II. LES FRANÇAIS

 

A ce sujet, nous désirons parler de quelques traits “ caricaturaux ”, la mauvaise humeur des Français et ce que l’on trouve fréquemment cité comme “ l’exception française ”

Dans le journal “ La Repubblica ” du mardi 30/09/97,  Bernardo Valli commentait une enquête intitulée Verso l’Europa / Il caso francese, de la façon suivante :

“ (Jospin) Fa in sostanza  quel che faceva il predecessore, l’impopolare Alain Juppé : eppure lui, Lionel Jospin, è popolare….in quattro mesi … il malumore nazionale si è placato. Non che Jospin sia riuscito a far sorridere i francesi. C’è mai riuscito qualcuno ?… ”.

 

Une formule devenue banale définit les Français comme  “ des Italiens de mauvaise humeur ! ” ; de nombreux termes qualifient leur attitude : ils sont moroses, mélancoliques, grincheux, frileux, nostalgiques. Ils semblent, enfin, pleurer leur “ grandeur ” perdue et si souvent reprochée à l’étranger, en Italie sûrement !

 

Les Français seraient donc les représentants renfrognés, d’humeur taciturne et revendicative, d’un peuple contraint de se replier sur son pré hexagonal.

Le dessin publié par l’hebdomadaire “ Marianne ” de la première semaine de juillet 97, tout en évoquant un épisode précis : le refus du président Chirac et du chancelier Kohl de porter la tenue de cow-boy prévue par les hôtes du sommet de Denver pour la soirée western, illustre efficacement le refus de la France de baisser la tête devant la puissance des États-Unis et de leur langue.

 

 

 

Les Français francisent les sigles, on ne dit pas NATO mais OTAN, AIDS mais SIDA, revendiquent une langue capable de dire la modernité en français, ainsi un computer est un ordinateur, un walk-man un baladeur ; lors des accords internationaux du GATT et de l’AMI les réactions furent nombreuses et dissonantes par rapport aux autres pays européens.

A propos de l’édit de Nantes, Jean Delumeau professeur au Collège de France, parle d’exception française. L’exception consiste à rompre la règle qui veut que la religion du roi soit celle de ses sujets, comme c’est le cas dans le reste de l’Europe où le catholicisme d’état règne en Espagne, au Portugal ou en Italie comme l’anglicanisme d’état a été imposé en Angleterre. L’exception française consisterait alors également, aujourd’hui, à refuser de s’aligner derrière les États-Unis, monarque actuel de notre planète !

 

Lorsque l’historien François Furet  parle de ce qu’il appelle l’énigme française, il cite ceux qui sont à son avis les trois grands problèmes qui déterminent l’avenir de la France : la construction européenne, le chômage, l’immigration. Il constate qu’en France plus qu’ailleurs les acteurs politiques continuent à fonder leur identité sur leur histoire, l’idée républicaine servant à rafistoler les idéologies politiques nationales en perdition. Furet fustige cette évocation rituelle des origines de la République bourgeoise de 1880 car tout a trop changé parmi ses points forts : la France n’est plus rurale, l’école de Jules Ferry est entrée dans sa crise terminale, le patriotisme français est orphelin de lieux de conquête, la gauche n’a plus d’adversaire cléricale à vaincre. Face à la fascination qu’exerce le passé, Furet craint que la passion que les Français mettent à le célébrer, leur évite surtout d’en faire l’inventaire. L’historien estime que la force de L. Jospin tient au mélange d’un style neuf et d’un fond archaïque : la nouveauté résidant aussi dans la composition du gouvernement largement ouvert aux femmes, l’archaïsme dans la permanence des corporatismes dont il doit tenir compte, les acquis étant menacés non seulement par l’économie mais aussi par la démographie. Les Français enfermés dans une ignorance narcissique de l’économie sont, dit-il, la proie facile des démagogues et le rôle à chaque élection joué par le parti d’extrême droite (le Front National) qui, d’adversaire radical devient un allié objectif, pollue les échéances électorales. La France, un pays autiste, obsédé par sa particularité, est devenu une énigme pour le monde  à force d’en ignorer les lois (d’où le titre de l’article), voilà l’ornière dont elle doit se tirer si elle veut enrayer le déclin.

L’éditorial du Monde du même jour, constatant la popularité rencontrée chez les Français par les journées du Patrimoine, analyse lui aussi cette passion des Français pour leur passé. A refuser le monde et la modernité, la France risque de n’être plus qu’un musée. Mais si cette nostalgie révèle un état dépressif, laissant craindre la momification d’un pays, l’éditorial préfère miser sur une interprétation plus positive. Les Français s’approprient leur passé pour construire l’avenir. Lors des journées du Patrimoine, ils se sont précipités en masse vers l’Élysée ou Matignon, lieux du pouvoir habituellement fermés au public. L’Éditorial y voit un attachement dynamique à la démocratie. Ils étaient aussi nombreux à fouler les lieux liés au patrimoine industriel et surtout, parmi les visiteurs, beaucoup d’étrangers étaient présents. Ceci est un signal d’ouverture au monde et à la modernité alors, conclut-il, le passé devient bien ainsi un moteur de développement.

 

Pierre Georges raconte la liesse qui a accompagné la victoire de l’équipe de football aux derniers championnats du monde dans Le Monde du 14 juillet (date elle aussi emblématique puisque le 14 juillet, date anniversaire de la prise de la Bastille en 1789, est jour de fête nationale en France). Il salue avec un enthousiasme attendri cette équipe qui a su provoquer une telle adhésion nationale, réveiller tout un pays, donner autant de joie et de spectacle à autant de gens.

Cette fête serait un grand coup donné à la morosité et au doute ambiant ! On verra …