III.b.
1996, Lannée Clovis
Cette
commémoration, qualifiée souvent de très politique, a
reproposé la fracture des deux France ; caricaturalement la
France progressiste et laïque opposée à la France
traditionaliste et catholique.
Le
12 mars 1996 est créé par décret le Comité pour
la commémoration des origines : de la Gaule à la France .
Il est chargé de parrainer et de coordonner les manifestations
culturelles dont le point dorgue sera la venue du pape à
Reims le 22 septembre.
Le
paradoxe apparent de cette commémoration consiste bien dans le
fait que la France en a plus appris sur elle-même que sur le
personnage.
b.1. Qui est Clovis ? |
466
Naissance de Clovis 476 Fin de lEmpire romain dOccident 481 Clovis
succède à son père comme roi des Francs Saliens 492 Second
mariage avec Clotilde princesse burgonde et catholique. 496 Victoire
sur les Alamans 499 Lévêque
de Reims baptise Clovis 507 Clovis
fait reconnaître son autorité par tous les Francs 508 Paris
devient capitale du royaume 511 mort de
Clovis 573-594 Grégoire
de Tours rédige Dix livres dhistoire
ou histoire des Francs |
Dans
la vie scolaire ce roi que lon choisit de célébrer en
grande pompe représente traditionnellement ¼ dheure !
Toutefois lhistoire des manuels scolaires confirme que ce ¼
h na pas toujours laissé indifférents. Jusquà la
première guerre mondiale deux personnages emblématiques représentaient
la France coupée en deux : Clovis et Vercingétorix, le
premier, longtemps présenté en ouverture des manuels scolaires,
illustrait la conception qui veut que la France nait
commencé à exister que quand elle sest, à travers son
roi, convertie au catholicisme ; le second était le
champion de la conception laïque et républicaine attachée
au contraire à la notion de peuple.
Les
éditions scolaires de 1996 reflètent un habile compromis des
deux répertoires dimages traditionnelles. Les manuels
semblent vouloir protéger les enfants face aux récupérations
politiques et donnent par exemple la date de 496, comme une date
bien incertaine.
La
commémoration très politique du mille cinq centième
anniversaire de la conversion de Clovis pousse donc la grande
majorité des enseignants à réaffirmer leur neutralité.
Personne ne niera que cest un personnage incontournable,
qui a réussi à unifier la France et qui en précurseur a utilisé
lÉglise pour servir sa carrière politique comme le feront
ensuite tous les rois de France. Toutefois, lenseignement
portera surtout sur limportance du traitement que lon
peut faire des sources historiques, sur le difficile
apprentissage de lobjectivité en histoire.
La
célébration suscite linquiétude car elle favorise le réveil
des passions extrémistes. On constate dailleurs que lapaisement
de ces passions a correspondu, dans les manuels dhistoire,
à un souci strictement documentaire.
La
visite du pape à Reims, en vue de cette commémoration, rallume
la querelle entre traditionalistes et modernistes. Le pape avait
à plusieurs occasions froissé la sensibilité laïque.
Les
évêques français eux-mêmes craignent que sa visite ne réveille
la guerre des deux France et donc lanticléricalisme et
voire même lanticatholicisme. Un collectif sest créé
rassemblant SOS-Racisme, le réseau Voltaire, le planning
familial etc
pour dénoncer latteinte faite aux lois
de la République en particulier à sa laïcité. Lépiscopat
français se voit tiraillé entre tous les courants réveillés
et contradictoires de léglise française et contrôle
difficilement les âmes des différents courants, des intégristes
proches du parti raciste et nationaliste (le FN) aux courants
conciliaires qui appuient les initiatives laïques, et appellent
léglise à souvrir plus franchement vers la modernité.
Le
voyage de Jean-Paul II relance donc la grande question de la
place de la religion dans une société laïque.
Lhistorien
Michel Rouche rappelle quau-delà du baptême (la
christianisation avait déjà commencé en Gaule à partir du IIe
siècle), Clovis peut aussi évoquer des valeurs fondamentales
aujourdhui. Lacceptation de lautre surtout :
Clovis encourage les mariages mixtes, interdit le pillage et lexécution
des prisonniers de guerre, promulgue les lois mais ne les élabore
pas, nhésite pas à exterminer sa propre parentèle dont
les structures archaïques sont un danger pour lÉtat
Le
pape saura dailleurs déjouer les pièges tendus sur son
passage en reprenant les idéaux de la devise républicaine
Liberté, Égalité, Fraternité et
invitera la France à demeurer accueillante.
b.4.
Gestion laïque de la France daujourdhui ?
La
défense de la laïcité fait réfléchir sur la gestion
laïque de la France. En effet si les dépenses officiellement
affectées par létat aux religions sont modestes, lessentiel
des crédits publics consacrés aux religions et en pratique
essentiellement au culte catholique emprunte dautres canaux :
lentretien des monuments historiques par exemple. De même
létat français, depuis la loi Debré-Guermeur de 1959 sur
lécole, consacre des montants importants à lenseignement
privé : rémunération des enseignants, frais de
fonctionnement des établissements, subvention à lenseignement
agricole et à lenseignement supérieur privés. Au total
le montant équivaut à près de 12% de limpôt sur le
revenu. Certes la plupart de ces dépenses revêtent un caractère
inéluctable lié à la scolarisation, à la sauvegarde du
patrimoine, il nen reste pas moins que lÉtat
subventionne indirectement le culte catholique.
Ce
recul de la laïcité se produit dans une société
multiculturelle et pluriconfessionnelle où chaque religion,
voire chaque secte, entend bien profiter des mêmes libéralités.
La communauté juive a créé un réseau décoles bénéficiant
des lois Debré-Germeur. Un même réseau nexiste pas dans
la confession musulmane en raison dune disposition réglementaire
qui exige un fonctionnement des écoles durant trois ans avant
tout versement de subventions, or la population musulmane na
pas les moyens de préfinancer louverture décoles.
Le
conseil dÉtat a lui aussi opéré de fréquents compromis
en tolérant par deux arrêts les dérogations individuelles à
la fréquentation obligatoire le jour du shabbat pour les élèves
de confessions israélite, estimant par de nombreux arrêts et
avis que le port du foulard islamique ne justifiait pas à lui
seul lexclusion, pas plus quen son temps le port dinsignes
scouts.
La
loi de 1905 sur la séparation de lÉglise et de lÉtat,
semble alors ne plus correspondre à la société actuelle, mais
quel gouvernement oserait courir les risques que sa remise en
chantier comporterait ? Les particularités nationales
tendent dailleurs à sestomper au profit dune
voie européenne intermédiaire.