V.a. Introduction

La République a, en France, plus de 200 ans. On vit aujourd’hui sous la Vème puisque tel est le nombre des républiques qui se sont succédées.

A Paris, capitale qui résume trop souvent et trop rapidement la France à l’étranger et qui, avant la loi sur la décentralisation et la prise de conscience qui l’a rendue nécessaire, a même permis à un sociologue de parler de Paris et du désert français, il existe une perspective jalonnée de monuments qui, tels les différents éléments d’une matrioska, illustrent l’histoire de France. Notre-Dame, située au cœur médiéval de la capitale, pourrait ainsi, en emportant dans l’enfilade l’Arc de triomphe et  la tour Eiffel, s’emboîter dans la grande Arche de la Fraternité qui domine le très moderne quartier des affaires de la Défense. Fraternité qui est l’un des éléments de la devise républicaine.

 

Nous choisissons, parmi les nombreux épisodes de notre siècle, ceux où l’on voit s’affronter “ deux France ”. En simplifiant abusivement, ces deux France et leurs combats illustrent les réactions opposées suscitées par les évolutions sociales, économiques et politiques. Nous constaterons d’ailleurs que la fracture n’est pas forcément sociale mais peut être aussi générationnelle.

·        Le front populaire

·        Le régime de Vichy

·        Poujade et Mendès France

·        Mai 68

V.c. Le régime de Vichy

Issu de la défaite, le régime de Vichy est un autre moment clé de l’histoire contemporaine.

Il constitue un moment spécifique de l’histoire politique de ce siècle par les conditions dramatiques de son avènement, il se distingue par son idéologie mais ne constitue pas non plus une parenthèse s’expliquant par les circonstances de la guerre. Il s’inscrit dans une tradition ancienne et laisse un héritage et des séquelles profondes dans la conscience nationale. Il tire son nom du lieu de l’installation du dernier gouvernement de la IIIe République formé le 17 juin 1940 par le maréchal Pétain. Vichy fut choisi aussi pour sa position centrale dans la zone non occupée par l’armée allemande victorieuse. Le 10 juillet 1940 l’Assemblée nationale a donné tous pouvoirs au gouvernement de la République sous l’autorité du maréchal Pétain de promulguer une nouvelle constitution de l’État français qui devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie. Il s’agit donc d’un régime antirépublicain et antidémocratique.

A  la faveur du vide, créé par l’effondrement, un clan politique s’empare du pouvoir et dénonce la République et le Front populaire comme premiers responsables de cet état. Il oeuvre en faveur de l’armistice ; la capitulation serait militaire, l’armistice est politique.

Ce choix est dicté par la situation militaire et pour des raisons idéologiques. Pétain estime que l’armistice est la condition nécessaire à la pérennité de la France éternelle, acte de foi qu’il profère alors que s’affrontent partisans et adversaires de la poursuite de la guerre. L’armistice est signé dans des conditions moins humiliantes que prévues car Hitler est décidé à ménager ce nouveau gouvernement disposé à coopérer. L’armistice, entré en application le 25 juin, admet en effet le principe d’une collaboration avec le Reich vainqueur. Les motivations annoncent la “ Révolution nationale ”. L’armistice est le point de non-retour qui va alimenter l’alternative résistance/collaboration et motiver les premières dissidences, celle du général de Gaulle en premier.

Le nouveau régime contesté par les gaullistes est considéré régulier à l’extérieur et par une bonne partie de l’opinion. La représentation nationale a largement entériné le choix crucial de l’armistice et accepté la fin de la IIIe République. 569 députés et sénateurs ont voté le texte sur les pleins pouvoirs, 20 se sont abstenus, 80 ont voté contre (en grande majorité socialistes et radicaux-socialistes) mais 176 parlementaires manquaient à l’appel (morts au combat ou embarqués pour lutter en Afrique du nord), manquaient également les élus communistes déchus de leur mandat pour avoir refusé de condamner le pacte germano-soviétique.

Vichy est un régime autoritaire, fondé sur le pouvoir charismatique d’un chef promoteur d’un nationalisme exclusif et défensif. Entre 40 et 42, les actes constitutionnels ont pour effets de suspendre les chambres et de créer la fonction de chef de l’état français qui combine pouvoir exécutif et législatif. Pétain a eu au début une grande popularité bien orchestrée par la propagande. Face au désastre, beaucoup de Français ont cru qu’il serait, comme il l’avait été pendant la première guerre mondiale, “ le sauveur ” ; ils ont vu en lui le père protecteur de la nation. Les historiens distinguent le “ maréchalisme ” adhésion sentimentale à la personne de Pétain et le “ pétainisme ” adhésion lucide aux valeurs véhiculées par Vichy. On retrouve à des postes clés  des représentants de la vieille idéologie antirépublicaine et contre-révolutionnaire, des éléments des ligues antiparlementaires, des membres du Parti social français auquel Pétain emprunte la nouvelle devise  “ travail, famille, patrie ” qui remplace “ Liberté, égalité, fraternité ”. La politique de Vichy a été marquée par les contraintes de l’occupation nazie et par des choix. Ce mélange a entretenu une formidable ambiguïté. Convaincu que le Reich triompherait, Vichy a tenté de se ménager une place dans la future Europe allemande. Cette politique visait à faire admettre des nazis la souveraineté française sur tout le territoire. Pour prouver à l’occupant sa capacité de faire régner l’ordre, Vichy a “ cogéré ” la solution finale et le régime s’est lié au sort du Reich, alimentant la guerre civile latente qui éclate en 44. La nouvelle devise n’est pas un simple habillage mais montre  la profondeur de la rupture souhaitée. La nation ne repose plus sur le principe de la citoyenneté républicaine où la nation est formée d’individus libres et égaux mais sur le principe  anti-individualiste des corps organiques hiérarchisés : la Nation valeur suprême, la Profession, la Famille, cellules de base. La Révolution nationale est donc un mélange d’archaïsmes - retour à la terre, remise à l’honneur des corporations - et de modernité, en particulier sur le plan de l’organisation administrative et économique. Elle renforce l’État moderne : nouveau ministère de l’industrie par exemple. La Révolution nationale passe aussi par l’anéantissement de toute contestation, la persécution de catégories entières comme les Juifs. De sa propre initiative, elle promulgue des lois antisémites et poursuit les “ terroristes ” aidant ainsi la police allemande. Entre 40 et 44 le régime se durcit. Avec l’invasion, totale en novembre 42, Vichy apparaît comme totalement inféodé au Reich. La création de la milice caractérise le Vichy totalitaire qui s’engage dans une lutte armée contre la Résistance. Pétain a jusqu’au bout revendiqué l’alliance objective avec le nazisme et cette alliance continue de peser très lourd dans la mémoire nationale.

 

c.1. De nos jours le régime de Vichy est jugé sur la condition qu’il a réservée aux Juifs.

Pétain déclarait “ J’ai toujours défendu les Juifs. Les persécutions se sont faites en dehors de moi ”. On sait qu’il n’en est rien. Vichy a pris des initiatives, on compte de nombreux décrets, arrêtés, circulaires, qui aboutissent à la dénaturalisation de 7000 Juifs, leur interdisent l’accès à de nombreuses fonctions,  et  prévoient leur internement dans des camps spéciaux. Sous contrôle administratif, privés de leurs droits les plus élémentaires les Juifs sont exclus de la nation. Une France des barbelés surgit en zone libre.

Les citoyens ennemis y sont enfermés : républicains espagnols, antifascistes italiens, résistants français y côtoient les Juifs. De même l’aryanisation  dépossède  les Juifs de leurs biens ; le concours de Vichy est indispensable aux autorités allemandes pour mener à bien leur politique antisémite. L’exemple le plus tragiquement célèbre est la rafle dit du Vél d’Hiv (vélodrome d’hiver du nom du lieu où les Juifs furent entassés) : Vichy emplit et organise les convois et prend même la décision que les enfants de tous les âges “ accompagnent ” leurs parents. L’antisémitisme de Vichy ne va pas jusqu’à imposer le port de l’étoile jaune en zone libre. Vichy distingue “ les bons vieux Juifs français ” qui perdent leur citoyenneté mais seront épargnés et les étrangers, dont il convient de se débarrasser. Il collabore d’abord puis il laisse faire ensuite.

Si moins de Juifs français ont été exterminés (23% d’entre eux contre 66% en Allemagne, 98% en Pologne), ce n’est pas grâce au gouvernement de Vichy mais grâce à la “ désobéissance ” de Français ordinaires et grâce aussi aux Italiens qui, dans leur zone d’occupation élargie de novembre 42 à septembre 43, ont offert un accueil extraordinaire aux victimes des nazis. Ce sont surtout les Juifs eux-mêmes qui ont organisé leur propre sauvetage au sein des mouvements de résistance juifs et non-juifs.

 

Le dessin satirique qui suit, se réfère au procès Papon célébré en 1997/98: Papon, fonctionnaire de Vichy fut reconnu coupable, 50 ans plus tard, de crime contre l’humanité pour avoir fait déporter des Juifs. Les deux personnages ne sont pas d’accord sur les dates car Papon, resté haut fonctionnaire de l’état français, a tragiquement réprimé des manifestations  ayant eu lieu au moment de la crise de la guerre d’Algérie