III. LE SECTEUR SECONDAIRE

 

III. a. Les conditions de la productivité : les premières nationalisations

 

Il a fallu moins de temps pour nationaliser les entreprises au lendemain de la guerre que pour les privatiser de nos jours. C'est dire si la philosophie, héritée de la révolution française,  qui a justifié les nationalisations, a été expéditive. En 1794, l'Abbé Grégoire établissait l'existence d'un bien public à partir d'un droit de propriété à base 0, évoquant "les objets nationaux qui, n'étant à personne, sont la propriété de tous ". Le préambule de la Constitution de la IV° République, en 1946 part, quant à lui, d'une base 0,1 : "tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ". La Constitution de 1958 ne crée pas de nouvelles lois. Elle laisse les choses en l'état, prévoyant seulement l'indemnisation des actionnaires.

Les nationalisations des années 1930 concernent les entreprises frappées par la crise. L'État leur vient en aide et les regroupe dans un consortium unique (les différentes compagnies de chemins de fer sont regroupés dans la SNCF - Société nationale des Chemins de Fer; les compagnies aériennes, dans Air France). Seules les industries d'armements sont nationalisées pour des raisons politiques, par crainte du fascisme et pour préparer la guerre. Les nationalisations de 1945 à 1947, quant à elles, sont pensées en dehors de la crise économique.

Dans un premier moment, l'État entérine les nationalisations d'avant la guerre. Air France devient ainsi une société d'économie mixte, comprenant l'État, les employés et des usagers. De 1944 à 1945 le gouvernement provisoire nationalise par ordonnances. La Société Renault devient la Régie Renault (aujourd'hui, reprivatisée, elle s'appelle simplement Renault). Son président est nommé par l'État mais son autonomie est respectée, tout comme celle du patron de la SNCF. A partir de 1945 l'État organise sous sa direction les sources d'énergie à travers des nationalisations parlementaires, en créant EDF (Électricité de France), GDF (Gaz de France), et les Charbonnages de France. EDF et GDF sont fortement centralisées. Seuls, les Charbonnages de France maintiennent une certaine indépendance, car ils restent un regroupement de sociétés.

 

III. b. Les conditions de la productivité : les banques

 

L'État nationalise aussi le secteur bancaire, dont la Banque de France, le Crédit Lyonnais, la Société Générale et la Banque Nationale du Commerce et de l'Industrie à 100%, établissant ainsi la première distinction entre les banques de dépôt et les banques d'affaires (les premières reçoivent des dépôts à court terme, et les prêtent; les secondes se spécialisent dans les financements à plus long terme).

Pourtant, ces nationalisations ne seront pas toujours vécues comme un passage à l'économie d'État. Les banques nationalisées continueront leurs affaires comme si de rien n'était. Comme l'explique  Le Monde du 4 décembre 1998 : "On constate, a posteriori, que ces nationalisations, si elles ont été un acte politique fort, n'ont en revanche été, sur le plan économique, qu'un ''quasi non-événement''. Les quatre banques ont continué à participer  à l'économie de marché (...) Le seul acte d'autorité que [l'État] ait engagé sera, en 1966, la fusion imposée de la BNCI (Banque Nationale pour le Commerce et l'Industrie) et du Comptoir national d'escompte, fusion qui donnera naissance à la BNP (Banque nationale de Paris)". Et de conclure : "Le développement s'est appuyé, en France, davantage sur un financement bancaire -la dette - que sur un financement de marché - la Bourse (...). Il jouera un rôle très important pendant toute la période des "trente glorieuses", à travers notamment l'encadrement du crédit, la politique d'investissement, les priorités au logement et la création, à chaque occasion, d'institutions financières spécialisées ".

 

III. c. Les conditions de la productivité : la planification

 

La Planification est la deuxième institution nationale créée au lendemain de la guerre. Il s'agit d'une planification indicative  conçue pour satisfaire aux exigences de la reconstruction. Jean Monnet, qui s'est occupé de l'approvisionnement des Alliés pendant la guerre, en est l'initiateur, comme il va l'être de la CECA. Cette planification, menée par une Commission et dirigée par un Commissaire (encore Jean Monnet, pour le "Plan de modernisation et d'équipement", de 1947 à 1952) est d'abord une planification en volume puis, le système devenant plus fin, une planification en valeur. Aujourd'hui, la planification intègre les acteurs régionaux et l'État n'y a plus qu'une part très réduite. On parle même, ces derniers temps, de déplanification.

Malgré la politique de déréglementation actuelle, on compte encore 1400 entreprises de société mixte, en dehors des quelques très grandes "institutions" où l'État joue un rôle important. Pour certaines d'entre elles, comme EDF et GDF ou la SNCF, l'État hésite encore à les verser dans le secteur privé sa politique consiste à les maintenir dans le secteur public, à la différence des GEN (Grandes Entreprises Publiques, comme Thomson, Renault) qui passent de l'autre côté.

 

III. d. Les conditions de la productivité : les nationalisations de 1981

 

Les nationalisations ne remontent pas seulement à la période de l'immédiat après-guerre. En 1982, le gouvernement Mauroy nationalise beaucoup, et à 100% ("51 % cela n'aurait pas eu de sens ", disait le Premier Ministre). Il s'agit surtout de groupes bancaires dont la politique d'investissements a été jugée timide. Enfin, une politique nouvelle oriente "chaque grande entreprise publique [placée] sur une filière de production". Parmi les nouvelles nationalisées, Saint Gobain (verre et matériaux de construction), Usinor Sacilor (acier), Thomson (électronique), Péchiney (aluminium), Rhône Poulenc (chimie) doivent maîtriser le cycle de la production en entier. Mais l'État leur vient aussi en aide. Il mène alors une politique de "grands travaux" d'assainissement des finances de l'entreprise, comme avec Usinor pour l'acier. De 1986 à 1997, au cours des différents trains de privatisations, on lui a souvent reproché de les sous-évaluer pour les revendre plus rapidement.

 

III. e. Les conditions de la productivité : les privatisations

 

Ces trains de privatisation s'inscrivent dans une politique de déréglementation systématique à laquelle les accords entre le Parti socialiste et le Parti communiste ne s'opposent pas. Lionel Jospin, pour sauver les formes, élimine le mot privatisation de son vocabulaire et parle maintenant d'ouverture au capital. La Commission pour les privatisations change de nom, elle aussi. Et ce n'est peut-être pas un hasard non plus si le CNPF (Conseil National du Patronat Français, le syndicat des patrons) est devenu en 1998 le Médef (Mouvement des entreprises de France).

L'Acte Unique Européen d'abord, le Traité de Maastricht ensuite, et par-dessus tout la volonté des hommes politiques (si François Mitterrand a en quelque sorte "laissé faire" les privatisations sous les gouvernements de la cohabitation avec Chirac et Balladur, ce sont surtout ces derniers, puis Alain Juppé et Lionel Jospin, qui ont privatisé systématiquement) poussent dans le sens d'une privatisation d'office, essayant parfois de sauver quelques acquis hérités du passé gaulliste. Renault n'a pas été privatisée sans heurts sous Balladur : l'État y a gardé une majorité de contrôle (51%). Il y maintient actuellement une majorité de 46%. On a pu dire que le gouvernement Jospin privatise plus que celui d'Alain Juppé. Pourtant, si Thomson-CSF a été privatisé, ce secteur de l'électronique de défense, dont le gérant commanditaire est Jean Luc Lagardère, PDG du groupe Matra (missiles), ne l'a pas été selon les modalités de son directeur qui voulait le rattacher à son propre groupe. Le gouvernement en a décidé autrement en l'adossant (c'est-à-dire en lui trouvant un groupe d'appoint plus fort) à l'Aérospatiale.

L'ouverture à la concurrence de certains secteurs a accéléré aussi l'ouverture au capital. En quelques années, l'ouverture des télécommunications et de l'espace aérien ont fait passer France Télécom et Air-France dans la catégorie des entreprises concurrentielles. EDF y passera en février 1999, et la SNCF doit y passer à son tour.

Pour l'heure, les "privatisées" fonctionnent avec les capitaux des actionnaires stables, des actionnaires partenaires, et des actionnaires institutionnels, ces derniers étant le plus souvent de grands groupes bancaires ou financiers. Dans certains secteurs, comme France Télécom, l'État conserve encore près de 70% des actions, et les employés ont été invités à acheter les actions de leur entreprise (qu'ils doivent garder cinq ans). Dans le cas d'Air France, le PDG a utilisé les privatisations pour négocier avec les employés le gel de leurs salaires en échange d'une participation accrue à l'entreprise. Dans l'ensemble, ce mouvement de privatisations a permis au capitalisme français de sortir d'une "impasse" : la fusion AXA-UAP dans les assurances, en réunissant un groupe privé et un groupe autrefois national, a entraîné la formation d'un bloc financier à valeur internationale.

Quant aux investissements étrangers en France, écoutons François Grosrichard évoquer le bilan de 1997 :

"Selon la Datar (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale), les étrangers ont créé ou maintenu 24 212 emplois l'an dernier, contre 22 814 en 1996, soit une hausse de 6 % pour des investissements d'environ 22 milliards de francs (...). La Datar, qui ne comptabilise pas non plus les emplois supprimés par des firmes étrangères, indique, en outre, qu'en 1997 les créations nouvelles d'entreprises sont plus nombreuses que les extensions d'établissements déjà existants. Le premier secteur concerné est l'automobile (18% des projets annoncés) suivi des entreprises d'électronique, de télécommunications, d'informatique (16% des projets) et de la filière papier-bois et du verre (11 %) " (Le Monde, 26 février 1998).

 

III. f. Les entreprises à forte valeur ajoutée

 

Enfin, on ne saurait parler d'économie sans évoquer l'ensemble des entreprises qui n'appartiennent pas au secteur public. Le mensuel L'Entreprise recense, dans son numéro spécial de décembre 1998, un total de 11.000 entreprises, classées par départements, dont le CA va des 254 milliards de francs de la compagnie pétrolière Elf Aquitaine, aux 50 millions de francs de l'entreprise la plus petite prise en considération. Sur les 13 entreprises dont le siège social est en Ile de France (Paris et sa région) et dont le CA dépasse 100 milliards de francs, 9 appartiennent ou ont appartenu à l'État. Seules Promodès et Auchan, qui appartiennent à la grande distribution, dépassent ce chiffre : leur siège est en Basse Normandie et dans le Nord Pas-de-Calais. Elles sont suivies dans le groupe de tête par Michelin, qui affiche  83 278 millions de francs de CA au cœur de l'Auvergne, à Clermont-Ferrand. Le secteur privé est donc très vaste. Parmi les 40 entreprises servant à calculer l'indice boursier qui intègre les plus grosses entreprises du pays (le CAC 40) 7 parmi elles (Elf, Total, Renault, Suez, Saint Gobain, Alcatel, la Générale des Eaux) ont appartenu entièrement à l'État. Mais Carrefour (distribution) a un chiffre d'affaires qui est presque le double de celui de la SNCF (170 milliards contre 98 en 1997).

 

 

III. g. La politique énergétique : le charbon

 

Ni centralisée ni étatisée, la Société des Charbonnages de France, créée en 1947, constitue un enjeu idéologique plus qu'une nécessité économique. C'est dans la France des années noires, en 1958-1960, en pleine guerre d'Algérie, lors de la mise en place de la nouvelle Constitution, après l'effondrement du barrage hydroélectrique de Fréjus qui a fait des centaines de morts, lorsque les mines ne sont plus rentables et quand les chercheurs commencent à "plancher" sur le nucléaire, que de Gaulle déclare "il ne faut pas renoncer à notre charbon ". Aujourd'hui, on évalue à court terme la fin de l'extraction minière en France. Ce qui ne signifie pas la fin du charbon, mais du moins des difficultés. Une perspective s'annonce peut-être avec l'ouverture à brève échéance du marché de l'électricité. Denis Gallois résume bien la situation en disant : "le projet de constituer un pôle électrique regroupant les cinq centrales thermiques des Charbonnages de France a été approuvé le 30 mars (1995) par l'ensemble des houillères de bassins concernés. Une nouvelle entité, la Société nationale d'électricité et de thermique (SNET), regroupera les installations implantées à Hornaing (Nord), Carling (Moselle), Montceau- les-Mines (Saône-et-Loire), Decazeville (Aveyron) et Gardanne (Bouches du Rhône). (...) Le groupe Charbonnages, deuxième producteur national d'électricité avec 26% du volume (hors nucléaire) distribué par EDF, n'aurait donc (...) qu'un seul client. Il lui serait impossible de vendre une partie de sa production à d'autres acquéreurs. (...) La constitution du pôle électrique est liée à la fermeture des derniers puits de mines en 2005. Après cette date, le groupe Charbonnages de France deviendra une entreprise d'environ 2500 personnes dont l'activité se partagera entre la production d'électricité et l'importation de charbon avec les services liés à cette activité. D'où l'espoir placé dans ces cinq centrales. Cet outil de production, employant 1300 agents spécialisés (...) a connu un taux d'utilisation de 92 % " (Le Monde, 1er avril 1995).

En ce qui concerne la région charbonnière par excellence, c'est-à-dire le Centre, avec Le Creusot et Saint-Etienne, les propriétaires des puits qui sont aussi les propriétaires des terrains ont tout fait pour en effacer le passé minier. "Nous n'avons pas de mine pour la transformer en musée " disait un ouvrier des chantiers navals de Brest, en Bretagne, à l'occasion d'une restructuration. Mais même le musée de la mine de Saint-Etienne, malgré l'émotion qu'on y éprouve, ressemble plus à un parcours virtuel qu'à une ancienne mine.

 

III. h. La politique énergétique : le pétrole et le gaz naturel

 

La ligne Le Havre Marseille qui place, à l'est, la France industrialisée, et, à l'ouest, la France agricole, selon la division instaurée en 1947 par Jean-François Gravier dans Paris et le désert français , partage aussi bien aujourd'hui une France pétrolière riche des ports de Dunkerque, Le Havre, et Marseille-Lavéra d'un côté, et une France sans pétrole, ou du moins sans grosses raffineries, de l'autre.

La France a depuis longtemps une politique pétrolière, basée depuis 1928 sur une charte du pétrole entre la France et les pays producteurs  qui facilitait l'importation de pétrole en provenance du Moyen Orient de la part des compagnies françaises et des compagnies étrangères installées en France métropolitaine. Mais aujourd'hui, cette loi a été remise en cause par les institutions de l'Union Européenne.

Le pétrole est la source d'énergie la plus soumise aux aléas de la conjoncture. Pour y remédier, l'Etat a créé sa propre compagnie nationale, Elf (Essences et lubrifiants français), sur la base d'une compagnie préexistante, la SNPA (Société nationale des pétroles d'Aquitaine), chargée à l'origine de la prospection et de l'exploitation en Algérie et en France, et dont le résultat le plus fructueux a été la découverte du gisement de gaz de Lacq, dans les Pyrénées. Aujourd'hui, le champ d'action de cette nouvelle compagnie est esentiellement l'Afrique sub-saharienne et la mer du Nord. L'autre compagnie pétrolière française, Total, héritière de la Compagnie française des pétroles, liée aux grandes compagnies américaines qui la tolèrent dans les pays du Golfe (défiant les Etats-Unis, elle vient d'investir en Iran, " pays interdit à la communauté internationale par le 'Grand Satan' [entendez, les Etats-Unis]  "), prospecte et vend avec succès en Asie. Ces deux majors françaises se font une concurrence très forte sur le marché international. En témoigne le coup de poker du 2 décembre 1998 du patron de Total, Thierry Desmarest : "Le mois dernier aussi, si l'on avait mieux perçu son silence, on aurait peut-être compris avant l'heure que Total allait mettre la main sur le belge PetroFina, et non Elf, comme tous les experts l'annonçaient depuis quelques semaines. Au moment où seuls les géants parviennent à encaisser la chute des cours du pétrole, ce discret coup de maître a propulsé le groupe dans le peloton de tête des grandes compagnies mondiales. A quelques encablures des Exxon-Mobil, Shell, et BP-Amoco, et surtout très loin devant son vieux concurrent  Elf, qu'il talonnait jusqu'alors " (Libération, 12.01.1999).

Aujourd'hui, le bas prix du pétrole, la diversification des sources d'approvisionnement de la part des compagnies (autre succès de Total, alors que son concurrent Elf, en voulant les limiter, s'englue dans les affaires africaines), l'accroissement de la capacité de ces mêmes compagnies à extraire "l'or noir", font du pétrole la plus grande source d'énergie à bas prix disponible.

Le pétrole extrait par les compagnies françaises est le plus souvent vendu sur place, ou dans les pays limitrophes. En France, la production est très faible (il y a un bassin pétrolier en Aquitaine, et un en région parisienne) et les raffineurs situés en métropole décident eux-mêmes auprès de qui s'approvisionner. Les raffineries sont d'ailleurs un secteur en crise. Marseille, Fos et Lavéra sont sur le point de perdre les leurs - les compagnies pétrolières qui y sont présentes tendent à se reconvertir dans l'industrie chimique - compte tenu de la délocalisation des raffineries en direction des pays producteurs eux-mêmes. Mais l'arrêt de la production coûte plus cher que la reconversion des sites. De plus, les constructeurs français privilégient le gazole, du fait du prix très concurrentiel de celui-ci, meilleur marché que l'essence sans plomb, et surtout sous la pression des transporteurs routiers.

Aujourd'hui, les deux compagnies nationales tendent à orienter leurs recherches dans le sens de la diversification. Total investit dans les énergies douces (l'énergie solaire) en Afrique, sur les terres d'Elf; et Elf dans la chimie ... et les parfums.

Pour l'heure, c'est encore l'Etat qui retire le plus de bénéfice de la vente des produits pétroliers à la pompe (essence, gazole, fioul agricole), à travers les TPP (taxes sur les produits pétroliers). Et les stations d'essence de marque (elles sont à peu près toutes représentées) sont en concurrence avec les stations-service des grandes surfaces depuis la libéralisation du prix de l'essence.

Le statut d'entreprise d'intérêt public n'a pas été accordé à GDF (Gaz de France, entreprise de distribution) dont le réseau est beaucoup moins étendu que celui d'EDF (Electricité de France, dont nous allons parler ensuite). Pendant longtemps, la société a reposé sur l'exploitation du gaz de Lacq (Aquitaine). Aujourd'hui, GDF se tourne vers des fournisseurs étrangers (Hollande, Russie, Algérie). Son grand concurrent en zone agricole est Butagaz.

 

III. i. La politique énergétique : l'électricité et le nucléaire

 

 En France l'électricité est le mythe du XXe siècle naissant. Jules Verne en fait le perpetuum mobile  du sous-marin ultramoderne Nautilus, et Raoul Dufy décore en son honneur le Pavillon de l'électricité qui va devenir la plus grande surface peinte de l'histoire de la peinture. Pour répondre aux besoins du pays, le gouvernement français crée en 1946 EDF (Electricité de France), devenue aujourd'hui la plus grande compagnie mondiale productrice d'électricité.

EDF produit de l'électricité et en achète aux petits producteurs et aux Charbonnages de France. Elle en vend aux pays voisins (Italie, Suisse, Grande-Bretagne), investit au Portugal et en Espagne, vend des centrales nucléaires en Chine (Daya Bay 1 et 2, - la première connaissant déjà des difficultés, ce qui risque de compromettre le marché asiatique).

EDF produit de l'électricité à partir de centrales hydrauliques, d'une centrale marémotrice expérimentale (celle de la Rance, en Bretagne, qui reste la seule tentative dans le genre), de centrales thermiques, et surtout nucléaires, après les choix politiques du septennat de Valéry Giscard d'Estaing d'amener la France à l'indépendance énergétique (lois Messmer en 1974, et lois de1980).

La production d'énergie nucléaire à usage civil est née d'une volonté des gouvernements, qui ont d'abord créé le CEA (Commissariat à l'Energie Atomique), puis la société Framatome, pour mettre au point une filière française. D'ailleurs, la volonté de conjurer une éventuelle séparation entre un domaine politique et un domaine industriel était bien dessinée dans cette justification du politologue Raymond Aron, dans un article du Figaro (16 septembre 1958) : "Les Etats-Unis consentaient à nous vendre de l'uranium enrichi à un prix peut-être inférieur au prix de revient de celui qui sortira de l'usine française, mais ils exigeaient, en contrepartie, un droit de regard sur l'usage qui en serait fait. En ne produisant pas eux-mêmes l'uranium enrichi, les pays d'Europe auraient accepté une sujétion à la fois industrielle et militaire ". Mais l'opposition d'EDF aux choix de Framatome lui ont fait préférer les procédés américains de Westinghouse. Aujourd'hui, Framatome est devenu le premier constructeur de centrales nucléaires, mais le gouvernement français et EDF ont suspendu la construction de centrales jusqu'en l'an 2000.

Si le sort de Framatome se différencie de celui d'EDF, le nucléaire civil lie l'un à l'autre les sorts de chacune de ces sociétés. Or, des sondages récents sur les choix énergétiques de la France (aucun référendum n'a été proposé aux Français; est-ce pour cela qu'un commando terroriste a tiré autrefois sur la centrale de Creys Malville en construction?) font une place de plus en plus grande aux énergies renouvelables. Cette "sensibilité" sociale s'est concrétisée par un sommet où se sont réunis les 7 grands électriciens du moment (EDF, Enel, etc.) à Versailles. L'E7 a adopté, le 2 juin1998, une charte pour le "développement énergétique durable ". Si les effets de cette charte ne s'adressent pour l'instant qu'à l'Afrique (énergie solaire) et aux pays de l'Est (Pologne), il n'est pas exlu qu'ils s'appliquent dans un proche avenir aux pays de l'OCDE. C'est dans ces conditions, et en attendant l'échéance de 2010 pour le renouvellement du parc des centrales nucléaires, que Framatome exporte encore ses capacités (si des problèmes technologiques ne font pas obstacle à son développement à l'international). En France, des centrales sont dorénavant fermées pour les dangers qu'elles représentent (SuperPhénix, à Creys-Malville, mais aussi les centrales de Chinon). Quant à l'usine de retraitement des déchets nucléaires de La Hague, elle est actuellement la cible des écologistes et des populations locales qui dénoncent le taux de radioactivité relevé aux alentours. C'est la Cogema (Compagnie générale des matières nucléaires) qui est actuellement chargée de nettoyer les zones irradiées.

Même si les Français sont globalement satisfaits des performances et des services d'EDF (ils rappellent, toutefois, qu'elle ne devrait pas couper le courant aux ménages qui ne sont pas en mesure de payer leur électricité), et si l'Etat a voulu, ces dernières années, en faire l'entreprise publique pilote, en remplacement de Renault, l'ouverture prochaine du marché entraîne le gouvernement à faire des projets de démembrement de la société en secteurs autonomes. Quant à Framatome, elle souhaite "trouver une autre source de revenus pouvant compenser la réduction d'activités liée au parc nucléaire français et les moindres commandes de centrales nucléaires " (Le Monde , 29 août 1998). Pour l'heure, elle se tourne vers la connectique (il s'agit de la fabrication de pièces de raccordements pour les circuits électriques et électroniques).

EDF, après une tentative pour faire passer un projet de contrats de 32 heures hebdomadaires combattu par les lois européennes, vient de signer avec l'ensemble des centrales syndicales des contrats de 35 heures et un gain de 4.000 emplois nets. Elle a valorisé le capital scientifique de ses employés par des échanges inter-entreprises, et a installé maintenant un service "Intranet" qui leur permet de communiquer et d'échanger leur savoir-faire.

 

 

III. j. Documents

 

Les entretiens du journal Le Monde avec le président de Siemens, Heinrich von Pierer, et le PDG de Framatome, Dominique Vignon, publiés respectivement le 9 décembre et le 21 octobre 1997 rapportent les difficultés du secteur nucléaire français eu égard à son allié et "concurrent" allemand, Siemens.

 

Premier entretien : Le Monde - Heinrich von Pierer

 

- Siemens a récemment noué une alliance avec un groupe britannique dans l'industrie nucléaire. N'êtes-vous pas en train de renoncer à votre traditionnelle alliance avec les Français?

HvP : Notre collaboration avec BNFL concerne les combustibles nucléaires, un domaine dans lequel nous étions déjà en concurrence avec Framatome. Siemens et Framatome n'auraient pas pu s'associer dans ce domaine, car nous avons déjà ensemble près de 80% de parts de marché en Europe, et Bruxelles ne l'aurait pas autorisé. J'ai expliqué à plusieurs autorités françaises que notre future société commune avec BNFL n’aura pas de conséquences négatives sur nos relations avec Framatome. Nous continuerons à travailler ensemble sur la mise au point du réacteur nucléaire à eau pressurisée (EPR). BNFL, qui ne fabrique pas de réacteurs, ne fera pas concurrence à ce projet et soutiendra la coopération entre Siemens et Framatome.

- Un autre sujet d’inquiétude, en France, est le rachat par Siemens des chaudières thermiques de Westinghouse, que convoitait le français GEC Alsthom. Avez-vous aussi l'ambition de reprendre les activités nucléaires du groupe américain que Framatome souhaite racheter?

HvP : Nous n'avons pas l'intention de racheter les activités  nucléaires de Westinghouse. Nous n'avons à ce sujet pas de conflit et je souhaite bonne chance à Framatome.

- Vous avez cédé vos activités de défense à British Aerospace et DASA, au détriment de Thomson-CSF, qui était candidat. Est-ce le résultat d'une défiance envers les Français, notamment de la part des salariés?

HvP : Il est vrai que le comité d'entreprise avait émis un avis négatif sur Thomson-CSF. A la suite de mes recommandations, Thomson a présenté un projet excellent pour assurer le maintien de l'emploi et la poursuite de l'activité électronique de défense. Mais le prix offert par DASA et BA était sensiblement supérieur. C'est cela, et cela seulement, qui a emporté la décision.

- La coopération que vous avez engagée avec GEC Alsthom pour l'exportation de trains à grande vitesse a-t-elle souffert de vos différentes affaires?

HvP : Après la bataille qui nous a opposés sur le TGV coréen, nous avons tous les deux appris les leçons du passé. Même si nous n'avons pas encore de contrat, je me réjouis du pas important franchi pour construire un TGV à Taïwan. Nous devons nous habituer à être en concurrence dans certains domaines et à coopérer dans d'autres.

 

Deuxième Entretien : Le Monde - Dominique Vignon

 

- L'allemand Siemens, partenaire de Framatome, vient de signer un accord visant à se rapprocher du britannique BNFL, pour créer un groupe concurrent des industriels français et présent dans tous les secteurs du nucléaire. Comment percevez-vous ce rapprochement germano-britannique?

D.V. : Il est clair que cette alliance ne nous fait pas plaisir et nous amène à réfléchir sur sa finalité. Elle peut se comprendre car nous sommes avec Siemens depuis de nombreuses années dans une situation délicate. Nous sommes à la fois concurrent sur le court terme dans le domaine des services et combustibles, et nous coopérons sur le long terme pour concevoir le futur réacteur nucléaire européen, l'EPR (European Pressurized Reactor). Or Siemens a des perspectives de marché intérieur qui sont décroissantes. Le groupe allemand a donc souhaité adosser ses activités à un partenaire.

- Pourquoi a-t-il préféré un groupe britannique aux français?

D.V. : Dès le mois de février, j'ai proposé à Siemens de réfléchir à une mise en commun de nos activités nucléaires. Un tel regroupement aurait posé des problèmes au niveau européen car nous aurions été en position dominante. Les dirigeants m'ont également répondu que cet accord n'apporterait rien au futur groupe, chacun étant déjà très implanté sur son propre marché. Dans leur esprit cette alliance leur bloquait tout développement important sur le marché français qui est le premier européen avec soixante tranches nucléaires.

- Le futur groupe germano-britannique s'est constitué pour venir concurrencer Framatome sur son marché privilégié?

D.V. : C'est la question que nous allons leur poser. Il est possible que la stratégie de cette future société soit de venir offrir des services et des combustibles sur le marché français. Siemens et BNFL visent le siècle prochain. Ils sont confortés par la déréglementation de la production d'électricité et les obligations bruxelloises, qui obligent les entreprises publiques, donc EDF, à consulter les industriels de façon ouverte pour leur approvisionnement.

- Dans ces conditions, quel est le devenir du futur réacteur franco-allemand?

D.V. : Je constate que Siemens entend poursuivre la coopération engagée avec Framatome pour construire l'EPR, qui est au cœur de l'harmonisation de sûreté franco-allemande. C'est un objectif de long terme qui conditionne le redémarrage de l'industrie nucléaire en France en Allemagne et en Europe. Nous allons maintenant engager des discussions pour la poursuite du développement. Nous n'avons a priori aucune hostilité de principe à travailler avec cette nouvelle société dès lors que nous avons toujours la maîtrise du produit et de l'usage des connaissances techniques. En France, Framatome assurera les réalisations, en Allemagne ce sera Siemens, et nous devions nous mettre ensemble pour le reste du monde. Le nouvel accord nous oblige à en rediscuter.

- Comment se déroulera la commercialisation de l'EPR?

D.V. : Si la compétition devient plus forte sur les marchés des services et des combustibles, la vente en commun s'avérera délicate. Nous pouvons envisager un système analogue à celui existant dans l'industrie automobile - deux constructeurs Peugeot et Fiat s'allient pour un monospace et le vendent séparément - ou continuer sur la base actuelle.

- Pensez-vous que Siemens se désengage du nucléaire avec cette alliance?

D.V. : C'est une forme de désengagement mais Siemens assure le contraire.

- Cette association n'est-elle pas une réponse à votre projet de fusion avec le groupe français GEC-Alsthom, une opération que Siemens désapprouvait?

D. V. : L'argument est souvent avancé. Mais ces deux accords sont de nature totalement différente : GEC-Alsthom ne fait pas de nucléaire contrairement à BNFL et n'induisait pas de concurrence dans le champ de notre accord. De toutes façons, la fusion avec GEC-Alsthom n'est plus à l'ordre du jour.

- Cet accord germano-britannique traduit une dégradation de vos relations avec les Allemands. C'est un échec pour Framatome?

D.V. : Je suis entré chez Framatome il y a huit ans comme directeur général adjoint dans la filiale commune avec siemens et j'ai joué un rôle important dans la conception de l'EPR. Je connaissais toutes les difficultés de marier notre nucléaire avec les Allemands tout en protégeant l'industrie française. L'accord Siemens-BNFL est donc un échec sur ce plan. En revanche, je ne le vis pas comme la fin de l'EPR.

- Ce renversement d'alliance obligera-t-il à une recomposition du paysage nucléaire français entre EDF, Cogema, Framatome et le CEA?

D.V. : Cela va ouvrir les yeux. Mais il faut se donner le temps de la réflexion. A long terme, dans une perspective de reprise du marché nucléaire, il faut considérer cette industrie sous deux aspects : le premier, d'ordre stratégique, qui oblige à avoir une présence des pouvoirs publics importante et le second, sous l'aspect de la vente d'équipements énergétiques. Dans ce dernier cas, Framatome avait deux partenaires GEC-Alsthom et Siemens. Ils sont désormais inaccessibles tous les deux.

- Etes-vous alors tenté de vous allier à la Cogema comme Siemens le fait avec BNFL?

D.V. : Notre lien avec la Cogema peut se consolider. Nous sommes déjà liés dans l'exploitation des combustibles. Il faut aller au-delà, et pourquoi pas envisager une participation de Cogema au capital de Framatome ou une participation croisée entre les deux sociétés. Mais il y a un risque de "bunkérisation" du nucléaire français qu'il faut éviter. De même, avoir son principal client comme actionnaire recèle un danger : la présence d'EDF à environ 11% dans le capital de Framatome est compréhensible mais en faire un actionnaire de contrôle comporte le risque d'être mis sous tutelle.

 

III. k. Le secteur industriel

 

Le secteur industriel est en pleine transformation du fait de la politique de déréglementation, de l'abolition des frontières, et de l'application du principe pollueur-payeur. Il met en œuvre les trois domaines des biens intermédiaires (matières premières, verre, etc.), des biens d'équipement, et des biens de consommation.

La politique générale consiste à alléger les entreprises des productions qui n'appartiennent pas directement à la filière. Par exemple, l'Etat renfloue Usinor et Sacilor, qui produisent l'acier, au détriment de toute autre production des entreprises en question. EDF accorde des tarifs préférentiels à Péchiney pour l'électrolyse de l'aluminium et celle-ci rachète l'américain American Can, dont elle installe les usines à Dunkerque, favorisant ainsi l'arrivée de Coca Cola. Récemment, le géant de l'agro-alimentaire Danone vient de se débarrasser de sa section emballages, etc.

 

III. l. L'automobile comme exemple

 

La tactique suivie par les constructeurs automobiles généralistes comme Renault (qui produit des camions après le rachat de Berliet, et des voitures) est la diversification de la production et la spécialisation des usines. Renault garde Flins en France et Valence en Espagne, parce que la spécialisation y est poussée, et  se débarrasse de Vilvorde en Belgique parce que l'usine produit deux modèles de voiture au lieu d'un seul, ce qui est plus rentable pour la société. Renault cherche aussi des alliances avec d'autres constructeurs généralistes comme Fiat ou Peugeot, alors que les accords avec un spécialiste comme Volvo échouent ("pour des raisons de nationalité " a dit le PDG du constructeur suédois).

La construction automobile française obéit aujourd'hui aux ordres d'un duopôle, composé de Renault et de Peugeot-Citroën (PSA), après le rachat par Peugeot de Citroën à Michelin, favorisé dans les années 1970 par le Président Giscard d'Estaing. Si les stratégies se ressemblent, Peugeot, avec sa filiale Citroën en particulier, tend vers le haut de gamme (même si, autrefois, dans le bas de gamme, la 2CV de Citroën a certainement dépassée en popularité la 4CV Renault). C'est Citroën qui a construit des modèles de luxe, comme la Citroën-Maserati, et fabrique encore des modèles hors-série, comme la voiture de fonction du Président de la République.

Renaud chantait déjà dans Hexagone :

en novembre au salon de l'auto

ils vont admirer par milliers

le dernier modèle de chez Peugeot

qu'ils pourront jamais se payer

Après des années de vaches maigres, les constructeurs français enregistrent,  à partir de 1998, une bonne reprise des ventes, notamment en France (1,9 million d'immatriculations, dont 63% en voitures de construction nationale). Ils font appel à de nombreux équipementiers. L'implantation sur les marchés étrangers est bonne mais la politique suivie n'a pas toujours porté ses fruits (Renault n'a pas réussi à s'implanter aux Etats-Unis, ou d'autres entreprises françaises ont quand même prospéré). Pour l'heure, c'est Peugeot qui part "à la conquête" du marché américain, dans la mesure où elle entend réaliser au moins 20% de ses ventes à l'étranger.

Les constructeurs, sous la pression des lois européennes, tendent aussi à limiter la quantité de CO2. Une prime de 10.000 Francs est accordée aux constructeurs pour la production de chaque voiture électrique, et une aide de 5.000 Francs à chacun des clients. PSA et Renault, la première avec le projet Tulipe, mettent en place un service de location de voitures électriques en ville (à La Rochelle, par exemple, et dans les villes moyennes) par abonnement. L'opération "villes sans voitures" du 22 septembre 1998, lorsque de nombreux conseils municipaux de villes moyennes ont interdit la circulation automobile, a sensibilisé la population sur la question des transports publics. Et Lionel Jospin a annoncé en décembre 1998 la création des véloroutes, de grandes voies adaptées à la circulation des bicyclettes, en complément des anciennes "pistes cyclables".

La planification, qui a longtemps constitué une forme administrative du progrès industriel sous la forme centralisée, et sa projection nationale à travers la Datar, peut donc, en se faisant plus souple, devenir le point de départ d'une production basée sur un développement durable tenant compte des facteurs écologiques.

La production de voitures étrangères en France reflète à peu près les mêmes tendances au mécano industriel français. Daimler-Benz s'est associée à Swatch pour construire la MCC (Micro Compact Car) en Lorraine et a installé autour de son unité d'assemblage un village d'équipementiers nécessaires à la fabrication du modèle. Et Toyota s'implante dans le Nord-Pas de-Calais pour bénéficier de la proximité de son équipementier situé en Angleterre.

 

III. m. Document : Les chantiers navals comme contre-exemple 

 

- La crise des chantiers navals remonte aux années 60 en Europe. Les dirigeants suédois, avec l'aval des syndicats, tireront en premier la sonnette d'alarme et feront adopter, dès 1979, un plan de restructuration qui conduit à la fermeture rapide des chantiers navals. "On ne peut pas continuer indéfiniment à fabriquer des produits quand personne ne veut acheter. Mieux vaut miser sur les industries de l'avenir", soulignait alors Thage Peterson, le ministre de l'industrie.

(...) "En maintenant les travailleurs les plus anciens et les plus âgés dans les entreprises des secteurs en difficulté et en contraignant les plus récents et les plus jeunes à se reconvertir vers les secteurs en développement, on rend plus aisés les nécessaires redéploiements de l'économie", explique Bernard Brunhes, dans une note rédigée en 1988, en tant qu'expert auprès de l'OCDE sur les questions de flexibilité.

(...) En France, l'accord de 1984, qui met en place la préretraite à cinquante-trois ans dans les chantiers navals, le congé de conversion qui permet aux salariés de se former à un nouveau métier pendant une durée maximum de deux ans, etc. n'a concerné que les cinq grands sites nationaux : les trois sociétés de la Normed (Dunkerque, La Seyne et La Ciotat), Nantes et Saint-Nazaire. "Pour le reste, il a fallu négocier l'application de l'accord entreprise par entreprise et, dans certaines, la durée du congé de reconversion n'a été que de huit mois".

(...) D'autre part, en 1986, la prime "Madelin" alors ministre de l'industrie, qui donne la possibilité aux salariés de quitter immédiatement l'entreprise avec la coquette somme de 200.000 Francs, a été octroyée sans négociation préalable. En contrepartie, le salarié renonce à toute aide au reclassement. "Une ''prime à la valise'' substantielle est une bonne manière, comme Ponce Pilate, de se laver les mains des conséquences sociales d'un licenciement économique " juge, critique, Guy Royon, directeur du personnel de la Normed de 1983 à 1990 (...). La ''prime à la valise'' ralliera 4492 salariés dont la grande majorité, près de 3000, s'inscriront par la suite à l'ANPE (Agence Nationale pour l'Emploi) entre juillet et décembre 1986. Quand l'opération de reconversion de la Normed s'achève fin 1989, plus de mille d'entre eux restent sans emplois". Clarisse Fabre, Le Monde, 12.3.1997.


 

III. n. La construction et l'habitat urbain

 

L'Etat est intervenu au lendemain de la guerre dans la construction à travers l'Office public des HLM (Habitations à loyer modéré), et par la création des ZUP (Zone à urbaniser en priorité); ces dernières sont définies par la commune qui dit que toute construction de 100 logements doit être localisée en ZUP. Les réalisations les plus spectaculaires sont celles de Grenoble et Toulouse. La politique urbaine d'aujourd'hui tend à revenir sur ce modèle de construction et de développement urbain, qui posent effectivement des problèmes de rénovation.

Les lois de 1962 et 1965 créent quant à elles :

- les ZAD ou Zone d'aménagement différé. L'institution permet la mixité avec les promoteurs, qui s'y retrouvent en achetant à côté de la zone en question.

- les ZIF : Zone d'intervention foncière, au centre ville.

- les ZAC : Zone d'aménagement concerté ; elle remplace les ZUP en 1967. L'équipement est fourni par la commune et par les promoteurs.

Les deux grandes sociétés de BTP (Bâtiments et travaux publics) sont :

- Les Ciments Lafarge. Ils exportent et construisent à l'extérieur. La société poursuit actuellement une politique de rachats d'entreprises à l'étranger pour s'assurer la domination de toute la filière du secteur de la construction. Entre 1997 et 1998, "Lafarge a réalisé plus de 25 acquisitions, dans seize pays aussi différents que les Philippines, la Chine et l'Afrique du Sud " (Le Monde, 22 janvier 1999).

- La société Bouygues; elle a à son actif de grandes constructions, comme l'Université de Ryad, en Arabie Saoudite, la mosquée de Casablanca, l'Arche de la Défense et la Bibliothèque de France, à Paris, le pont de Tancarville en Normandie, et Eurotunnel. La société couvre aujourd'hui une part du marché des télécommunications (Bouygues-Télécom).

 


 

III. o. Les Petites et Moyennes Industries

 

Les PMI en France sont plutôt dépendantes des grandes, à part quelques équipementiers importants, comme Valeo, Epeda, Bertrand Faure, qui travaillent pour l'automobile, et dont la production va de la sous-traitance au parténariat.

Pourtant, de nombreuses industries spécialisées connaissent de bons résultats. Moulinex, dans le secteur du petit matériel électro-ménager, présente une image de la réussite, malgré des pertes d'emploi importantes. Si les skis Rossignol et leur concurrent Salomon (skis et équipement de neige) accusent désormais une légère perte de vitesse parce que les jeunes boudent ce genre de sport au profit d'autres sports de glisse comme le snowboard ou la planche (avec ou sans voile, windsurf ou bodysurf, aujourd'hui dominés par Quicksilver), Zodiac d'une part (canots pneumatiques) et la Comex (Compagnie maritime d'Expertise), de l'autre, qui allient la production de matériel et les services, bénéficient d'un marché favorable. Le tissu de ces petites et moyennes sociétés, nées souvent de la rencontre entre une localisation et un produit ou un service déterminés, augmente rapidement. Geocean, une société de service chargée de repérer et d'exploiter les sources d'eau douce en mer, et un autre équipementier, moins connu que les premiers, Mota (échangeurs thermiques pour camions, voitures et bateaux, qui équipe entre autres les vaporetti  de Venise), ont leur siège à Aubagne, près de Marseille.

Enfin, on ne saurait conclure ce tour d'horizon rapide des PME sans citer la société de Jean-Claude Decaux, présent dans toutes les villes de France avec son mobilier urbain, comme les Sanisettes (WC urbains)  et les Abribus, et dont la philosophie, brève et efficace, se résume en ces quelques mots : "Travailler, encore travailler !"

Pourtant, ce sont les PMI et les PME (Petites et Moyennes Entreprises) qui posent les problèmes de reconversion ou de restructuration les plus difficiles à résoudre. Dans le textile, l'ensemble du secteur lorrain constitué de PME a pour ainsi dire disparu (la Lorraine posant aussi un cas de reconversion particulièrement ardu puisque son économie a reposé aussi, en dehors du textile, sur le charbon et  le fer). Et l'ensemble du secteur de l'acier, composé d'un tissu d'entreprises moyennes, se ramène aujourd'hui aux deux grands, Usinor et Sacilor, qui ont bénéficié du plan acier et des aides de l'État.