VI. L’IMMIGRATION

L'immigration est un phénomène ancien en France, il cristallise les positions, réveille de vieux démons, interroge la France et  ses traditions républicaines ; ce qui semble le plus significatif, c'est la dimension française de la question immigrée, révélatrice des faiblesses de notre société.

 

VI.a Histoire des différents flux d’immigration

a.1. Avant 1850.

La population française est le résultat des différentes vagues de peuplement qui  tout au long des siècles se sont succédées ou côtoyées sur l’hexagone : de conquêtes en invasions les ancêtres “ gaulois ” aux origines celtes ont pour caractéristique commune d’être hétérogènes ! La société du moyen-âge est progressivement unifiée par le christianisme. A partir du XIIe siècle les migrations, non plus belliqueuses, mais à dominante économique, religieuse et politique sont rendues plus “ visibles ” par la constitution d’un Etat-nation aux frontières de plus en plus imperméables. Cette immigration ne correspond pas à un besoin démographique, car la France est alors le pays le plus peuplé d’Europe, mais à un besoin de spécialistes. Colporteurs, artisans, saisonniers, musiciens, marchands, montreurs d’ours empruntent des itinéraires connus et la condition d’étrangers n’empêche pas de jouer un rôle au sommet de l’état (Mazarin par exemple). Les juifs considérés comme étrangers seront reconnus Français à travers un processus qui, entre la Révolution et le premier Empire, tendra à faire d’eux des “ Français israélites ”. La France accueille également des réfugiés politiques comme elle contraint les siens à l’exil, les protestants après la révocation de l’édit de Nantes ou les aristocrates fuyant la révolution.

 

a.2. Après 1850.

La situation change totalement car la France connaît la dénatalité au moment où l’industrialisation requiert justement de la main d’œuvre. Les premiers mouvements d’immigration moderne proviennent des pays limitrophes.

Le recensement de 1851 est le premier à prendre en compte la catégorie d’étrangers ; ils sont alors 1% de la population, la catégorie la plus représentée sont les Belges. En un demi-siècle la population étrangère triple alors que la population autochtone ne progresse que de 20%. Aux Belges succèdent les Italiens puis les Allemands, les Espagnols et les Suisses. Les non-européens sont en quantité négligeable.

L’arrivée massive d’étrangers a lieu au moment où s’impose le régime républicain qui entraîne le pays dans une phase nouvelle de son unification. Contre les particularismes régionaux et religieux, caractéristiques de l’ancien régime, la IIIe République impose une langue, une histoire commune. Dans son creuset, la République amalgame Bretons, Auvergnats, Italiens, Belges, Basques, protestants, juifs… tous sont considérés des individus égaux “ sommés ” de se fondre en un seul grand peuple. Entre l’état et le citoyen, il n’existe pas de corps intermédiaires. Le conseil constitutionnel, garant de la conception républicaine de la nation, a ainsi annulé l’article parlant du “ peuple corse, composante du peuple français ”. Les artisans de cette “ unification ” communément appelée “ l’intégration à la française ” sont principalement l’école laïque, l’armée, les partis de gauche, les syndicats.

 

a.3. Après la première guerre mondiale.

Le phénomène s’accentue. Le déficit démographique résultant de la grande guerre est impressionnant: 10,5% de la population active, sans compter les mutilés et les naissances perdues. La reconstruction de ce pays en deuil rend donc indispensable l’appel de main d’œuvre étrangère. L’immigration italienne est renforcée par l’exode politique conséquence de l’arrivée de Mussolini au pouvoir. Au total 3,5 millions d’Italiens viennent en France entre 1879 et 1940, sur l’ensemble 1,2 million fera souche dans l’hexagone.

L’après-1918 consacre l’arrivée massive des immigrés non-frontaliers : Polonais, Russes blancs, Ukrainiens, Arméniens, Algériens et Chinois participent plus modestement à cette vague d’immigration  La France devient le premier pays d’immigration relativement à sa population. Aux courants de l’immigration de travailleurs se mêlent les réfugiés politiques : rescapés du génocide arménien de 1905, socialistes et anarchistes russes et italiens avant 1914, antifascistes italiens après 1922, ressortissants des pays d’Europe centrale fuyant l’avancée du fascisme, Républicains espagnols chassés par la victoire de Franco. Contrairement à des clichés répandus, leur intégration se fait dans la douleur. Les thèmes de l’invasion, de l’inassimilabilité se répandent.

L’étendue des vagues de xénophobie est toujours liée à une crise économique ou politique et non au dépassement d’un quelconque seuil de tolérance. Les immigrés de cette première vague deviennent des acteurs du mouvement ouvrier, ce qui ne leur attire pas que des sympathies mais contribue à leur intégration.

 

a.4. Pendant les Trente glorieuses.

On assiste à la troisième vague d’arrivées dans le climat de la décolonisation. Quatre millions de personnes proviennent alors du Maghreb, d’Espagne, du Portugal, leur venue est encouragée par l’État et le patronat.

 

a.5. Depuis 1974.

Date de la suspension officielle de l’immigration de travailleurs non qualifiés, les Africains noirs et les Asiatiques progressent au sein de la population étrangère principalement à travers le regroupement familial même si leur poids relatif reste faible.

Les Portugais restent la première communauté étrangère par le nombre en 1990, la part des pays européens est devenue minoritaire

a.6. Lire un graphique :

 

 

Le graphique représentant l’immigration algérienne montre deux pointes importantes, l’une après l’indépendance, l’autre en 1970 après la crise des années 60. La chute de 1973 correspond à la décision de l’Algérie de suspendre l’immigration. Le flux se maintient ensuite à un niveau relativement faible. A partir de la moitié des années 70 les entrées sont surtout le fait d’enfants et de femmes et donc la conséquence du regroupement familial. Dans la période récente il y a une légère reprise des flux

Le graphique concernant le Portugal montre bien la concentration du flux sur une douzaine d’années. Les arrivées des femmes et des enfants sont peu décalées par rapport à celles des hommes.

 

Les immigrés de France ont en commun d’avoir été amenés à choisir de rester ou de repartir.

L’intégration progressive s’opère alors par le jeu d’une volonté politique dont la législation  sur la nationalité est le premier instrument.

 

VI.b. Les lois sur la nationalité

L’ordonnance de base date du 19.10.1945, elle a été modifiée en 1973, 1984, 1993, 1998, le tout formant un monument complexe. Les évolutions de cette législation reflètent des situations économiques, politiques et démographiques. Les règles de base combinent jus soli (droit du sol) et jus sanguinis (droit du sang). A partir de 1986, la pression du Front national va faire du code de la nationalité un enjeu politique. Les projets vont se succéder, se contredire, être appliqués ou pas, suivant les majorités sortant des urnes et les scores atteints par le FN.

Ainsi lorsque la droite revient au pouvoir, on assiste au retour des textes limitatifs portant le nom de Pasqua. Parmi les dispositions, on citera le fait que

·        les jeunes nés de parents étrangers n’acquièrent plus sans formalité la nationalité mais doivent manifester leur volonté de devenir Français entre 16 et 21 ans ;

·        les parents étrangers d’enfants nés en France perdent le droit d’obtenir la nationalité pour leurs enfants mineurs, possibilité qui les protégeait des dangers d’expulsion ;

·        l’époux étranger d’un Français devra attendre deux ans pour l’acquérir ;

·        les enfants nés en France après le 31 décembre 1993 de parents nés en Algérie avant l’indépendance ne seront français à leur naissance que si l’un des parents réside en France depuis cinq ans au-moins. Ce dernier bémol est symptomatique de la pression de l’extrême droite. Il s’agit là d’une bombe à retardement : bien des jeunes vers 2012 risquent de ne pas réussir à prouver que leurs parents résidaient en France depuis 5 ans au moment de leur naissance.

Contrairement aux prévisions pessimistes de la gauche, les jeunes concernés par la manifestation de volonté vont massivement effectuer cette démarche nouvelle (33.000 en 94, 30.000 en 95). Le système montre des faiblesses dans deux domaines : il risque d’aggraver l’exclusion des jeunes (20% du public  concerné) ; souvent déscolarisés, ils vivent à l’écart des institutions chargées par la loi de diffuser l’information. Des enquêtes montrent aussi les disparités dans l’application de la loi selon les communes, les tribunaux.

 

La nouvelle majorité de 97 provoque un nouveau changement de cap.

Il ne s’agit pas d’un retour à la loi antérieure. Une partie de la gauche continue de demander un retour à la législation d’avant 94, un amendement prévoit la possibilité d’obtenir la nationalité dès 13 ans avec le consentement des parents. Les autres innovations de la loi Guigou concernent la réduction, de deux ans à un an, du délai pour demander l’acquisition de la nationalité après mariage et la simplification des formalités d’obtention des certificats de nationalité.

 

VI.c. Le nombre d’étrangers en France

Sont recensées comme étrangères les personnes qui ont leur résidence permanente en France et qui déclarent ne pas avoir la nationalité française. Le recensement de 1990 a comptabilisé 3,6 millions d’étrangers soit 6,4% de la population, taux égal à celui de 1931.

L’usage de la notion d’étranger reflète le poids de l’idéologie française selon laquelle il serait contraire à la tradition républicaine de distinguer les Français en fonction de leur origine en raison du risque discriminatoire de cette distinction.

Les polémiques autour du nombre d'étrangers résidant en France et les flottements des chiffres avancés sont  souvent la conséquence des incertitudes liées aux statistiques.

 

La stabilité du nombre ne correspond pas à une stabilité des personnes, certains rentrent au pays, d’autres deviennent français. L’augmentation de la proportion de Français par acquisition est continue et reflète les vagues successives d’immigration.

Le choix des mots : étranger ou immigré, recouvre des situations différentes mais souvent mal perçues. Certains étrangers sont nés en France et n’ont jamais immigré ; l’usage courant donne à ce mot un sens ambigu, le terme faisant référence à l’apparence physique, au mode de vie supposé… ; des enfants nés en France, de nationalité française sont couramment qualifiés d’immigrés alors qu’ils ne sont nullement venus de l’étranger.

 

Un suivi minutieux des processus d’acquisition de la nationalité sur trois générations permet d’évaluer l’apport démographique de l’immigration par rapport à la population actuelle. Ainsi près d’un Français sur 5 a un parent ou l’un des grands-parents étranger, près d’une naissance sur cinq est attribuable à un immigré arrivé en France depuis un siècle. Sans cet apport, la croissance démographique aurait été diminuée de 40% depuis 45. Il tend à diminuer en raison de la suspension de l’immigration et de la baisse progressive de la fécondité des femmes étrangères.

Les étrangers sont inégalement répartis sur l’hexagone. La carte de France de l’immigration correspond à celle des grands centres urbains et industriels alors que les régions de l’ouest et du centre comptent très peu d’étrangers. Les trois régions les plus peuplées – Ile de France, Rhônes-Alpes et Provence-Alpes-Côtes d’Azur – rassemblent 60% des étrangers de l’hexagone.

 

VI.d. Chronique d’un siècle de politique d’immigration.

De la période précédant la seconde guerre mondiale, on retiendra  que l’état républicain entend dépasser les particularismes en insufflant le patriotisme et la langue française pour tous. Le patronat organise l’arrivée des travailleurs immigrés et des accords bilatéraux sont passés. Les choix favorisent une main d’œuvre européenne. Une société privée la SGI (société générale d’immigration) organise le recrutement en fonction des demandes des entreprises. L’égalité des salaires prévue par les conventions satisfait les pays d’origine et les syndicats ouvriers.

La dépression des années 30 amène des mesures restrictives et une forte vague de xénophobie qui fait le lit de la politique de discrimination ethnique mise en oeuvre par Vichy.

 

Pour faire face aux besoins en main d’œuvre de la France des Trente glorieuses naît un établissement public : l’ONI (office national d’immigration devenu OMI office des migrations internationales en 1984). Les immigrés les plus nombreux dans l’immédiat après-guerre sont les Italiens du Sud et les Algériens. Ces derniers arrivent dans un pays qui engage une guerre contre leurs compatriotes. Dans ce contexte de déchirure historique où les droits de l’homme sont bafoués et le racisme exacerbé va émerger la figure de l’Algérien comme figure emblématique du travailleur immigré en France. Pour équilibrer la main d’œuvre algérienne, des “ recruteurs ” des grandes entreprises françaises vont dans les villages marocains, turcs ou portugais. Les jeunes portugais fuient le service militaire dans une armée engagée dans les guerres coloniales, la police de l’air française reçoit l’ordre de fermer les yeux sur leur entrée illégale, les Portugais vont devenir la première communauté étrangère au recensement de 1975.

Les “ immigrés ” sont alors censés ne pas s’arrêter en France, on construit pour eux des foyers de célibataires alors que de plus en plus souvent, ils arrivent accompagnés de leur famille, ils sont alors réduits à loger dans des conditions insalubres, à s’entasser dans des cités de transit prétendument provisoires.

L’après 68 marque l’irruption de l’immigration dans le débat social. Syndicats, extrême gauche, organisations anti-racistes engagent les immigrés dans des luttes et tentent d’organiser la solidarité.

En juillet 74, le gouvernement français décide de suspendre l’immigration. On autorise toutefois le regroupement familial et crée un financement spécifique du logement destiné aux immigrés. L’organisation des cours de langue et culture d’origine dans les écoles et la création d’une aide au rapatriement marquent la persistance d’une conception provisoire de l’immigration. Le contrôle du séjour est renforcé, l’expulsion pour simple entrée illégale et le placement en rétention  sont autorisés.

En 81, la gauche accède au pouvoir avec l’ambition de mettre fin à la politique répressive. 10 jours après la victoire de Mitterrand, les étrangers nés en France ou arrivés avant l’âge de 10 ans, deviennent inexpulsables. Le droit des immigrés est symboliquement placé sous l’autorité du ministre de la solidarité nationale. L’aide au retour est supprimée. Les sanctions contre les employeurs de main d’œuvre clandestine sont renforcées.

En 1983, la “ Marche pour l’égalité ” conduite par les jeunes des banlieues lyonnaises fait émerger la nouvelle génération issue de l’immigration. Ceux que l’on appelle désormais les “ beurs ” (ce mot issu du langage verlan désigne les jeunes nés en France de parents maghrébins) revendiquent à la fois leurs racines et leur droit à une place dans la société française. Ils dénoncent le racisme, notamment policier.

En juillet 84, l’Assemblée nationale adopte “ la carte de dix ans ” qui rompt avec la précarité et fait cesser l’humiliation des renouvellements incessants.

Avec la montée du Front national, le gouvernement raidit ses positions et se concentre sur la fermeture des frontières et la chasse aux clandestins. Le regroupement familial est soumis à des conditions strictes de ressources et de logement. L’aide au retour est pudiquement rebaptisée “ aide à la réinsertion ”.

La deuxième marche des beurs, intitulée “ Convergence 84 ” abandonne le thème de la différence, trop facilement récupérable en sens contraire par l’extrême droite, pour promouvoir l’idée d’une France qui “ a besoin de mélange pour avancer ”. Le demi échec de ce mouvement marque le déclin et la division des beurs entre ceux qui prônent l’intégration et ceux qui veulent construire un mouvement maghrébin autonome.

Fin 84, la jeunesse française adopte, dans une large majorité, le message antiraciste constitué d’une petite main portant l’inscription : “ Touche pas à mon pote ” (le pote étant l’ami, le copain fidèle ; le message signifie : ne cherche pas à nuire à mon ami) porté par des célébrités lors du grand concert organisé par l’association SOS-racisme. L’association France-Plus développe les thèmes de la citoyenneté et incite les jeunes à se présenter aux élections. La majorité des beurs se sentent toutefois trahis par ce qu’ils interprètent comme une simple mode traitant bien superficiellement leurs difficultés.

Dès 86, le gouvernement Chirac  répondant à la pression du Front National par la loi Pasqua, les reconduites à la frontière se multiplient, les renouvellements de la “ carte de dix ans ” sont limités. Une vague d’attentats  terroristes à Paris fournit le prétexte à l’instauration de visas pour les étrangers qui touchent les immigrés. Le débat sur le code de la nationalité provoque des prises de position opposées ainsi que des manifestations. Après l’élection de 1988 où le Front National atteint le score de 14%, le Premier ministre M.Rocard tente en vain de dédramatiser la discussion. Mitterrand annonce le retrait de la loi Pasqua, remplacée par la loi Joxe plus libérale. La France s’enflamme lorsque trois collégiennes entendent porter à l’école le foulard dit islamique. Le conseil d’état, pour calmer les esprits, rappelle les règles de la laïcité et recommande un réglement cas par cas. Deux organismes mis en place : le Haut conseil à l’intégration et le secrétariat général à l’intégration, s’efforcent de calmer le débat.

Le retour de la droite au pouvoir, en 93, marque le retour de l’immigration comme cheval de bataille amalgamant les thèmes de l’immigration et de l’insécurité, chers au Front National. Les débats parlementaires aboutissent aux lois Pasqua. Celles-ci restreignent les conditions d’exercice du droit du sol et multiplient les cas d’empêchements à l’acquisition de la nationalité, autorisent les contrôles de police administrative préventifs. On entre dans l’ère du soupçon régularisé. Ainsi les maires ont-ils le pouvoir de suspendre un mariage “ suspect ”, le regroupement familial est rendu plus difficile. Ces textes vont multiplier les situations d’irrégularité sans issue dont sont victimes ceux qui vont se baptiser “ sans-papiers ”. Les effets de ces textes sont amplifiés par une administration perméable à la xénophobie.

Jacques Chirac élu à l’Élysée a pour ministre de l’Intérieur Jean-Louis Debré qui l’incite à remettre sur le tapis la question de l’immigration.

Le 22 mars 96 trois cents Africains “ sans-papiers ” trouvent finalement refuge à l’église de Saint-Bernard. Devant l’inflexibilité du gouvernement, ils entreprennent une grève de la faim qui suscite, en août, une vague de solidarité s’amplifiant après l’évacuation de l’église par la police le 23/08/96. L’impossibilité de les “ reconduire ” donne à Debré, l’argument qu’il attendait. La loi Debré déclenche un réveil “ civique ”, un appel à désobéir lancé par 59 cinéastes prolonge un mouvement sans précédent. La loi, en voulant obliger les personnes hébergeant un étranger à signaler son départ, portait atteinte non seulement à la liberté des étrangers, mais aussi à celle des Français.

Avec la nouvelle majorité issue des élections législatives, en juin 97, on assiste à une nouvelle gestion de la question plus qu’à un véritable changement de cap. Une circulaire prévoit la régularisation de certains sans-papiers, ceux qui ont fondé une famille en France ou dont la vie est en danger dans leur pays. L.Jospin, nouveau Premier ministre, annonce le 19 juin un réexamen global et charge P.Weil de définir une politique “ ferme mais digne ”. Le rapport est à la base des lois Guigou sur la nationalité et Chevènement sur l’immigration. Les lois Pasqua ne sont pas supprimées mais aménagées. La loi Chevènement est critiquée à gauche pour sa modération, à droite pour son laxisme. Elle supprime certains obstacles dressés par la loi Pasqua à l’accès aux titres de séjour et crée des cartes spéciales pour les retraités, les scientifiques, les grands malades et les personnes disposant de liens personnels ou familiaux avec la France. Elle supprime le délai d’un an pour obtenir un droit de séjour après mariage, elle assouplit les conditions du regroupement familial, supprime les certificats d’hébergement et permet aux étrangers en condition régulière de percevoir les allocations aux personnes âgées, aux adultes handicapés et de logement social.

 

VI.e. Les immigrés dans  l’économie

Les étrangers ont été particulièrement touchés par les mutations du marché du travail. En 1975 les immigrés représentaient le quart des effectifs des salariés du bâtiment et de l’automobile. Le chômage  est de 32% chez les non-Européens contre 12% pour les Français. L’analyse de l’évolution par secteurs révèle en effet, pour les étrangers, une amplification des phénomènes constatés chez les Français. Dans l’industrie, plus d’un étranger sur trois, voit son emploi supprimé sans profit pour les nationaux. Les étrangers n’ont gagné des emplois que dans les secteurs où les conditions de travail sont précaires comme le textile ou l’habillement ainsi que le commerce.

La crise a redonné de l’audience aux discours xénophobes liant immigration et chômage. Elle est aberrante lorsque l’on sait que certains secteurs et le maintien de certaines activités reposent sur la main d’œuvre étrangère. Certains emplois non-qualifiés ne trouvent preneurs ni parmi les Français ni parmi les étrangers installés de longue date. C’est le cas dans le bâtiment, dans les services aux particuliers, le forestage, l’agriculture et dans certains grands chantiers comme le TGV, Eurotunnel et le stade de France. D’autre part, une demande de main d’œuvre étrangère qualifiée se développe ; l’Éducation nationale emploie des maîtres auxiliaires maghrébins et africains dans certaines écoles boudées par les Français. La persistance du travail illégal illustre cette demande constante et touche aussi bien des Français. Le bilan modeste des actions d’incitations au retour traduit l’impasse de cette idée. En revanche celle de mettre les retours volontaires d’immigrés au service du développement de leur pays d’origine est plus prometteuse. A partir de 1995, on a expérimenté des micro-projets financés conjointement par les fonds de coopération et l’OMI. Ces initiatives comme celles prises par des associations d’immigrés se mobilisant en France et par certaines villes et régions investissant dans des formules de coopération décentralisée préfigurent l’émergence d’une nouvelle solidarité nord-sud dont les immigrés sont les vecteurs. Depuis 1998, une délégation interministérielle chargée du co-développement et des migrations internationales vise à définir une politique d’État cohérente.

 

Les habitudes de consommation des étrangers se rapprochent de celles des familles ouvrières françaises. Le niveau moyen des familles ouvrières françaises, maghrébines et portugaises est extrêmement proche (environ 13.400 F par mois) mais la taille de la famille, l’absence de deuxième salaire et les contraintes de l’immigration creusent des écarts que les diverses allocations ne compensent pas. Les immigrés ont une moins bonne couverture sociale que les Français. Ils vont moins chez le médecin ou à l’hôpital et profitent moins de la retraite : la population étrangère étant plus jeune et ayant une moins longue espérance de vie. La situation est inverse pour les allocations familiales.

 

VI.f. Intégration ou rejet ?

 

La fragilisation du corps social se traduit par la montée de l’intolérance et de la xénophobie. L’exclusion des revenus du travail, sa concentration dans des cités de banlieues fermées ont généré la montée de la violence et de la toxicomanie. Le fait qu’une part dominante des étrangers provienne de l’ancien empire colonial et soit porteuse d’un héritage de conflits et d’humiliations pèse lourdement sur leur statut. La montée des tensions liées aux réalités de l’immigration alimente un vif débat sur la manière de promouvoir une cohabitation plus harmonieuse.  

La tradition fait de la France un pays d’assimilation efficace, mais ce mot a pris une signification négative : la négation de l’altérité d’où le recours au terme d’ “ insertion ”, ce dernier, exploité par la droite extrême pour dire l’inassimilabilité, est devenu dangereux ou pour le moins ambigu. Le mot intégration est alors revenu en force. Tentant de mettre une fin aux querelles de vocabulaire le Haut Conseil à l’intégration (HCI) a défini l’intégration “ non comme une sorte de voie mitoyenne entre l’assimilation et l’insertion mais comme un processus spécifique … il s’agit de susciter la participation active à la société nationale d’éléments variés et différents, tout en acceptant la subsistance de spécificités culturelles, sociales et morales … afin … de rendre solidaires les différentes composantes ethniques et culturelles … et de donner à chacun…la possibilité de vivre dans une société dont il a accepté les règles et dont il devient un élément constituant ” (HCI. Pour un modèle français d’intégration, 1991).

Les définitions théoriques de l’intégration ont mal résisté dans les années 90 aux réalités d’une société confrontée à des revendications communautaires. Les violences urbaines, la drogue ou la délinquance, le raidissement de l’expression religieuse, l’émergence de pratiques inacceptables pour l’opinion publique (polygamie, excision) reflètent les difficultés. Ces phénomènes exacerbés par les erreurs de l’urbanisation, l’affaiblissement des instruments traditionnels d’intégration (école, armée, partis politiques et syndicats) nourrissent les craintes de ghettoïsation.

 

Les données collectées par l’INED sont pourtant encourageantes. L’utilisation de la langue française s’impose rapidement. Les couples mixtes se multiplient. En dépit des graves difficultés les fils et filles d’ouvriers espagnols et algériens quittent plus souvent la classe ouvrière que la moyenne des enfants d’ouvriers français. L’enquête confirme, en revanche, l’effet ghetto lié au type d’urbanisme ainsi que le rôle clé joué par l’école. Dans ce domaine, on constate qu’à origine sociale égale, élèves français et étrangers, ont des taux de réussite similaires et que les familles d’élèves étrangers ont des attentes plus fortes. Les dernières années ont vu la mobilisation de nombreuses associations de jeunes issus de l’immigration en faveur de l’école. Les enfants de l’immigration sont surtout le symbole d’une concentration de handicaps sociaux et du choc des cultures que l’école ne peut affronter seule. La société française tend à concentrer ses fractures sociales sur l’école, héritière de la construction républicaine.

 

Dans le domaine du logement, il n’y a pas au sens propre de ghetto, mais il y a concentration des franges les plus faibles dans certains quartiers, cités ou grands ensembles. La crise de ces quartiers déclassés se manifeste périodiquement par des mouvements de révolte. Les différentes politiques de la ville essaient d’y porter remède, mêlant création d’équipements publics, réhabilitations, aide à la vie associative et aux interventions sociales. Les immigrés les plus récents sont avec le quart monde français les derniers occupants des taudis. Ils squattent les vieux immeubles, plantent des tentes, investissent des immeubles vides avec l’Association Droit au Logement (DAL), ils tentent surtout de réveiller une société qui inscrit le logement parmi les droits de l’homme.

 

On assiste aujourd’hui à un renouveau de l’antiracisme. Il passe aujourd’hui par la recherche de nouveaux équilibres entre une conception rigide de la République, niant les particularismes, et la reconnaissance d’un droit à la différence, menant à un communitarisme destructeur. Il passe aussi par des événements très “ profanes ” comme le bonheur vécu par tous les Français grâce à la victoire d’une équipe de football largement multiethnique lors de la Coupe du Monde de l’été 98. Plus qu’un moment de grâce, il est à espérer qu’il inaugure une nouvelle convivialité de cette France qu’il est devenu normal de caractériser comme étant « black, blanc, beur ».