I. LA CINQUIÈME RÉPUBLIQUE
I.a.
Rappel historique.
Le 4 septembre 1870 après le désastre de Sedan (guerre franco-prussienne),
lEmpire de Napoléon III est déclaré déchu et une
nouvelle république est proclamée par un gouvernement de la Défense
nationale. Cette république, troisième du nom, connaît une période
de grandes difficultés à cause de la crise politique et sociale
qui frappe la France. Le 18 mars 1871, à Paris, il y a une
tentative révolutionnaire faite par les ouvriers, la
Commune. Ceux-ci veulent assurer dans un cadre municipal et
sans recours à lÉtat, la gestion des affaires publiques.
Linsurrection sera écrasée par les troupes du
gouvernement, du 21 au 28 mai 1871. La IIIe République
trouvera son statut définitif, le 30 janvier 1975 avec le vote
des lois constitutionnelles et doit son nom de République à lamendement
Wallon, qui codifie le système en vigueur depuis 1871 et fixe le
mode délection du président de la République. La IIIe
République durera jusquau 10 juillet 1940, quand le Maréchal
Pétain sinstalle à Vichy après la défaite militaire et
larmistice (deuxième guerre mondiale). Président du
Conseil, Pétain obtient de lAssemblée nationale les
pleins pouvoirs, il promulgue une nouvelle constitution et
devient le chef de lÉtat français. Le nouveau régime
proclame linstauration dun ordre nouveau et la
nécessité de la Révolution nationale fondée sur les notions
de travail, famille, patrie. Ce régime prône aussi
le retour aux traditions nationales et démontre une forte
hostilité à la démocratie et au parlementarisme.
Le gouvernement de Vichy restreint les libertés publiques,
institue des juridictions exceptionnelles (procès de Riom,
contre les personnalités accusées de la défaite de 1940) et
impose aux juifs un statut de discrimination. Sur le plan
économique, il supprime les syndicats et met en place un système
corporatif contrôlé par lÉtat (Charte du travail). Avec
lentrevue de Montoire en octobre 1940 entre Hitler et Pétain,
le gouvernement de Vichy commence sa collaboration avec lAllemagne,
collaboration qui saccentuera à partir de 1941 avec la création
de la Légion des Volontaires contre le bolchevisme, les persécutions
contre les Juifs en 1942, la création de la Milice (créée pour
pallier les carences des forces de lordre et pour lutter
contre la Résistance) et du service du travail obligatoire en
Allemagne en 1943. Après linvasion en novembre 1942 de la
zone libre, les Allemands contrôlent complètement la France et
le gouvernement de Vichy.
La libération de Paris le 24 juin 1944, suivie de linstallation
du gouvernement provisoire de la République met fin à lÉtat
français de Vichy. Sous la direction de De Gaulle, ce
gouvernement entreprend une oeuvre de normalisation. Le 21
octobre 1945, lAssemblée constituante est élue et désigne
De Gaulle comme chef du gouvernement provisoire.
En 1946, les forces politiques dominantes sont constituées par
des partis du centre droit, MRP (Mouvement Républicain
Populaire) et du centre gauche, SFIO (Section Française
de lInternationale Ouvrière. Face à eux, le PC (Parti
Communiste) est tout puissant pour avoir joué un rôle essentiel
dans la Résistance et une nouvelle force qui se reconnaît dans
le général De Gaulle et doù dérive le nom de Gaullisme.
Il est certain quà la libération, les Français aspirent
à un changement, après quatre ans de pouvoir personnel exercé
par le gouvernement de Vichy et le Maréchal Pétain, mais ils ne
souhaitent pas non plus retourner à la Troisième République.
Il faut donc trouver de nouvelles solutions aptes à sortir le
pays du marasme de la guerre et à le conduire vers le développement.
Il se peut que, dans la crainte dun retour au pouvoir
personnel, lassemblée constituante, chargée délaborer
les nouvelles institutions, ait choisi un régime dassemblée
articulé autour dune chambre souveraine contrôlée par
les grands partis qui la composent : MRP, SFIO, PC (la droite
dans toutes ses composantes était absente puisquelle sétait
compromise avec le régime de Vichy). La deuxième chambre modératrice,
le Sénat, nexiste plus en tant que telle ; le
Conseil de la République prend sa place mais avec moins de
pouvoir que le Sénat de la IIIe République. Lexécutif
est représenté par le Président du Conseil qui doit
obtenir linvestiture de lAssemblée et par un Président
de la République au pouvoir limité, dont le principal moyen
daction nest que dinfluence.
De Gaulle se retire en janvier 1946 en expliquant que ce qui le sépare
fondamentalement de ce nouveau régime est une conception complètement
différente du pouvoir surtout pour ce qui concerne les rapports
entre le gouvernement et la représentation nationale. En effet
la Constitution de 1946 présente à ses yeux un défaut de fond
: celui dannuler lautorité de lÉtat dans la
toute puissance des partis politiques. De Gaulle réclame un exécutif
plus fort donnant une autorité certaine au président de la République
et imposant une limitation à la souveraineté parlementaire.
Dans son Discours de Bayeux en juin 1946, De Gaulle montre
son aversion pour les partis politiques quil accuse de négliger
les intérêts de la nation au profit des rivalités intestines.
Il propose un système bicaméral face à un gouvernement procédant
du président de la République qui deviendra le garant de lindépendance
nationale.
La IVe République est née sous le signe du
tripartisme (MRP, SFIO, PC) mais dès 1947, ce régime est déjà
condamné quand la coalition gouvernementale éclate: les
ministres communistes qui faisaient partie du gouvernement, sont
révoqués à la suite de désaccords sur le vote des crédits de
guerre pour lIndochine. A partir de là, des alliances
instables de partis vont se succéder, provoquant la chute de 20
gouvernements en 11 ans. Comme le fait remarquer Hugues Portelli
dans son livre La Ve République: Les facteurs
dinstabilité de la IVe République, tiennent avant tout
à létroitesse de la base parlementaire potentielle
(du fait de lamputation des extrêmes), à la division des
partis coalisables, et à la querelle scolaire
traditionnelle (qui oppose laïcs et catholiques).
Si la toute puissance de lAssemblée, le jeu des alliances
et des oppositions entre les partis ont contribué à laffaiblissement
et à la désagrégation des institutions, on ne saurait dénier
que la IVe République a eu les personnalités marquantes qui ont
su reconstruire le pays en ruine et régler de grands problèmes;
citons pour nen nommer que quelques-uns : Pierre Mendès-France
et Antoine Pinay qui ont symbolisé lintégrité et lefficacité
pour les partis de gauche et de droite quils représentaient,
ainsi que Robert Schumann et son engagement en faveur de la
construction européenne.
En fin de compte, la IVe République a été bien sûr détruite
par linstabilité ministérielle, la faiblesse des
institutions, mais aussi par les grands événements qui ont
caractérisé laprès-guerre : la guerre froide et la
décolonisation. La guerre dIndochine coûtera 92000
morts, des milliers de blessés ainsi quun désastre
militaire humiliant pour la nation à Dien Bien Phu. En 1954,
Mendès-France signera avec Ho Chi Minh, les Accords de Genève
qui mettront fin à la guerre dIndochine. La même année,
commence la guerre dAlgérie par une série dattentats,
oeuvre du Comité Révolutionnaire dUnité et dAction.
Mendès-France, alors au gouvernement envisage des réformes mais
il est renversé.
En mai 1958, la IVe République est à lagonie.
La classe politique, se rendant compte quelle est incapable
de résoudre les problèmes qui harcèlent le pays, se tourne
vers De Gaulle. Elle attend de lui, quil trouve une
solution pour régler définitivement le problème algérien de
façon à pouvoir ensuite remettre de lordre dans la vie
politique de la nation. Le général revient donc au pouvoir à
la faveur de la crise du régime qui domine le pays. Le
changement du régime se fera en dehors des mécanismes
institutionnels, dailleurs après ses démissions en 1969,
De Gaulle racontera dans ses Mémoires , comment il a su
saisir loccasion historique qui
lui avait été offerte pour redonner à la nation la stabilité
dont elle avait besoin. Face à lapathie de la classe
dirigeante, lAlgérie exercera une fonction catalytique qui
donnera au Général lopportunité de retourner sur la scène
politique.
Dans le rappel des grands moments de cette période, seuls sont
retenus les événements qui expliquent les conditions de la
naissance de la Ve République.
I.b.
La naissance de la Cinquième République
La gravité du problème algérien vient avant tout de la place
que ce pays occupe dans lUnion Française. Contrairement
aux autres territoires africains, les départements algériens
font partie intégrante de la République. De plus, près dun
million dEuropéens et parmi eux une majorité de Français
sont installés sur le sol algérien depuis plusieurs générations.
En février 1958 pour répondre aux attaques répétées du FLN
(Front de Libération Nationale), laviation française
bombarde un village tunisien considéré comme le refuge des
terroristes. 69 civils, dont 21 enfants, sont tués. LONU
condamne la France et présente les représailles françaises
comme une internationalisation du problème algérien, ce qui
complique la position du gouvernement. Celui-ci fait savoir quil
nest pas question dabandonner lAlgérie mais de
trouver un compromis apte à satisfaire Fançais et Algériens.
Le 5 mai, Le président de la République René Coty contacte
discrètement De Gaulle pour savoir sil accepte de former
un gouvernement. Ce dernier accepte mais refuse de se présenter
devant lAssemblée pour en recevoir linvestiture.
Le 13 mai, inquiets dune possible négociation entre la métropole
et le FLN, les Français dAlgérie et les généraux déclenchent
à Alger une insurrection. Ils refusent dobéir au
gouvernement qui redoute alors une opération parachutée sur
Paris.
Le 15 mai, De Gaulle dans un communiqué de presse annonce quil
est prêt à assumer les pouvoirs de la République. Il insiste
sur la nécessité de son investiture, à cause de la dégradation
des institutions, dégradation due au régime des partis qui,
engagés dans des luttes intestines ont provoqué la méfiance et
la désunion nationales, léloignement des Etats Associés
et même le désordre dans larmée. Ce communiqué provoque
une grande émotion dans les forces politiques.
Le 19 mai, De Gaulle, lors dune conférence de presse, fait
savoir quil na aucune intention à 67 ans de
commencer une carrière de dictateur. De nombreux hommes
politiques commencent à voir en lui lunique solution
possible.
Le 27 mai, De Gaulle publie un autre communiqué dans lequel il déclare
quil a entamé le processus nécessaire à
létablissement dun gouvernement républicain.
Cette déclaration surprend beaucoup puisquil existe encore
le gouvernement de Pierre Pflimlin qui jouit de la confiance de lAssemblée.
Le 29 mai, le Président de la République René Coty annonce aux
deux assemblées quil a fait appel à De Gaulle et quil
démissionnera si celui-ci nest pas investi. Par ce geste,
le président Coty, reconnaît comme légitime laction du
nouveau gouvernement.
Le 1er juin, De Gaulle consent à demander la confiance à lAssemblée
et présente son gouvernement. Il obtient linvestiture (329
voix contre 224), les communistes, la moitié des socialistes (dont
François Mitterrand) et quelques radicaux votent contre.
Le 2 juin, les pleins pouvoirs sont accordés au gouvernement
pour 6 mois.
I.c.
De Gaulle.
Limage de De Gaulle pèse fortement sur la Ve République.
Il en est le fondateur et il tend à se confondre avec elle.
Pourtant De Gaulle na gouverné la France que pendant onze
ans, (Mitterrand a couvert deux septennats). En 1958, il est
arrivé au pouvoir à la faveur de circonstances qui pouvaient
sembler peu conformes à la pratique démocratique, mais il
quittera ce même pouvoir en 69, se soumettant à la volonté du
peuple français dont il aura lui-même suscité lexpression
à travers un référendum.
Charles De Gaulle est né à Lille le 22 novembre 1890, après
des études chez les jésuites il entre à lécole
militaire de Saint-Cyr, doù il sort en 1912 avec le grade
de sous-lieutenant. Il participe à la première guerre mondiale,
à la fin de la guerre, il occupe les fonctions dinstructeur
de larmée polonaise, puis de chef de cabinet du général
Niessel. En 1937, il est promu colonel à son retour en France. A
la déclaration de la guerre, il prend le commandement des chars
de la 5° armée. Promu général de brigade, il entre le 5 juin
1940 dans le gouvernement de Paul Reynaud comme secrétaire détat
à la défense et à la guerre. Le 16 juin, il apprend la demande
darmistice et le 22 juin, la démission de Paul Reynaud. Il
décide alors de partir à Londres pour continuer la lutte aux côtés
des Britanniques. Le 18 juin, il lance un appel à la BBC
pour exhorter les Français à continuer le combat au côté de
la Grande Bretagne. Le 2 août, il est déchu de la nationalité
française et condamné à mort par contumace; pendant plus de
deux ans, le chef de la France libre sadressera
aux Français à la BBC. De Londres, il dirige la Résistance
quorganise Jean Moulin. En mai 1943, il peut annoncer la
fondation dun Conseil National de la Résistance
formé par la réunion des différents mouvements mais aussi des
syndicats et des partis politiques. Le 3 octobre 1943, De Gaulle,
avec lappui de lAssemblée Consultative dAlger,
réunissant danciens parlementaires et des résistants,
devient lunique président du CFLN (Comité Français de
Libération Nationale). Après le débarquement des alliés en
Normandie, le 6 juin 1944, il obtient du général Eisenhower lenvoi
de la deuxième division Leclerc sur la capitale. Le 25 août
1944, cest lentrée de De Gaulle à Paris; le 9
septembre, il préside le gouvernement provisoire de la République
Française. Le Général De Gaulle persuadé que la responsabilité
de la défaite est aussi imputable à la carence de lEtat,
obtient par référendum (21 octobre 1945) que le peuple
souverain soit associé à lélaboration de nouvelles
institutions quil sera appelé à ratifier. Les premiers
contrastes avec lAssemblée Constituante portent sur la
conception même des pouvoirs publics et sur la réforme de lEtat.
Il démissionnera le 20 janvier 1946. Après cinq mois de silence,
De Gaulle ne cessera dappeler à la réforme de lEtat
et dans ses discours, il expose sa conception dun exécutif
fort (Discours de Bayeux, 16 juin 1946). En avril 1947, il crée
à Strasbourg le Rassemblement du Peuple Français (RPF). De
Gaulle pense que la IVe République ne réformera pas ses
institutions sans choc intérieur, la manifestation du 13 mai
1958 lui offre lopportunité tant attendue pour imposer la
réforme de lEtat.
I.d.
Le discours de Bayeux.
La fondation de la Ve République a promu ce discours à une célébrité
exceptionnelle, il est désormais considéré comme son acte
fondateur.
Ce discours doit être replacé dans le cadre de la vie politique
française après la Libération et dans laction propre du
général De Gaulle. Le discours se présente dabord comme
un hommage rendu à lEtat : sauvegardé dans ses
droits; préservé des ingérences de létranger;
capable de réunir autour de lui, lunité nationale.
Ensuite il condamne lEtat menacé par le régime des Partis.
Enfin De Gaulle formule ses propres propositions qui reposent sur
trois principes organisateurs : Souveraineté populaire, séparation
des pouvoirs, arbritage national. Le discours met aussi en
évidence la nécessité dun Parlement bicaméral
et dun chef de lEtat aux prérogatives élargies.
De Gaulle montre la nécessité dune deuxième chambre élue
par les collectivités locales. Le chef de lEtat est au-dessus
des partis: il est élu par un collège élargi, nomme
les ministres, y compris le Premier, prononce la dissolution de lAssemblée
nationale et, en cas de péril pour la nation, il doit intervenir
comme garant de lindépendance nationale.
Le Président doit faire valoir au milieu des contingences
politiques, les intérêts permanents de la nation.
Nicholas Wahl écrit dans son livre De Gaulle et son siècle que
pour De Gaulle, les problèmes constitutionnels se réduisaient
essentiellement à savoir comment restaurer lautoritè
de lEtat pour que lEtat puisse défendre les
intérêts de la France dans un monde dangereux. Limportant
était de créer des institutions qui pouvaient remettre
la France à son rang
Remarquons que le Discours de Bayeux ne fait référence ni au référendum
ni à lélection du président de la République au
suffrage universel direct (affirmations directes de la
souveraineté populaire). Ceci est certainement dû à une
prudence stratégique.