VI. LA QUESTION LINGUISTIQUE AU MAGHREB

 

VI.a . Une société pluriculturelle

 

La question linguistique est sans doute l'un des problèmes-clés de l'identité maghrébine. On y parle l'arabe, le français, le berbère et de multiples dialectes locaux. Le berbère est la langue de presque douze millions de maghrébins (les Amazighs représentent 60% de la population au Maroc, 20% en Algérie et 1% en Tunisie).

L'arabe littéraire et le français sont les langues de l'administration, tandis que l'arabe dialectal local et le berbère sont celles de la vie quotidienne. L'idée d'une "troisième langue" syncrétique est impraticable. Les dialectes ont une grande importance dans l'imaginaire populaire et la culture orale. L'arabe classique a un caractère plus politique : il est un instrument pour la défense de l'identité culturelle transnationale contre la colonisation. Mais il n'a pas réussi à se substituer au français au lendemain de l'Indépendance. Ce dernier est resté la langue de l'administration, de l'économie, de l'école et de l'armée. Le Maroc et la Tunisie, de leur côté, ne se pressent pas pour entamer l'arabisation du pays. Seule l'Algérie s'y est lancé avec précipitation. Pourquoi?

Le français devient la langue officielle en 1830 parce que toutes les institutions qui comptent sont aux mains des Français. Entre 1955 et 1993, la scolarité aidant, c'est le français qui est privilégié. En revanche, l'arabe littéraire est parfois l'instrument qui sert à légitimer et glorifier l'œuvre de l'Etat et son hégémonie sur les diversités ethniques.

En Algérie, les autorités ont misé dès l'indépendance sur l'arabisation totale pour oublier le colonialisme, mais c'est effectivement le fait d'une mouvance nationale et islamique à l'intérieur du FLN, les autres composantes étant plus sceptiques.

Face à la perspective de l'arabisation, les berbères passent à la contre-offensive. Sous la présidence de Chadli Ben Jedid, ils affirment leur identité : 1980 voit la naissance du Printemps kabyle. Le pouvoir essaie de limiter l'influence de la politique des dirigeants panarabistes et panislamistes du FLN, qui sont entre autre accusés de corruption.

Par ailleurs, les jeunes algériens formés dans les Universités arabisées s'intègrent mal dans le tissu politique et administratif, dont la langue véhiculaire reste le français. Ils sont les premières vicitimes du chômage. Aujourd'hui, le problème linguistique est un enjeu qui échappe à la tutelle de l'Etat. Si les élites tunisiennes s’accomodent du bilinguisme, en Algérie les élites restaient il y a encore quelques années de formation française. Quant à l'arabe littéraire en général, s'il est la langue de l'administration et de l'enseignement, il s'en faut qu'il soit celle des sciences et de la technologie. Les échanges entre pays maghrébins se font surtout en français, et l'arabe littéraire évolue lentement sur le plan de la représentation technique du monde. De nombreuses questions extra-linguistiques restent à résoudre afin d'apporter une solution à celle-là, et le drame est qu'elle accentue la diglossie chez le peuple.