, d'ordre stratégique, qui oblige à avoir une présence des pouvoirs publics importante et le second, sous l'aspect de la vente d'équipements énergétiques. Dans ce dernier cas, Framatome avait deux partenaires GEC-Alsthom et Siemens. Ils sont désormais inaccessibles tous les deux.

- Etes-vous alors tenté de vous allier à la Cogema comme Siemens le fait avec BNFL?

D.V. : Notre lien avec la Cogema peut se consolider. Nous sommes déjà liés dans l'exploitation des combustibles. Il faut aller au-delà, et pourquoi pas envisager une participation de Cogema au capital de Framatome ou une participation croisée entre les deux sociétés. Mais il y a un risque de "bunkérisation" du nucléaire français qu'il faut éviter. De même, avoir son principal client comme actionnaire recèle un danger : la présence d'EDF à environ 11% dans le capital de Framatome est compréhensible mais en faire un actionnaire de contrôle comporte le risque d'être mis sous tutelle.

 

III. k. Le secteur industriel

 

Le secteur industriel est en pleine transformation du fait de la politique de déréglementation, de l'abolition des frontières, et de l'application du principe pollueur-payeur. Il met en œuvre les trois domaines des biens intermédiaires (matières premières, verre, etc.), des biens d'équipement, et des biens de consommation.

La politique générale consiste à alléger les entreprises des productions qui n'appartiennent pas directement à la filière. Par exemple, l'Etat renfloue Usinor et Sacilor, qui produisent l'acier, au détriment de toute autre production des entreprises en question. EDF accorde des tarifs préférentiels à Péchiney pour l'électrolyse de l'aluminium et celle-ci rachète l'américain American Can, dont elle installe les usines à Dunkerque, favorisant ainsi l'arrivée de Coca Cola. Récemment, le géant de l'agro-alimentaire Danone vient de se débarrasser de sa section emballages, etc.

 

III. l. L'automobile comme exemple

 

La tactique suivie par les constructeurs automobiles généralistes comme Renault (qui produit des camions après le rachat de Berliet, et des voitures) est la diversification de la production et la spécialisation des usines. Renault garde Flins en France et Valence en Espagne, parce que la spécialisation y est poussée, et  se débarrasse de Vilvorde en Belgique parce que l'usine produit deux modèles de voiture au lieu d'un seul, ce qui est plus rentable pour la société. Renault cherche aussi des alliances avec d'autres constructeurs généralistes comme Fiat ou Peugeot, alors que les accords avec un spécialiste comme Volvo échouent ("pour des raisons de nationalité " a dit le PDG du constructeur suédois).

La construction automobile française obéit aujourd'hui aux ordres d'un duopôle, composé de Renault et de Peugeot-Citroën (PSA), après le rachat par Peugeot de Citroën à Michelin, favorisé dans les années 1970 par le Président Giscard d'Estaing. Si les stratégies se ressemblent, Peugeot, avec sa filiale Citroën en particulier, tend vers le haut de gamme (même si, autrefois, dans le bas de gamme, la 2CV de Citroën a certainement dépassée en popularité la 4CV Renault). C'est Citroën qui a construit des modèles de luxe, comme la Citroën-Maserati, et fabrique encore des modèles hors-série, comme la voiture de fonction du Président de la République.

Renaud chantait déjà dans Hexagone :

en novembre au salon de l'auto

ils vont admirer par milliers

le dernier modèle de chez Peugeot

qu'ils pourront jamais se payer

Après des années de vaches maigres, les constructeurs français enregistrent,  à partir de 1998, une bonne reprise des ventes, notamment en France (1,9 million d'immatriculations, dont 63% en voitures de construction nationale). Ils font appel à de nombreux équipementiers. L'implantation sur les marchés étrangers est bonne mais la politique suivie n'a pas toujours porté ses fruits (Renault n'a pas réussi à s'implanter aux Etats-Unis, ou d'autres entreprises françaises ont quand même prospéré). Pour l'heure, c'est Peugeot qui part "à la conquête" du marché américain, dans la mesure où elle entend réaliser au moins 20% de ses ventes à l'étranger.

Les constructeurs, sous la pression des lois européennes, tendent aussi à limiter la quantité de CO2. Une prime de 10.000 Francs est accordée aux constructeurs pour la production de chaque voiture électrique, et une aide de 5.000 Francs à chacun des clients. PSA et Renault, la première avec le projet Tulipe, mettent en place un service de location de voitures électriques en ville (à La Rochelle, par exemple, et dans les villes moyennes) par abonnement. L'opération "villes sans voitures" du 22 septembre 1998, lorsque de nombreux conseils municipaux de villes moyennes ont interdit la circulation automobile, a sensibilisé la population sur la question des transports publics. Et Lionel Jospin a annoncé en décembre 1998 la création des véloroutes, de grandes voies adaptées à la circulation des bicyclettes, en complément des anciennes "pistes cyclables".

La planification, qui a longtemps constitué une forme administrative du progrès industriel sous la forme centralisée, et sa projection nationale à travers la Datar, peut donc, en se faisant plus souple, devenir le point de départ d'une production basée sur un développement durable tenant compte des facteurs écologiques.

La production de voitures étrangères en France reflète à peu près les mêmes tendances au mécano industriel français. Daimler-Benz s'est associée à Swatch pour construire la MCC (Micro Compact Car) en Lorraine et a installé autour de son unité d'assemblage un village d'équipementiers nécessaires à la fabrication du modèle. Et Toyota s'implante dans le Nord-Pas de-Calais pour bénéficier de la proximité de son équipementier situé en Angleterre.

 

III. m. Document : Les chantiers navals comme contre-exemple 

 

- La crise des chantiers navals remonte aux années 60 en Europe. Les dirigeants suédois, avec l'aval des syndicats, tireront en premier la sonnette d'alarme et feront adopter, dès 1979, un plan de restructuration qui conduit à la fermeture rapide des chantiers navals. "On ne peut pas continuer indéfiniment à fabriquer des produits quand personne ne veut acheter. Mieux vaut miser sur les industries de l'avenir", soulignait alors Thage Peterson, le ministre de l'industrie.

(...) "En maintenant les travailleurs les plus anciens et les plus âgés dans les entreprises des secteurs en difficulté et en contraignant les plus récents et les plus jeunes à se reconvertir vers les secteurs en développement, on rend plus aisés les nécessaires redéploiements de l'économie", explique Bernard Brunhes, dans une note rédigée en 1988, en tant qu'expert auprès de l'OCDE sur les questions de flexibilité.

(...) En France, l'accord de 1984, qui met en place la préretraite à cinquante-trois ans dans les chantiers navals, le congé de conversion qui permet aux salariés de se former à un nouveau métier pendant une durée maximum de deux ans, etc. n'a concerné que les cinq grands sites nationaux : les trois sociétés de la Normed (Dunkerque, La Seyne et La Ciotat), Nantes et Saint-Nazaire. "Pour le reste, il a fallu négocier l'application de l'accord entreprise par entreprise et, dans certaines, la durée du congé de reconversion n'a été que de huit mois".

(...) D'autre part, en 1986, la prime "Madelin" alors ministre de l'industrie, qui donne la possibilité aux salariés de quitter immédiatement l'entreprise avec la coquette somme de 200.000 Francs, a été octroyée sans négociation préalable. En contrepartie, le salarié renonce à toute aide au reclassement. "Une ''prime à la valise'' substantielle est une bonne manière, comme Ponce Pilate, de se laver les mains des conséquences sociales d'un licenciement économique " juge, critique, Guy Royon, directeur du personnel de la Normed de 1983 à 1990 (...). La ''prime à la valise'' ralliera 4492 salariés dont la grande majorité, près de 3000, s'inscriront par la suite à l'ANPE (Agence Nationale pour l'Emploi) entre juillet et décembre 1986. Quand l'opération de reconversion de la Normed s'achève fin 1989, plus de mille d'entre eux restent sans emplois". Clarisse Fabre, Le Monde, 12.3.1997.

III. n. La construction et l'habitat urbain

 

L'Etat est intervenu au lendemain de la guerre dans la construction à travers l'Office public des HLM (Habitations à loyer modéré), et par la création des ZUP (Zone à urbaniser en priorité); ces dernières sont définies par la commune qui dit que toute construction de 100 logements doit être localisée en ZUP. Les réalisations les plus spectaculaires sont celles de Grenoble et Toulouse. La politique urbaine d'aujourd'hui tend à revenir sur ce modèle de construction et de développement urbain, qui posent effectivement des problèmes de rénovation.

Les lois de 1962 et 1965 créent quant à elles :

- les ZAD ou Zone d'aménagement différé. L'institution permet la mixité avec les promoteurs, qui s'y retrouvent en achetant à côté de la zone en question.

- les ZIF : Zone d'intervention foncière, au centre ville.

- les ZAC : Zone d'aménagement concerté ; elle remplace les ZUP en 1967. L'équipement est fourni par la commune et par les promoteurs.

Les deux grandes sociétés de BTP (Bâtiments et travaux publics) sont :

- Les Ciments Lafarge. Ils exportent et construisent à l'extérieur. La société poursuit actuellement une politique de rachats d'entreprises à l'étranger pour s'assurer la domination de toute la filière du secteur de la construction. Entre 1997 et 1998, "Lafarge a réalisé plus de 25 acquisitions, dans seize pays aussi différents que les Philippines, la Chine et l'Afrique du Sud " (Le Monde, 22 janvier 1999).

- La société Bouygues; elle a à son actif de grandes constructions, comme l'Université de Ryad, en Arabie Saoudite, la mosquée de Casablanca, l'Arche de la Défense et la Bibliothèque de France, à Paris, le pont de Tancarville en Normandie, et Eurotunnel. La société couvre aujourd'hui une part du marché des télécommunications (Bouygues-Télécom).

III. o. Les Petites et Moyennes Industries

 

Les PMI en France sont plutôt dépendantes des grandes, à part quelques équipementiers importants, comme Valeo, Epeda, Bertrand Faure, qui travaillent pour l'automobile, et dont la production va de la sous-traitance au parténariat.

Pourtant, de nombreuses industries spécialisées connaissent de bons résultats. Moulinex, dans le secteur du petit matériel électro-ménager, présente une image de la réussite, malgré des pertes d'emploi importantes. Si les skis Rossignol et leur concurrent Salomon (skis et équipement de neige) accusent désormais une légère perte de vitesse parce que les jeunes boudent ce genre de sport au profit d'autres sports de glisse comme le snowboard ou la planche (avec ou sans voile, windsurf ou bodysurf, aujourd'hui dominés par Quicksilver), Zodiac d'une part (canots pneumatiques) et la Comex (Compagnie maritime d'Expertise), de l'autre, qui allient la production de matériel et les services, bénéficient d'un marché favorable. Le tissu de ces petites et moyennes sociétés, nées souvent de la rencontre entre une localisation et un produit ou un service déterminés, augmente rapidement. Geocean, une société de service chargée de repérer et d'exploiter les sources d'eau douce en mer, et un autre équipementier, moins connu que les premiers, Mota (échangeurs thermiques pour camions, voitures et bateaux, qui équipe entre autres les vaporetti  de Venise), ont leur siège à Aubagne, près de Marseille.

Enfin, on ne saurait conclure ce tour d'horizon rapide des PME sans citer la société de Jean-Claude Decaux, présent dans toutes les villes de France avec son mobilier urbain, comme les Sanisettes (WC urbains)  et les Abribus, et dont la philosophie, brève et efficace, se résume en ces quelques mots : "Travailler, encore travailler !"

Pourtant, ce sont les PMI et les PME (Petites et Moyennes Entreprises) qui posent les problèmes de reconversion ou de restructuration les plus difficiles à résoudre. Dans le textile, l'ensemble du secteur lorrain constitué de PME a pour ainsi dire disparu (la Lorraine posant aussi un cas de reconversion particulièrement ardu puisque son économie a reposé aussi, en dehors du textile, sur le charbon et  le fer). Et l'ensemble du secteur de l'acier, composé d'un tissu d'entreprises moyennes, se ramène aujourd'hui aux deux grands, Usinor et Sacilor, qui ont bénéficié du plan acier et des aides de l'État.

IV. LE SECTEUR TERTIAIRE

 

IV. a. Les transports : les chemins de fer

 

Parmi les services qui "remplissent des missions d'intérêt économique général", on trouve le service des transports par chemin de fer.

Les chemins de fer sont un secteur à la fois traditionnel et dynamique, comme le montrent les cartes publiées ici. Ils mettent en œuvre plusieurs opérateurs dont les plus importants sont la SNCF (Société nationale des chemins de fer), qui assure les services, le RFR (Réseau ferré de France) dont la tâche est de gérer le matériel (la société émane d'une division des tâches à l'intérieur de la SNCF pour alléger les charges de gestion), et enfin la dernière-née des grandes sociétés ferroviaires, Alstom, qui a pour tâche de fabriquer le matériel, en particulier le TGV (train à grande vitese), dont la SNCF est le co-producteur.

La SNCF est créée en 1937 pour venir en aide aux différentes compagnies établies sur le sol national. L'Etat y deviendra ensuite le seul actionnaire. Un réseau particulièrement centralisé, en contradiction avec la multiplicité des sociétés d'origine (le premier film des frères Lumière consacre l'arrivée du train en gare de La Ciotat, une petite ville de la Méditerranée, équipée par la compagnie des chemins de fer du midi), aligne 35.000 kms de voies ferrées dont le centre est Paris. L'efficacité du réseau grandes lignes contraste avec certains embarras liés aux changements de lignes pour la traversée est-ouest de la France sans passer par la capitale. Cette centralisation n'est pourtant pas à sens unique. L'innovation, de fait, est passée par des lignes secondaires : le premier train mis en service l'a été sur la ligne Lyon-Saint Etienne, et le premier TGV sur la ligne Lyon-Valence. Toutefois, un service multimodal (train-avion, train-métro ou RER-Réseau Express Régional, en service en Ile de France, mais en projet dans d'autres villes, comme Marseille -, un service train-auto ou bus) fonctionne bien à l'arrivée des grandes gares. Actuellement, le parc ferroviaire est supérieur à son utilisation pour faciliter les services dans les périodes d'affluence (vacances, ou gestion de la Coupe du Monde de football, par exemple, et autres grands événements dont la France et Paris en particulier entendent avoir la primeur). Aujourd'hui, la SNCF pratique la modulation des tarifs : "Un décret du Conseil d'Etat autorise la société nationale à établir ses grilles de prix en fonction des conditions de marché (...) La tarification flexible version SNCF doit avoir un effet mécanique d'amplification des volumes, avec un objectif de conquête de 5% de clientèle supplémentaire. Un mouvement déjà bien engagé, selon le transporteur, puisque sur le second semestre 1997, un tiers de la croissance du trafic voyageurs était dû aux seules innovations tarifaires " (Le Figaro , 4 mai 1997).

De fait, en tant que service public aux personnes, la SNCF offre des conditions de déplacement à prix réduits à environ 80% des voyageurs. Les tarifs Découvertes Enfant Plus, Séjour, Senior, Cartes Enfant Plus et Senior sont quelques unes de ces modalités tarifaires qui s'appliquent aux jeunes ou aux personnes âgées.

Le succès du TGV, dont le constructeur Alstom est maintenant coté en Bourse, repose sur une politique favorisée par la SNCF qui a préféré éliminer le service des voies non rentables au profit de la grande vitesse sur les grandes lignes, malgré certains projets discutables du point de vue rendement, comme la ligne TGV Paris-Strasbourg. Il convient de signaler que le TGV, qui couvre la distance Marseille-Paris (800 kms) en quatre heures et demi, est loin de disposer des voies propres qui lui permettent d'atteindre la vitesse que les constructeurs ont prévue pour lui.

Quant à la société Eurotunnel, qui exploite le TGV voyageurs Paris-Londres et le transport des véhicules, elle ne deviendra véritablement rentable qu'après l'an 2000, et lorsque le service sera complété par la grande vitesse sur le sol de la Grande Bretagne. La SNCF, dont dépend Eurotunnel, devant faire face aux difficultés de son homologue britannique pour la construction des lignes.

Les chemins de fer : tradition et innovation

1. L’ingénieur et le capital français dans la construction du réseau ferroviaire européen en 1914

 

 

2. La construction du TGV dans le monde

 

IV. b. Document : Aiguillages pour le futur, par Paul Virilio (Bulletin de la SNCF, rubrique Publicité)

On disait par le passé que quand on jette un pont sur un fleuve, ce n'est jamais pour relier les deux rives mais pour relier les deux horizons. Ce raisonnement s'applique au TGV, le métro de l'Europe. Les véritables utilisateurs du pont ne sont pas les riverains, ils viennent de beaucoup plus loin. Le pont est en réalité une suture entre les horizons. Sa vocation correspond à la révolution des transports de l'ère industrielle alors qu'aujourd'hui, nous en sommes à la révolution informationnelle, post-industrielle. D'un côté, on a la vitesse absolue, celle des autoroutes de l'information, et de l'autre, la vitesse relative, celle d'un train qui fait 300 à l'heure ou même 1000 à l'heure selon l'objectif des trains sous vide. Le conflit est inévitable. La vitesse est un milieu. Compter la vitesse du TGV en termes de réduction du temps de déplacement entre deux points A et B est une vision archaïque. Il faut traiter le rapport d'horizon à horizon et non de rive à rive. Le milieu s'étend avec la vitesse et seul ce milieu doit être pris en compte. Voir comment le TGV déchire la carte d'Europe, la fripe pour redessiner un espace-temps. La géographie de la vitesse est d'une nature nouvelle et concerne la société, voire même les mœurs. Le conflit se vit déjà avec d'un côté les sédentaires, ceux qui sont branchés, et de l'autre les nomades, ceux qui sont contraints au déplacement incessant pour bénéficier de l'emploi. Les contrats à durée indéterminée, qui ont fait la quasi-totalité du XXe siècle, permettaient de localiser les populations ouvrières dans des bassins d'habitat liés aux bassins d'emploi. Ils délimitaient une mobilité restreinte : c'était le ''métro-boulot-dodo''. Aujourd'hui, avec le développement de contrats à durée déterminée d'une moyenne de six mois, on assiste à l'émergence d'une itinérance sociale. Il y avait en 1991 environ 560 000 jeunes errants; il y en a actuellement près d'un million!

Paradoxalement, les technologies de transmission accroissent l'inertie. Le nomade en quête d'emploi, lui, est obligé de se déplacer. Or, son itinérance vitale induit un déchirement social parce que la société se bâtit dans la relation de proximité.

Contrairement aux Etats-Unis où Kerouac chantait le nomadisme, l'Europe est le continent de la sédentarisation. La mobilité excessive nous désocialise.

 

IV. c. Les transports aériens /l'Aérospatiale

 

La France peut se vanter d'avoir en Saint-Exupéry un romancier pilote qui a déposé autant de brevets d'aviation qu'il a écrit de romans. Qu'il ait adopté une morale à la mesure de la technologie utilisée est une chose. Que sa compagnie, l'Aéropostale (années 1930) ne lui ait pas permis de se lancer dans des aventures où son imagination le prédisposait, en est une autre.

C'est toutefois pour résoudre les difficultés financières des compagnies qu'est créée la compagnie Air France avant guerre. Société d'économie mixte (où l'État est quand même dominant), Air France jouit toujours d'une large autonomie de gestion, et l'État hésite à la privatiser entièrement, malgré l'ouverture de l'espace aérien.

Mise à l'épreuve par la concurrence des autres compagnies (British Airways, Air Liberté, Lauda Air) qui ont obligé d'une part la compagnie à résorber sa filiale Air Inter sur le territoire national, et d'autre part l'État à favoriser le rapprochement des concurrents français de la compagnie pour préserver l'espace aérien, Air France dispose aujourd'hui d'une infrastructure aéroportuaire imposante avec le plus grand échangeur européen (le hub, une plate-forme de correspondance) qui lui permet d'accélérer les temps de changements de vol. C'est aussi le principe de l'échange qui l'a entraînée à recréer aujourd'hui l'Aéropostale, un service de "quick change" (changement rapide) qui permet de transformer des avions destinés au transport passagers en diurne en avions cargos pour le courrier en nocturne.

A partir des aéroports de la région parisienne, Roissy-Charles de Gaulle, l'un des plus performants, et Orly (dont les performances n'ont d'égales que les nuisances), Air France offre aux passagers un système multimodal de transports grâce au TGV et au RER (Réseau Express Régional). Les deux aéroports les plus importants après ceux-là sont Nice et Marseille-Marignane. Ajoutez à cela une certaine sécurité dans les vols et le matériel, un personnel qui aime son métier (en pleine grève, les pilotes font quand même l'éloge de la mobilité à laquelle ils sont soumis pour assurer leurs services). Air France continue à former son personnel après le passage de celui-ci par l'école de pilotage.

Les transports aériens sont un secteur particulièrement brûlant dont la "protection" s'est jusqu'à présent accompagnée de revendications salariales que les médias font régulièrement apparaître comme exorbitantes (un pilote débutant perçoit pourtant un salaire d'ingénieur – 20.000 Francs par mois - avec l'obligation de rembourser les frais d'école à la société).

Dans le domaine de la technique, la France a certainement privilégié ses avionneurs (Dassault, l'Aérospatiale, le motoriste SNECMA, l'un des fleurons des nouvelles privatisées). Des accords d'entreprise ont eu lieu entre la France et la Grande-Bretagne pour la construction de Concorde (dont le programme est actuellement arrêté, même si des projets pour l'après 2000 sont à l'étude), entre l'Aérospatiale et Daimler (à parité de 37%) et d'autres constructeurs européens pour le projet Airbus. Les bons résultats de ce dernier, mais aussi son échec sur le marché chinois devant Boeing, dû aux revendications de chacun des membres responsables, ont déterminé les pouvoirs publics à transformer le groupe de partenaires européens en une Société anonyme.

 

Arianespace.

La France dispose à Kourou, en Guyane d'une base pour le lanceur européen Ariane. Pour l'heure, la société Arianespace (80 milliards de CA), qui en est à son cinquième lanceur (Ariane 5) place sur orbite des satellites du monde entier, au point que ses concurrentes (en Chine, en Russie et au Japon) cherchent à se la rallier. Un projet de coopération entre la Chine, qui possède le lanceur Longue Marche, et Arianespace, est à l'étude.

 

IV. d. Le commerce et la distribution

 

Le "panier de la ménagère" est une expression utilisée par les journalistes pour indiquer le pouvoir d'achat des Français en matière d'alimentation. Même s'ils consacrent beaucoup moins d'argent que par le passé sur leur budget aux dépenses d'alimentation, comme nous le disent les statistiques (et pourtant, les magasins et les quartiers d'alimentation se multiplient), pour être en règle avec l'époque il faudrait parler aujourd'hui du "caddy" de la ménagère, du nom des chariots des supermarchés, où l'on va faire les courses en famille, bien souvent le dimanche.

La grande distribution n'est pas tout à fait neuve en France. Il faut distinguer d'abord les grands magasins, comme Le Printemps ou Les Galeries Lafayette, bien implantés en ville, dans les quartiers du centre. Certaines de ces institutions sont à l'origine de la vente par correspondance, comme La Redoute, née à Roubaix, dans le Nord, qui appartient au groupe Le Printemps (auquel appartient aussi la FNAC - Fédération nationale d'achat des cadres-, spécialisée dans le disque, les livres et la vidéo). Mais les parts de marché les plus grosses sont prises aujourd'hui par les géants : Carrefour, Auchan (autre groupe de Roubaix, plus précisément du quartier des Hauts-Champs, d'où son nom), Casino et Promodès, dans le domaine de la grande distribution intégrée (un PDG pour la société et l'ensemble des magasins), et par Leclerc et Système U dans le domaine de la grande distribution des indépendants (un PDG à la tête de chaque magasin et un groupe de gérants actionnaires). Les intégrés se déploient fondamentalement dans les hypermarchés, avec des surfaces de 2500 m2 à 10 000 m2, en zone périurbaine, et sans spécialisation. Les indépendants privilégient les supermarchés ou les supérettes, dont la surface n'excède pas 2500 m2 pour les premiers, et 400 m2 pour les secondes. Il s'agit de magasins de périphérie mais aussi de proximité, tournés vers l'alimentation. Au demeurant, ces groupes n'hésitent pas à créer eux aussi des chaînes d'hypermarchés. Leclerc (toujours dirigé par son fondateur et principal actionnaire, Edouard Leclerc) et Système U, qui viennent de s'associer, sont devenus en janvier 1999 le plus grand groupe de commerce alimentaire français. Présents presque exclusivement en France, dans les villes moyennes et proches des zones rurales, où ils ont su s'adapter grâce à leurs techniques de stockage et d'approvisionnement (Système U dispose de 4 centrales régionales de stockage, Leclerc de 16), ils envisagent maintenant l'ouverture à l'international, compte tenu des lois restrictives (lois Royer, 1973, qui soumettent l'ouverture des grandes surfaces en France à l'accord d'une commission régionale), et des lois d'interdiction (loi Balladur, qui en interdit l'ouverture). Si une coopération existe déjà entre eux depuis longtemps pour  l'achat et le stockage des carburants, une coopération est en cours pour la vente des produits "premiers prix".

IV. e. Les revenus de l'État : les impôts directs

 

Les Français payent l'Impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) depuis la veille de la Grande Guerre, c'est-à-dire depuis 1914. Et même si cet impôt n'a pas couvert les frais de la guerre, il a contribué à l'équipement. Toujours remis en cause, l'IRPP est acquitté par tous les contribuables et il est d'autant plus progressif que les revenus des ménages sont bas. La CSG (Contribution sociale généralisée) qui lui est associée servant à combler, depuis des années, le déficit de la Sécurité sociale.

Les impôts locaux regardent directement les rapports entre les Français et leur lieu de résidence, primaire ou secondaire, et leur lieu de travail, s'ils sont agriculteurs. Dans le détail, ils ne s'appellent plus "impôts", mais taxes, et se répartissent entre taxe sur la propriété foncière non bâtie, taxe sur le foncier bâti, et taxe d'habitation proprement dite. Ces taxes rapportent en ponction aux régions, communes et départements, entre 3,8 et 4,3 % de la richesse nationale, et à l'État la moitié environ de ce que lui rapporte l'IRPP.

Les taxes d'habitation, ou taxes sur le foncier bâti, se présentent sous des aspects différents. Il peut s'agir soit d'une TVA (Taxe à la valeur ajoutée) à l'achat pour le neuf; soit d'une taxe de mutation (en d'autres termes, d'une part des frais de notaire) à l'achat pour l'Ancien; soit enfin d'une taxe d'habitation lorsque le résident jouit du bâtiment dont il est propriétaire. Les taxes professionnelles quant à elles touchent essentiellement les industries et le commerce. Certaines communes riches en installations industrielles ne les dissocient pas des taxes d'habitation et établissent un équilibre entre les taxes d'habitation et les taxes professionnelles, au profit des premières. Ainsi l'immobilier est souvent moins taxé dans les villes industrielles et davantage dans les villes de villégiature. Mais l'inverse est vrai aussi. Des communes, avec le soutien de l'État, accordent la jouissance de zones défiscalisées à de grosses entreprises (ainsi, Coca Cola s'est installé dans le Var, à Signes, une commune qui a besoin d'attirer de la main d'œuvre). Certaines catégories, comme les agriculteurs, sont exemptes des taxes professionnelles.

 

IV. f. Les revenus de l'État : les impôts indirects

 

C'est la TVA, déjà citée dans le paragraphe précédent. La TVA oscille entre 5,5% et 20,6% et est perçue par l'État sur la vente des produits marchands. Le taux le plus bas se réfère aux produits classés "de première nécessité", appellation assez vague qui va des produits extrêmement périssables, comme les fleurs, à l'abonnement au câble. Dans l'ensemble, la TVA rapporte à l'État près de 680 milliards de Francs, et l'IR 300 milliards.

 

IV. g. Les niches fiscales

 

Elles regroupent les formes d'investissement qui permettent aux contribuables de bénéficier d'abattement sur leurs impôts. L'investissement dans le cinéma en est une, comme l'investissement dans les Dom-tom (Départements et Territoires d'outre-mer) sur la base de la loi Pons, qui permet à l'investisseur de déduire ses investissements de sa déclaration de revenus, ou encore la loi Malraux, défiscalisation prévue pour les travaux sur les logements classés, - le ministre de la culture de De Gaulle ayant ainsi donné le signal du départ pour la restauration des hôtels particuliers du quartier du Marais, à Paris. Ces deux dernières sont toutefois réservées au contribuable imposé au taux maximal de l'IR. Quant aux grands domaines viticoles de Bordeaux et de Bourgogne, à vins classés AOC, ils sont  exempts de taxes foncières, ce qui explique en partie la spéculation dont ils sont l'objet actuellement. Enfin certains placements, comme le Livret A de la Caisse d'Épargne, dont les intérêts sont exempts d'impôts, l'assurance vie, qui permet des abattements en entrée (le souscripteur d'une assurance vie a au minimum 1000 Francs d'abattement), en route (les intérêts ne sont pas imposables) et en sortie (elle est exonérée des droits de succession), les Sicav (Société d'investissement à placement variable) permettent des abattements substantiels. Et on a recensé 70 professions, comprenant  journalistes, hôtesses de l'air, VRP, etc.. qui jouissent d'abattements sous le nom "d'abattement 20% ".

Enfin il convient de signaler une forme d'imposition relativement récente, puisqu'elle date du premier septennat de F. Mitterrand : l'ISF (Impôt de solidarité sur la fortune ). Il "frappe" 170 000 personnes environ, dont le revenu excède 4,61 millions de Francs. Un contrôle effectué par les inspecteurs du fisc vient de révéler que 75% des personnes assujetties ne le payent pas. L'État envisage de le supprimer, pour éviter des transferts excessifs de capitaux à l'étranger... N'entrent pas dans son calcul les œuvres d'art et les instruments professionnels.

 

IV. h. La politique de l'emploi

 

Pour mémoire :

PIB (Produit Intérieur Brut) en milliards de francs : 7843

SMIC (Salaire minimum interprofessionnel de croissance) horaire : 40,22 F. (1 Euro vaut 6, 559 F. actuellement)

Population active : 25.582.000

Nombre de chômeurs : 2.997.600

 

Dans son livre L'économie politique ou la maîtrise des contraintes  André Grjebine dit qu'en mettant l'accent sur le contrôle de l'inflation et l'équilibre budgétaire, les gouvernements ont régulièrement sacrifié le problème de l'emploi et du chômage de masse de longue ou moyenne durée à de faux problèmes. Nous allons essayer de résumer très brièvement la politique d'emploi qui a été suivie.

Dans un discours aux PME du 27 janvier 1997, le président de l'Assemblée Nationale, Philippe Séguin, a déclaré : "L'entreprise n'est pas comptable vis à vis de la collectivité nationale en termes d'emplois, mais en termes de richesses produites ". Une façon comme une autre d'avaliser une politique dont la plupart des Français sensibles au problème du chômage, et en particulier les chômeurs eux-mêmes, c'est-à-dire 12% de la population active, ont déjà constaté les carences. Mais si le but du président de l'Assemblée est de redimensionner la confiance que les Français ont placé ces dernières années dans les entreprises, il faut dire aussi que cette confiance, savamment entretenue par toute une série de lois et de projets, est sérieusement ébranlée depuis quelque temps par les résultats de la déréglementation. Malgré la Convention générale de protection sociale de 1991, qui instaure les congés de reconversion pour les ouvriers de moins de 45 ans, malgré aussi l'application du temps partiel dans de nombreuses entreprises, la création d'emplois de proximité, le partage du temps de travail, etc. les chiffres suivants permettent de mesurer l'ampleur des difficultés auxquelles se heurtent les gouvernements qui entendent porter remède à la crise actuelle :

- l'agriculture, comme nous l'avons vu, est passée de 3,5 millions d'actifs à 730 000;

- le secteur de l'acier, à travers une série de restructurations, est passé de 140 000 à 40 000 actifs entre 1979 et 1990;

- l'industrie automobile licencie depuis quinze ans près de 2000 personnes par an; elle ne crée de nouveaux emplois qu'à l'étranger;

- les chantiers navals et les derniers bassins de travail du Centre de la France (Le Creusot) n'ont pas su assurer la reconversion de la plupart des travailleurs;

- des secteurs entiers ont été sacrifiés sans contrepartie, comme l'électronique civile, l'informatique, les machines agricoles, une très grande partie du textile.

Dans l'ensemble, deux politiques ont été mises en œuvre. Celle des aides aux sociétés d'une part, qui a vu ces derniers temps le "saupoudrage" budgétaire des entreprises au moyen de l'argent récupéré sur les privatisations, et celle des heures de travail, de l'autre. Actuellement, une combinaison des deux est en train de voir le jour. Nous résumons ici les principales étapes de cette histoire (Sources : Le nouvel Observateur, Le Monde, Libération ) :

- 1955 : les salariés de Renault obtiennent la 3ème semaine de congés payés;

- 1956 : une loi généralise la 3ème semaine de congés payés;

- 1962 : les salariés de Renault obtiennent la 4ème semaine de congés payés;

- 1969 : généralisation de la 4ème semaine de  congés payés;

- 1982 : la durée légale hebdomadaire passe de 40 heures à 39 heures, sans baisse de salaire. La loi instaure la 5ème semaine de congés payés;

- années 1980 : la loi Delebarre puis la loi Séguin organisent l'aménagement du temps de travail. De nombreux accords d'entreprises annualisent le temps de travail, avec ou sans réduction de salaire. Suppression de l'autorisation administrative de licenciement et création des Enca (Emplois nouveaux à contrainte allégée; mais le sigle se réfère au mot "en-cas", qui désigne une chose pouvant satisfaire un besoin momentané). L'État s'engage à ne pas augmenter les charges salariales et à ne pas réduire le travail au-dessous de 39 heures;

- 1996 : la loi Robien accorde des baisses de charge aux entreprises qui réduisent d'au moins 10% le temps de travail pour embaucher ou sauver des emplois;

- juin 1998 : abolition de la loi Robien;

- 13 juin 1998 : loi Aubry. La loi "cadre" (approuvée) fixe au 1er janvier 2000 le passage aux 35 heures (2002 pour les entreprises de moins de 20 salariés). Elle laisse à la négociation le soin d'établir les modalités. Une aide structurelle est prévue jusqu'à 9.000 Francs par salarié si les entreprises bouclent leur accord avant le 30 juin 1998. Les aides deviennent ensuite dégressives. La loi "balai" (qui doit être présentée dans un deuxième temps) doit permettre, avant l'an 2000, de régler tous les points restés flous : le double Smic (Salaire minimum interprofessionnel de croissance, instauration d'un revenu mensuel minimum); les quotas autorisés sans taxation supplémentaire des heures supplémentaires; le temps de travail des cadres. L'aide structurelle qui va remplacer celles accordées jusque là tourne aux alentours de 5.000 Francs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

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Eck, Jean-François : Histoire de l'économie française depuis 1945, 191 p., Paris, Armand-Colin, 1992.

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