III.a Les
trois phases de l'occupation française en Algérie
1830-1839 : l'occupation militaire limitée à certaines zones littorales, stratégiquement importantes.
1839-1847 : l'expansion
de la présence militaire et l'affrontement avec l'émir Abd-el-kader
qui capitule le 23 décembre 1847.
1847-1871 : l'installation
définitive de l'occupant.
Pendant la première
période, le pouvoir est confié au ministère de la guerre qui,
à travers l'armée, doit administrer les régions occupées. Les
militaires sont épaulés, dans leur administration, par des
structures para-militaires formées en 1844, appelées "Bureaux
des Indigènes". Ces structures sont dirigées par des
officiers détachés de l'Armée dont la charge est de contrôler
directement les collectivités locales administrées par les
institutions deycales (du Dey) que la France laisse en place pour
éviter tout affrontement direct avec les indigènes.
Cependant, l'expérience ne dure pas, puisque la France décide de départementaliser en 1847 tout le territoire algérien. Ainsi est inaugurée et perfectionnée la politique de l'expropriation des terres, et les propriétaires ne trouvent plus à leur disposition que des terrains peu fertiles. L'Algérie annexée est divisée en trois régions soumises à un double système administratif : d'une part l'administration civile française, dans les régions à forte présence européenne, de l'autre, une administration militaire basée sur les Bureaux Arabes, dans les zones habitées par les indigènes, et les zones mixtes. Mais ce type d'administration connaît, entre 1852 et 1896, des mutations dues aux changements des systèmes politiques dans l'Hexagone.
III.b Le
pouvoir civil
En 1870, les
colons, estimés à 85.000, contrôlent toute l'économie de l'Algérie
et sont maîtres de trois millions d'Algériens. Par leur
influence politique, ils transforment les régions à
administration militaire en régions à administration civile.
Ainsi, les fonctionnaires algériens perdent le peu de charges
administratives qui leur avait été accordé par l'administration
militaire. Vers la fin de 1881, la superficie du territoire civil
contenant 2.135.000 habitants, atteint 104.830 km2.
Attirés par les
lois de l'expropriation des terres, de nouveaux immigrés
arrivent de France et du reste de l'Europe méditerranéenne,
tandis que les Algériens sont refoulés sur des portions de
terre toujours plus réduites. Les autochtones vont être classés
en deux catégories : la minorité juive, qui peut se naturaliser,
la majorité musulmane, soumise à un code spécial et privée de
tous les droits civils et politiques dont bénéficient les
autres.
A mesure que le
pouvoir des colons se consolide, l'influence de l'autorité
centrale à Alger diminue. C'est au point qu'en 1881, le
gouvernement français décidera d'incorporer l'administration
algérienne à l'administration française. L'économie, elle
aussi, s'intègre dans l'économie de la métropole. Ainsi s'achève
l'annexion de l'Algérie, dont le sort dépendra uniquement d'un
lobby colonialiste qui saura en tirer profit. L'Algérie est gérée
par la jurisprudence française, mais les indigènes sont privés
des avantages accordés aux Européens. Les Algériens peuvent
devenir Français, à condition qu'ils renoncent à leur statut
de musulman (1865). Avec l'intégration se configure donc une
francisation du système administratif, juridique et scolaire,
visant à nier l'identité algérienne.
III.c. La
politique de pénétration et de désagrégation de l'Algérie
Lorsque le
colonialisme français s'implante en Algérie, la société algérienne
n'est pas divisée : c'est une société unie, avec ses propres
institutions sociales et politiques, et une identité culturelle
bien enracinée. Pourtant, la France coloniale ne traitera pas
les Algériens comme une entité homogène, mais plutôt comme
des groupes polymorphes, indociles et fauteurs de trouble qui
menacent les intérêts de la colonisation. L'aspect sécuritaire
prend le dessus. La répression et l'oppression deviennent des
pratiques quotidiennes de la politique coloniale. Les lois d'exception
et l'administration militaire pendant un demi-siècle, font que l'aspect
sécuritaire conditionne remarquablement les choix politiques et
deviennent le seul souci de l'appareil d'État colonial.
Après avoir
complètement démoli toutes les institutions héritées de l'époque
ottomane, la France coloniale cherchera à défigurer la
dimension socioculturelle des Algériens pour les priver de toute
appartenance nationale et religieuse, et elle sèmera la zizanie
entre Arabes et Berbères, pour provoquer un conflit ethnique
dont les conséquences seront désastreuses pour la cohésion
sociale du pays.
De fait, bien qu'elle
soit annexée, tous les gouvernements français conviennent que l'Algérie
est une entité juridiquement distincte de la métropole, du fait
qu'elle n'est pas une colonie au sens classique, ni un
protectorat, ni un département à tous les effets. Ce statut
particulier provoque bientôt, au sein de la communauté
coloniale, une contestation, qui orientera la politique dans une
direction à sens unique, à la grande satisfaction des colons.
Par conséquent, l'intégration sous tous ses aspects, n'est pas
un choix constant ni un objectif préconçu. Il est vrai que
toutes les politiques poursuivies visent à intégrer l'Algérie
dans le marché français, toutefois la politique d'intégration
totale se heurte à l'opposition des colons, qui aspirent à
jouir d'un statut légal qui leur faciliterait le contrôle de l'économie.
La seule intégration réussie étant celle qui soumet l'Algérie
aux normes et aux lois françaises qui accompagnent les intérêts
coloniaux, les autres lois républicaines, garantissant l'égalité
des droits, sont écartées. Une loi du 14 juillet 1865, qui
distingue le citoyen du non-citoyen, va constituer le pilier de
la politique de soumission et la base du système administratif
en Algérie, jusqu'en 1946. Puisque les Français refusent jusqu'à
cette date-là d'accorder la citoyenneté aux indigènes à cause
de leur religion musulmane, les Algériens, eux aussi, refusent l'intégration
(de fait, en 1890, 783 Algériens seulement ont accepté de
renoncer à la jurisprudence musulmane).
La discrimination
est la norme. Les musulmans sont soumis juridiquement au "Code
de l'Indigénat" qui leur interdit de sortir des limites du
Douar (village); des peines collectives et des arrestations préventives
frappent la population au moindre geste suspect.
L'existence des
institutions culturelles et religieuses est menacée. Les
tribunaux islamiques passent de 184 à 61 unités et leurs compétences
diminuent. En Kabylie, la France mène une campagne de
francisation et de christianisation, au nom de "la foi chrétienne
que leurs ancêtres avaient embrassée", selon l'expression
du cardinal Lavigerie, archevêque d'Alger en 1867 et de Carthage
en 1884. La destruction de l'identité maghrébine passe par un
retour à la division ethnique entre Arabes et Berbères, voulue
par la puissance coloniale. Des révoltes et des insurrections,
inspirées par l'Émir Abd El Kader, éclatent en Algérie, qui
vont durer un demi-siècle. C'est l'ampleur des pertes humaines
dans le cadre de cette politique coloniale qui distingue la
Tunisie et, dans une certaine mesure, le Maroc, des méthodes
françaises de colonisation pratiquées chez le voisin algérien.
La Tunisie connaît depuis 1881 une politique d'occupation tempérée par le traité du Bardeau, qui maintient officiellement l'État tunisien, sans préciser toutefois la nature des rapports entre cet État et la France. L'administration dépend du Bey de Tunis, qui est le chef de l'Exécutif; les affaires étrangères et les finances dépendent du Résident général français, représentant le gouvernement. Cette "modération" dans la "tutelle" vient sans doute du fait que le territoire tunisien est plus homogène et moins vaste que le territoire algérien, et la société tunisienne plus attachée à ses institutions. De plus, le système de protectorat mis au point par Jules Ferry tient compte de la politique internationale. L'Italie, en particulier, n'a pas accepté la conquête de Tunis, et l'opinion publique française l'a contestée. Ce système sera d'ailleurs plus économique pour les Français, puisqu'il leur permettra d'exercer le maximum de prérogatives dans les affaires tunisiennes à travers un gouvernement à leur solde, sans en référer à l'Assemblée Nationale.
III.f. Le
Maroc sous protectorat français
Le Maroc est le
dernier des pays d'Afrique du Nord à passer sous la tutelle française,
parce qu'il s'est trouvé en quelque sorte protégé par les visées
expansionnistes concurrentes de l'ensemble des pays européens.
En accordant à l'Espagne la région du Rif et du Nord marocain,
le traité d'Algésiras du 30 mars 1912 place le Maroc sous
mandat français. Le roi du Maroc est une pièce importante dans
l'établissement du protectorat, puisqu'il conserve sa légitimité
politique et religieuse.
La politique
coloniale au Maroc divise le pays en pôles opposés : Arabes-Berbères,
Sibâ-Makhzen, Maroc utile-Maroc inutile. Pourtant, avant la
colonisation, le pays était quand même divisé. D'une part, le
domaine du Makhzen (gouvernement) comprend les plaines habitées
par les tribus arabes ou arabisées reconnaissant l'autorité
politique et religieuse du souverain. De l'autre, le domaine du
Sibâ, comprenant les régions montagneuses et éloignées de la
côte, habitées par les Berbères jouissant d'une certaine
autonomie politique tout en reconnaissant l'autorité religieuse
du monarque. Le discours colonial exalte cette division pour
faire valoir l'impossibilité du Maroc à constituer un État
unitaire (cf. Abdallâh Laroui, Les origines sociales et
culturelles du nationalisme marocain), tandis que le Protectorat
ramène les termes à une division entre Maroc utile (Makhzen) et
Maroc non-utile (Sibâ). La politique de ségrégation ethnique
vise à séparer la population berbère du reste de la société
marocaine. Un décret (Dahir) du 11 septembre 1914 soumet les
Berbères au droit coutumier en les faisant sortir de la sphère
d'application du droit religieux musulman; l'interdiction de la
langue arabe parmi les Berbères et l'évangélisation s'ajoutent
au Dahir. En mai 1930, un décret établit des juridictions berbères
indépendantes, mais instaure les tribunaux français auprès de
ces juridictions. Cette politique va être contestée par les
maghrébins avec l'appui du reste du monde arabo-musulman. La
colonie va instrumentaliser la question berbère, en cherchant à
se rapprocher des zaouïas pour neutraliser les confréries en
lutte contre la corruption coloniale.
En conclusion, la
France se garde bien d'harmoniser les systèmes politiques, et
surtout de les intégrer à la République. Elle monopolise le
pouvoir politique et le remet à une poignée d'étrangers, malgré
certains gouverneurs et résidents généraux favorables à une
intégration des intérêts entre les différents peuples.