III.c. 1998,  L’année de l’Édit de Nantes

Les célébrations de 1998  s’inscrivent dans la ligne suscitée par le tricentenaire de sa révocation en 1985. On décida alors de célébrer les valeurs que cette révocation avait niées : la tolérance, la liberté de conscience, l’acceptation de l’autre. Sa promulgation est présentée comme un moment-phare dans l’histoire de la France vers la tolérance et la laïcité. L’histoire fut longue et lente pour que le mot tolérance devienne enfin une vertu, et cette vertu apparaît longtemps associée à la laïcité. L’association tolérance/laïcité explique des réactions autrement difficiles à cerner de la société française d’aujourd’hui.

 

c.1. Qu’est-ce que l’Édit de Nantes ?

Il y a quatre siècles, le 13 avril 1598, Henri IV signait à Nantes un édit qui mettait un terme à 36 ans de guerres ruineuses entre Catholiques et Protestants en instituant les modalités de coexistence pacifique entre les confessions chrétiennes rivales.

Henri IV, grand-père du Roi-soleil, continue de fasciner les Français, sans doute parce qu’il résume plusieurs figures qui hantent la mémoire : le général victorieux qui apporte la paix en se présentant comme le père de la Nation, l’homme providentiel venu sauver la France, l’homme au-dessus des partis confessionnels, le refondateur d’un état doté d’une administration toujours plus efficace et centralisée…

L’Édit de Nantes est un ensemble de quatre textes.

Il n’a pas été d’emblée un événement national. Henri IV s’y exprime en roi catholique ayant pris conscience dans la tourmente des guerres civiles de l’impossibilité d’extirper le protestantisme, il prend des mesures qui sont, au sens strict de l’époque, de tolérance : faute de pouvoir éliminer l’autre, il s’agit de le supporter. Il fait des Protestants un corps privilégié dont l’existence est désormais compatible avec la culture juridique française.

Il n’a pas suscité l’approbation générale. Il est contesté par les catholiques et peu apprécié des protestants qui le trouvent trop tiède.

Malgré ses limites, il leur accorde la liberté de conscience, ce qui suppose, entre autres, le libre choix par les parents des éducateurs de leurs enfants. Il interdit tout prosélytisme et réprouve symétriquement toute manifestation publique de dissension. L’Édit de Nantes choisit d’instaurer une coexistence confessionnelle pacifique.

 

La confrontation confessionnelle avait contribué à modifier le rapport à l’altérité et à la différence en le rendant encore plus angoissant. Pour exister les unes face aux autres, les Églises rivales avaient dû faire passer à l’arrière plan leurs points communs et accentuer, à longueur de controverses, leurs différences, alimentant les peurs et les hostilités.

Entre deux maux : la coexistence avec les hérétiques et la guerre civile, les plus raisonnables se retrouvent pour indiquer le moindre.

 

c.2. L’Édit comme révélateur de l’évolution des mentalités 

Considéré comme un texte fondateur de la tolérance, il ne faut pas oublier qu’au départ et encore souvent, tolérer ne signifie que supporter un mal que l’on ne sait pas extirper. Le débat va provoquer la naissance de concepts fondamentaux pour l’avenir.

·        L’adjectif “ politique ”.

On considère que c’est alors que l’adjectif “ politique ” devient un nom commun désignant celui qui sait bien observer la chose publique puis, dans un sens alors péjoratif, celui qui adapte les lois et l’action politique aux nécessités du moment, même s’il doit mettre entre parenthèses ses engagements religieux. Ce terme de politique désigne une famille d’esprits qui se distingue par une manière commune d’envisager la division religieuse et de proposer une approche politique du problème confessionnel. C’est dans ce cadre que s’inscrit le recours à la tolérance. L’ordre politique s’affranchit de l’ordre religieux, État et Église ne sont plus superposés.

 

·        La laïcité.

Des noms  illuminent notre culture qui avant, pendant, après le schisme religieux s’attachent à penser une convivialité nouvelle. L’expérience de voisins de la France, tels que les Pays-Bas, où les Protestants dominent, indique une méthode pour atteindre la coexistence d’où il ressort que la clef de voûte du système de relations quotidiennes est le cantonnement strict de l’expression de convictions religieuses différentes et divergentes dans l’espace privé.

 

Une “ anecdote ” confirme que la laïcité  reste un objet de débat :
Adrien Favreau dans Le Monde du 22.01.1998 dans un article intitulé La France laïque interdit de subventionner les visites papales  rapporte le fait que le tribunal administratif de Nantes a annulé une délibération du conseil régional des Pays de Loire qui avait attribué 100.000 francs à l’évêché d’une ville vendéenne pour accueillir le pape. Pour censurer cette subvention la juridiction administrative s’est fondée sur l’article 2 de la loi du 9.12.1905. “ La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ”.

 

Chemin faisant les confessions rivales ayant prouvé leur propension à poursuivre ceux qui pensent autrement, elles vont apparaître, à Voltaire par exemple, comme irrémédiablement intolérantes. L’équation rapide d’un dogmatisme ne pouvant qu’être fanatique aboutira à la nécessité, si l’on veut  atteindre la concorde, de se débarrasser de ce qui, étant incapable de compréhension, ne peut qu’être détruit. On a chez Voltaire un appel à écraser l’Infâme, celui-ci étant la religion intolérante, qui se muera chez les militants laïques de la troisième république en “ Bouffons du curé ! ”. La République, face aux religions, opte pour l’État laïque, absolument neutre. Jules Ferry proclame à la chambre des députés en 1881 : “ la laïcité n’est pas antireligieuse elle n’est qu’anticléricale dans la mesure où le cléricalisme est un fanatisme ”. La loi du 28 mars 1882 décrètera la neutralité religieuse ce qui débouche, selon la logique des laïques, à la loi du 30 octobre 1886 qui confie l’enseignement à un personnel exclusivement laïque – mesure étendue au secondaire en mai 1912. L’œuvre laïque des républicains aboutit en 1905 à la loi de séparation des Églises et de l’État.

La laïcité veut faire de la religion une affaire étroitement privée, une conviction comme une autre, ce dont auront à souffrir les sociologues car dans les recensements la question de l’appartenance confessionnelle ne sera plus posée à partir de 1872 !

 

·        La citoyenneté.

A travers le débat sur la liberté de conscience, l’individu acquiert des droits face aux autorités en général, qu’il s’agisse de l’Église ou de l’État : se dessine alors ce que l’on nommera la citoyenneté.

Depuis 1539, l’état civil ne mentionnait pas les naissances mais les baptêmes catholiques, avec cet édit, pour les sujets non catholiques, les déclarations de naissance, mariage et décès pourront être faits auprès d’un officier de justice. Ceci ouvre la voie à la laïcisation totale de l’état civil.

Autre point fort de l’évolution est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen publiée le 26 août 1789. A la logique absolutiste qui interdit tout ce que la loi ne permet pas, on substitue la logique de la citoyenneté qui, autorisant tout ce qui n’est pas interdit, favorise la pluralité. Napoléon innove en reconnaissant également aux Juifs le droit de pratiquer leur religion en leur donnant des structures centralisées et une organisation locale. Pour Bonaparte la tolérance envers les juifs a pour but leur intégration et même leur assimilation (cela sans oublier de vérifier au préalable leur attachement à la patrie française !). L’autre n’est ainsi accepté que dans la mesure où il peut devenir un semblable. Malgré ces difficultés, il faut noter que la France a émancipé sa population juive bien avant les autres pays d’Europe : l’Angleterre ne s’y résolut qu’en 1866, l’Italie en 1859, l’Allemagne en 1870, la Russie en 1917.

 

c.3. République et religion(s)

Les fêtes officielles chômées qui, pour une large part sont d’origine chrétienne, demeurent. Tout se passe comme si la République estimait que la grande majorité des Français étaient chrétiens, en particulier catholiques, et qu’il importait d’en tenir compte. L’Église elle-même amorce un tournant décisif  lorsqu’en novembre 1890 le primat d’Afrique accueillant l’État major de l’escadre de la Méditerranée invite les officiers, des catholiques monarchistes, à accepter la République. Cette invitation importe car, après la chute du second Empire en 1870, l’adhésion de l’épiscopat français à la cause monarchiste avait fait rebondir la querelle Eglise-Etat.

L’affaire du foulard islamique, suscité par les jeunes filles de religion musulmane allant à l’école publique en portant le foulard islamique considéré comme un signe religieux distinctif, réveille la peur du fanatisme et le retranchement derrière des convictions laïques au sens voltairien du terme. On assiste toutefois à son sujet à un assouplissement des positions et à une résolution en douceur du problème.

L’état semble sortir de l’ère du soupçon et de la surveillance. On oeuvre au service de l’intégration des musulmans français appelant le remplacement de l’Islam en France par l’Islam de France.

L’Édit de Nantes a ouvert la voie à la reconnaissance d’une confession minoritaire. La question d’aujourd’hui est la reconnaissance d’une autre religion minoritaire, l’islam. Les tensions existant entre la France et sa minorité musulmane n’ont pas à leur actif près de quatre décennies de guerres et de massacres sanglants,  mais elles sont nourries par les souvenirs amers de la colonisation et de la guerre d’Algérie. On pourra accuser la comparaison d’être fallacieuse parce que catholiques et protestants appartenaient au même pays, avaient des références chrétiennes communes alors que les musulmans sont étrangers à ce patrimoine symbolique commun. Mais c’est oublier que le protestantisme d’alors était aussi la religion d’un royaume étranger et que d’autre part les musulmans français sont nés en France et ont combattu à ses côtés, contre l’Allemagne nazie par exemple. Les règles de la laïcité rendent souvent l’état impuissant car il lui appartient de ne pas s’immiscer. Les musulmans de France souffrent d’un manque de garanties collectives (lieux de culte, marché de la viande autorisée ou viande halal…). Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’intérieur du gouvernement Jospin, examine des propositions qui visent à une plus grande égalité de traitement. Le temps presse car la communauté islamique est ébranlée par des tensions toujours plus grandes et des infiltrations intégristes. Des intellectuels de cette communauté manifestent leur intérêt pour l’Édit de Nantes dont ils font une étape du processus d’intégration d’une minorité, un compromis qui établit les règles du “ vivre ensemble ”.

 

c.4. Le problème des sectes

En revanche l’utilisation de la religion à des fins mercantiles ou économiques suscite réprobation et répression. Il s’agit désormais de l’attitude à adopter à l’égard des sectes qualifiées de pseudo-religieuses. Mais quels critères peuvent valablement définir ce terme “ pseudo ” ? En 1996, la commission d’enquête parlementaire sur les sectes renvoie à la catégorie de l’intolérable, au sommet de cette catégorie se place la “ déstabilisation mentale ”. Il est bien délicat de déterminer objectivement ce qu’est un viol de conscience. Dans ce domaine, aux enjeux dramatiques, la réponse est encore à venir.

Au point actuel de l’évolution des mentalités, la présence de l’Autre est généralement perçue comme une richesse et non plus comme une menace. Par précaution nous ajoutons l’adverbe généralement parce que la tolérance semble ne jamais être une conquête définitive